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  • Majorettes

    pierrick pedron,omry,cheerleaders,franck agulhonL'impatience commence à grandir... Car on sait depuis belle lurette que le saxophoniste Pierrick Pédron va prochainement donner un successeur à son si bel Omry. L'enchantement sera-t-il aussi fort, cette fois ? Allez, je ne veux pas vendre la peau de l'ours mais je suis pleinement confiant. Il y a quelque temps déjà, Pierrick m'avait permis d'écouter quelques extraits de son nouveau disque : pas de doute, la belle aventure va continuer, tant ce que j'ai eu entre les oreilles me semble résolument indéfinissable et pourtant continuateur de l'expérience en cours.

    Pierrick Pédron a reconduit pour l'essentiel la même équipe que pour Omry : Laurent Coq (piano, Fender Rhodes et arrangements), Vincent Artaud (basse), Chris De Pauw (guitare), Fabrice Moreau et Franck Agulhon (batterie), avec cette fois l'entrée en piste de Ludovic Bource (orgue), ainsi que d'autres participants, plutôt nombreux à la fête : chanteuses, cuivres, percussions. Il y aura dans cette musique quelque chose qui s'apparentera à une fanfare un peu extraterrestre...

    Cheerleaders est annoncé pour la rentrée : d'ici là, vous pouvez vous faire une première idée de ce qui nous sera proposé en jetant un petit coup d'œil (et d'oreille, surtout), à une vidéo qui nous montre le groupe en studio.

    Et puisque les vacances approchent - comprenez par là que les publications sur mon blog se raréfieront peut-être un peu entre la mi-juillet et la mi-août, je vous offre un modeste cadeau de circonstance : le texte que j'avais écrit pour illustrer la photographie de Pierrick Pédron (signée Jacky Joannès) dans le cadre de notre exposition automnale Portraits Croisés.

    [ L’héritage du futur ] Il y a comme une évidence paresseuse à vouloir démontrer que son saxophone alto exhale des fragrances Parkeriennes et virtuoses. On sait maintenant que le monde composite de Pierrick Pédron – Omry – est hanté par bien d’autres esprits futuristes, qui savent invoquer tour à tour les scansions hypnotiques d’Oum Kalthoum et l’héritage électrique de Pink Floyd. Pierrick Pédron déjà figure parmi les grands...

    Post-scriptum : j'ai évoqué, pas plus tard qu'hier soir, la parution prochaine de Cheerleaders en compagnie de Franck Agulhon tout juste rentré d'une belle tournée en Asie avec Eric Legnini : il fallait voir la lumière briller dans ses yeux, du seul fait de parler de l'aventure Pédron et de se réjouir par avance de la joie d'avoir à partager bientôt ces moments qu'il semble avoir vécus comme un nouveau bonheur artistique. Un Franck Agulhon, venu le temps d'un soir, retrouver ses vieux amis (au premier rang desquels Jean-Marie Viguier) pour jouer la musique de Pat Metheny. Cet homme-là est non seulement un batteur de premier plan, il est aussi un être humain adorable, totalement préservé des méfaits que sa notoriété pourraient lui valoir : je le connais depuis une bonne quinzaine d'années et je le retrouve à chaque fois tel qu'en lui-même, savant cocktail de talent et de chaleur humaine.

     

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    Franck Agulhon pose pour © Jacky Joannès avant de célébrer Pat Metheny

  • Nguyên Lê - Songs of Freedom

    nguyen le, songs of freedom, citizen jazzDécidément, le rock et ses différents affluents n’en finissent pas de s’épancher hors du cadre qui est théoriquement le leur… On ne compte plus les musiciens de jazz qui vont faire un tour du côté de ce monde souvent binaire, rendant perméables les frontières entre les deux univers et nous rappelant par la même occasion que leur histoire s’est aussi construite au son des Beatles, de Stevie Wonder, de David Bowie ou de Led Zeppelin, pour ne citer que quelques têtes d’affiche parmi les plus revisitées.

