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  • Mettez un Bigre dans votre moteur

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    bigre, grolektif, felicien bouchot, romain dugelay

    Paris, mercredi 18 décembre 2013. L'automne finissant laisse filtrer les derniers rayons du soleil sur les toits de Paris en cette fin d'après-midi qui ressemble à s'y méprendre à toutes les autres. Il paraît que c’est bientôt Noël mais ça ne se voit guère. Mes congénères grimpent dans le bus sans un regard pour leurs voisins, dehors les automobilistes klaxonnent, les deux roues énervés zigzaguent, les marcheurs à la trajectoire aléatoire (en général, ils foncent droit sur vous sans vous voir) pianotent des messages textes, les touristes lèvent les bras au ciel pour ajouter des photographies qui, peut-être, ne seront jamais exhumées des profondeurs numériques de la mémoire de leur téléphone portable. Du côté du Boulevard de Sébastopol, les motards de la police nationale se frayent un passage dans les embouteillages pour conduire un bus vers une destination inconnue. Rue du Faubourg Saint Denis, des restaurants à la propreté approximative et aux clients encore rares sont collés les uns aux autres ; en traversant le Passage Brady, l'Inde locale tend ses menus pour nous vendre le meilleur, soi disant beaucoup mieux que celui du voisin pourtant jumeau. Ma préférence ira pour un bœuf à la ficelle, du côté de la Cour des Petites Ecuries. Chacun ses goûts...

    Pourquoi je vous raconte tout ça, au fait ? Ah oui... je me souviens ! Mercredi dernier, dans la précipitation d’une décision prise in extremis, que dis-je, in extremigre... euh, non, in extreBigre ! j’ai préparé ma mallette d’urgence – sac en bandoulière équipé de sa ration vestimentaire de survie -  juste avant de grimper dans un TGV hors de prix – pardonnez-moi ce pléonasme - pour rallier Paris et la rue des Petites Ecuries, là où se trouvaient mon hôtel et... quelle coïncidence, le New Morning ! Si les abords du lieu ne sont guère engageants – l’idée de propreté n’est pas de celles qui vous gagnent au moment où vous attendez entre deux containers odorants qu’on veuille bien vous ouvrir la porte, juste avant de vous expliquer qu’il faut ressortir parce qu’on vous a laissé entrer par erreur – force est de reconnaître que cette salle exhale un petit parfum festif fort agréable.

    Au programme : Bigre ! et ses dix-neuf musiciens d’implantation lyonnaise, l’une des émanations du bouillonnant Grolektif, menée de main de maître par le trompettiste Félicien Bouchot, principal compositeur et arrangeur avec le saxophoniste Romain Dugelay. Bigre !, trois albums au compteur (et même quatre si on compte Bigre ! & N Relax) dont les deux derniers, Tohu Bohu et Les icebergs aussi ont reçu du côté des Citoyens l’accueil qu’ils méritaient. Bigre ! L’idée aussi et surtout que le jazz est une fête, que la musique, pour savante qu’elle soit, doit transpirer, respirer, souffler le chaud et le chaud. Bigre ! et son savant mélange des genres, ses parfums variés qui vont des Balkans à l’Amérique Latine, son jazz mâtiné de funk, de soul, de blues électrique ; ses solistes lunaires comme autant de furieux soldats d’un combat pacifique et jouissif. Bigre ! C’est l’énergie à tous les étages, c’est une alliance des générations capable de rallier à sa cause une audience rajeunie (on déplore trop souvent le vieillissement du public jazz pour ne pas souligner ce fait ; mais en écrivant cela, je pense aussi à certains jeunes aux oreilles endormies qui s’obstinent à croire que le jazz est une musique ringarde destinée aux vieux), c’est une manière d’être sérieux (et croyez-moi, quand il tourne à plein régime, ce big band n’amuse pas le terrain) sans se prendre au sérieux. Avec cinq saxophones, quatre trombones et quatre trompettes (ou bugles), il faut aussi dire que côté souffle, cet ensemble grand format en impose d’autant plus qu’à l’arrière des troupes, la propulsion est assurée par une rythmique grouillante qui ne compte pas moins de trois percussionnistes. Tout ce grand monde a réussi à se faufiler sur scène non sans une habileté qu'exige l'exiguïté de fait des lieux pour un concert en deux temps : le premier set est avant tout l’occasion de revenir sur Les icebergs aussi, tandis que le second est annonciateur du prochain disque, à paraître au printemps prochain et qui, si mes informations sont exactes, devrait s’appeler To Bigre Or Not To Bigre. Pour le final, il aura fallu encore se serrer un peu plus, avec l’arrivée au chant de Clyde Rabatel, Célia Kameni et Thais Lopez De Pina. Avec eux, on pousse les tables, on se lève, on fait danser les peluches récompenses (lisez un peu plus loin, vous comprendrez). Le temps passe vite, trop vite, voilà qu’il est déjà 23h30 : la fête sera bientôt finie.

