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  • La médecine douce de Setna

    setna, nicolas cande, soleil zeuhl, guérisonLes premiers accords de piano de Guérison, second disque en trois grands mouvements du groupe rouennais Setna après Cycle I publié en 2008 (et dont j’ai parlé à l’époque ICI et ), évoquent Magma, voilà qui ne fait aucun doute. Leur scansion très zeuhl est là pour nous rappeler que Nicolas Candé et ses compagnons savent d’où ils viennent et qu’ils ont biberonné du « Mëkanïk Kömmandoh » plus que la moyenne de leurs pairs (mais pas seulement, qu’on se rassure), et qu'il s'agit là d'une nourriture calorique qu’ils ne sauraient renier ! Même lien de parenté assumée pour la basse de Christophe Blondel qui gronde, terrienne, cousine rapprochée de ses aînées, celles dont Jannick Top et Bernard Paganotti tenaient le manche aux temps lointains où Magma était à son zénith (la période créative du groupe pouvant être circonscrite aux années 1969-1975, Offering imprimant quant à lui sa marque au début des années 80). La voix de Yannick Duchene - nouveau venu et par ailleurs chanteur du groupe Neom - laisse filer des paroles-vocalises qui présentent de lointains airs de famille avec le chant organique des migrants de la planète Kobaïa, même si sa tessiture androgyne les en éloigne de façon évidente. Duchene n’oublie pas non plus de rendre un hommage discret à ce que fut l’expérience coltranienne d’Offering (comme sur « Guérison », par exemple, où l’on n’est pas si loin de « Tilim M’Dohm », les spécialistes me comprendront). Mais on entend surtout chez lui des mots chantés en français : le soleil, la vie... Voilà un indice majeur sur la spécificité de Setna et sa dimension solaire, qui se confirmeront de minute en minute, marquant ainsi son détachement de la matrice et le besoin de couper le cordon ombilical. Héritage, oui, tutelle, non !

    Ce « Cycle II » introductif (il est en cela la suite naturelle du premier album, on l’aura compris) va nous réserver d’autres clins d’œil volontairement appuyés, preuve du très bon goût de ces musiciens en action et de leurs références à haute teneur créative : son deuxième mouvement regarde en effet avec insistance du côté de l’École de Canterbury, aussi bien à travers les influences du Soft Machine des premiers temps que celles du Caravan de « Nine Feet Underground », quand ce dernier visitait un pays tout de gris et de rose (du nom du troisième album du groupe, In The Land Of Gray And Pink, publié en 1971). L’exposition est claire, elle transpire de vitalité, tout est en place pour un beau périple. On embarque !

    Vient aussitôt après une longue suite appelée « Triptyque » et là, il y a comme une rupture esthétique, une sorte d’éblouissement sonore dont le premier appel ressemble à une quête de la lumière : on pense aux inspirations mystiques de Pharoah Sanders et aux illuminations de Carlos Santana, à l’époque de Caravanserai, Welcome ou Borboletta. Une guitare acoustique laisse entendre ses arpèges, voilà qui est inédit chez Setna. On est passé dans un autre monde : tiens, c’est un peu comme si après un long voyage, les musiciens avaient abordé d’autres rivages, plus irisés, pour ne pas dire plus sereins et contemplatifs. La pulsion de la rythmique est d’une efficacité redoutable (en passant, n’oublions pas que Nicolas Candé est un magnifique batteur, il le prouve ici du début à la fin) et le duo basse-batterie allie puissance et légèreté, touché par la grâce des élans que suggère la musique. Un peu plus tard, l’héritage zeuhl fera à nouveau l’objet de quelques citations (le chant à la fin de « Triptyque Part II » laisse entendre des échos lointains de « Zombies », l’ouverture de « Guérison » - mais aussi « Le parasite », l’un des deux titres bonus - évoque quant à lui le cérémonial percussif de « Köhntarkösz ») sans que jamais celles-ci ne soient envahissantes ni pesantes. Le troisième mouvement de la suite cède la place à une atmosphère plus éthérée, où l’apaisement est au rendez-vous, sur fond de claviers (impeccables Benoît Bugéïa et Florent Gac), souligné par la clarinette basse de Julien Molko et la lapsteel très planante de Tony Quedeville. Il y a quelque chose d’un peu hypnotique et entêtant, qui instaure un climat singulier : Setna s’accomplit devant nous, on est simplement heureux de partager des instants privilégiés et d’en ressentir le bénéfice instantané.

