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  • Fielleux

    Dans un récent article du journal Le Monde, Sylvain Siclier se paie assez méchamment la chanteuse coréenne Youn Sun Nah après sa prestation en duo avec le guitariste Ulf Wakenius au Printemps de Bourges.

    Voici ce qu’il nous dit : « …Youn Sun Nah en fait trop, épuisante de virtuosité. Sur la forme, le principe est un peu répétitif. Elle pose, avec le guitariste Ulf Wakenius la mélodie, qu’elle double de la voix, sans louper un quart de ton, une quintuple croche. Puis les deux improvisent. Dans la vitesse la plupart du temps. Et même sur tempo lent ils en mettent partout. C’est bluffant au premier abord. Puis assommant. Du jazz, elle oublie le nécessaire swing et la fantaisie ».

    Je me demande bien qui, dans cette histoire, manque de fantaisie et de la plus élémentaire fraîcheur d’esprit. Si chacun d’entre nous est libre de ses opinions, force est de constater qu’on a connu le journaliste beaucoup mieux inspiré. Quelle est donc cette amertume qui le conduit à s’égarer ainsi et déverser laconiquement une bile hors de propos ? Pour avoir eu la chance d’assister à un concert du même duo lors de la dernière édition des Nancy Jazz Pulsations, je ne peux que m’inscrire en faux et souligner, une fois encore, la grâce de ces deux artistes chaleureux ! Point de démonstration – même si l’un comme l’autre sont effectivement de vrais virtuoses – de leur part, juste une salutaire décharge de lumière dont les effets bienfaisants se font sentir bien longtemps après la dernière note jouée. Sans oublier une belle dose d’humour, prenant appui sur une prise en compte sincère du public avec lequel ils dialoguent tout naturellement. Cerise sur le gâteau, Youn Sun Nah est une personne délicieuse qui a conservé une simplicité très touchante à travers laquelle elle démontre que l’être humain habite son art au plus près du cœur. Quelques instants après le rappel, je la vois encore s’émerveiller – comme si elle doutait de son propre rayonnement – en parlant avec un groupe d’enfants venus l’écouter et qui s’étaient précipités pour lui poser des questions minutieusement préparées avec leur professeur de musique. Son regard pétillait d’une joie non feinte. Juste avant de prendre le temps de bavarder tranquillement avec moi, sans la moindre distance.

    youn sun nah
    Photo Youn Sun Nag © Jacky Joannès

    Au rayon des circonstances atténuantes pour le journaliste, on pourra peut-être émettre l’hypothèse qu’au mois d’octobre dernier, Youn Sun Nah se produisait dans le cadre intime et chaleureux de La Fabrique, cette petite salle jouxtant le Théâtre de la Manufacture de Nancy. Un lieu idéal pour cette musique puisant aussi bien dans un répertoire jazz que dans la comédie musicale (avec la reprise de « My Favorite Things », une chanson extraite de The Sound Of Music), en passant par les influences de la tradition musicale de sa Corée natale, une composition de Nirvana ou Van Halen. Ce qui n’était peut-être pas le cas de la scène du Printemps de Bourges, certainement plus adaptée aux grosses machineries en vogue et hautement périssables. Mais on ne pourra m’empêcher de penser que cette vacherie adressée à Youn Sun Nah trouve aussi son origine dans un dépit mal placé. Comme si Sylvian Siclier regrettait que la reconnaissance dont bénéficie désormais la chanteuse l’avait fait sortir du cadre strictement réservé aux spécialistes dont il pense être l’une des voix autorisées. Comme si son succès actuel la rabaissait au rang d’objet de curiosité commerciale, indigne de la nécessaire austérité derrière laquelle tout musicien digne de ce nom doit se ranger.

    Oublions donc cette saillie condescendante et réjouissons-nous plutôt à l’idée que le talent, parfois, rencontre un large public. Cette jonction n’est pas si fréquente qu’il faille à tout prix tomber dans le dénigrement hautain et les jugements péremptoires d’un spécialiste qui devrait se rappeler que les colonnes d’un grand journal ne sont pas extensibles au point qu’on puisse s’autoriser à les remplir d’une démonstration de grand vide émotionnel.