    Au risque de confronter le groupe à un conflit d’intérêt, j’ai participé à la tombola Bigre (j’en avais déjà connu une version assez délirante l’année dernière au Périscope de Lyon, les musiciens ayant eux-mêmes assuré l’approvisionnement en cadeaux les plus improbables qui soient). Mercredi, le groupe offrait des peluches animales (suite à une confusion rigolote entre bigre et tigre) : tigres donc, mais aussi lions, panthères et serpents... aux vainqueurs ! Pourtant porteur du ticket numéro 1 (ce qui, on va le comprendre, n’est en rien un avantage), je suis rentré bredouille, m’épargnant peut-être le spectacle du provincial un peu ridicule déambulant dans les rues et le train en encombrante compagnie. On ne pourra pas accuser mon propre fils – chargé d’interpréter le rôle de la main innocente – d’avoir voulu favoriser son père,  et avec le recul, je lui suis infiniment reconnaissant d’avoir laissé à d’autres le privilège d’une propriété risquant de compromettre définitivement ma réputation de blogueur irréprochable... N’empêche... Le hasard réserve de sacrées surprises : imaginez-vous qu’il m’a fallu, de mon côté, tirer au sort parmi les différentes captations vidéo réalisées au moyen de mon petit télépomme. Et que le film gagnant, assez bref, est celui qui met en scène mon rejeton - un certain Pierre Desassis - en pleine exécution d'un chorus au saxophone alto. Nous sommes au début du second set et les dix-neuf Bigre ont attaqué par « Timba Para Los Gringos ». Mais bon... avec ces quelques 104 secondes, vous pourrez vérifier que je n’ai rien inventé et qu’il régnait bien une ambiance chaleureuse du côté du New Morning ; un peu comme si nous avions vécu une soirée de Noël avant l’heure. J’ignore quand je pourrai revoir Bigre ! sur scène, à Paris, à Lyon ou ailleurs, mais sachez que je suis d’ores et déjà impatient.

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  • Douze fois oui

    The-Studio-Albums-1969-1987.jpgAmis de la nostalgie, je ne voudrais pas inciter certains d’entre vous à plonger dans les abîmes d’une célébration quasi pathologique du passé mais... lorsque j’ai appris qu’on pouvait se procurer pour une somme très raisonnable (à peine 3 € le disque) un coffret de 12 CD réunissant l’intégralité des albums studio enregistrés (et ici augmentés) par le groupe Yes entre 1969 et 1987 pour le compte du label Atlantic, mon microsillon interne n’a fait qu’un tour, provoquant dans l’instant l’exhumation de vieux souvenirs qui continuent de me hanter. Plutôt agréables, je dois bien l’avouer même si l’acmé du groupe correspond selon moi à une période beaucoup plus courte: trois années, de 1971 à 1974, une phase hyper créative jalonnée par cinq albums qu’on peut aujourd’hui considérer comme des classiques dans l’histoire du rock progressif (un mouvement qu’il est de bon ton de dénigrer par paresse et dont les réelles richesses m’incitent à vous recommander la lecture du livre éponyme signé Aymeric Leroy aux éditions Le Mot et le Reste) : The Yes Album (1971), Fragile (1972), Close To The Edge (1972), Tales From Topographic Oceans (1973) et Relayer (1974).

    Avant - appelons cette époque le proto-Yes - ce n’était pas encore tout à fait le Yes un peu démesuré, avec ses longues chevauchées aux ornements scintillants (à la limite du clinquant par instants) produits en particulier par la voix haut perchée de Jon Anderson, la guitare virtuose de Steve Howe et les claviers post-classiques de Tony Kaye, puis Rick Wakeman et pour finir Patrick Moraz.

    Ensuite, Yes, victime du gigantisme généré par la nécessaire conquête du continent américain (des sous des sous des sous), mais aussi d’une succession de conflits d’égos stériles, n’offrira plus rien de neuf, d’abord par le truchement de quelques albums plutôt sympathiques mais sans grande surprise (Going For The One, Tormato, Drama) ressemblant à s’y méprendre à des redites un tantinet pâlichonnes, à une époque où d’une part la musique disco avait substitué la transpiration industrielle à la démesure et l’irrationnel, et d’autre part le mouvement punk un primat primate anti-thatchérien à la complexité de compositions désormais excommuniées par une nouvelle dictature les qualifiant de bourgeoises ; puis à travers une résurrection – et le retour de Jon Anderson et Tony Kaye - auréolée de quelques succès commerciaux indéniables (ainsi « Owner Of A Lonely Heart ») dans les années 80, une renaissance d’assez courte durée qui ne se fera qu’au prix de compromis et de concessions faites aux codes imposés par une période peu féconde et avide de simplifications nées d’impératifs de rentabilité assignés aux disques produits : 90125 puis Big Generator, disques écoutables certes, mais bien loin des folles années. Depuis, entre reformations partielles, conflits et brouilles, clones vocaux (ainsi Benoît David, chargé de remplacer Jon Anderson à partir de 2008, un chanteur que Yes est allé débaucher dans un tribute band appelé Close To The Edge !), départs, retours, formations dissidentes... le groupe a donné le mauvais exemple de ces histoires qui n’en finissant pas de finir alors qu’un arrêt raisonné pour motifs artistiques eût été, et de très loin, la solution la plus honorable pour tous.

