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« Free as a bird »

boffo_vol_doiseaux.jpgDans les deux romans qu’il m’est arrivé de commettre (Ladies First! en 2013 et La part des anches, à paraître en septembre prochain), on peut croiser un personnage nommé Jean-Pascal Argentini. C’est un guitariste qui a enregistré une bonne dizaine d’albums et façonne un univers très poétique au deuxième étage d’une grande maison, quelque part dans une petite ville de Moselle, là où est installé son studio d’enregistrement. Parce que cet artiste-là, il faut le savoir, n’est pas seulement musicien, il est aussi ce qu’on pourrait appeler un « ingénieur amoureux du son », dont la « patte » particulière, toute en finesse et notes cristallines, est recherchée par les deux musiciennes, une chanteuse puis une saxophoniste, qui sont les personnages principaux de mes deux fictions. Je ne m’en suis jamais vraiment caché : ce Jean-Pascal Argentini est le double d’un autre Jean-Pascal, bien réel celui-là. Ce dernier exerce la plupart du temps ses talents à Clouange, dans le studio Amper (Association Musicale Pour l’Expansion du Rock) sur lequel il veille avec la plus grande attention depuis bien longtemps maintenant. Ah, j’oublie l’essentiel : notre homme s’appelle Jean-Pascal Boffo. Je suis son activité de près, mettant un point d’honneur à me procurer ses disques dès leur sortie, en règle générale directement auprès de leur concepteur. Boffo, c’est quelqu’un qui suscite la fidélité la plus absolue, lui dont le progressive folk (j’ose espérer qu’il acceptera cette définition), façonné jour après jour après une première immersion dans le rock progressif, parfois pétri d’influences Zeuhl, de groupes comme Larsen, Déjà Vu, Mandragore, Geheb-Rê ou Troll (je me permets de vous renvoyer à sa biographie si vous souhaitez en savoir plus), est habité d’une lumière dont les scintillements viennent en droite ligne des cordes de sa guitare. Cette dernière est non seulement l’instrument le plus cher à son cœur mais sans nul doute pour lui une compagne de chaque instant.

Notre homme vient de publier Vol d’oiseaux, onzième album sous son nom et dont le titre fait écho à une composition presque homonyme, « Vol d’oiseau », qui figurait sur Vu du ciel en 1998. Une histoire ancienne donc, un appétit de liberté confirmé en soixante minutes naturellement aériennes. La liberté est essentielle en effet aux yeux de celui qui, hors de toutes les modes, à l’écart du bruit médiatique, reconnaît « ne pas courir après l’argent » et aimer travailler seul pour choisir les personnes avec lesquelles il souhaite collaborer. Jean-Pascal Boffo, homme discret, un peu secret, est à la fois un artiste et un artisan. Artiste parce qu’il est bien un créateur, capable de dessiner les contours d’un univers éminemment poétique – qu’on identifie très vite comme le sien propre – dont chaque note semble composée avec l’idée qu’elle doit pouvoir s’élever vers le ciel, à la façon des bulles de savon aux couleurs irisées dont on admire le cheminement porté par le souffle d’une brise légère. Sauf que ces bulles-là n’éclatent pas avant de disparaître : elles s’agglomèrent en arpèges enchantés, mêlant leurs sons à ceux d’instruments amis – électroniques s’il le faut comme sur KiRoBo, disque en trio avec Paul Kiss et Hervé Rouyer en 2005 – quand elles ne choisissent pas de jouer une partition solitaire mais tout aussi solaire, ce dont témoignait l’album La boîte à musique en 2007. Artisan aussi, parce que Jean-Pascal Boffo est un amoureux du travail bien fait, qu’il s’agisse de la production d’un son dont il cherche la perfection ou du conditionnement des disques qu’il s’acharne à faire exister, même en nombre limité, malgré les dangers mortels encourus par ces objets sonores victimes de l’illusion d’une gratuité qui n’existe que dans l’imagination de ceux qui veulent y croire. Jean-Pascal Boffo travaille à la façon d’un sculpteur, il prend le temps de modeler sa musique pour aboutir aux formes les plus proches de celles qu’il entrevoit dans ses rêves.