    « Guérison », troisième partie du disque, amplifie cette sensation de bien être, d’épanouissement et d’élévation. Toutes les influences brassées s’expriment alors dans un langage qui devient vraiment celui du groupe. Setna trouve sa voie, lumineuse et chargée d’une intensité spirituelle à laquelle on a vraiment envie de vibrer. Aucune noirceur ne vient assombrir le paysage. Bien au contraire…

    Récemment, Nicolas Candé évoquait avec moi le chemin que le groupe avait voulu entreprendre pour ce second album : contribuer à « une sorte de guérison de cette sclérose humaine dont nous avons à souper chaque jour durant et dont nous faisons partie - ne pas oublier ce détail. Alors, voilà un disque qui traite de ce sujet et qui suscitera peut-être quelques interrogations constructives chez certaines personnes ». Le pari est ambitieux, il n’est pas interdit de penser qu’il faudra d’autres disques comme celui-ci pour avancer encore plus loin, tout doucement. Mais la proposition est là, respectable, elle vaut mieux que toutes les imprécations haineuses et les appels à un esprit dominateur qui serait notre guide et nous priverait en réalité de notre liberté d’être et de conscience. Chez Setna, il semble qu’on veuille croire que la solution est en chacun de nous, dans le respect de l’autre.

    Parmi les nombreux invités qui viennent participer à la fête de Guérison et contribuent pour beaucoup à la coloration du disque, il est difficile de ne pas souligner le travail d’enluminure de Nicolas Wurtz à la guitare électrique et celui, toujours aussi époustouflant, du grand Benoît Widemann au minimoog. Ce dernier – rappelons qu’il fut membre de Magma au milieu des années 70 – vient littéralement enchanter la musique (comme par exemple sur la deuxième partie de « Triptyque » ou sur le second mouvement de « Guérison ») et participe à son envol vers de hautes sphères où l’air est bien agréable à respirer. On s'aperçoit alors qu’on a affaire à un rock progressif de grande facture, qui tire de celui-ci la nécessité d’exprimer sa musique sur la longue distance, en une succession de mouvements élaborant une suite complexe et richement pourvue en climats - parfois symphoniques - mais sans jamais tomber dans le piège d'un excès de démonstration (un peu vain il est vrai) qui a pu conduire les héros de ce genre vers une impasse, à force de surenchère technologique et virtuose, et de course aux égos surdimensionnés. Ici, le cap est toujours maintenu, le groove omniprésent, la pulsion sous-jacente, vitale. Il y a quelque chose d'essentiel dans ce mouvement vers l'avant et cette poussée ascensionnelle.

    Guérison est un disque solaire et généreux, il est publié, comme son prédécesseur, sur le vaillant label Soleil Zeuhl d’Alain Lebon. Le voyage est recommandé et la médecine douce de Setna efficace, qu’on se le dise !

    Setna :

    Nicolas Candé : batterie, guitare 12 cordes & claviers ; Christophe Blondel : basse ; Benoît Bugeïa : Rhodes & piano ; Yannick Duchene : chant ; Florent Gac : Orgue.

    Invités :

    Nicolas Wurtz : guitare ; David Fourdrinoy : vibraphone ; Julien Molko : clarinette basse ;  Benoît Widemann : Minimoog ; Tony Quedeville : Lapsteel ; Nicolas Goulay : claviers ; Samuel Philippot : guitare.

    Prise de son & mixage par Thibaut Cortès. Masterisé à Tel Aviv par Udi Koomran.