    J’entends déjà des voix grincheuses s’élever : Yes... mouais, prétentieux, frime, démonstrations vaines, étalage de virtuosité... Toutes ces critiques, je les connais bien, je les entendais déjà à l’époque de mon adolescence lorsque - allongeant sur le sol de la chambre de mon frère une carcasse enfin longiligne, après avoir cru pendant longtemps que ma morphologie ne me permettrait jamais d’accéder à l’altitude d’un corps d’adulte - la tête calée entre les deux haut-parleurs posés par terre, réfugié dans un monde qui me fascinait par sa débauche instrumentale – c’était quand même autre chose que les déhanchements d’Elvis Presley à Las Vegas - je me régalais du moindre détail, de chaque enluminure des arrangements, des solos étincelants de la guitare électrique ou acoustique de Steve Howe (ah cette merveille qui culmine sur « The Ancient » !), du grondement tellurique de la basse de Chris Squire, des envolées du synthétiseur de Rick Wakeman ou des performances vocales de Jon Anderson toujours sur le fil du rasoir, tout au long des quatre faces (avec sur chacune d’entre elles une seule composition) de Tales From Topographic Oceans ! Mon seul regret dans ces 80 minutes de musique, c’était l’absence du grand Bill Bruford à la batterie, parti après Close To The Edge et dont le remplaçant Alan White manquait selon moi de subtilité et de mélodicité. J’ai le souvenir très précis, en cette fin 1973 et de crise du pétrole - j'avais acheté le double 33 tours le mercredi 12 décembre, il y a donc 40 ans, presque jour pour jour - de mon grand-père qui était très intrigué par ma posture et que je ne rassurais qu’à moitié sur ma santé mentale lorsque je lui expliquais que c’était pout moi le seul moyen d’entrer dans la musique. Je ne comprenais rien aux textes : aujourd’hui encore, ils restent une énigme pour moi, j’ai beau lire les paroles, je ne sais toujours pas de quoi ils parlent, alors je me réfugiais dans au autre mystère, celui des visuels des pochettes et des graphismes de Roger Dean, ses illustrations un peu magiques venues d’un autre monde, aux confins de la science-fiction et de la poésie, avec cette façon si particulière de dessiner des lettres aux formes rebondies et de les lier entre elles, chaque mot composant à lui seul un dessin. Le double album de 1973 était, à cet égard, un autre sommet dans l’histoire du groupe. Oui, je sais qu’en 2013, il peut paraître un peu niais d’écouter encore ces quelques disques que l’histoire de la musique retiendra peut-être comme une sorte de boursouflure enfantée par des musiciens avides d’une reconnaissance que le seul rock ne pouvait leur apporter. N’empêche : « Yours Is No Disgrace », « Starship Trooper », « Roundabout », « Heart Of The Sunrise », « Close To The Edge », les quatre longs mouvements de Tales From Topographic Oceans, « Gates Of Delirium »... l’idée de retrouver ces quelques pièces maîtresses - alliance de rock, de folk et d'influences classiques - m’enchante.

    Quand je pense que, pour d’obscures raisons que je me garderai bien d’expliquer ici, j’avais revendu en 1976 une flopée de 33 tours au prétexte qu’ils méritaient d’être jetées dans les poubelles de mon histoire... et que dans ce lot se trouvait mes albums de Yes ! Quand je pense que, pris de remords et victime du manque que ressent toute personne qui vient de se séparer d’un objet compagnon, j’en avais très vite racheté quelques uns. Quand je me rappelle avoir rapatrié sur mon ordinateur, beaucoup plus tard et sous une forme dématérialisée, une intégrale des disques du groupe, mais dans un format sonore étriqué incompatible avec le besoin d’immersion que provoque l’écoute des albums évoqués un peu plus haut... Alors je vois dans la parution d’un coffret qui inclut bon nombre de bonus tracks une occasion de boucler la boucle et d’évacuer une bonne fois pour tous les regrets nés de cette époque lointaine et de ne pas bouder plus longtemps le plaisir pris à l’écoute d’une musique dont la valeur peut aussi se mesurer aux réminiscences heureuses que sa seule évocation engendre. Cette force-là est irremplaçable.

    Oui, douze fois oui !

  • Deuxième cérémonie de remise des « Coups de Maître »

    Eh oui, le temps passe très vite, les disques n'en finissent pas de pleuvoir au point qu'un rapide calcul suscite mon effarement : depuis un an, j'ai dû “découvrir” environ 150 albums. C'est peu, juste une goutte dans l'océan de la musique, par comparaison au volume de la production mondiale, tous genres confondus ; mais c'est énorme si, comme moi, vous disposez d'environ 365 jours chaque année (parfois 366, je l'admets) pour consacrer un peu de temps à vos passions. Sachant que bon nombre de ces nouveaux arrivants misicaux nécessitent plusieurs écoutes, sachant aussi que leurs prédécesseurs méritent de revenir au front (et parfois, croyez-moi, ils reviennent de très loin et s'accrochent à vos basques en vous suppliant de ne pas les oublier), vous comprendrez aisément que la tâche n'est pas si facile. Passionnante, source de plaisirs multiples mais, tout de même, un sacré boulot ! Quant à l'idée saugrenue consistant à extirper dix élus de cette abondante récolte, on peut la considérer d'un œil amusé, se dire que l'exercice est vain, penser aussi qu'il sera forcément injuste (c'est vrai). Mais ce choix est une façon de revenir en arrière, de se souvenir des émotions les plus fortes et des élans singuliers que certains disques ont suscités. Et d'avoir une pensée pour les oubliés, dont beaucoup nous ont offert des instants singuliers.

    Alors voilà pour l'année 2013 : dix albums, tous très beaux, choisis parmi un grand ensemble dont bien des éléments auraient très pu aisément franchir la barrière de mes « Coups de Maître ». Tiens par exemple, prenez Slim Fat de l'Imperial Quartet... eh bien, il serait volontiers entré dans ma confrérie du moment, rien que pour sa dégaine sonore pas comme les autres et son déluge saxophonique...  Pareil pour Le Rêve de Nietzsche de Jean-Rémy Guédon et son Archimusic, quand jazz et hip hop s’acoquinent avec la philosophie... Et je ne vous parle même pas des Passagers du Delta, du Trio ALP, si beau, en deux temps, dans son livre élégant.

    Et puis, on va encore me dire que la coloration de ma sélection est très hexagonale ! J'assume ces choix, ce qui ne signifie pas pour autant que j'ignore la musique qui a vu le jour ailleurs, Outre-Atlantique notamment. Mais je connais plein d'amis qui parlent très bien, beaucoup mieux que moi, de musique et dont les écrits sont toujours passionnants : Jean-Jacques Birgé, Franpi Sunship, Mozaïc Jazz, Les Dernières Nouvelles du Jazz, Belette Jazz, Ptilou's Blog, JazzOCentre, Jazzques, Les Allumés du Jazz, et quelques autres que vous n'aurez aucun mal à dénicher. Vous pouvez prendre le risque d'aller faire un petit tour chez eux : dans le pire des cas, ils vous donneront envie de vibrer encore plus fort avec leurs choix ; dans le meilleur, ils finiront pas vous convaincre que – comme nous tous – il vous faudra vivre d'autres vies pour étancher votre soif de musique !

