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rémi gaudillat

  • Rémi Gaudillat Sextet : Electric Extension

    remi gaudillat, electric extension, jazzMine de rien, le trompettiste Rémi Gaudillat a publié au printemps l’un des plus beaux disques de l’année. Et je précise d’emblée que son Electric Extension peut rallier, du fait de ses couleurs chatoyantes, un public bien au-delà de la seule sphère du jazz. On trouve ici une énergie qui n’est pas différente de celle du rock et parfois, certains rivages abordés sont ceux de la musique répétitive et même de la musique de chambre. Nous sommes au cœur d’une musique d’aujourd’hui, pleinement habitée. On savait bien sûr qu’on pouvait avoir confiance en ce musicien. Voilà quelques années en effet que sa musique se fait entendre du côté de Lyon et qu’on a pu apprécier en particulier son talent de compositeur, au-delà de l’instrumentiste. J’ai dû écrire quelque part, ici ou ailleurs, que ses mélodies avaient souvent des allures d’hymne. Je confirme ce propos. Chez lui, la musique est un chant. Il l’a fait savoir il y a longtemps maintenant aux côtés du batteur Bruno Tocanne – j’ai spontanément en tête l’album Libre(s) Ensemble, paru en 2011 – ainsi que dans une formation vite baptisée Possible(s) Quartet à compter de son deuxième album L’Orchestique.

    Puisqu’il est question du Possible(s) Quartet, restons en sa compagnie, car il est au cœur de ce double album qui a vu le jour chez Z Production. Cet ensemble est composé exclusivement de soufflants puisqu’on trouve, partenaires amis de Rémi Gaudillat, Laurent Vichard à la clarinette, Loïc Bachevillier au trombone et Fred Roudet à la trompette. Tout récemment, ces quatre-là nous ont enchantés, sous la direction artistique de Daniel Yvinec, avec un magnifique Songs From Bowie dont j’avais eu l’honneur d’écrire les notes de pochette. Pour finir, vous ajoutez Philippe Gordiani, un guitariste très électrique (lui-même bien connu dans le petit monde de Bruno Tocanne) ainsi qu’un batteur, Fabien Rodriguez. Et voilà comment on constitue une « extension » au quatuor acoustique, qui suscite l’enthousiasme.

    Le résultat est un sans-faute, auréolé de la présence d’un autre Lyonnais sur plusieurs titres, monsieur Louis Sclavis. Excusez du peu. Musique qui claque au vent, thèmes entêtants et aux accents solennels, énergie irriguant chacune des notes jouées. Le premier des deux disques passe à la vitesse de l’éclair au point qu’on le prend pour ce qu’il doit être : un ensemble parfaitement fini, dont les contours définissent un petit monde dont on n’a plus envie de sortir une fois qu’on en a poussé la porte. Encore une fois, notez que ce jazz est ouvert à de multiples influences et qu’il sonne parfois à la façon d’un rock sinon progressif, du moins prospectif. La paire Gordiani / Rodriguez compte pour beaucoup dans cette inclination. Cette force déployée trouve par ailleurs une complémentarité naturelle avec les couleurs beaucoup plus intimes d’un quatuor à cordes invité lui aussi. Le spectre est large, mais le tout conserve une grande homogénéité.

    Cerise sur le gâteau de l’Electric Extension : un deuxième disque et un conte plein de poésie, Dans la lune. Le récitant est Laurent Fellot, musicien compositeur lui-même très impliqué dans l’écriture et les actions auprès des jeunes, notamment avec le projet Graines de Liberté. Il chante également sur le premier disque dans la composition « À haute voix ». Le texte est porté par une musique tour à tour entêtante et contemplative, on se laisse embarquer sans réticence dans un voyage onirique en compagnie d’un griot africain, dans sa chambre ou sur une Lune illuminée par les étoiles. Un conte pour tous, petits et grands. Pour les enfants que nous ne devrions jamais cesser d'être.

    Je suis prêt à prendre les paris : vous ne devriez pas résister à ce beau disque qui est l’un de mes coups de cœur du moment. Vous voulez bien essayer ?

    Musiciens :

    Rémi Gaudillat (trompette), Fred Roudet (trompette), Loïc Bachevillier (trombone), Laurent Vichard (clarinette basse et Moog), Philippe Gordiani (guitare), Fabien Rodriguez (batterie, percussions). Invités : Laurent Fellot (voix), Louis Sclavis (clarinette), Quatuor à cordes Seigle.

