Nougaro : avis de Dessay… et de (re)naissance
Les meilleures intentions ne font pas les grands disques, même quand on prend appui sur le talent d’un Yvan Cassar, celui-là même qui avait collaboré aux derniers enregistrements de Claude Nougaro jusqu’à l’ultime et inachevé La Note Bleue en 2003. Et sauf le respect que je dois à celle qu’on connaît comme une excellente cantatrice, inutile de tourner autour du pot : Nathalie Dessay a essayé, mais elle a échoué. Son disque de reprises des chansons du Toulousain, Sur l’écran noir de mes nuits blanches, ressemble à s’y méprendre à un coup d’épée dans l’eau ou plutôt, pour filer la métaphore du ring, un uppercut dans le vide. C’est chanté juste, avec les bonnes notes, c’est très proprement réalisé, il y a chez elle une indéniable sincérité et beaucoup de respect mais il manque l’essentiel dans cet hommage : la danse des mots. Il y a des chansons vides comme certaines maisons peuvent le devenir. Bref, un disque hors sujet…
Parce que vouloir s’attaquer au répertoire de Nougaro, c’est savoir qu’on va prendre des risques, c’est se lancer un défi au risque de trébucher et de se casser la figure. Il n’y a pas de demi-mesure possible avec cette valse des syllabes et des rythmes marquée au sceau du jazz, de l’Afrique ou du Brésil. Cette musique-là, si singulière, il faut la côtoyer, la rudoyer, savoir jouer des coudes avec elle, quitte à lui donner une bonne bourrade fraternelle et mettre son équilibre en péril. À vaincre sans péril… Et puis il faut la dépasser, sans hésiter sur les moyens à mettre en œuvre, y compris celui qui consiste à la dépouiller, à la mettre à nu pour lui offrir si besoin de nouveaux habits. Le respect, oui bien sûr, mais dans l’esprit d’une confrontation sportive à la loyale : on sait les forces de l’autre et on lui dit, les yeux dans les yeux : que le meilleur gagne, mais pas question de se laisser intimider pour autant.
Tout cela, David Babin alias Babx, André Minvielle et Thomas de Pourquery le savent mieux que quiconque. Et voilà sous nos oreilles ébahies un trio composé de personnalités très différentes et pour autant d’une complémentarité étonnante. Le premier est une sorte de songeur lunaire qui vous ferait facilement croire qu’il est loin de vous, un peu distant, alors qu’il souffle tout simplement ses rêves au creux de votre oreille. Qui, soit dit en passant, est aussi producteur et a su s’assurer le concours de musiciens tels que Marc Ribot ou Archie Shepp. Le second – qui a lui-même écrit des textes pour Nougaro – est un béarnais cultivateur d’accents, un jongleur des mots, un vocaliste scatteur percutant. On n’oubliera pas sa présence au sein de la compagnie Lubat, ce dernier ayant été le batteur de… Claude Nougaro. En 2016, il publiait un 1 Time de toute beauté. Quant au troisième larron, qui a déjà eu l’occasion de travailler avec le premier, comptez sur lui pour ne pas s’en laisser… conter. Car ce saxophoniste supersonique admirateur de Sun Ra, une manière d’ogre en jazz, est aussi un chanteur, puissant et athlétique. Doublé (voire triplé) d’un showman charismatique. Souvenir personnel (et assez récent) d’un de ses concerts en trio à La Gare ou, un peu plus tôt, d’un passage ébouriffant au Chapiteau de la Pépinière dans le cadre de Nancy Jazz Pulsations…
Leur disque s’appelle Nougaro, tout simplement. Et c’est un enchantement, une gourmandise dont on n’est pas près d’être rassasié. Oh, ici pas besoin de grands moyens, pas de surproduction en studio ! Rien de tout cela, ce serait même plutôt le contraire. L’économie – pour ne pas dire le minimalisme – est la force première de cette union pour le meilleur et pour le… meilleur ! Un piano, quelques percussions façon tambourin, un saxophone. Et trois voix qui se répondent en échos taquins (« Locomots ») ou prennent tour à tour la parole (« La pluie fait des claquettes »). Elles disent la même histoire, chacune à leur manière : Babx caresse des « Rimes » dont la musique si belle est signée Aldo Romano. Thomas de Pourquery, qui l’a aidé à conclure au saxophone alto, chuchote de son côté un époustouflant « À bout de souffle » sans note, tel le récitant d’une aventure confidentielle. André Minvielle chaloupe un « K-You K-Yaw » samba plus brésilien que nature ou chante a cappella un émouvant « Pommier de paradis ».
Ce trio, très inspiré comme on l’aura compris, n’a pas cherché à tout prix à mobiliser Les Grands Succès de… pour mener à bien son entreprise enregistrée live. Faire revivre la musique de Claude Nougaro, lui offrir cette joie d’une nouvelle naissance passe avant toute chose par la passion du rythme et une vibration profonde. Nougaro est un disque conçu avec les tripes et le cœur, il est un petit moment suspendu, touché par la grâce. Grâce à Babx, André Minvielle et Thomas de Pourquery, les mots dansent toujours et dansent encore. Ils sont vivants, plus que jamais.
Musiciens : Babx (chant, piano), André Minvielle (chant, percussions), Thomas de Pourquery (chant, saxophone alto).
Titres : Pommier de paradis / Locomots / La pluie fait des claquettes / À bout de souffle / Rimes / K-You K-Yaw / Introduction piano / La vie en noir / C’est non ! / Cécile ma fille / Une petite fille / Pantoufles à papa
Label : La Familia