    Ma petite sélection sans prétention apparaît dans l'ordre chronologique de l'arrivée des disques dans ma boîte aux lettres. Il m'est arrivé d'écrire à leur sujet, n'hésitez pas à cliquer sur les repères... pour en savoir [+] !

    Festen
    Family Tree

    festen, samuel blaser, remi gaudillat, christophe marguet, alban darche, art sonic, gordiani desprez scarpa, olibier bogé, dominique pifarely, pan-GDeuxième volet des aventures de cette jeune quarte qui allie la science du jazz à l’énergie du rock. Damien Fleau (saxophone), Maxime Fleau (batterie), Jean Kapsa (piano) et Oliver Degabriele (contrebasse) écrivent une musique dense, nerveuse et habitée. Ils savent aussi atteindre l’épure, privilège des grands, leur « Grandfather’s Bed » en est une preuve. On est heureux de se sentir un peu comme membre de cette belle famille au sein de laquelle circule une énergie très contagieuse. [+]

    Samuel Blaser
    As The Sea

    festen, samuel blaser, remi gaudillat, christophe marguet, alban darche, art sonic, gordiani desprez scarpa, olibier bogé, dominique pifarely, pan-GEncore une très belle année pour le tromboniste ! Hyperactif, notre Helvète préféré a notamment doublé la mise avec deux albums qui séduisent par la somme d’imagination et de liberté qu’ils respirent. Tout récemment, Mirror To Machaut offrait une relecture limpide de la musique de deux Guillaume du Moyen-Âge : de Machaut et Dufay. Mais avec As The Sea, Blaser avait sculpté quelques mois plus tôt la matière sonore d’un univers mouvant et jamais fini, en compagnie de ses amis Marc Ducret, Gerald Cleaver et Bänz Oester. Un disque énigmatique et passionnant de bout en bout.  [+]

    Rémi Gaudillat
    Le chant des possibles

    festen, samuel blaser, remi gaudillat, christophe marguet, alban darche, art sonic, gordiani desprez scarpa, olibier bogé, dominique pifarely, pan-GLe souffle cuivré d’un quatuor libre et onirique : celui de Rémi Gaudillat et Fred Roudet (trompette, bugle), Loïc Bachevillier (trombone), Laurent Vichard (clarinette basse). Quatre musiciens qui savent demander à leurs instruments de dépasser leur rôle de respirateurs naturels et leur donner le muscle de la pulsation. Leur musique entre ombre et lumière exhale un parfum impressionniste des plus séduisants, elle est une porte grande ouverte sur un imaginaire poétique dans lequel on plonge sans réserve. [+]

    Stéphane Chausse & Bertrand Lajudie
    Kinematics

    festen,samuel blaser,remi gaudillat,christophe marguet,alban darche,art sonic,gordiani desprez scarpa,olibier bogé,dominique pifarely,pan-gQuand deux amis décident de se donner les moyens et le temps de faire aboutir un vieux rêve : jouer une musique dont chaque détail compte, par un travail d’orfèvre appliqué à une matière sonore qui fait l’objet d’un soin maniaque. Leur jazz funk bienvenu est habité d’un gros son, il est interprété par une ribambelle d’amis dont certains ne sont pas les derniers venus, comme Marcus Miller. Un disque de plaisir total, qu’on écoute avec gourmandise en se disant qu’une production aussi aboutie est tout de même rare de nos jours. Chouette cadeau ! [+]

    Christophe Marguet Sextet
    Constellation

    festen, samuel blaser, remi gaudillat, christophe marguet, alban darche, art sonic, gordiani desprez scarpa, olibier bogé, dominique pifarely, pan-GUn récidivisite, déjà haut placé en 2012, j'espère ne pas l'assommer avec mes coups de mâitre à répétition... Cette fois, le batteur joue la carte d’une dream team aux couleurs chatoyantes et forme un orchestre dont les richesses n’en finissent pas de se dévoiler au fil des écoutes. Constellation est de ces disques dont on peut dire sans se tromper qu’ils sont empreints de magie. Normal, Christophe Marguet s’est entouré de magiciens : Régis Huby (violon), Steve Swallow (basse), Benjamin Moussay (claviers), Chris Cheek (saxophone) et Cuong Vu (trompette). Du grand art. [+]

    Gordiani, Desprez, Scarpa
    21

    festen, samuel blaser, remi gaudillat, christophe marguet, alban darche, art sonic, gordiani desprez scarpa, olibier bogé, dominique pifarely, pan-GLa formule est d’une apparente simplicité. 21 signifie ici 2+1, et plus exactement deux guitares et une batterie. Une combinaison originale et très électrique. Il y a ici tout ce qu’on aime (enfin, quand je dis on, je parle de moi, mais je sais que je ne suis pas seul à penser ainsi) : l’énergie, l’imprévu, le mystère, la fougue, les élans... En quarante minutes, Philippe Gordiani, Julien Desprez et Emmanuel Scarpa mettent les doigts dans la prise de courant de leur imaginaire et zèbrent de leurs éclairs notre ciel qui ne demande pas mieux qu’on lui fasse ainsi frissonner les étoiles. Coup de cœur et de foudre garantis à tous les amoureux des escapades un peu folles ! [+]

    Ensemble Art Sonic
    Cinque Terre

    festen, samuel blaser, remi gaudillat, christophe marguet, alban darche, art sonic, gordiani desprez scarpa, olibier bogé, dominique pifarely, pan-GDécidément, Sylvain Rifflet (clarinette, saxophone) et Joce Mienniel (flûte) sont au sommet de leur art. En 2012, ils figuraient déjà en très bonne place dans ce palmarès. Avec l’Ensemble Art Sonic, ils inventent un univers géographique et sublimé, une musique de chambre du XXIème siècle. A leurs côtés, Cédric Chatelain (hautbois, cor anglais), Baptiste Germser (cor) et Sophie Bernardo (basson) sont les pièces vitales d’un quintette à vents irrésistible. Mine de rien, on assiste avec ce très beau disque à la naissance d'une musique qui n'en est qu'à ses premiers frémissements, en attendant la suite, qui nous comblera. [+]

