Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Echos des pulsations

    njp, nancy jazz pulsations, citizen jazzVoilà un peu plus d’une semaine que les feux de l’édition 2013 de Nancy Jazz Pulsations se sont éteints. Avec une fréquentation de 100000 spectateurs, toutes manifestations comprises et un total de 29000 entrées payantes, NJP affiche un bilan correct qui est aussi celui de ses 40 ans, fêtés sous le signe de la Nouvelle-Orléans, berceau du jazz.

    Tiens, ce paragraphe ressemble un peu à un communiqué officiel. En fait, c’était juste pour dire que Nancy et sa région ont réussi à bien vibrer au rythme de ces pulsations qui ne sont pas que jazz, loin s’en faut, au prix parfois d’écarts stylistiques très douloureux. Mais l’idée est aussi que le plus grand nombre de spectateurs puisse trouver de quoi puiser dans une offre diversifiée, n’est-ce pas ? Soyons honnêtes toutefois, il arrive que les errements, ici ou là, de la programmation, vous contraignent à subir bien malgré vous de drôles de choses dont on se demande ce qu’elles peuvent bien venir faire là... La palme en revient à la soirée du 14 octobre au Chapiteau de la Pépinière, hétéroclite et frustrante pour tout le monde.

    N’empêche : pouvoir se dire qu’en une dizaine de jours, on a pu assister à une dizaine d’excellents concerts, voire de très grands moments, c’est quand même le plus beau compliment qu’on puisse faire aux organisateurs. Après coup, on n’a plus du tout envie de s’irriter contre une savonnette façon Micky Green ou les prestations insipides de Django à la Créole ou de Térez Montcalm, ni même de se souvenir d’une sonorisation parfois insupportable au Chapiteau de la Pépinière. Non, c’est le meilleur qui reste et c’est très bien ainsi.

    N’ayant pas le don d’ubiquité, il m’a été impossible d’assister aux quelque 212 concerts qui ont été proposés du 9 au 19 octobre dernier. J’ai beau disposer d’un corps gracile dont la souplesse légendaire est de renommée mondiale, j’ai beau avoir appris à survoler les salles habillé de ma mythique cape bleu marine moulante à la vitesse de l’éclair, j’ai beau bénéficier de la capacité d’écouter attentivement un disque tout en lisant Proust à l’envers en braille pendant que je mitonne une quiche lorraine et que de ma main libre je rédige une chronique pour Citizen Jazz en pensant à la prochaine note de mon blog... eh bien, je le confesse, je me suis vu contraint de choisir, de faire un tri, de me résoudre à déserter une salle dont j’aurais volontiers poussé les portes si j’avais eu le talent de me dédoubler. Tiens, un seul exemple, celui du jeudi 17 octobre : l’Opéra fait salle comble pour accueillir Avishai Cohen et sa formation avec cordes ; en même temps, un des combos les plus captivants de la scène hexagonale, l’Imperial Quartet, vient perturber le Théâtre de la Manufacture en poussant en première ligne deux saxophonistes baroudeurs, juste avant que la même salle ne soit électrisée par les fulgurances du grand Nguyên Lê et ses Songs of Freedom. Je n’ai pas réfléchi très longtemps toutefois : perturbation et électricité, ces deux ingrédients étaient faits pour moi. Il n’empêche... l’alternative, c’est pas malin ! [Notez au passage la citation]

    En cet automne 2013, avec la complicité de mon ami photographe Jacky Joannès et de ma rédac’ chef Hélène Collon, je me suis livré pour la première fois à un exercice duquel j’aurai beaucoup appris (vous vous en fichez, mais pas moi) : écrire chaque matin, entre 7 heures et 8 heures, un compte rendu de la soirée de la veille, afin qu’il soit publié dans les meilleurs délais sur Citizen Jazz, imposant parfois à mon pote aux images de déposer ses clichés en pleine nuit dans ma messagerie électronique. Encore vibrant (ou pas) de ce que je venais d’écouter, je me suis efforcé de traduire au mieux ce que j’avais pu ressentir. Alors je vous propose de revenir – si ça vous dit, bien sûr – sur ces heures de musique souvent enthousiasmantes, parfois ennuyeuses, mais toujours à considérer comme le témoignage d’une action forte menée dans une région pas vraiment gâtée depuis des années. C’est aussi, d’une certaine manière, une façon pour moi d’adresser un clin d’œil à Nancy, dont j’aime plus que tout railler la météorologie souvent peu conviviale mais qui, après tout, est une ville où il est assez aisé de passer de très bon moments, bien qu’elle ne soit pas assez géographiquement éloignée à mon goût des vulgarités moranesques... Chacun sa croix ! 