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  • Chaud devant !

    Je vous ai donné beaucoup (trop ?) à lire avec ma note consacrée au monumental Africa / Brass Sessions de John Coltrane. Aussi, ce n’est pas sans un certain plaisir mâtiné de la fierté du nigaud parvenu à délacer ses chaussures sans les entortiller en un nœud définitif, le soir en rentrant du boulot, que je vous propose un retour en arrière plus visuel qu’écrit sur une soirée festive à laquelle il m’a été donné d’assister tout récemment.

    electro deluxe, big band, new morningMais que les choses soient claires, afin qu’on ne me suspecte pas de partialité paternelle : si je me suis rendu lundi soir au New Morning pour voir (et écouter) le concert d’Electro Deluxe version Big Band, c’est bien à l’origine parce que, parmi les treize soufflants que le groupe s’était adjoints pour l’occasion, se trouvait un saxophoniste connu de certains sous l’identité de Madjazz Boy et qui, par ailleurs, doit assumer avec courage et ténacité depuis un peu plus de 26 ans le fait d’être mon fils. Cette relation père-fils étant ainsi déclarée, je me sens d’autant plus libre d’écrire ici, indépendamment de toute appréciation à caractère familial, le plaisir qui aura été le mien de vibrer durant plus de deux heures dans une moiteur souriante à une musique fiévreuse et ruisselant d’un groove bienfaisant. Quel bonheur en effet – malgré une température ambiante rien moins que tropicale – de pouvoir dire noir sur blanc (ou plutôt blanc sur noir) que cette soirée aura été une absolue réussite, un de ces moments dont on sait au moment précis où on les vit qu’ils sont là, pour toujours, inscrits quelque part dans notre mémoire pourtant si anarchique et chaque jour plus incertaine.

    Electro Deluxe jouait à guichets fermés dans un New Morning plein comme un œuf : son line-up de base (Gaël Cadoux aux claviers, Arnaud Renaville à la batterie, Jérémie Coke à la basse et Thomas Faure au saxophone mais aussi, et surtout pour ce qui nous concernait ce soir-là aux arrangements, totalement réécrits pour l’occasion – un super bravo, Thomas !) a bénéficié du renfort de cinq saxophonistes, quatre trompettistes et quatre trombonistes. Excusez du peu ! Dès les premières secondes de sa mise à feu, l’ensemble a fait parler la poudre, interprétant pour l’essentiel le dernier disque, Play, proposant un petit retour sur Stardown avec « Point G » ainsi que sur Hopeful pour une reprise charnue du « Stayin’ Alive » des Bee Gees. Le feu d’artifice était prêt, totalement dynamité par la présence survoltée du chanteur James Copley, qui n’a pas ménagé son talent ni sa transpiration pour communiquer au public une fièvre chargée d’un pulpeuse pulsion : ici, sur un tapis jazz et funk dont l’épaisseur cuivrée me rappelait parfois les belles heures du groupe Chicago (en particulier la période de son album V) planaient les ombres d’Otis Redding, de Stevie Wonder et de bien d’autres, bref de toute celle soul music qu’on aime, celle de la Motown, dont pas un seul instant l’âme ne fut confite dans un passé idéalisé par la nostalgie, mais bien au contraire en prise directe avec le ressenti de notre époque : en témoignait la présence de 20Syl, le rappeur d’Hocus Pocus, lors de la dernière partie du concert. Et pour que la fête soit encore plus belle, les deux chanteurs de Because Of Lily (qui avaient assuré une courte et néanmoins chaleureuse première partie) sont venus ajouter leurs voix à celles qui, déjà, nous donnaient beaucoup.