    Olivier Bogé
    The World Begins Today

    festen, samuel blaser, remi gaudillat, christophe marguet, alban darche, art sonic, gordiani desprez scarpa, olibier bogé, dominique pifarely, pan-GQue la lumière soit ! Après nous avoir raconté l'histoire d'un voyageur imaginaire, le saxophoniste prouve avec son second disque qu’il est bien plus qu’un jeune musicien talentueux : il est aussi un humain conscient, en quête d’un chant solaire qui irradie sa musique de la première à la dernière note. Il est entouré d’amis de renom : Tigran Hamasyan, Jeff Ballard, Sam Minaie. Ces derniers savent mettre leur art, avec humilité, au service d’une inspiration/respiration commune qui s'épanouit sur des compositions d'une grande limpidité. Bogé partage, partageons sa musique... [+]

    Dominique Pifarély / Ensemble Dédales
    Time Geography

    festen, samuel blaser, remi gaudillat, christophe marguet, alban darche, art sonic, gordiani desprez scarpa, olibier bogé, dominique pifarely, pan-GAussitôt arrivé, déjà au sommet de la pile ! Neuf musiciens haut de gamme composent l’Ensemble Dédales dirigé par le passionnant violoniste Dominique Pifarély : Guillaume Roy (alto), Hélène Labarrière (contrebasse), Vincent Boisseau (clarinettes), François Corneloup (saxophone baryton), Pascal Gauchet (trompette, bugle), Christiane Bopp (trombone), Julien Padovani (piano), Eric Groleau (batterie), tous au service d’une musique à la fois savante et nourrie d’une pulsion hypnotique, libre et engagée dans l'invention de nouveaux paysages entre jazz et musique de chambre contemporaine. Time Geography est un disque aux variations subtiles, dont les richesses se dévoilent au fil des écoutes. 

    Alban Darche
    My Xmas traX

    festen, samuel blaser, remi gaudillat, christophe marguet, alban darche, art sonic, gordiani desprez scarpa, olibier bogé, dominique pifarely, pan-GC’est d’une certaine manière le label Pépin et Plume d’Alban Darche qui est ici récompensé. Sa première référence, L’Orphicube, manifestait un fort pouvoir de séduction. Mais en fin d’année, le saxophoniste glissait au pied du sapin un second disque, une boîte de Noël un peu magique, pleine à craquer de chants tels que tous les enfants que nous sommes rêvent d’écouter le soir de la veillée. Un disque durable et enchanté, au plaisir augmenté par la lecture d'un conte signé Franpi Barriaux. Quoi, on n'a plus le droit de dire du bien des copains ? [+]

    Alban Darche, pour ses deux albums pépinoplumesques, mais aussi parce que les mois qui viennent de s’écouler nous auront valu de sa part d’autres disques ô combien précieux, reçoit à l’unanimité de mon jury (dont je suis le seul membre, je le précise par honnêteté, et je ne vous cacherai pas qu'il m'arrive fréquemment de ne pas être d'accord, ce qui complique beaucoup les choses, parfois) le Maître d’Honneur 2013 : Cube, Gros Cube ou Orphicube, tout est bon chez le saxophoniste ! Ce ne sont pas les camarades Citoyens Julien ou Franpi (encore lui...) qui me démentiront...

  • Hotte Club

    alban darche, the amazing keystone big band, olivier calmer, caravane gazelle, pierre et le loup et le jazz

    Nom d’un renne et d’un traîneau : nous sommes déjà le 9 décembre et Noël approche à grands pas... Vous, je ne sais pas, mais moi, je n’ai guère envie de me mêler à la foule affolée des derniers jours, celle de la ruée vers ce Graal de l’achat forcené, du cadeau qui manque et des listes incomplètes parce qu’il ne faut oublier personne. Mus par une nécessité de la dernière minute, je crains que mes contemporains soient encore plus insupportables que d’habitude aux abords des magasins, obéissant à une urgence mystérieuse qui leur commande de se soumettre aux injonctions consuméristes de cette période dite « des fêtes de fin d’année ». Je vous vois venir : vous allez me traiter de grincheux, de vieux ronchon et de rabat-joie. Pas si sûr. En réalité, vous faites erreur : l’idée de Noël m’est plutôt agréable ; elle fait remonter à la surface de mes émotions intimes des plaisirs simples, avec des sourires d’enfants, des étonnements aux yeux grands ouverts, un zeste d’innocence et un petit parfum de cannelle. C’est la course impitoyable aux achats commandés qui me navre un peu, non que je répugne à déposer des cadeaux sous le sapin de Noël, mais parce que je fuis comme la peste l’idée d’une course panique à l’ultime seconde avant la fermeture des magasins, celle au bout de laquelle on peut aller jusqu’à s’acquitter de sa tâche en se procurant n’importe quel objet made in RPC. Et je suis un peu comme certains dont les oreilles souffrent lors de leurs déambulations dans les rues sonorisées à grands coups de chansons médiocres censées traduire l’esprit de fête qui doit les animer. A tout prendre, je préfère le silence.

