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les disques de lily

  • ¡Liberté!

    pierre_durand_libertad.jpgQuatre ans, déjà ? Oui, c’est à l’automne 2012 que j’avais évoqué ici-même le premier disque, une aventure en solo, du guitariste Pierre Durand. Ce Chapter One : NOLA Improvisations, avait vu le jour sur le label Les disques de Lily, hôte d’une suite tout aussi belle et publiée en ce jour de septembre. Oui, une suite si l’on en croit le titre de ce disque, en quartet cette fois, que le musicien publie aujourd’hui même : Chapter Two : ¡Libertad! (Attention aux points d’exclamation symétriques qui entourent le mot « Libertad »). Je ne vais pas tomber dans la facilité consistant à m’auto-citer, mais s’il vous prend l’envie d’en savoir plus sur ce que j’écrivais à l’époque, je vous invite à relire ma chronique. Ce que je ressentais alors, je le ressens toujours.

    Cette fois, Pierre Durand n’est pas seul. C’est à la tête de son Roots 4tet qu’il revient. À ses côtés : Hugues Mayot, actuel saxophoniste de l’ONJ d’Olivier Benoit ; Guido Zorn, un contrebassiste habitué de la sphère NOLA, notamment en duo avec Pierre Durand, et qu’on avait croisé par ailleurs au sein du groupe Rocking Chair d’Airelle Besson et Sylvain Rifflet ; Joe Quitzke enfin, batteur voyageur dont on peut apprécier les collaborations dans le trio de Matthieu Donarier ou avec François Jeanneau. Du beau monde, armé d'une expérience qui compte pour beaucoup dans la réussite de ce nouveau disque dont Pierre Durand aime à souligner la genèse, à rebours de certaines pratiques actuelles : « Avec ce groupe, j’ai voulu fonctionner à l’ancienne : on joue d’abord, on enregistre après. Pas l’inverse ». Le premier chapitre contenait une forte dose d’Afrique. Celle-ci est évidemment présente dans le deuxième et ce dès les premières secondes de « Tribute » et son évocation des origines du jazz : l’Afrique, la traite négrière, la rencontre avec l’harmonie européenne. Mais ¡Libertad! veut embrasser tous les continents, toutes les cultures (vous pourrez entendre ici des chants indiens comme une mélodie d'inspiration celtique ou caribéenne), toutes les différences et les unir dans un même chant au cœur duquel la guitare de Pierre Durand – l’une des plus belles qui puissent se concevoir tant elle est habitée d’une empathie et d’une générosité brûlante qui en font oublier jusqu’à la virtuosité – œuvre à ce qui est présenté ici comme un « plaidoyer pour le différence, le risque et la sincérité », histoire de refléter une démarche consistant à mélanger les cultures à l’imprévu. Voilà une déclaration qu’on est heureux de lire, en ces temps où la stigmatisation de l’autre semble devenue la règle commune.

    Je vais ici vous faire une confidence, approchez-vous s’il vous plaît : je tiens Pierre Durand pour l’un des musiciens les plus passionnants de la scène musicale actuelle. Ayant été nourri au rock, au blues ainsi qu’à quelques autres brouets rugueux avant de pousser la porte du jazz, je ne peux qu’être sensible à une démarche non seulement œcuménique mais véhiculée par une sonorité électrique aux nuances multipliées qui force mon étonnement et mon admiration. Musicien hyper sensible, ce fils spirituel de John Scofield nous gâte de surcroît en 2016 puisqu’on avait pu le retrouver au début de l’année dans le réjouissant quartet Dreamers de Sébastien Texier et, tout prochainement, dans un autre quatuor non moins goûteux, celui du tromboniste Daniel Zimmermann et ses Montagnes Russes. Durand, c’est un guitariste gorgé de blues, avant tout, un blues profond qui tient en tenaille chacune de ses notes dont il peut à sa guise démultiplier les couleurs au gré de compositions sonnant comme des hymnes virant au blues à la gravité Coltranienne (« Tribute »), d'incursions vers un blues rock farouche (« White Dogs »), d'une chanson festive sans paroles soudain traversée par une musique semblant inspirée de Bach (« What You Make & What You Choose ») ou de ballades poignantes (« LLora, Tu Hijo Ha Muerto », « My Fighting Irish Girl », « Les noces de Menthe »).