    Label / Distribution : Z Production

  • L’éthique de l’orchestique

    orchestique, possible(s) quartet, remi gaudillat, fred roudet, loic bachevillier, laurent vichard, instant music recordsC’était il y a un peu moins de trois ans. Le trompettiste Rémi Gaudillat – pensionnaire régulier des Musiques Buissonnières, en raison notamment de sa collaboration fructueuse avec Bruno Tocanne, un autre habitué de ma petite auberge scripturale – publiait sur le label Instant Musics Records un disque en quartet intitulé Le chant des possibles. Il emmenait avec lui une formation atypique puisque composée exclusivement d’instruments à vent, dont les officiants ressemblaient à s’y méprendre à une bande d’amis (ce qu’ils sont, à n’en pas douter) : Fred Roudet (trompette, bugle), autre fidèle de la maison Tocanne, récemment au générique de l’enthousiasmant (et unanimement salué) Over The Hills ; Loïc Bachevillier (trombone) lui qui, non content d’être de l’aventure de The Amazing Keystone Big Band depuis plus de cinq ans, est aussi le complice de Gaudillat dans une célébration de Lester Bowie judicieusement nommée Docteur Lester ; Laurent Vichard (clarinettes), enfin, musicien aguerri formé à l’école classique mais adepte du jazz et des musiques improvisées et par ailleurs l’un des compagnons du théâtre Turak (qui présente depuis quelque temps une Carmen en Turakie d’après l’œuvre de Georges Bizet).

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  • Deuxième cérémonie de remise des « Coups de Maître »

    Eh oui, le temps passe très vite, les disques n'en finissent pas de pleuvoir au point qu'un rapide calcul suscite mon effarement : depuis un an, j'ai dû “découvrir” environ 150 albums. C'est peu, juste une goutte dans l'océan de la musique, par comparaison au volume de la production mondiale, tous genres confondus ; mais c'est énorme si, comme moi, vous disposez d'environ 365 jours chaque année (parfois 366, je l'admets) pour consacrer un peu de temps à vos passions. Sachant que bon nombre de ces nouveaux arrivants misicaux nécessitent plusieurs écoutes, sachant aussi que leurs prédécesseurs méritent de revenir au front (et parfois, croyez-moi, ils reviennent de très loin et s'accrochent à vos basques en vous suppliant de ne pas les oublier), vous comprendrez aisément que la tâche n'est pas si facile. Passionnante, source de plaisirs multiples mais, tout de même, un sacré boulot ! Quant à l'idée saugrenue consistant à extirper dix élus de cette abondante récolte, on peut la considérer d'un œil amusé, se dire que l'exercice est vain, penser aussi qu'il sera forcément injuste (c'est vrai). Mais ce choix est une façon de revenir en arrière, de se souvenir des émotions les plus fortes et des élans singuliers que certains disques ont suscités. Et d'avoir une pensée pour les oubliés, dont beaucoup nous ont offert des instants singuliers.

    Alors voilà pour l'année 2013 : dix albums, tous très beaux, choisis parmi un grand ensemble dont bien des éléments auraient très pu aisément franchir la barrière de mes « Coups de Maître ». Tiens par exemple, prenez Slim Fat de l'Imperial Quartet... eh bien, il serait volontiers entré dans ma confrérie du moment, rien que pour sa dégaine sonore pas comme les autres et son déluge saxophonique...  Pareil pour Le Rêve de Nietzsche de Jean-Rémy Guédon et son Archimusic, quand jazz et hip hop s’acoquinent avec la philosophie... Et je ne vous parle même pas des Passagers du Delta, du Trio ALP, si beau, en deux temps, dans son livre élégant.

    Et puis, on va encore me dire que la coloration de ma sélection est très hexagonale ! J'assume ces choix, ce qui ne signifie pas pour autant que j'ignore la musique qui a vu le jour ailleurs, Outre-Atlantique notamment. Mais je connais plein d'amis qui parlent très bien, beaucoup mieux que moi, de musique et dont les écrits sont toujours passionnants : Jean-Jacques Birgé, Franpi Sunship, Mozaïc Jazz, Les Dernières Nouvelles du Jazz, Belette Jazz, Ptilou's Blog, JazzOCentre, Jazzques, Les Allumés du Jazz, et quelques autres que vous n'aurez aucun mal à dénicher. Vous pouvez prendre le risque d'aller faire un petit tour chez eux : dans le pire des cas, ils vous donneront envie de vibrer encore plus fort avec leurs choix ; dans le meilleur, ils finiront pas vous convaincre que – comme nous tous – il vous faudra vivre d'autres vies pour étancher votre soif de musique !