    Garnir la hotte du Père Noël, déposer un paquet au pied du sapin, je veux bien. Je le ferai même avec le plus grand plaisir, mais pas au prix d’une gymnastique commerciale dont je sortirai épuisé et un peu écœuré aussi. On peut (se) sortir de cette redoutable épreuve en visant un peu plus haut que le niveau de la dernière trouvaille destinée à hypnotiser les enfants jusqu’à ce que, très vite lassés par la vanité de l’enjeu, ces derniers se retournent vers des activités plus enrichissantes pour l’esprit. Quand je vous dis que je suis un optimiste... Ce sera d’autant plus simple que j’ai déjà en tête quelques idées musicales du meilleur effet. Eh oui, de la musique : de quoi voulez-vous donc que je vous parle ? Je ne vais tout de même pas demander un nouveau modèle de pace maker, n’est-ce pas ? Il est déjà programmé pour mes étrennes 2016… Non, ce que je veux voir dans la hotte, c’est de la musique pour Noël, parfois de la musique de Noël, parfois les deux en même temps, aussi. Pas vulgaire, mais durable, entêtante et qui vous élève. Parce que je pense aux enfants, tous ces petits humains qu’on fait plonger trop vite dans l’abime de nos vies d’adultes, parce que leurs premières années sont à trésor à préserver à tout prix.

    Tenez, prenez un disque comme my Xmas traX d’Alban Darche, que vous pouvez vous procurer pour une somme très raisonnable dans une Xmas boX numérotée à la main du meilleur effet avec, à l’intérieur : le disque bien sûr, rempli de chants pour la plupart très connus que le saxophoniste transfigure avec grâce, mais aussi un livret de 24 pages incluant un conte (Ô rumeurs de confort et de joie) signé du camarade Franpi et, cerise sur le gâteau, une pluie de petites étoiles et de sapins dorés. Ce disque est la deuxième référence du label Pépin et Plume, après le génial Orphicube du même Alban Darche. Il fait partie de ceux qui tournent en boucle chez moi depuis le jour où je l’ai reçu : voilà une célébration de Noël élégante, originale et éminemment vibratoire. Elle répond précisément au besoin que j’exprimais un peu plus haut car ce disque sent le pain d’épices et la cannelle (je n’ose pas dire qu’il sent le sapin, pour éviter toute méprise, mais pourtant...), il fait vibrer la corde sensible de nos souvenirs d’enfance sans pour autant jouer la carte facile de la nostalgie et du « c’était mieux avant ». Pour mener à bien cette très belle aventure, Alban Darche s’est entouré d’une bonne partie des musiciens de lOrphicube (Nathalie Darche, Mathieu Donarier, François Ripoche, Sébastien Boisseau, Marie-Violaine Cadoret, Christophe Lavergne). Le résultat est confondant de justesse dans la transmission des vraies émotions de l’enfance, alliée à la richesse d’un jazz rendu comme soyeux par le travail du mariage des timbres : piano, saxophones, violon, trompette, sans oublier la voix d’Anne Magouët. C’est beau, tout simplement, limpide et souriant. « Vive le vent », « Petit Papa Noël », « Douce Nuit », « White Christmas » ou encore « Hélène et Ludivine » (dont le titre laisse deviner le chant qu’il dissimule à peine), autant de thèmes universels qui trouvent ici une nouvelle jeunesse, qu’on imagine volontiers éternelle. Alban Darche nous fait un très beau cadeau (plus exactement, on pourrait dire qu’il les a multipliés en cette année 2013 très prolifique pour lui) et sa Boîte de Noël est à commander d’urgence. Noël ou pas Noël, ses Xmas traX sont à découvrir absolument : je vous garantis, foi de Maître Chronique, que vous ne le regretterez pas et vous glisserez cette galette dans votre lecteur à tout moment, y compris en l’absence de vos enfants. Ce n’est pas l’Arche de Noé, mais le Darche de Noël !

    On pourrait me rétorquer que les dix-huit musiciens de l’ensemble appelé The Amazing Keystone Big Band (ainsi dénommé parce que leur club fétiche est la Clef de Voûte à Lyon, amis bilingues, vous m’avez compris) n’ont guère besoin qu’on leur fasse une publicité supplémentaire. Tout leur réussit en ce moment : la sortie de leur adaptation jazz de Pierre et le Loup sur le label Chant du Monde bénéficie depuis plusieurs semaines d’une belle exposition dans les médias (radios, télévisions, journaux, ils ont été nombreux à en vanter les qualités) et leur récent concert à la Salle Gaveau (qui affichait complet depuis pas mal de temps) a confirmé toute l’étendue de leur talent. Je le sais, j’y étais, flanqué d’une ribambelle familiale au beau milieu de laquelle trônait fièrement ma splendide petite-fille. Qui n’a pas perdu une miette du spectacle ! Donc, oui, on en a beaucoup parlé. Mais tout de même... Quel plaisir que ce disque, quelle belle santé affichée ! Je peux vous garantir la joie qui vous gagnera au moment où vous observez des enfants, les vôtres peut-être, voire vos petits-enfants, écarquillant les yeux en écoutant le texte dit par Denis Podalydès : ce dernier a endossé le rôle du récitant (il est accompagné dans cette tâche par l’actrice Leslie Menu) et leur explique les instruments avant de raconter cette drôle d’histoire dont la musique, signée Prokoviev, comme vous ne l’ignorez pas, a été passée à la moulinette jubilatoire des arrangements de Bastien Ballaz, Fred Nardin et Jon Boutellier. Ici, c’est la flûte traversière et la trompette avec sourdine qui jouent le rôle de l’oiseau ; le saxophone soprano est le canard ; le chat, quant à lui, est représenté par le saxophone ténor ; le saxophone baryton endosse les habits du grand-père ; trombones et tuba sont le loup menaçant ; les cordes (piano, guitare, contrebasse) sont chargées de représenter Pierre tandis que l’ensemble du Big Band forme les chasseurs dont les coups de feu sont tirés par la batterie. Une belle leçon de musique administrée par un groupe explosif qui sait ne pas se prendre au sérieux tout en accomplissant un travail très soigné, haut en couleurs et finalement très pédagogique. Côté sapin de Noël, préférez l’album CD dont le format plus large (25 X 25 cm) conviendra parfaitement aux plus jeunes, avides de découvrir cette histoire illustrée par Martin Jarrie. Vos enfants auront beaucoup de chance s’ils peuvent ainsi entrer dans l’univers du jazz dont les styles leur sont présentés incidemment au fil des aventures de Pierre : swing, New Orleans, blues, free jazz, etc. Pierre et le Loup et le Jazz, voilà un disque qui ne risque pas de passer de mode ! Une belle idée, vraiment.