    Alors écoutons les disques de Youn Sun Nah (ses deux dernières productions, appelées Same Girl et Voyage sont de véritables petits bijoux de sensibilité) et prenons le temps de l’écouter nous parler de sa version de « My Favorite Things ».

  • Patience

    stephane kerecki, john taylor, patienceIl est parfois des disques qui semblent tombés du ciel… La veille, on ignore encore jusqu'à leur existence et puis, un beau matin, votre boîte aux lettres – ou plutôt l’orifice dans la porte d’entrée qui fait office de boîte aux lettres, au grand dam du facteur qui fulmine régulièrement contre son exigüité et qui vous le fait savoir en glissant un avis de passage notifiant l’échec de sa livraison et sa volonté stupide de réitérer dès le lendemain à la même heure, c’est-à-dire une fois de plus en votre absence, second ratage qui vous conduira au bout du troisième jour au bureau de Poste le plus proche – résonne de la chute d’un paquet inattendu sur le tapis rectangulaire destiné à adoucir la brutalité d’une atterrissage non désiré. Plouf ! Une enveloppe matelassée attend désormais qu’on veuille bien rompre la solitude dans laquelle elle a tout juste eu le temps de se morfondre depuis son échouage. Scritch ! Scratch ! Scrontch !* A quoi il faudrait aussi ajouter un « Aïe ! » douloureux, assorti de quelques grossièretés que ma retenue naturelle m’interdit de reproduire ici, soit autant d’expressions spontanées consécutives à la vilaine et douloureuse coupure que cette saloperie de papier a mesquinement provoqué sur mon doigt fragilisé par une petite onzaine de milliers de comprimés d’anticoagulant absorbés à doses quotidiennes durant plus de 30 ans.

    Ah, c’est un CD ! Allez savoir pourquoi, malgré plus de quatre décennies pendant lesquelles la musique a occupé une place centrale dans votre vie et anéanti toute la vitalité calculée de votre argent de poche, la prise en main d’un disque – je parle ici de l’objet, avec sa pochette, son livret, ses pages à tourner, ses notes à lire – libère toujours la même dose bienfaisante de joie qui semble ne manifester à ce jour aucun signe de faiblesse.

    Le disque du contrebassiste Stéphane Kérecki et du pianiste John Taylor s’appelle Patience. Ce titre court traduit parfaitement la sérénité qui émane d’un duo nocturne et intime. Deux musiciens sont face à nous – la prise de son au plus près des instruments exacerbe une proximité recherchée – et dialoguent en toute élégance. L’histoire veut que ces deux artistes, qui se sont découverts à l’occasion de cet enregistrement, n’aient éprouvé aucune difficulté à nouer une conversation d’une grande fluidité, dont chaque note exprime à la fois un profond respect de l’autre et une écoute attentive. Cette musique nous entoure, elle est hors du temps, détachée des modes et de toute volonté ostentatoire de séduction.

    Disons-le simplement : Patience est un beau disque, à écouter autant de fois que nécessaire. A sa manière, il est aussi un vrai manifeste, un discret étendard brandi contre les vulgarités ambiantes. Et que les choses soient bien claires entre nous : Kerecki & Taylor est bien le nom d'un duo habité et séduisant, pas d'une ligne de vêtements. Je ne voudrais pas que nos élites soient une fois de plus les victimes d'une stupide confusion... Ce qui ne doit pas leur interdire de prêter une oreille à ce disque qui pourrait leur apporter le complément cérébral qui leur fait souvent défaut...

    * Onomatopée laborieuse visant à retranscrire le bruit émis par un quinquagénaire index arthritique déchirant fiévreusement l’enveloppe dissimulant la précieuse galette elle-même nichée dans un sobre digipack scellé sous cellophane.

  • Avishai Cohen - Seven Seas

    seven_seas.jpgEt si Avishai Cohen, contrebassiste charismatique dont la renommée n’a cessé de croître depuis le début de ce siècle via une douzaine d’albums, témoignages de ses expériences multiples, venait avec Seven Seas de réaliser ce qu’en d’autres milieux on appelle un coup parfait ?

    Lire la suite de cette chronique sur Citizen Jazz.