    Ma petite sélection sans prétention apparaît dans l'ordre chronologique de l'arrivée des disques dans ma boîte aux lettres. Il m'est arrivé d'écrire à leur sujet, n'hésitez pas à cliquer sur les repères... pour en savoir [+] !

    Festen
    Family Tree

    festen, samuel blaser, remi gaudillat, christophe marguet, alban darche, art sonic, gordiani desprez scarpa, olibier bogé, dominique pifarely, pan-GDeuxième volet des aventures de cette jeune quarte qui allie la science du jazz à l’énergie du rock. Damien Fleau (saxophone), Maxime Fleau (batterie), Jean Kapsa (piano) et Oliver Degabriele (contrebasse) écrivent une musique dense, nerveuse et habitée. Ils savent aussi atteindre l’épure, privilège des grands, leur « Grandfather’s Bed » en est une preuve. On est heureux de se sentir un peu comme membre de cette belle famille au sein de laquelle circule une énergie très contagieuse. [+]

    Samuel Blaser
    As The Sea

    festen, samuel blaser, remi gaudillat, christophe marguet, alban darche, art sonic, gordiani desprez scarpa, olibier bogé, dominique pifarely, pan-GEncore une très belle année pour le tromboniste ! Hyperactif, notre Helvète préféré a notamment doublé la mise avec deux albums qui séduisent par la somme d’imagination et de liberté qu’ils respirent. Tout récemment, Mirror To Machaut offrait une relecture limpide de la musique de deux Guillaume du Moyen-Âge : de Machaut et Dufay. Mais avec As The Sea, Blaser avait sculpté quelques mois plus tôt la matière sonore d’un univers mouvant et jamais fini, en compagnie de ses amis Marc Ducret, Gerald Cleaver et Bänz Oester. Un disque énigmatique et passionnant de bout en bout.  [+]

    Rémi Gaudillat
    Le chant des possibles

    festen, samuel blaser, remi gaudillat, christophe marguet, alban darche, art sonic, gordiani desprez scarpa, olibier bogé, dominique pifarely, pan-GLe souffle cuivré d’un quatuor libre et onirique : celui de Rémi Gaudillat et Fred Roudet (trompette, bugle), Loïc Bachevillier (trombone), Laurent Vichard (clarinette basse). Quatre musiciens qui savent demander à leurs instruments de dépasser leur rôle de respirateurs naturels et leur donner le muscle de la pulsation. Leur musique entre ombre et lumière exhale un parfum impressionniste des plus séduisants, elle est une porte grande ouverte sur un imaginaire poétique dans lequel on plonge sans réserve. [+]

    Stéphane Chausse & Bertrand Lajudie
    Kinematics

    festen,samuel blaser,remi gaudillat,christophe marguet,alban darche,art sonic,gordiani desprez scarpa,olibier bogé,dominique pifarely,pan-gQuand deux amis décident de se donner les moyens et le temps de faire aboutir un vieux rêve : jouer une musique dont chaque détail compte, par un travail d’orfèvre appliqué à une matière sonore qui fait l’objet d’un soin maniaque. Leur jazz funk bienvenu est habité d’un gros son, il est interprété par une ribambelle d’amis dont certains ne sont pas les derniers venus, comme Marcus Miller. Un disque de plaisir total, qu’on écoute avec gourmandise en se disant qu’une production aussi aboutie est tout de même rare de nos jours. Chouette cadeau ! [+]

    Christophe Marguet Sextet
    Constellation

    festen, samuel blaser, remi gaudillat, christophe marguet, alban darche, art sonic, gordiani desprez scarpa, olibier bogé, dominique pifarely, pan-GUn récidivisite, déjà haut placé en 2012, j'espère ne pas l'assommer avec mes coups de mâitre à répétition... Cette fois, le batteur joue la carte d’une dream team aux couleurs chatoyantes et forme un orchestre dont les richesses n’en finissent pas de se dévoiler au fil des écoutes. Constellation est de ces disques dont on peut dire sans se tromper qu’ils sont empreints de magie. Normal, Christophe Marguet s’est entouré de magiciens : Régis Huby (violon), Steve Swallow (basse), Benjamin Moussay (claviers), Chris Cheek (saxophone) et Cuong Vu (trompette). Du grand art. [+]