    Enfin, je serais vraiment injuste en oubliant un troisième et chouette cadeau à faire à tous les enfants : honte à moi, la Caravane Gazelle composée par l’excellent Olivier Calmel ne date pas d’hier, je crois me souvenir qu’elle a été publiée en 2011. Mais qu’importe, mieux vaut tard que jamais après tout ! Car ce conte musical est un enchantement, un plaisir qui ne s’éteint pas au fil du temps et qui mérite mieux que la discrétion dans laquelle il a vu le jour et le quasi silence médiatique qui a enveloppé d’une brume silencieuse sa publication. Écrit par Florence Prieur, il nous raconte l’histoire d’une gazelle qui trouve refuge au sein d’une caravane dans le désert et se lie d’amitié (et plus si affinités, mais ceci ne nous regarde pas) avec le chameau qui a soigné sa blessure. Au départ, on se méfie d’elle parce qu’elle n’est pas du sérail mais très vite, le groupe va découvrir les richesses de l’autre, celles qu’on ignore par refus des différences (on a compris qu’il s’agit là d’un hymne à la tolérance). La petite gazelle n’a pas son pareil pour trouver les points d’eau essentiels à la vie du groupe qui va l’entourer de sa protection après s’être méfié d’elle. Cette histoire sensible – et tellement d’actualité - racontée par Julie Martigny, bénéficie d’une magnifique mise en musique chambriste et contemporaine grâce au quintette Artecombo et ses instruments à vents (flûte, hautbois, clarinette, cor et basson). On savait qu’Olivier Calmel était un compositeur prolifique et protéiforme, il en fait ici une nouvelle démonstration. Caravane Gazelle s’adresse à nous tous et à notre cœur en particulier : l’histoire est belle, universelle, exempte de toute vulgarité infantilisante ; sa musique, exigeante et lumineuse en même temps, est un bel exemple du respect qu’on peut témoigner envers les enfants, tous les enfants.

    Si avec tout ça, Noël n’est pas une fête (de la musique), alors vraiment je ne peux plus rien pour vous.

  • Mégalithe

    philippe gleizes, caillou, soleil zeuhlLes connaisseurs vous le diront : Philippe Gleizes est batteur et Caillou une formation surpuissante. Pas n’importe quel batteur, soit dit en passant. De la famille calorifère de ceux dont le jeu ruisselle de débordements multiples et le corps transpire à l’unisson d’une musique qu’on a tôt fait de cataloguer comme Zeuhl, mais dont les inspirations sont aussi à chercher du côté des musiciens anglais un brin pataphysiques et échevelés, vaillants créateurs de l’École dite de Canterbury (ses géniteurs étant, vous ne l’ignorez pas, les fondateurs de Soft Machine, au premier rang desquels Robert Wyatt et Hugh Hopper). Mais, l’évidence est là : il ne fait aucun doute que Gleizes compte parmi ses maîtres un batteur premier, Christian Vander – père de la Zeuhl, justement, et qui a fait appel à lui il y a peu pour une série de concerts avec Offering – dont il partage l’omniprésence et l’expressionnisme un brin  démesuré.

    Pourquoi parler à tout va de Zeuhl ? C’est la question piège, d’autant que son inventeur nous invite à penser que ses possibles héritiers confondent parfois le fond et la forme (certains d’entre eux ont pris le compliment un peu en travers de la gorge, il faut quand même le préciser). Mais affilier Gleizes à ce courant ne relève toutefois pas du contresens kobaïen, me semble-t-il. Parce que sa batterie est hantée par un foisonnement typiquement vandérien ; parce qu’elle occupe une place centrale dans la musique et dégage une puissance similaire et survoltée, à l’instar de celui dont Elvin Jones reste la référence en la matière ; parce que gronde dans son monde fiévreux une basse terrienne qui évoque celle des aînés que sont Jannick Top et Bernard Paganotti ou, plus récemment, leur disciple Philippe Bussonnet ; parce que le Fender Rhodes, autre instrument fétiche de cette école aux échos puissants, est au cœur du dispositif de toutes les compositions ; parce que la guitare est résolument électrique, à la fois rageuse et mélodique ; en l’absence de voix humaine, c’est elle qu’on charge de l’exposition des thèmes. Évoquant celles qui ont fait les belles heures des groupes nés dans le sillage de Magma (l’un des plus contemporains étant One Shot) mais aussi, il faut bien le souligner, de ses cousines d’Outre-Manche citées un peu plus haut (Matching Mole, National Health, pour n’en citer que deux). Voilà, en quelques lignes, un petit échantillon d'apparentements formels qui m’autorisent à penser ainsi. Sur le fond, je suis moins affirmatif : Magma est une famille à part, c’est une contrée farouche où la musique est le vecteur d’une vision singulière du monde, qui ne trouve pas nécessairement en Caillou un disciple zélé. Gleizes a ses propres histoires à nous raconter, et c’est tant mieux. Chez lui, il est question de Frankenstein ou de Dracula, mais aussi d’Indiens, de chiens qui dansent ou d’une nébuleuse. Son univers est bigarré, imprévisible et pas forcément soumis à un ordre logique ni à une organisation universelle.