Vol d’oiseaux ne surprendra pas celles et ceux qui aiment la « petite musique » de Jean-Pascal Boffo. Il ne les décevra pas non plus. Parce que leur enchantement sera celui qu’ils connaissent à chaque fois. Son ADN en irrigue les quatorze thèmes qui le composent, du début à la fin, tout au long d’un voyage dont le thème est explicite. Ici, il est question de ciel, de moineaux, de coucous, d’oiseau-lyre, de cygne, d’homme-oiseau... On ira même jusqu’à l’île d’Okinawa, connue pour héberger des espèces d’oiseaux uniques au monde. Ailes du désir, désir des ailes, musique de l’envol, parfois planante (ainsi « Song For The Sky » en ouverture du disque) mais toujours servie par le même amour des mélodies qui caressent et donnent envie de lever les yeux vers le ciel. Pour chercher la lumière, observer le ballet des nuages et, pourquoi pas, suivre la course de tous ces mystérieux petits voyageurs. Pour se laisser aller à nos rêves d’enfant. Pour tenter de respirer dans l’air vicié d’un monde d’oppression. Dans une récente interview, Jean-Pascal Boffo expliquait au sujet de son travail de composition et de son inspiration : « C’est ma respiration. Elle se manifeste toute seule. C’est un peu magique. Le soir ou la nuit, dans le silence, quand je suis détendu, les mélodies arrivent ». Pas de doute, elles sont bien là, venues sur les ailes de tous ces oiseaux célébrés avec une douce ferveur qui est la marque de leur géniteur. Comme une médecine sans chimie.

Quelques-uns des amis fidèles sont venus au rendez-vous des oiseaux : Laurent Payfert à la contrebasse, Hervé Rouyer à la batterie, Pierre-Coq Amann et ses instruments à vent. Bien évidemment, Jean-Pascal Boffo est à la manœuvre aux cordes, celles de ses guitares bien sûr, une fois encore sources de toutes les enluminures d’un disque qui est bien celui de la maturité (et dont la pochette est magnifique, il est bon de le souligner). Le guitariste a de surcroît convoqué d’autres cordes, vocales celles-là, qui viennent chanter à cinq reprises, confiant du même coup à d’autres amis le soin d’écrire les paroles des chansons : Fredo Viola, Cascadeur, Jo Cimatti, sans oublier la jeune Alessia Wood (pour un adorable « Cuckoon »), dont le professeur de chant n’est autre qu’Aurore Richert, partenaire privilégiée de Boffo dans le groupe Alifair.

Et c’est volontairement que je cite en dernier un certain Steve Shehan. Le percussionniste est à lui-seul une proposition de voyage sur ce Vol d’oiseaux, qui en suggère déjà beaucoup. Et lorsque son jeu vient se marier à celui du duclar (un instrument qui est en quelque sorte le résultat d’une hybridation entre une clarinette et un doudouk) de Pierre Coq-Amann, il est impossible de ne pas penser à Hadouk Trio dont l’Américain a irradié la musique pendant de longues et belles années, avant de partir pour d’autres aventures et se consacrer en particulier à la pratique du hang.

En 2010, Jean-Pascal Boffo avait enregistré en duo avec le pianiste Murat Öztürk un disque intitulé Improvisions. À cette occasion, il m’avait demandé d’en rédiger les liner notes. J’avais écrit en conclusion de mon texte : « Jean-Pascal Boffo, en designer sonore attentif à ce qui s'imagine devant lui, invente de nouvelles couleurs et suggère ses propres chemins. Il lance de petits cailloux – échos, boucles, samples, sons inversés – à la surface d'une eau limpide qui s'anime de mouvements éphémères et harmonieux ». On comprend qu’il y a chez le guitariste une permanence. Car si la couleur sonore de ce duo était assez éloignée de Vols d’oiseaux, il n’en reste pas moins qu’il en partage la quête d’un ailleurs où le monde serait meilleur. Et c’est sans nul doute la raison pour laquelle on se sent aussi bien à voyager dans cette musique fluide. Une musique en harmonie.

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