    Gordiani, Desprez, Scarpa
    21

    festen, samuel blaser, remi gaudillat, christophe marguet, alban darche, art sonic, gordiani desprez scarpa, olibier bogé, dominique pifarely, pan-GLa formule est d’une apparente simplicité. 21 signifie ici 2+1, et plus exactement deux guitares et une batterie. Une combinaison originale et très électrique. Il y a ici tout ce qu’on aime (enfin, quand je dis on, je parle de moi, mais je sais que je ne suis pas seul à penser ainsi) : l’énergie, l’imprévu, le mystère, la fougue, les élans... En quarante minutes, Philippe Gordiani, Julien Desprez et Emmanuel Scarpa mettent les doigts dans la prise de courant de leur imaginaire et zèbrent de leurs éclairs notre ciel qui ne demande pas mieux qu’on lui fasse ainsi frissonner les étoiles. Coup de cœur et de foudre garantis à tous les amoureux des escapades un peu folles ! [+]

    Ensemble Art Sonic
    Cinque Terre

    festen, samuel blaser, remi gaudillat, christophe marguet, alban darche, art sonic, gordiani desprez scarpa, olibier bogé, dominique pifarely, pan-GDécidément, Sylvain Rifflet (clarinette, saxophone) et Joce Mienniel (flûte) sont au sommet de leur art. En 2012, ils figuraient déjà en très bonne place dans ce palmarès. Avec l’Ensemble Art Sonic, ils inventent un univers géographique et sublimé, une musique de chambre du XXIème siècle. A leurs côtés, Cédric Chatelain (hautbois, cor anglais), Baptiste Germser (cor) et Sophie Bernardo (basson) sont les pièces vitales d’un quintette à vents irrésistible. Mine de rien, on assiste avec ce très beau disque à la naissance d'une musique qui n'en est qu'à ses premiers frémissements, en attendant la suite, qui nous comblera. [+]

    Olivier Bogé
    The World Begins Today

    festen, samuel blaser, remi gaudillat, christophe marguet, alban darche, art sonic, gordiani desprez scarpa, olibier bogé, dominique pifarely, pan-GQue la lumière soit ! Après nous avoir raconté l'histoire d'un voyageur imaginaire, le saxophoniste prouve avec son second disque qu’il est bien plus qu’un jeune musicien talentueux : il est aussi un humain conscient, en quête d’un chant solaire qui irradie sa musique de la première à la dernière note. Il est entouré d’amis de renom : Tigran Hamasyan, Jeff Ballard, Sam Minaie. Ces derniers savent mettre leur art, avec humilité, au service d’une inspiration/respiration commune qui s'épanouit sur des compositions d'une grande limpidité. Bogé partage, partageons sa musique... [+]

    Dominique Pifarély / Ensemble Dédales
    Time Geography

    festen, samuel blaser, remi gaudillat, christophe marguet, alban darche, art sonic, gordiani desprez scarpa, olibier bogé, dominique pifarely, pan-GAussitôt arrivé, déjà au sommet de la pile ! Neuf musiciens haut de gamme composent l’Ensemble Dédales dirigé par le passionnant violoniste Dominique Pifarély : Guillaume Roy (alto), Hélène Labarrière (contrebasse), Vincent Boisseau (clarinettes), François Corneloup (saxophone baryton), Pascal Gauchet (trompette, bugle), Christiane Bopp (trombone), Julien Padovani (piano), Eric Groleau (batterie), tous au service d’une musique à la fois savante et nourrie d’une pulsion hypnotique, libre et engagée dans l'invention de nouveaux paysages entre jazz et musique de chambre contemporaine. Time Geography est un disque aux variations subtiles, dont les richesses se dévoilent au fil des écoutes. 

    Alban Darche
    My Xmas traX

    festen, samuel blaser, remi gaudillat, christophe marguet, alban darche, art sonic, gordiani desprez scarpa, olibier bogé, dominique pifarely, pan-GC’est d’une certaine manière le label Pépin et Plume d’Alban Darche qui est ici récompensé. Sa première référence, L’Orphicube, manifestait un fort pouvoir de séduction. Mais en fin d’année, le saxophoniste glissait au pied du sapin un second disque, une boîte de Noël un peu magique, pleine à craquer de chants tels que tous les enfants que nous sommes rêvent d’écouter le soir de la veillée. Un disque durable et enchanté, au plaisir augmenté par la lecture d'un conte signé Franpi Barriaux. Quoi, on n'a plus le droit de dire du bien des copains ? [+]

    Alban Darche, pour ses deux albums pépinoplumesques, mais aussi parce que les mois qui viennent de s’écouler nous auront valu de sa part d’autres disques ô combien précieux, reçoit à l’unanimité de mon jury (dont je suis le seul membre, je le précise par honnêteté, et je ne vous cacherai pas qu'il m'arrive fréquemment de ne pas être d'accord, ce qui complique beaucoup les choses, parfois) le Maître d’Honneur 2013 : Cube, Gros Cube ou Orphicube, tout est bon chez le saxophoniste ! Ce ne sont pas les camarades Citoyens Julien ou Franpi (encore lui...) qui me démentiront...

