Grammaire londonienne
Deux mois de silence ou presque. Normal, en été, j’ai tendance à hiberner et le réveil est plutôt dur, vous pouvez m’en croire. Pourtant ce ne sont pas les idées de chroniques qui me manquent, mais juste le stimulus qui me fera reprendre le clavier. Oui, il y a de bien beaux disques dont j’ai envie de parler ici et dont je parlerai, c’est sûr. Je peux vous donner quelques exemples : Together Together, le très beau duo enregistré par le batteur Christophe Marguet et le saxophoniste Daniel Erdmann ; Sunbathing Underwater, une nouvelle proposition tout aussi improvisée qu’enluminée de mon camarade Henri Roger, en piano solo cette fois ; Silk And Salt Melodies, nouveau chapitre du grand roman musical de Louis Sclavis, plus en forme que jamais et qui étend son Atlas Trio à un quartet avec l’adjonction d’un percussionniste ; Source, très belle réalisation du trio franco-germano-brésilien Dreisam installé à Lyon ; ou encore le disque de Bounce Trio, une formation réjouissante emmenée par le pianiste organiste Mathieu Marthouret. Il faudrait aussi que j’évoque le double CD Offering, exhumation enfin complète du concert donné par John Coltrane et sa fine équipe le 11 novembre 1966. Sans oublier Celebrating The Dark Side Of The Moon, disque à venir que le guitariste Nguyên Lê a enregistré avec le NDR Big Band, en hommage à l'album culte de Pink Floyd (le guitariste m'ayant fait l'honneur de me demander d'écrire les notes de pochette de l'album, ce dont je le remercie infiniment). J’arrête là cette première liste qui vous donnera une idée approximative de la tonalité des textes à venir.
En 2014-2015, musique, musique et rien d’autre. La marche du monde est tellement sinistre qu’elle me retire les mots de la bouche dès lors qu’il s’agit d’évoquer un autre sujet que celui de la musique.
Et puis, bien sûr, à intervalles réguliers, je soumettrai quelques chroniques à la rédaction de Citizen Jazz, magazine auquel je continue de contribuer avec le plus grand plaisir. Sans oublier mon rendez-vous mensuel en co-animation de Jazz Time, l’émission de mon camarade Gérard Jacquemin sur Radio Déclic. Notre prochain rendez-vous est fixé au 17 septembre pour une diffusion le 19 et le 20, avant sa mise à disposition en podcast sur le site de la radio.
Pour l’heure – vous noterez ainsi qu’il peut m’arriver de n’être point extatique devant un disque et de le faire savoir, on aura tout vu – j’avais envie de relater ici une expérience à la fois musicale et estivale. Imaginez que, pris d’une subite envie de découvrir une formation dont j’entendais ça et là dire le plus grand bien, je me suis penché sur le cas de If You Wait, premier album de London Grammar, trio anglais formé par la chanteuse Hannah Reid et le guitariste Dan Rothman avant d’être rejoints par le multi-instrumentiste Dot Major. Il n’est jamais inutile de prêter une oreille aux mouvements musicaux dans l’air du temps, surtout lorsqu’ils proviennent de Grande Bretagne, d’où une bonne surprise n’est jamais à exclure nonobstant l’affichage d’un réel conformisme depuis pas mal d’années.
Mon bilan est plutôt mitigé, je l’avoue, malgré de bien beaux arguments sur le papier. Hannah Reid écrit des chansons dont les thèmes, souvent sombres et mélancoliques, sont en prise directe avec le malaise de nos sociétés contemporaines, ses mélodies sont le plus souvent prenantes. Elle est, de plus, une chanteuse vraiment habitée dont la voix envoûtante capte l’attention. Mais, parce qu’il y a un mais, quelque chose freine mon enthousiasme a priori. Il y a d’abord cette production, volontairement minimaliste, qui endosse les habits d’un trip hop un peu glacé et, il faut bien le dire, qui semble déjà démodé (à titre personnel, il y a dans cette esthétique quelque chose qui me renvoie aux errances sonores des années 80, voire 90). Pas mal d’effets de réverbération faciles, une batterie (électronique) sans âme et des claviers souvent dispensables parce que dépourvus de toute cette nervosité noueuse qui fait l’âme d’une musique. On en vient à être étonné par le contraste entre ce parti pris de distance instrumentale et la volonté affichée d’attirer celui ou celle qui écoute par un chant aux allures de lamento dramatique. Et justement, c’est peut-être aussi là que le bât blesse. Au bout de trois ou quatre titres (l’album complet en compte dix-sept), on commence à s’ennuyer un tantinet : Hannah Reid tire un peu trop à mon goût sur la corde du pathos et de l’emphase, tout cela finit même par en devenir gênant. Un peu comme si on se retrouvait malgré soi plongé au cœur d’un drame personnel ou d'une affaire de famille, sans pouvoir y faire quoi que ce soit. Certes, quelques compositions ont fière allure (« Wasting My Young years », « Darling Are You Gonna Leave Me »), mais l’ensemble suscite une lassitude qui gagne vite. On a envie de dire : « Arrête un peu de chouiner, tape du poing si tu veux, mais là… ça devient pénible ! » Surtout, une évolution radicale de l’environnement instrumental pourrait donner envie de vibrer réellement à If You Wait.
Qui n’est pas un mauvais album, loin de là, mais juste selon moi une promesse mal tenue en raison de concessions à une vision de la musique qui semble peu ambitieuse au regard des signaux sociétaux que les chansons émettent. Un trop grand écart entre contenu et contenant.
Bon, j’arrête. C’est la dernière fois (avant la prochaine peut-être) que je ne dis pas que du bien d’un disque. J’avais juste besoin de m’échauffer pour commencer l’année !