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    [Electro Deluxe Big Band au New Morning]

    Et ton fils dans tout ça ? Ecoutez… ça me gêne un peu d’en parler, parce qu’il était 1/13e du Big Band, pas plus. Mais je vous accorde volontiers qu’il aura eu le privilège de quelques minutes bien à lui lorsqu’il a entrepris l’ascension d’un petit chorus comme il en a le secret sur « Point G ». Et là, c’est toujours pareil, papa a le trac, papa sent son pacemaker qui envoie du courant, papa se sent un tout petit peu responsable d’avoir occasionné indirectement cette exhibition talentueuse, papa se dit qu’il aurait dû obliger son fils à aimer... les maths, la physique, la chimie, à devenir ingénieur ou je ne sais quoi… Un truc bien utile, sérieux avec un costume et une cravate, pas comme la musique et ses saltimbanques dépenaillés… Mais bon, papa quand même un peu fier surtout, hein, mais pas trop, non non, juste content d’être là au bon moment et de participer à la fête. Et puis, je sais pour avoir tendu l'oreille ici ou là que ce moment a été fort prisé du public.

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    [Pierre "Madjazz Boy" Desassis]

    Zut, c’est encore trop de lecture, alors pour me faire pardonner, je vous offre : quelques photos et une vidéo de mon crû, auxquelles j’ajoute un échantillon de petits témoignages filmés trouvés sur la Toile. J’espère qu’ils vous donneront une bonne idée de l’ambiance survoltée qui régnait en ce 20 juin 2011.

    Autant vous dire qu’avec cette bonne grosse dose de musique survitaminée, je n’ai pas un seul instant ressenti le besoin, vingt-quatre heures plus tard, de déambuler à la fraîche dans les rues de Nancy pour slalomer entre les canettes de bière et des passants titubants aux yeux rougis par l’alcool. Je ne sais plus comment on appelle ça. Ah oui, la fête de la musique…

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    [James Copley]

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    [Thomas Faure]


    Et pour quelques minutes de plus, un petit bouquet de vidéos...




  • Africa / Brass Sessions

    Quinzième édition (eh oui, le temps passe si vite…) du rendez-vous désormais trimestriel que nous donne le Z Band, collectif spontané – et moins virtuel qu’il n’y paraît – ayant pour passion commune la musique en général et le jazz en particulier. Lorsqu’un l’un d’entre nous a lancé l’idée de l’Afrique comme sujet de rédaction, mon choix fut vite fait, l’hésitation n’était pas de mise. D’autant que ce mois de juin 2011 est  l’occasion de fêter le cinquantième anniversaire d’un enregistrement fascinant.

    Afrique… Africa… Africa / Brass SessionsJohn Coltrane.

    On me pardonnera, je l’espère, une certaine volonté de concision lorsqu’il s’agira de situer cet enregistrement du saxophoniste dans une carrière météorique. Une note entière n’y suffirait pas : quelques spécialistes ont savamment étudié son parcours et je ne peux que vous recommander la lecture du John Coltrane, Sa vie, sa musique de Lewis Porter sorti aux Etats-Unis en 1999 et publié en 2007 dans sa version française aux éditions Outre Mesure. Une somme qui passionnera non seulement les musiciens mais constituera pour tous une belle porte d’entrée dans l’univers de Coltrane. Pour ce qui est d’une approche discographique, on peut se reporter au site officiel, mais aussi faire un petit tour par ici.