  • Rémi Gaudillat - Le chant des possibles

    remi gaudillat, le chant des possibles, imuzzic, citizen jazzLe chant des possibles est un objet de séduction, sur la forme comme sur le fond : d’abord le titre, qui dit l’essentiel en quatre mots, l’amour de la mélodie et le pari d’une liberté comme une porte ouverte sur un imaginaire poétique ; puis les titres des compositions, évocateurs de leurs climats nomades : « Jeux d’ombres », « Envolées », « L’armée des poètes », « Le voyage » ou bien encore « Lune triste ». Et enfin un visuel dont l’élégance liquide et suggestive semble nous indiquer le chemin clair-obscur sur lequel nous emmènera la musique. Un soin discret est apporté à l’objet-disque, qui devient au fil du temps la patte du label IMR.

    Lire la suite de cette chronique sur Citizen Jazz...

  • Bruno Tocanne ou l’art de la suggestion…


    bruno toccante,in a suggestive way,paul motian,remi gaudillat,jazz,imr,citizen jazzS’il fallait résumer en quelques mots les qualités de Bruno Tocanne, peut-être pourrait-on, tout simplement, souligner l’esprit de liberté qui souffle sur sa musique. Mais pas une liberté pour soi, un peu égoïste ; non, chez le batteur, il faut avant tout que chaque projet mené à bien soit le fruit d’un travail de maturation qui l’engage pleinement, bien sûr, mais dans un cadre collectif, où l’amitié compte pour beaucoup. Elle semble même un de ses moteurs. Il faudrait aussi rappeler que son approche de l’instrument, bien loin d’être invasive et dominatrice, fait de lui un coloriste sensible dont le sens profond de l’écoute est la marque d’un artiste en état d’éveil constant. C'est un peu tout cela qu'il expliquait voici quelques années à Citizen Jazz quand il s'était confié dans le Boudoir de Proust. Pour mieux connaître l'artiste, on lira aussi avec grand profit un Carnet de Route en Russie publié au mois de novembre 2010.

    Pas à pas, année après année, sa discographie parle pour lui. Il s’en est passé de bien belles choses depuis le début des années 90 notamment, quand il évoluait aux côtés de Sophia Domancich (qu'il retrouvera bientôt sur scène) et imprimait sa marque sur l'album Funerals, en passant par le Trio Résistances (avec Lionel Martin et Benoît Keller) et ses trois albums fiévreux (Résistances, Global Songs, Etats d'Urgence), dont les mélodies aux allures d’hymne restent longtemps imprimées en vous ; Bruno Tocanne nous a fait part de ses rêves en compagnie de quelques comparses remarquables tels que Rémi Gaudillat (New Dreams Now), Quinsin Nachoff (5 New Dreams) ou Samuel Blaser (4 New Dreams !), il nous a déclaré sa liberté dans un album essentiel (Libre(s)Ensemble), a endossé en duo le rôle du Passeur de temps avec le guitariste Jean-Paul Hervé, s’est fait la belle avec le pianiste Henri Roger (Remedios la Belle), il a remis de l’électricité dans sa musique avec le guitariste Alain Blesing pour un détonnant Madkluster vol. 1 qui - c’est obligatoire - en appellera un autre. Co-pilote d’un i.Overdrive Trio tendu comme un arc, il a rendu avec ses complices Philippe Gordiani et Rémi Gaudillat un Hommage à Syd Barrett, fondateur de Pink Floyd, avant de croiser la route de Léo Ferré (Et vint un mec d’outre-saison) en toute complicité avec Marcel Kanche ; jamais rassasié de nouveaux paysages, il a prêté le concours de ses peaux et cymbales au chant envoûtant de Senem Diyici (Dila Dila). La liste n'est pas exhaustive et l'histoire continue…

    bruno tocanne2012.jpg
    Bruno Tocanne © Christophe Charpenel

    C’est ainsi que les édifices se construisent, dans l’adversité d’une conjoncture hostile aux créateurs sans concession et d’un microcosme médiatique résigné à une médiocrité poisseuse dans le pire des cas et à une célébration automatique des têtes d’affiche dans le meilleur, mais aussi par la volonté d’être soi, pleinement, en repoussant autant que faire se peut les vulgarités alimentaires.