  • CACsino

    J'adore les types qui tiennent les chroniques boursières à la radio. Je ne sais pas si vous avez remarqué, ce sont des mecs la plupart du temps.
    Y en a un, assez gratiné, qui s'extasie chaque jour de la semaine sur France Inter peu avant 13 heures. On a l'impression que c'est un gamin devant une console et un jeu vidéo : il est content quand ça monte, triste quand ça descend. Il est heureux, il ne se pose jamais de questions, pour lui, c'est comme ça, la bourse, ce sont des courbes qui font de beaux dessins. C'est jamais pareil d'une fois à l'autre et il a dans son panier une myriade d'explications clés en main qui, selon l'humeur du jour, peuvent expliquer une hausse ou une baisse.
    Le bonheur de "lémarchés" et des investisseurs (traduisez : spéculateurs)...
    Pourtant, des questions, il pourrait en poser : tenez, par exemple aujourd'hui... Le voilà qui nous explique la baisse du cours de la Société Générale par une "prise de bénéfices" (sic) après la forte hausse, hier, de 6%. Euh, dis-voir mon gars, tu penses pas que ça vaudrait le coup d'approfondir ? Tu crois pas qu'une enquête un peu fouillée sur un cas comme celui-là serait intéressant ? C'est pas bizarre qu'un jour ça explose et que le lendemain, les piliers du CACsino empochent la mise et ramassent les biffetons d'un seul coup ?
    Non ?
    Ah bon... eh bien retourne à ton beau jouet sur le... comment déjà ? ah, oui, service public !!!

  • Ladies first (1/2)

    Je réfléchis depuis quelque temps à l'écriture d'une nouvelle appelée Ladies First, qui viendra illustrer une exposition de photographies dont la co-réalisation sera assurée par mon pote Jacky Joannès.

    Nos rôles sont bien répartis : à lui l'image, à moi le signe.

    Le principe en est très simple puisque le visiteur pourra, selon son humeur plus ou moins vagabonde, se contenter de regarder les portraits, ou bien lire le texte qu'il devra suivre de cadre en cadre, ou bien encore tout lire et regarder. L'exposition et la nouvelle porteront le même nom et auront pour point commun la femme.

    Mon acolyte va mitonner une cinquantaine de portraits de chanteuses ou musiciennes ; le texte en gestation, lui, évoquera l'histoire d’une artiste – une chanteuse - qu’on suivra dans sa tentative de renaissance…

    Je ne peux guère en dire plus, mis à part le fait que Ladies First sera l'une des manifestations associées aux quarante ans du Festival Nancy Jazz Pulsations, au mois d'octobre prochain, et qu'elle se tiendra à la MJC Pichon. Et puisqu'il est question de femmes, pourquoi s'arrêter en si bon chemin ? J'aimerais saluer en deux temps deux disques très différents dans leur forme mais qui ont un vrai point commun : leurs deux génitrices ont à cœur d'inventer un univers et de faire valser les étiquettes avec bonheur. L'une est apparentée au jazz, l'autre à la musique dite classique… Mais balivernes que tous ces genres, il s'agit simplement d'évoquer une puissante vibration, dans un cas comme dans l'autre. 

    Qui va lento va sano...

    youn sun nah, lentoC'est au mois d'octobre 2010 que j'ai découvert sur scène la musique de Youn Sun Nah : à l'affiche de Nancy Jazz Pulsations, la chanteuse coréenne se produisait en duo avec le guitariste Ulf Wakenius (un très grand musicien, d'une désarmante simplicité) dans le cadre intime de La Fabrique, petite salle qui jouxte le Théâtre de la Manufacture devenu depuis quelque temps le refuge du jazz de ce festival bientôt quadragénaire. Youn Sun Nah avait envoûté le public comme par magie. Avec elle en effet, tout est grâce et suspension, la musique s'épanouit dans un sourire qu'elle arbore comme une arme de paix et les frontières s'évanouissent illico dans un éclat solaire universel. Qui que vous soyez, quelle que soit votre appétence pour la musique, vous pourrez trouver votre compte dans cette entreprise de séduction exempte de la moindre trace de vulgarité.