    Parlons un peu de lui : le bougre n’en est pas à son coup d’essai. Adeptes de la toile, vous éprouverez des difficultés à réunir les pièces de son dossier pourtant déjà bien chargé : vous le dépisterez aux côtés de Médéric Collignon au sein du Jus de Bocse ; ou membre d’une sacrée clique baptisée United Colors Of Sodom, sous la direction de Jean-Philippe Morel ; tiers de N’Walk aux côtés de deux kobaïens pur jus (James McGaw et Bruno Ruder) ; répondant à l’appel de Call The Mexicans (Jean-Philippe Morel, encore) ; inspirateur de Gleizkrew (un trio dans lequel on trouve le saxophoniste Hugues Mayot lui-même présent dans United Colors Of Sodom…). Et aujourd’hui co-fondateur avec Rudy Blas d’un drôle et réjouissant Caillou qui, je le confesse, ne m’a pas laissé de marbre !

    On l’a compris : Gleizes et ses amis Rudy Blas (guitare), Mathieu Jérôme (Rhodes, claviers), Charles Lucas (basse), c’est du costaud, de l’énergie à l’état brut qui ne s’embarrasse pas de minauderies pour propulser le répertoire de leur quatuor vers la stratosphère, vers cet ailleurs si prisé des artistes engagés dans leur musique jusqu’à leur ultime souffle, là où se frictionnent le chant des mélodies et les pulsions vitales d’une musique qui ne saurait accepter la demi-mesure. Une musique de l’échauffement des particules, entre ombre et lumière. Et si ses élans évoquent directement Magma (ainsi, « Dancing Dogz » est habité d’un souffle qui tangente celui de « Zombies »), on se rend vite compte de la diversité des inspirations. Ainsi, après l’exposition de son thème aux accents de chants guerriers Indiens, le cœur de « Tomahawk » et son chorus au Fender lorgnent plus du côté du jazz sinueux de Matching Mole, en mode survitaminé. « Païens » ou « Les Carpates »  affichent des couleurs jazz-rock, dans la lignée du Mahavishnu Orchestra ou du Lifetime de Tony Williams. Gleizes est un formidable technicien de la batterie, il sait entraîner le groupe dans sa propre folie sans l’écraser par son jeu, chacun des musiciens s’aventurant dans un combat fraternel et euphorisant (« Victor F. »). Dix compositions, toutes originales, dont une majorité signées de Gleizes, avec l’appui de ses camarades qui s’y collent également, pour un voyage haletant où les temps de pause ne vous seront que rarement accordés : « Hum Hum », pour commencer en souplesse, « Goban », plus céleste sans pour autant être vaporeux, « 200 Toiles » jusqu’au moment où la guitare zèbre l’espace de ses stridences ; de plus, les invitations à une transe tournoyante sont au programme (« Spirales »). Mais quelle importance après tout ? Il sera bien temps de se reposer plus tard, après... Ici, c’est l’urgence qui commande. Un point c’est tout. Et ne vous fiez pas aux 3’23" annoncées par la première partie de « Nébuleuse » : votre patience sera récompensée par ce qui en est peut-être la seconde, une dernière progression frénétique, après deux minutes d’un silence malin.

    Mais au fait, pourquoi Caillou ? C’est une histoire liée à la Bretagne, là où Philippe Gleizes était installé à l’époque où a germé l’idée du groupe. Une discussion avec Rudy Blas plus tard et le nom était trouvé. La Bretagne, pays de la pierre, du granit, symbole de résistance (parce qu’il faut savoir en faire preuve pour défendre une musique aussi peu consensuelle), bon sang mais c’est bien sûr ! Oui d’accord, mais le nain alors ? Pourquoi le nain (qui arbore un bonnet rouge, c'est à la mode en ce moment...) ? Eh bien, parce que le nain, au demeurant personnage fort sympathique, creuse au fond des mines dans les légendes, c’est un travailleur de la pierre et puis… avec la compagnie d'un tel personnage, vous disposez des moyens de réaliser une pochette qui ne ressemble pas aux autres ! Un gentil nain, mais à la tête dure…

    Ah, tiens, avant de finir… Je profite de la publication de cet album pour souligner une fois encore le travail d’Alain Lebon dont le label Soleil Zeuhl – tout doucement, dans la discrétion imposée par une conjoncture pourvoyeuse de toutes les vulgarités clinquantes et analphabètes et au-delà de toutes les difficultés qu’on peut imaginer dès lors qu’il s’agit de faire exister un catalogue exigeant –  est à défendre coûte que coûte. Il est un refuge précieux pour des musiques habitées d’une même synergie, celle qui naît de l’alliance entre la profondeur de l’âme et la chaleur du muscle. Remercions-le de faire en sorte que les Japonais ou les Américains ne soient pas les seuls désormais à se battre pour une telle cause musicale. Le disque de Caillou sort sur Soleil Mutant, qui est en quelque sorte le second label de Soleil Zeuhl, dans un souci de diversification après 15 ans d’existence, mais dont l’esthétique devrait rester proche de celle de sa matrice. Il y a quelques mois, sous la houlette de l’excellent Nicolas Candé, Setna publiait une Guérison aux vertus solaires, que j’avais évoquées ici-même ; plus près de nous, le 18 septembre, un Soleil Zeuhl Festival se tenait à Paris (avec le renfort d’autres formations telles que Neom ou le Scherzoo d’un autre batteur, François Thollot). J’ai quelques scrupules à écrire ici – parce que les jeux de mots n’ont pas manqué – que Caillou est une nouvelle et belle pierre à cet édifice à la fois fragile par sa constitution et solide par le feu qui couve en lui.

    Pour finir en musique – parce qu’après tout, c’est bien le plus important – je vous propose quelques minutes d’un concert enregistré par le groupe en 2012, à Malguénac. Caillou vous emmène avec lui pour un voyage du côté des Carpates ! Bonne route !