    Chez Pierre Durand, la mélodie est une nécessité, tout comme son besoin de raconter des histoires et de concilier toutes les traditions. Avec ses amis, ensemble, en toute fluidité, il dessine à grands traits enluminés et vibrants un univers à la fois chanté et enchanté. Le Roots 4tet sonne comme un seul homme, le chant d’Hugues Mayot est le contrepoint parfait de celui du guitariste, dans une conjonction des émotions. Les quatre musiciens tutoient la musique de l’âme, ni plus ni moins. Et je préfère vous prévenir dès aujourd’hui : ¡Libertad! est un disque un brin addictif. Il m’est déjà arrivé de décrire ce phénomène à plusieurs reprises, parce qu’il est facile d’en analyser les symptômes. C’est comme un boomerang qu’on lance au loin et qui revient vers vous à chaque fois. Voilà plusieurs semaines que j’écoute ce deuxième chapitre presque en boucle et que j’appelle déjà de tous mes vœux le troisième. Je suis prêt.

  • Envol

    sebastien llado, avec deux ailes, les disques de lilyVoilà quelque temps que je garde sous le coude un chouette disque dont je ne cesse de me dire : « Il faut que j’en parle, il faut que j’en parle, il faut que j’en parle… ». Notez bien que le niveau de la pile des galettes qui mériteraient une telle attention est chaque jour plus élevé. Allez comprendre… Le disque ne se vend plus, ou presque, seuls quelques dinosaures qui dégoulinent de nostalgie bedonnante ou un maigre bataillon de chanteurs insipides savamment marketés tels des flacons de gel douche, au point qu’on en finit par exhiber leurs revenus parfois fiscalement exilés en un pathétique palmarès, seul critère retenu pour vanter leurs mérites, parviennent à tirer leur épingle financière du jeu. Allez comprendre, disais-je, comment dans un tel contexte des artistes – des vrais, avec de beaux morceaux de musique dedans – continuent à se battre pour défendre une cause si méchamment battue en brèche par la vulgate régnante et formolisée ! Il leur faut déployer une sacrée énergie qui force l’admiration. Dont acte.

    Hier encore, Henri Texier me remerciait chaleureusement de l’une de mes dernières chroniques pour Citizen Jazz. Un comble ! C’est à moi de dire merci, non ? Quelques minutes plus tard, le batteur Bruno Tocanne – je ne possède aucune action de l’entreprise Tocanne, qu’on se le dise ! J’évoquais récemment ses 4 New Dreams parce que tel était mon bon plaisir et sachez dès à présent que je peux récidiver si ça me chante. Non mais… – m’exprimait sa sincère gratitude, parce qu’en privé, je lui faisais part de mon enthousiasme à l’écoute de Libre(s)ensemble, disque échevelé et passionnant de bout en bout. Tiens, il faudra que je parle aussi de ce disque, il mérite vraiment le détour. Ce kaléidoscope à dix voix qui s’expriment d’égale à égale, où viennent frotter leurs molécules créatives les atomes d’Ornette Coleman, de l’Afrique ou bien encore de King Crimson est un réjouissant condensé de tout ce que peut avoir de meilleur une musique savante mais désentravée des raideurs d’un académisme pesant et, surtout, totalement libre des directions qu’elle veut prendre. La séduction est totale et immédiate. Ah si vous saviez comment tous ces artistes doivent lutter chaque jour pour faire vivre (et vivre de) leur art ! La bagarre est rude, injuste et l’on s’arrache les cheveux à réaliser à quel point la mise sur pied même d’un concert constitue une aventure périlleuse…

