Romain Baret : « Naissance de l’Horizon »
Dis-moi qui te pince les oreilles et je te dirai qui tu es… Le collectif Pince-Oreilles, qui œuvre du côté de la région Rhône-Alpes est une pépinière de talents dont on ne dira jamais assez de bien. Pince-Oreilles, soit une bonne douzaine de musiciens, des formations, un label, des disques et un bouillonnement créatif dont la figure de proue est sans nul doute la pianiste Anne Quillier. On connaît en effet la puissance de travail de cette dernière à travers différentes formations (un sextet, Blast et Watchdog). Romain Baret, guitariste de son état, est de cette aventure musicale et vient nous inviter à célébrer la Naissance de l’Horizon. Près de quatre après la publication de l’excellent Split Moment en trio, avec Michel Molines à la contrebasse et Sébastien Necca à la batterie, ce jeune musicien, chez qui l’idée de jazz passe par de multiples chemins et des influences qui peuvent regarder du côté du rock progressif, revient entouré des mêmes. Mieux, il multiplie sa force de frappe en s’adjoignant le concours de Florent Briqué à la trompette et d’Éric Prost (déjà présent sur plusieurs titres de Split Moments) au saxophone ténor. Plus de couleurs pour une musique encore plus éclatante.
Il faut l’admettre : ce nouveau disque (qui, soit dit en passant, est paru le 19 janvier dernier, donc le jour de mon anniversaire, ce que je ne saurais considérer comme un hasard) est de ceux qu’on entend instantanément. J’insiste sur le mot « entendre ». Naissance de l’Horizon fait entendre sa voix très particulière dès la première écoute. Car pour savantes et remarquablement construites que soient les neuf compositions du disque, pour virtuose que soit leur interprétation, c’est d’abord un sentiment de jubilation qui gagne celui ou celle qui fera le voyage. Voilà en effet un savant dosage d’énergie et de lyrisme dont la mise en œuvre doit beaucoup à la subtile imbrication des forces en présence. Romain Baret, gardien vigilant des constructions qu’il échafaude (c’est lui qui signe la totalité du répertoire), est en permanence aux aguets, épaulé en cela par une rythmique complice et inventive, il ne cesse de relancer la machine par des interventions fougueuses, très chargées en électricité. Comme s’il s’agissait pour lui de ne pas choisir entre la scansion du rock et des élans plus buissonniers typiques de l’idiome jazz. Je ne passerai pas ici en revue chacun des titres de Naissance de l’Horizon, mais une composition telle que « Schizophrénie », par sa richesse, sa puissance, son imagination fertile – la guitare de Romain Baret y est incandescente – et l’incertitude heureuse dans laquelle elle peut laisser celui ou celle qui écoute suffit à elle-seule pour comprendre à quel point l’univers du guitariste est habité. Et vous invite à suivre ce musicien très près. Il n’y a aucune démonstration dans l’exposition d’une musique que Baret accompagne parfois de la voix, comme un témoignage spontané (et presque incontrôlable) de sa profonde joie d’être au cœur d’un si tel dispositif. On oublie les références pour se laisser emporter. Même s’il pourra vous arriver de penser parfois à vos vieilles amours que sont le Mahavishnu Orchestra ou King Crimson, en particulier sur la composition citée un peu plus haut, et sans être pour autant certain que Romain Baret ait voulu citer ses influences.
Il est question de rêve, de résistance et de d’espoir dans cette Naissance de l’horizon sur lequel souffle un vent très vivifiant. Les talents conjoints de Florent Briqué (ah, les vieux souvenirs de sa présence en Lorraine, au temps de l’ORJL ou d’un big band nommé L’œil du cyclone du côté de Nancy) et d’un Éric Prost, de bout en bout admirable de lyrisme (vous pourrez croiser celui qui est l’un des saxophonistes les plus passionnants de sa génération aussi bien dans The Amazing Keystone Big Band qu’au sein du quintet de Christian Vander pour jouer la musique de John Coltrane) sont à l’évidence des pièces essentielles dans l’épanouissement de la musique imaginée par Romain Baret. Surtout, on se rend compte au fil des écoutes que ce disque, continuation fastueuse de son prédécesseur Split Moments, s’offre comme un chant. Il est une célébration, à la croisée des chemins. Une affirmation.