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Cercles vertueux

anne paceo, circles, tony paeleman, emile parisien, leila martialPetit retour en arrière. Lorsque Circles est sorti au mois de janvier chez Laborie Jazz, il ne faisait aucun doute qu’Anne Paceo, plus que jamais, célébrait le chant qui résonne en elle depuis sa plus tendre enfance en Côte d’Ivoire. Ce qu’a d’ailleurs expliqué cette musicienne voyageuse : « Quand j’écris un nouveau morceau, la première chose qui vient c’est toujours la mélodie. J’écris beaucoup en chantant. Ma musique est souvent reliée à des expériences, des rencontres, des mouvements intérieurs, des endroits qui m’ont marquée. Je raconte des histoires, mes histoires, sans forcement mettre des mots dessus. Pour moi la musique doit avant tout parler aux sens ». Enfant de la batterie qui a appris de son mentor Dré Pallemaerts – dont je vous recommande en passant le nouveau disque appelé Coutances, où brille de mille feux une triplette magique composée de Bill Carrothers, Jozef Dumoulin et Mark Turner – à quel point il est vital d’incarner chaque note jouée, Anne Paceo a côtoyé la fine fleur du jazz, aligné une poignée de disques gorgés de lumière, avec son trio Triphase (Triphase en 2009 et Empreintes en 2010) ou son quintet Yôkaï, sans oublier une collaboration avec la chanteuse Jeanne Added qu’elle a accompagnée sur scène jusqu’à une époque récente. Et la voici qui revient, entourée d’une nouvelle équipe dont la composition ne doit absolument rien au hasard. Car pour créer une musique qui se révèle un tant soit peu ensorcelée, encore faut-il trouver les magiciens pour la servir.

Ils sont là, au rendez-vous. Ils forment une quarte de trentenaires en pleine ébullition, jugez plutôt... Aux claviers, Tony Paeleman, musicien dont l’hyperactivité (Offering, Olivier Bogé, 117 Elements, Watershed, Aum Grand Ensemble, Vincent Peirani, Karl Jannuska, ...) n’aura échappé à personne et qui, plus que jamais, peut être présenté comme un « ingénieux du son ». Le pianiste est bien plus qu’un instrumentiste, il fait partie des architectes des textures capables à eux-seuls de définir des climats changeants. Quant à Émile Parisien, faut-il en rajouter sur le compte de ce saxophoniste à haute teneur lyrique et qui est probablement ce qui est arrivé de mieux au jazz européen depuis une quinzaine d’années ? Un musicien de la liberté, qui peut à tout moment faire chavirer une composition pour la sublimer et l’habiter d’une fièvre dont lui seul semble avoir le secret. Plus que jamais, il se révèle extra-terrestre... La voix de Leila Martial, qui se qualifie volontiers de « chanteuse tout terrain », est une autre source d’attraction : mutine, ludique et virevoltante, elle est l’autre âme voyageuse de ce quatuor dont le cap est certes fixé par Anne Paceo, mais sans que cette dernière donne l’impression d’imposer une direction. La parité hommes-femmes est ici respectée mais au-delà de ce constat, on comprend que les quatre musiciens sont placés sur un pied d’égalité. Le format court des compositions du disque les incite par ailleurs à jouer la carte de la concision et à ne pas s’épancher individuellement en chorus plus qu'il ne faut. Le strict nécessaire, un point c’est tout. Et c’est beaucoup !

Une des grandes qualités de Circles est de ne pas se présenter seulement comme un disque de jazz (ce qui en soi n’est pas un défaut, je tiens à le préciser) mais comme une ouverture à d’autres univers artistiques. Anne Paceo œuvre en effet à l’élaboration d’un langage très magnétique capable de concilier la rigueur et l’exigence du premier avec ce qu’on rencontre d’ordinaire plutôt du côté d’une pop music empreinte de légèreté, mais ici dépouillée de toute forme de superficialité. On en viendrait facilement à imaginer que celle-ci puisse faire l’objet d’une bien plus large diffusion et s’ouvrir à tous les publics. Circles est un disque fédérateur, une collection de douze chansons - comme autant de miniatures - enluminées et riches et émotions, qu’on se le dise... C’est le type-même d’album qui pas un instant ne joue les gros bras : il ne faut pas compter sur Anne Paceo pour endosser un costume de batteuse qui serait de toutes façons bien trop étriqué pour celle qui est une musicienne décidée à rebattre les cartes à chaque nouvelle expérience parce que la routine ne lui est tout simplement pas concevable. Au début, on écoute Circles avec une pointe de sympathie pour ses petites tourneries aux couleurs féeriques, avant de s’apercevoir que chacune de ses mélodies est en train de gagner du terrain sur notre résistance et de faire tomber une à une toutes nos défenses. Pari gagné, on ressort  enchanté de cette succession de voyages qui nous ont mené vers la Toundra aussi bien qu'en Birmanie, près du Cercle Polaire ou sur la Lune. Écoutez « Today » et vous m'en direz des nouvelles : le ravissement, c'est maintenant !

Cerise sur le gâteau pour les Lorrains que quelques-uns parmi nous ont la drôle d’idée d’être, Anne Pacéo viendra conclure l’édition 2016 du festival Nancy Jazz Pulsations. Elle y présentera Circles au Théâtre de la Manufacture, dans une formation légèrement différente de celle du disque puisque Christophe Panzani remplacera Émile Parisien. Pas de quoi s’inquiéter toutefois, puisque ce saxophoniste, très proche de Tony Paeleman avec lequel il travaille depuis longtemps, a le répondant nécessaire pour œuvrer à cette entreprise d'éblouissement (on peut signaler en passant le fait qu’il a été membre du big band de Carla Bley) et beaucoup de poésie dans les anches, comme en témoigne son nouveau disque, Les âmes perdues, une série de duos enregistrés au domicile de quelques camarades pianistes de haute volée (dont Tony Paeleman, ça va de soi).

Vivement l'automne !

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