Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Il était une fois intime

Minvielle.jpgJe vais vous faire une confidence : la musique m’offre un nombre assez impressionnant de moments de découverte sous le signe du ravissement. Il est bien rare qu’une semaine s’écoule sans qu’un disque ne m’ait emporté ailleurs, cet ailleurs où l’imagination est reine et le voyage source d’une rêverie chaque jour plus nécessaire que la veille. C’est un privilège, j’en suis conscient. Mais il est un peu plus rare que la jubilation l'emporte sur tout le reste. Parce qu’il faut pouvoir être capable de jubiler en ce monde gris, à moins d’être inconscient ou plus simplement poussé à le faire sous les coups de boutoir antropophoniques d’un artiste pas comme les autres qui vous ouvrira les portes de ses petites folies. Je suis très chanceux car je viens d’en croiser un sur ma route buissonnière.

Car André Minvielle est de ceux-là, lui qui pratique ce qu’il appelle parfois la voc’alchimie avec son brouet foutraque et bouillonnant de chanson française, de blues, de scat voire de rap. Ce chanteur, percussionniste à ses heures, proche d’un Bernard Lubat dont on connaît les agitactions, est hanté par une danse frénétique qui bouscule ses mots chantés en français ou en occitan et fait chavirer ses portées sur le fil d’une frénésie vite contagieuse. Et très contagieuse même, puisque celle-ci vous inocule sans coup férir cette joie d’exister que vous ne soupçonniez peut-être pas quelques secondes auparavant, fût-elle de courte durée. La jubilation, vous dis-je !

Le voici donc qui exhibe non sans une légitime fierté 1time, que vous prononcerez selon votre humeur « intime » ou « one time ». Soit, comme le dit lui-même ce personnage singulier et généreux, cinquante-sept minutes de déterritorialisation musicale française où viennent parader Bernard Lubat, ici comme chez lui ; le trio Journal Intime (que j’évoquerai prochainement en raison de sa collaboration avec le guitariste Marc Ducret sur l’album Paysages, avec bruits qui a vu le jour chez Abalone) ; Georges Baux et sa ronflante bass Moog ; le chanteur Abdel Sefsaf, « nègre blanc stéphanois » fondateur du groupe Dezoriental, capable de fusionner raï, rap, rock et musette ; ou bien encore le joyeux et bigarré Ti’Bal Tribal.

1time, c’est un disque dont on se demande par quel bout le prendre, un lieu d’expérimentation, un joyeux bordel ambiant que ne renierait pas Marcel Duchamp, c’est un laboratoire dont le savant un peu fou bidouille les alambics chansonniers avec gourmandise et vous fabrique en deux trois mouvements une fanfare surgie de nulle part avant de mitonner un « Madada » qu'aurait pu entonner un certain Bobby Lapointe, ou bien une chanson aux accents funk qui gratte comme un vieux vinyle. C’est comme ça chez lui, tout est permis, on est prié de négocier les virages et les épingles à cheveux en faisant crisser les pneus !

Mais 1time est aussi - et avant tout - une bulle poétique, plus précisément une bulle de l’intime préservé : celle-ci est ailleurs, au-dessus de nous tous humains contraints, elle survole un jardin de sourires, de ripaille et de bonnes blagues où l’on n’entre qu’avec des intentions courtoises. C’est un lieu préservé des stupidités du monde, où la fraternité a encore un sens. Ici, c’est l’imagination qui commande la danse des mots et des notes ; chacun peut y trouver sa place pour peu qu’il accepte de parler ce langage fertile et bondissant, sous le patronage d’un Saint Cop dont on pressent qu’il nous guette au tournant des phrases. Claude Nougaro et Bobby « Madada » Lapointe doivent bien rigoler s’ils écoutent ce disque, ce qui ne fait aucun doute puisqu’ils en sont un peu les pères, ou les oncles ou les parrains, c’est comme vous voulez. Ils sont certainement sous le charme du grand shaker plein de bruits, de sons et de voix, toutes générations rabibochées, un savant cocktail concocté par André Minvielle, parfois aux commandes de sa « mainvielle à roue », cet instrument fabriqué sur mesure pour « soutenir son chant quand il part dans les coins ».

Ce disque-là, ce concentré de jubilation en forme de cabinet de curiosités et de feu d’articife entre potes, je vais le garder près de moi et le dégainer à intervalles réguliers dans les semaines à venir. Pendant l’automne et l’hiver, et même peut-être un peu plus longtemps encore, durant ces drôles de saisons où la grisaille humide vient faire la nique à la lumière et peindre sur nos visages émaciés une grimace morose. Je regarderai le ciel et les nuages et, plutôt que de me miner le moral en attendant des jours meilleurs qui ne viendront que s’ils le veulent bien, je brandirai 1time avec un sourire vainqueur comme d’autres le feraient en empoignant un bouclier pour narguer leur ennemi. Ce sera ma petite potion magique à moi, celle dans laquelle André Minvielle est certainement tombé quand il était petit. Et je gagnerai la bataille, avec lui et ceux qui seront grimpés à bord ! On ne va pas s'ennuyer...

Les commentaires sont fermés.