    Mais revenons à mes moutons qui cette fois – la nature ayant ses mystères – ont deux ailes ! Késako ? Oh, juste un gentil jeu de mots proposé par le tromboniste Sébastien Llado (avec deux L, vous avez compris) sur un nouveau label (marrant, y a deux L dans label…) dans lequel est très impliqué un monsieur proche de Citizen Jazz, Jérôme Gransac (note à l’attention de mes détracteurs : je ne parle pas de ce disque par esprit de clan, mais parce que c’est un très bon disque…). Cette nouvelle écurie a pour nom Les Disques de Lily (je rêve ou ce prénom compte deux L…) et nous offre le témoignage live au Sunside à Paris de la belle santé d’un quartet enregistré le 20 novembre 2009. Au-delà des qualités des musicien(ne)s qui composent cette formation : Sébastien Llado : trombone, conques & conches ; Leïla Olivesi (piano, claviers) ; Bruno Schorp (contrebasse), Julie Saury (batterie), Avec deux ailes n’est rien moins qu’un disque qui transpire la joie de jouer ! Ma collègue Sophie Chambon de Citizen Jazz a récemment dit tout le bien qu’elle pensait de cet enregistrement. Elle a eu raison ! Dans la foulée, notre chère Pie Blésoise, entre autres émérite membre du Z Band y est allée de son compliment, dans une mouture renouvelée de son JazzOcentre que je salue ici même. En cherchant bien, on trouvera sur la toile et dans la presse de nombreux témoignages de l’accueil chaleureux qu’a reçu le disque, ce dont on se félicitera !

    Je ne vais pas vous la jouer biographe (les notes de Jérôme Gransac sur la pochette du digipack font ça très bien), mais j’aimerais tout de même rappeler que le tromboniste n’est pas le dernier venu. Quelques hauts faits peuvent vous aider à dessiner rapidement le portrait de ce jeune homme de 36 ans : membre de l’Orchestre National de Jazz sous la direction de Claude Barthélémy ; collaborations avec Médéric Collignon, Manu Codjia, Magic Malik… ; il fait aussi entendre son instrument aux côtés de Lenny Kravitz ou bien encore Yael Naim ; il préside aux destinées d’un quartet, d’un trio (Tryo[ut]) et même d’un projet solo appelé Machination, dans lequel il conjugue coquillages et machines à haute technologie. Bref, c’est un sacré client qui n’avait jusque là pas ressenti la nécessité du disque (le contexte rappelé en tête de cette note n’étant pas étranger à ses réticences)… Et pourtant, prosternons-nous, remercions Jérôme Gransac & C° d’avoir sur le convaincre de ne pas persister dans ce refus !

    Sébastien Llado a relevé le défi, celui d’un enregistrement live en une seule prise. Le disque rend parfaitement justice à la fougue qui habite les musiciens, à leur volubilité et leur extrême cohésion. Dans le cocktail qu’il nous invite à déguster, chacun trouvera de quoi savourer les petits bonheurs d’un jazz bondissant et bien dans sa peau. Cerise sur ce gâteau (à bien y réfléchir, c’est plutôt d’un plateau de fruits de mer qu’il faudrait parler), le quartet s’attaque dès les premières mesures à un monument plutôt inattendu en livrant sa version – tout en rondeurs pétillantes, amoureux du trombone, ne boudez pas votre plaisir – du « Billie Jean » d’un certain Michael Jackson. Au chapitre des curiosités réjouissantes, Brigitte Bardot sera mise à l’honneur un peu plus loin avec une version naturaliste (conques & conches) et désopilante de « Coquillages et Crustacés » qui laisse ensuite la place à une relecture de « La Madrague » ici renommée « La Magrade ». Sébastien Llado pratique l’œcuménisme musical et s’accorde le droit de puiser là où bon lui semble son inspiration. Qui est ici parfaitement stimulée par ses trois compagnons : Avec deux ailes est un disque heureux, virtuose, débordant de joie de vivre et d’humour aussi, ce qui en passant ne fait jamais de mal. On se dit qu’avec Sébastien Llado et ses complices, on est préservé du risque de se retrouver au régime sans ailes.

    Une petite vidéo ?