    Voici donc mes Echos des Pulsations, chroniques de NJP 2013

    NB : une contrainte personnelle ne m’a pas permis d’assister au concert de Joshua Redman le mercredi 9 octobre à la salle Poirel. C’est mon grand regret de l’année, avivé par les témoignages enthousiastes de ceux qui ont eu la chance d’être présents ce soir-là.

    Jeudi 10 octobre, salle Poirel

    Bernica Octet / Moutin Factory 5tet

    Vendredi 11 octobre, salle Poirel

    Stéphane Kerecki Sound Architects / Vincent PeiraniTrio invite Michel Portal

    Samedi 12 octobre, salle Poirel

    Térez Montcalm / Kellylee Evans

    Dimanche 13 octobre, Chapiteau de la Pépinière

    Pépinière en fête / Treme Brass Band

    Lundi 14 octobre, Chapiteau de la Pépinière

    Dirty Dozen Brass Band / Bertrand Belin / Micky Green

    Mardi 15 octobre, Chapiteau de la Pépinière

    José James / Christian Scott / Kenny Garrett

    Mercredi 16 octobre, Théâtre de la Manufacture

    Django à la Créole / So Purple

    Jeudi 17 octobre, Théâtre de la Manufacture

    Imperial Quartet / Nguyên Lê Songs Of Freedom

    Vendredi 18 octobre, Théâtre de la Manufacture

    Rémi Panossian Trio / Aldo Romano New Blood

    Samedi 19 octobre, Chapiteau de la Pépinière

    Alex Hepburn / Ibrahim Maalouf / Galactic

  • Vivre sans cette musique serait une erreur !

    archimusic, jean-remy guedon, jimmy justine, Si quelqu’un m’avait dit un jour que j’écouterais un disque dans lequel un rappeur déclame des textes de Nietzsche, je suis certain que je l’aurais pris pour un hurluberlu. Mais ça va pas la tête ?

    Faut bien que je vous le dise : j’ai toujours eu un petit problème avec les philosophes... Est-ce là le stigmate de ma classe de Terminale où notre professeur s’intéressait si peu à ses élèves qu’elle ne voyait même pas, juste sous ses yeux, l’un d’entre eux – mon voisin - en train de recoudre l’ourlet de son jean, la jambe négligemment posée sur sa table ? A cette époque, les choses sont devenues compliquées pour ma pomme : il s’est trouvé comme un écran opaque entre ma pensée chancelante et celles des maîtres dont on nous avait refilé l’étude des grands textes le temps d’une épreuve au baccalauréat, avant de tout oublier dès le lendemain. Au bout de trois ou quatre phrases, je suis perdu, je ne comprends plus, je ne vois pas bien ce qu’on cherche à m’expliquer. Et encore, on dirait que ces braves gens ont laissé des traces puisque ceux qu’aujourd’hui on nomme « philosophes » (souvent à tort, me semble-t-il) ne cessent d’en référer à eux et les citent à tour de phrases, au point qu’on finit par se demander si eux-mêmes pensent quelque chose... Il faudrait que quelqu’un leur dise que le bac, c’est fini... Bref, pas moyen d’entrer dans le truc. Je ne cherche pas à lutter contre des forces qui me dépassent.