    Parmi les fidèles amis, on a déjà cité le trompettiste Rémi Gaudillat, régulièrement impliqué dans ses projets, et membre actif du réseau imuzzic. On ne sera donc pas surpris d’apprendre que tous deux se sont envolés vers New York au début de l’année pour faire aboutir une nouvelle idée, et pas des moindres : rendre un hommage, un vrai, à un autre batteur, un géant de l’histoire du jazz, le regretté Paul Motian que Bruno Tocanne a dû finir par reconnaître comme un maître, lui qui pensait n’en avoir point ! « Ses orientations musicales, son travail d'orfèvre, son art de la suggestion sont pour beaucoup dans ma manière d'aborder le jazz et les musiques improvisées, musiques que je n'aurais sans doute pas abordées avec autant d'enthousiasme sans l'apport d'artistes comme lui. Paul Motian a disparu au moment où j'étais en train de discuter avec Quinsin Nachoff d'un projet de nouvel album dont l'envie m'avait été déclenchée par l'écoute d'un des trios de Motian avec Joe Lovano ». Aux  côtés des trois musiciens, un quatrième expert, le pianiste Russ Lossing, est venu apporter sa connaissance de l’art de Paul Motian, avec lequel il avait joué en trio.

    Un quartet inspiré, une attention réciproque, une science commune de l’improvisation, un père spirituel dont on connaît la finesse de jeu : toutes les pièces d’un beau puzzle étaient donc en place pour l’élaboration de In A Suggestive Way.

    inasuggestiveway.jpgAutant le dire sans détour, l’album est de ceux qui comblent toutes les espérances formulées dès qu’on a connaissance de leur gestation ; voilà en effet un disque dont le titre reflète avec une fidélité chargée d’émotion la musique impressionniste et méditative. Celle-ci suggère, elle ne s'impose pas par excès de puissance, mais elle finit par affirmer son élégance feutrée. Jamais le moindre discours n’est asséné, bien au contraire : chacun des musiciens semble éprouver le bonheur des suggestions faites aux autres, celles des pistes à suivre quelque part du côté de l’imaginaire, comme autant de fugues spontanées et d’impromptus vivifiants. Bruno Tocanne et ses compagnons réussissent leur pari, celui de la liberté et – là réside toute l’âme de cette musique – de l’écoute réciproque, de l’attention portée à l’interprétation d’une note. Un travail de funambule, dont l’équilibre n’est jamais menacé, parce que le chant règne toujours en maître, y compris au moment où la musique s’invente et ruisselle dans la confrontation fructueuse des idées lancées. Comme le souligne Arnaud Merlin avec beaucoup de justesse, il s’agit là, je le cite « de l'association d'idées et de la conjugaison de sensibilités ». On aurait presque envie de voir dans cet art sublimé et sensible une définition du jazz, en ce qu’il a de plus organiquement vivant, par son association fluide de l’écriture et de l’improvisation.

    Pas de doute, Paul Motian doit être heureux, tout là-haut, de l’hommage qui lui est ainsi rendu. On imagine sa joie d’écouter la délicatesse avec laquelle Bruno Tocanne fait chanter ses cymbales : il suffit, pour comprendre de quoi il s’agit, d’écouter les premières mesures de « Bruno Rubato » qui ouvre l’album et devient au fil du temps un thème récurrent chez lui. Savourez leur chant cuivré, en petites touches scintillantes. Un peu plus loin, les balais seront une caresse à vos oreilles. Heureux aussi car ce disque est l’histoire d’une conversation, d’une succession gourmande de questions et de réponses immédiates ; malgré l’évidente émotion née de l’absence cruelle de Paul Motian, c’est la joie qui l’emporte, elle s’exprime dans la lumière de thèmes qu’on devine comme de vibrants appels (ainsi « Ornette And Don », « One P.M. », deux belles compositions signées par Rémi Gaudillat qui, on le voit, n’est pas venu les mains vides) et dans la ferveur des échanges. Les couleurs vespérales dont se pare l'album, reflets mêlés d'une joie d'être ensemble en musique et du profond respect pour celui qui l'a inspirée, touchent au cœur et maintiennent longtemps une vibration essentielle. Difficile finalement d'évoquer un musicien plus qu'un autre : Bruno Tocanne, Rémi Gaudillat, Quisin Nachoff et Russ Lossing sont de vrais partenaires et In A Suggestive Way est tout sauf un album de batteur. Pas le genre de la maison Tocanne, assurément.

