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Forever Young

neil young, earth, promise of the realInutile de me chercher, vous risqueriez de ne pas me trouver. Je suis quelque part, pas très loin mais ailleurs... Occupé avec le nouveau disque de Neil Young, un double live qui s’appelle Earth. Je vous vois venir : encore ce type ? depuis tout ce temps ? Eh bien oui, encore lui, qu’on surnomme le loner parce qu’il a des allures de vieux loup solitaire un peu efflanqué (c’était aussi le titre d’une des compositions de son premier disque, ce qui a pu contribuer à faire naître ce surnom). Le gars du genre bougon, un peu obsessionnel aussi, qui a accumulé des paquets de disques depuis les années 60, quand il était l’un des membres de Buffalo Springfield. Et qui vous raconte, dans un récent et remarquable Very Good Trip, une émission de Michka Assayas sur France Inter, qu’il a fini par se remettre à la fumette après avoir arrêté. Avec ou sans, il s’est rendu compte qu’il restait créatif alors pourquoi se priver, je vous le demande ? C’est bien simple : si je fais une exception pour les années 80 qu’il a traversées non sans mal (comme bien d’autres d’ailleurs), j’ai une indulgence absolue pour sa musique. Et pour lui, de façon plus générale. J’ai même lu son bouquin du début à la fin. La plupart du temps, au moment où j’achète un nouveau disque de lui, je sais ce que je vais entendre, ce n’est pas la surprise qui aiguise mon appétit, mais plutôt le plaisir de retrouver un son et une voix qui, loin de satisfaire aux critères de la perfection façon télé-crochet avec jury has been, me font souvent dresser les poils des bras. C’est comme ça, je ne maîtrise pas la chose. Neil Young, c’est un musicien de chevet, si vous me passez l’expression. Présent chez moi depuis ma primo-adolescence et en particulier grâce à l’album, son deuxième en solo, Everybody Knows This Is Nowhere (sûrement mon préféré, soit dit en passant). Il durera jusqu’à ma propre fin, c’est certain.

Dans son cartonnage noir, sobre et sympathique à la fois parce que ressemblant à un 33 tours en plus petit, Earth est censé traduire les préoccupations écologiques du monsieur. On frise le concept album… En ouvrant le digipack, on voit même une double photo de lui, dont le T-shirt est semble-t-il à vocation pédagogique : à gauche, on lit le mot oil ; à droite, la chemise à carreaux façon bûcheron s’est un peu ouverte et laisse apparaître soil. OK, j’ai bien noté : les produits pétroliers sont des agents souilleurs de notre bonne vieille planète, ce qui n’est pas totalement faux, je vais donc faire très attention. De plus, sur Earth on entend des tas de bruits pendant ou entre les morceaux interprétés live dans un continuum organique qui se veut fatidique aux lecteurs de musique bas de gamme (ça, c’est une autre marotte de Neil Young, le son et le streaming mp3 caca, il a même imaginé un baladeur qui fait tout bien, le Pono) : des grenouilles, des vaches, des bruissements de feuilles, du vent, des voitures qui klaxonnent, des insectes. La vie, quoi. C’est pour bien montrer que nous sommes tous immergés dans de la matière vivante, qu’il faut la respecter sinon, pas bien... D’ailleurs, Neil Young ne s’est jamais privé de nous faire savoir qu’il avait transformé en voiture électrique sa vieille Lincoln Continental de 1959, c’est pour dire ! Tous ces trucs que je vous résume en quelques lignes, ça pourrait énerver le commun des fans parce que si on achète un disque, c’est pour écouter de la musique, et du rock en particulier. Raté, même pas, ça passe crème – comme disent les vieux qui veulent se faire passer pour des jeunes – toutes ces petites bricoles ajoutées, ça vous a au contraire un petit côté sympathique. Tiens, c’est comme les chœurs enregistrés en studio après coup : bien en place, comme il faut, rien à dire ! C’est le sucre glace sur la brioche… J’ai même cru discerner un fugitif recours au vocoder, dont Neil Young avait fait un usage intensif, pour ne pas dire abusif, sur Trans au siècle dernier… Alors ne me demandez pas pourquoi, mais je le savais avant d’avoir entendu les premières notes du disque : Earth est un bon cru, peut-être pas un vin de garde, mais le breuvage a du corps, personne ne pourra le contester. 98 minutes d’une bonne vieille musique qui a la fièvre. Moi, ça me va…

À l’exception d’un « Seed Justice » inédit, électrique à souhait et grouillant d’une myriade de ces bestioles citées plus haut, tout le répertoire est connu des exégètes du Canadien : Neil Young a largement puisé dans son dernier album studio, The Monsanto Years (« Big Box », « People Want To Hear About Love », « Wolf Moon » et « The Monsanto Years »), mais aussi par trois fois dans les années 90 de Ragged Glory (« Mother Earth », « My Country Home », « Love And Only Love » et ses vingt-huit minutes qu'on peut écourter sans dommage). Sans oublier des emprunts à trois disques estampillés années 70 (qui constituent sa grande période, ne nous le cachons pas) : « After The Gold Rush » de l’album du même nom, « Human Highway » (Comes A Time) et « Vampire Blues » (On The Beach). Seul survivant des années 80, « Hippie Dream » pioché dans Landing On Water.

Une matière première copieuse, donc, sculptée aux bons soins de Promise Of The Real, combo emmené par Lukas et Micah Nelson, fils du grand Willie. Neil Young dit d’eux que bien que jeunes encore, ils peuvent s’emparer de tout son répertoire, toutes époques confondues. Bref, un boulevard pour lui qui n’a plus qu’à dérouler en toute confiance son rock râpeux et indompté. Je serais bien incapable d’avoir un avis sur les talents respectifs de ses acolytes, même si j’ai l’impression qu’ils font le job avec toute l’énergie que peut susciter leur boss. Je n’irai pas jusqu’à dire qu’ils sont renversants, mais ils assurent comme des anciens. De plus, ils me semblent faire preuve parfois d’un sens de la nuance dont Crazy Horse, la formation historique de Neil Young, est parfois dépourvue. Les gars de Promise Of The Real ne sont pas là pour faire les malins ni s’afficher en virtuoses, mais bien pour faire bouillir cette marmite dans laquelle leur tôlier baigne depuis et pour toujours. Il est là le génie du Canadien : dans sa capacité à ne jamais baisser les bras, à rester tel qu’il semble toujours avoir été. Un rockeur, et rien d’autre, avec des convictions assumées. Neil Young, c’est le musicien sur lequel on peut toujours compter, avec sa voix chancelante, sa guitare brûlante, son harmonica incertain et même un harmonium dont il joue sur « Mother Earth » en ouverture de cet enregistrement live. Neil Young, cet imparfait du subjectif, ne ressemble à personne, personne ne peut lui ressembler. Il est un oiseau rare, d’une espèce à protéger. Parce que des comme lui, râleurs et insoumis, mais toujours le feu aux cordes, volontiers adeptes du bras d’honneur aux multinationales (« Too big to fail / Too rich for jail »), je n’en vois guère qui pointent le bout de leur nez… Et c’est bien dommage.

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