    De plis, quand je lis le mot « rap », j’ai tendance – par ignorance, probablement – à tout mélanger et à me dire que je vais devoir subir une bande de mecs bien machos, chaîne en or, bagnoles et filles gonflées des poumons. Ce sont des clichés, je le sais (quoique, pas toujours...) et j’ai tort de réduire ce genre à ses seuls excès à but très lucratif. Mais c’est la raison pour laquelle je ne suis pas plus indispensable au rayonnement du rap qu’il ne l’est à mon épanouissement.

    Donc : Nietzsche + rap = pas possible !

    Eh bien si, c’est possible, justement, et j’en sais gré au saxophoniste (et compositeur) Jean-Rémy Guédon d’avoir été moins stupide que moi. Avec son ensemble Archimusic, il évoque une causerie philosophique entre Nietzsche, Wagner et sa femme Cosima ; une conversation qui donne naissance à une improvisation au piano par le philosophe, histoire de créer une nouvelle matière composée de sons et d’idées. Musicien amateur, Nietzsche n’a jamais été reconnu pour ce talent-là. Mais il y avait de quoi interpeller un jazzman comme Guédon, qui s’est emparé de ses textes « les plus raisonnants » pour les mettre en musique. C’est cela, Le Rêve de Nietzsche, objet de création lors de l’édition 2011 du Banlieues Bleues : « C’est tâcher de m’approcher au plus près de son désir jamais accompli ». Qui voit le jour cette fois sous la forme d’un disque dont tous les textes sont « dits » par Jimmy Justine, un MC élevé au smurf devenu rappeur, qui se nourrit de son propre vécu pour dire ce qu’est le monde, en bien comme en mal. Il aime la langue française, la lecture, l’écriture, personne ne saurait le lui reprocher, n’est-ce pas ?

    Archimusic se présente sous la forme d’un ensemble de 8 musiciens, qu’on pourrait scinder en deux parties : un duo pulsion, composé de Thierry Jasmin-Banaré (basse) et David Pouradier Duteil (batterie) qui imprime un tempo lourd et profond, ce que je n’hésiterai pas à qualifier de groove ; face à eux, ou plutôt autour d’eux, avec eux, six instruments à vent dont le saxophone de Jean-Rémy Guédon lui-même qui mène la danse. Clarinette, hautbois, basson, clarinette basse, trompette pour soulever le beat et offrir un écrin très singulier, soyeux, protecteur, tourmenté parfois, aux scansions de Justine, lui-même trop heureux de nous laisser entrer dans les pensées de Nietzsche en leur imprimant son propre rythme. Mais surtout, jamais ces deux matières (le son et la pensée, donc) ne semblent faire l’objet d’une juxtaposition artificielle. C’est la cohérence du tout qui saute aux oreilles, une impression d’Ensemble pour ainsi dire.

    Humain Trop Humain, Le Gai Savoir, Ecce Homo, Ainsi Parlait Zarathoustra, De la Canaille... Voilà le programme du jour, dont je connaissais tout au plus les titres. Mais après tout, je m’en fiche, pas d’examen en vue pour moi, et je ne vous cacherai pas que je me suis surpris à faire attention aux textes de Nietzsche (après une première écoute où mes oreilles faisaient la part belle à la musique), à les lire en même temps que Justine les disait. Et vous savez quoi ? Y a des trucs que je comprends. Tiens, par exemple, quand je lis dans Le Gai Savoir : « Vivre ! Cela veut dire repousser continuellement loin de soi quelque chose qui veut mourir. » Eh bien, une phrase comme ça, elle me parle, je la comprends dans ses moindres détails. Et je n’en cite qu’une, pour l’exemple, mais j’aurais presque pu recopier ici tous les textes qui sont reproduits sur le livret sur ce disque salutaire.

    Une question de pédagogie ? Possible... Alors, Jean-Rémy Guédon, Jimmy Justine et Archimusic, dites-nous que vous allez forcer la porte des lycées et nous parler philomusique ! Je veux bien repasser le bac avec vous... 

    BONUS !

    Un extrait d’un concert donné en mars 2013 au tamanoir (Gennevilliers)

    Jean-Rémy Guédon nous explique ce qu’est Archimusic.