    Il faut avoir l’honnêteté, toutefois, de préciser que ce disque n’est pas de ceux qu’on peut entendre d’une oreille distraite. Ce serait prendre le risque d’être le spectateur de sa musique et de la laisser s’échapper. Un comble, alors qu’il nous offre une place de choix, celle du cinquième élément (ou peut-être du sixième car Motian n’est jamais loin). In A Suggestive Way s’écoute, dans ses moindres détails, pour chacune de ses nuances, pour son art de la conversation entre gens de bonne compagnie.

    Alors la magie opère : on comprend dans ces conditions pourquoi ces instants musicaux méritent amplement un « Coup de Maître ». Et pourquoi, accessoirement, une certaine irritation peut vite nous gagner à l’idée qu'un musicien tel que Bruno Tocanne ne bénéficie pas d’une meilleure exposition. Ce n’est pas ici qu’il restera dans l'ombre, en tous cas…

    In A Suggestive Way (Instant Music Records)

    Bruno Tocanne (batterie), Rémi Gaudillat (trompette), Quinsin Nachoff (saxophone tenor, clarinette), Russ Lossing (piano).

  • Et vinrent quatre mecs d’outre musique

    C’est l’histoire d’une belle rencontre entre l’auteur compositeur Marcel Kanche et une formation magnétique aux confins du jazz et du rock, l’i.overdrive Trio.  Au cœur de leur travail de fusion, un certain Léo Ferré...

    kanche_ioverdrive.jpgJe vous dois pour commencer deux confidences : jusqu’à une époque très récente, je n’avais jamais entendu parler de Marcel Kanche. Inutile de me jeter vos reliquats de tomates à la figure, c’est ainsi, l’omniscience n’est pas ce qui me caractérise et je sais revendiquer mon inculture. Néanmoins, en bon petit soldat de la toile, je me suis penché sur sa question lorsqu’un beau matin, j’ai appris qu’il engageait une collaboration avec un groupe qui, lui, m’était tout sauf inconnu. Et là, j’ai su qu’après des études aux Beaux-Arts, notre homme avait navigué dans les eaux plus ou moins troubles et néanmoins expérimentales du rock, du punk et du jazz, et qu’on l’avait retrouvé quelque temps plus tard en collaboration avec Matthieu Chédid ou Vanessa Paradis. Il me faut également avoir l’honnêteté de préciser que si je connais, comme tout un chacun, Léo Ferré, il serait exagéré de ma part de prétendre que je pourrais vous en parler durant des heures. Bien sûr, « Jolie Môme », « C’est extra », ses hommages à Beaudelaire, Verlaine ou Rimbaud ; bien sûr, le vieux lion rugissant et anarchiste, toute crinière au vent. Mais allez savoir pourquoi, quand j’entends le nom de Léo Ferré, une image me revient : celle d’un numéro de la revue Best (en 1973, me semble-t-il) qui avait mis au tableau d’honneur de ses chroniques de disques un album appelé Il n’y a rien plus rien. Un texte enthousiaste, une pochette magnifique et... près de quarante ans plus tard, je n’ai pas encore écouté l’album. Promis, je vais me pencher sur cette affaire, il n’est jamais trop tard.

    L’i.overdrive trio, en revanche, m’a attrapé par la manche voici quatre ans lorsque Philippe Gordiani (guitare), Rémi Gaudillat (trompette) et Bruno Tocanne (batterie) ont rendu un vibrant Hommage à Syd Barrett, membre fondateur et principal compositeur du premier album de Pink Floyd, vite englouti dans le tourbillon de sa folie schizophrène. Un hommage à ce point réussi que le trio parvenait à accomplir une belle performance en s’affranchissant complètement de l’esthétique du groupe tout en préservant son univers mélodique et aussi son mystère. Le nom du trio, rappelons-le, est inspiré de « Interstellar Overdrive », une longue et urgente composition extraite de The Piper At The Gates Of Dawn, premier album du Floyd. 

    Depuis 2008, j’ai eu, par ailleurs, l’occasion de me plonger plus avant dans le travail mené par Bruno Tocanne. Ses disques s’empilent tranquillement chez moi, je ne suis pas loin de les posséder tous ; j’ai même installé chez moi un rayonnage que j’appelle ma Tocannothèque ; j’ai pu, aussi, rencontrer le musicien un beau soir du côté du Château de Montmelas Saint Sorlain et me rendre compte qu’il faisait partie de ceux dont on sait que jamais ils ne trahiront la confiance que vous pouvez placer en eux. Une amitié est née entre nous, et c’est très bien ainsi. Très prochainement, j’évoquerai In A Suggestive Way, son tout nouveau disque (à la réalisation duquel j’ai apporté un très modeste soutien matériel) qui est une petite merveille de sensibilité libertaire et intime.