    À cette époque, Youn Sun Nah faisait la promotion de son album Same Girl (le septième), qui allait devenir le vaisseau amiral d'un succès phénoménal. Très vite, la chanteuse est devenue une sorte de repère transgenres, jouant à guichets fermés et ne cessant d'élargir le cercle de ses aficionados. Il y a autour d’elle une espèce d’unanimité qui force l’admiration. En témoigne son nouveau passage à Nancy Jazz Pulsations, un an plus tard, dans un Opéra Théâtre plein comme un œuf, reflet d'un envol assez singulier ! Virtuose et habitée, ne dédaignant pas les emprunts à des répertoires inattendus (Metallica, Tom Waits, …), choisissant de s'accompagner ici ou là d'instruments minimalistes (kalimba, kazoo, …), s'engageant dans de folles courses avec ses compagnons de scène (Wakenius étant à ce jeu un redoutable comparse) avant de replonger dans la sérénité d'une mélodie issue de la musique traditionnelle coréenne.

    En 2013, Youn Sun Nah est une star au sens le plus cosmique du mot, parce qu’elle s’est imposée comme une étoile très lumineuse dans la constellation musicale. Son récent concert au Théâtre du Châtelet aura été vécu comme une consécration, pour ne pas dire un sacre. Nul doute qu'il se trouvera bien vite une major suiveuse et paresseuse (on me pardonnera ce pléonasme) pour tenter de nous refourguer un ersatz à l'enveloppe asiatique et joliment décorative dans les mois à venir ; mais qu'on ne s'y trompe pas, il n'y aura qu'une seule Youn Sun Nah, alors autant en profiter sans attendre. C'est un privilège d'être de ses contemporains.

    Il faut aussi s’attendre à entendre bientôt des voix discordantes : j’admets qu’on puisse ne pas être sensible à l’esthétique particulière de la chanteuse, entre pop et jazz, aux parfums de musique coréenne ici ou là, qui peut détourner de son chemin des oreilles en quête d’un frisson d'incertitude et de plus de vertige. C’est normal, tous les goûts sont dans la nature, la diversité des opinions est non seulement respectable mais souhaitable. Mais à condition d’être sincère dans son indifférence ou son rejet. Quand je lis, par exemple sous la plume un peu aigrie d’un spécialiste, que Youn Sun Nah est, je cite : « bidon », alors là je me marre tant je trouve cette remarque stupide. Car toute l'histoire de la chanteuse depuis plus de vingt ans est la démonstration implacable de sa sincérité et de son engagement dans la création d’un univers artistique singulier. Elle est tout sauf bidon ! Youn Sun Nah vit son art avec un vrai souci d’élévation, n’allons pas maintenant – sous l’effet d’une prise de distance qui est en réalité la marque d’un contrepied conformiste attendu – aller lui chercher des poux dans la tête et lui reprocher d’en vivre aujourd’hui.

    Avec Lento, nouvel album paru sur le label allemand Act, le charme continue d'opérer : je me permets de vous renvoyer au texte de mon éminent camarade Franpi, auquel je n'ai finalement rien à ajouter.

    Ce disque est la parfaite continuation de son prédécesseur, une suite naturelle qui reprend les mêmes ingrédients (pourquoi lui reprocherait-on puisqu’ils sont délicieux ?) et permet à la chanteuse d’ouvrir sa musique à d’autres sonorités grâce, entre autres, à la présence du grand Lars Danielsson à la contrebasse et de l’accordéoniste Vincent Peirani, dont le talent lui aussi est en pleine epanouissement. Alors oui, c’est vrai, Lento apparaîtra familier à tous ceux qui se sont régalés de Same Girl voici trois ans, oui il est un disque dont l’aventure n’est pas à chercher dans sa forme caressante mais plutôt dans l’intensité de sa force vibratoire. Et je ne souhaite à personne de rester insensible à la beauté magnétique de « Lament », « Hurt » ou « Full Circle », ni même aux échappées virtuoses de « Momento Magico ».

    J’ignore à quoi ressemblera le prochain disque de Youn Sun Nah : en attendant, celui-ci est un beau refuge, une réplique pleine de noblesse à la morosité ambiante. C’est quand même beaucoup, non ?

    A suivre... une histoire de transgression, bientôt !

    Et pour vous faire patienter, un peu de musique...