    Revenons plutôt à Et vint un mec d’outre saison, un disque dont le titre est emprunté à l’épilogue de L’Opéra du Pauvre composé par Léo Ferré. Ce qui frappe d’emblée à son écoute, c’est l’idée d’une brûlure : Marcel Kanche dit plus qu’il ne chante, effleurant la plupart du temps les mélodies originelles (comme par exemple sur la reprise de « C’est extra »). On le sent comme pris à la gorge, livrant de manière abrasive et hantée la poésie du grand Léo. Il y parvient d’autant mieux que l’environnement musical instillé par l’i.overdrive, une fois de plus, maintient l’équilibre entre l’identité de la source (ici la poésie douloureuse de Ferré) et la sienne propre. Jamais envahissante, jouant comme sur son premier disque la carte de l’épure dans une formule plutôt rare : trompette, guitare et batterie, la tension maintenue par le trio apporte ce je ne sais quoi d’hypnose et de puissance qui forment un très bel écrin aux mots déclamés par Marcel Kanche. Ni jazz, ni rock, un peu les deux, un peu autre chose. Une certaine idée de l’outre musique, en quelque sorte, avec cette combinaison d’électricité des cordes (impeccable Philippe Gordiani, qui n’hésite pas à tisser une toile sonore ou marteler des imprécations rythmiques dans lesquelles plane l’ombre d’un certain Robert Fripp, qui n’est jamais loin, souvenons-nous de son magnifique « From KC To Gawa » sur le bouleversant disque du Libre(s)Ensemble, KC signifiant, vous l’avez compris, King Crimson) et d’appels lancés par la trompette de Rémi Gaudillat, jamais à court d’envolées qui ressemblent à des hymnes. Tocanne, lui, sait ce qu’il a à faire : en musicien toujours à l’écoute et en éveil, il délivre son jeu dont les nuances évoquent une autre idée, celle de l’impressionnisme. On n’est pas disciple de Paul Motian pour rien, même lorsque le propos exige, ici ou là, de frapper (en témoigne un violent et court « Le chien », moins de deux minutes et un beau coup de poing). J'aimerais aussi souligner la beauté formelle du son de sa batterie, toute en humble élégance... Un modèle du genre.

    L’histoire nous dit que Léo Ferré aimait Pink Floyd ; elle nous raconte aussi que Marcel Kanche fut séduit par l’i.overdrive Trio lors de la publication de son premier disque ; elle est encore plus belle quand on sait que Marie et Mathieu Ferré ont offert à Marcel Kanche, après une rencontre quelque part en Toscane, « Le chemin d’enfer », un somptueux titre inédit de Léo, qu’on peut découvrir sur Et vint un mec d’outre saison. Le disque nous raconte tout cela, comme dans un seul souffle, sans possibilité de repos pour celui qui veut s’y plonger. C’est un cadeau précieux, qui maintient vive la flamme d’un poète singulier, mais sans jamais sombrer dans une quelconque nostalgie ni dans le piège de la fossilisation hagiographique. Ces « chansons » sans âge sont comme torréfiées par un quatuor inspiré qui nous administre un bel exemple d’appropriation exempte de tout risque de trahison.

    Alors « Ni Dieu ni maître » ? Peut-être... mais on dirait bien que la passion aura été un guide fort stimulant pour mener à bien l’aventure d’un disque qui ne ressemble qu’à lui-même et dont les stances captivent du début à la fin.

    Une question me vient, tout à coup : après Syd Barrett et Léo Ferré, à qui le tour ? Ce ne sont pas les idées qui manquent... A bon entendeur !

  • Docteur Lester - No Way !

    Docteur Lester, Lester Bowie, Rémi GaudillatUn petit passage à vide ? Besoin d’une cure de vitamines ? Et si vous pratiquiez la médecine douce du Docteur Lester ? Elle devrait vous guérir de bien des maux. Née du côté de Lyon sous l’impulsion du trompettiste Rémi Gaudillat, elle est aussi et avant tout un clin d’œil appuyé au Brass Fantasy de Lester Bowie.

    Car ce trompettiste trop tôt disparu n’était pas seulement un des membres fondateurs de l’Art Ensemble Of Chicago : en imaginant sa Fantaisie cuivrée, une formation dominée par la présence massive de soufflants, Bowie souhaitait revenir aux origines du jazz, et en particulier à l’expression urbaine de ses fanfares. 

    Lire la suite de cette chronique sur Citizen Jazz...