    john coltrane,africa brass,z bandNous sommes donc au printemps 1961. John Coltrane arrive au terme de son contrat avec Atlantic (dont on peut écouter la totalité des disques, assortis de quelques pépites inédites, dans le coffret The Heavyweight Champion) : deux années particulièrement riches, celles qui l’ont vu s’envoler comme leader incontesté après une période dense de tous les apprentissages, parsemées d’un nombre impressionnant de sessions pour le compte du label Prestige (des enregistrements qui ont eux-mêmes fait l’objet d’une réédition sous la forme d’une somptueuse intégrale en 16 CD), mais aussi de son éclosion au sein du quintet de Miles Davis (oserez-vous confesser n’avoir jamais entendu parler de Kind Of Blue ?). A partir de 1959, le saxophoniste va vraiment avancer à pas de géants et se forger un univers hors du commun, progressivement habité d’une très forte spiritualité. Sa réappropriation en octobre 1960 d’un thème tiré d’une chanson populaire, celui de « My Favorite Things » issu de la comédie musicale The Sound Of Music, en est peut-être l’illustration la plus symptomatique. Car non seulement Coltrane y bouleverse la tradition du saxophone soprano, comme s’il s’agissait de réinventer l’instrument, mais il crée l’envoûtement par une version longue et tournoyante, hypnotique et enchantée, qui n’en finit pas de fasciner, plus de cinquante ans après. John Coltrane, inexorablement, entre dans la légende du jazz ; il devient même le sujet d’un article dans le magazine Time. Il y a chez lui quelque chose qui relève alors de la magie.

    En ce 23 mai 1961 donc, date de la première session d’Africa Brass, l’activité de John Coltrane est particulièrement intense car viennent s’y entrecroiser les différents chemins qu’il a dû emprunter comme par nécessité : quelques jours plus tôt, les 20 et 21 mai plus exactement, il est pour la dernière fois de retour en studio avec Miles Davis pour l’enregistrement de deux titres : « Someday My Prince Will Come » et « Teo ». Deux jours plus tard, le 25 mai, il solde son contrat avec Atlantic et met en boîte Olé, qui résonne de l’influence espagnole : la longue composition éponyme (qui occupe à l’origine toute une face du 33 tours) est basée sur un chant populaire connu sous les titres de « Venga Vallejo » ou « El Vito ». Mais Coltrane, travailleur forcené, vient de signer avec un autre label propriété de la Paramount : Impulse. Ce sera d’ailleurs son dernier contrat et rétrospectivement, on associe cet engagement avec tout ce qui fera l’identité Coltranienne : l’innovation, la marche en avant, une quête sans relâche vers une musique qui soit une et universelle, celle d’un cri vital. Autant dire que le premier enregistrement pour le compte d’Impulse revêt une importance capitale. Il s’agit, bien plus qu’un envol, d’une véritable ascension vers des sommets dont il ne pourra jamais revenir. Le climax de cette dernière étape d’une durée de six ans aura probablement été l’année 1965, d’une fécondité confondante et sans véritable équivalent dans l’histoire du jazz.

    La lecture du livre de Lewis Porter nous rappelle la passion que Coltrane vouait aux musiques du monde entier : « L’intérêt pour les gammes et modes venus d’Inde et d’ailleurs était indissociable de la mission plus large qu’il s’était assignée, celle de découvrir les universaux de la musique ». Coltrane aimait beaucoup Ravi Shankar (son propre fils ne s'appelant pas Ravi pour rien...) dont l’aspect modal de son art le fascinait. « Il y a beaucoup de musique modale qui est jouée chaque jour de par le monde. Elle est particulièrement évidente en Afrique mais, que vous vous tourniez vers l’Espagne ou l’Ecosse, vers l’Inde ou la Chine, c’est encore elle que vous retrouvez à chaque instant. Si vous voulez bien regarder au-delà des différences de styles, vous constaterez qu’il existe une base commune ». L’Afrique donc, ce berceau dont Coltrane a étudié les musiques, en particulier par les enregistrements du percussionniste Michael Babatunde Olatunji (en 1962, John Coltrane composera pour lui le splendide « Tunji »).  Il est donc manifeste que le saxophoniste semble s’imprégner véritablement des influences africaines, qu’il assimile de façon régulière. On en retrouve deux témoignages directs : dans la composition « Dahomey » d’une part, sur l’album Olé, et qui aurait été inspirée par un enregistrement in situ de deux chanteurs africains ; et puis, bien sûr, dans « Africa », cœur de ces Africa / Brass Sessions interprétées en grande formation.

    Pour faire aboutir le projet ambitieux de ces Brass Sessions, John Coltrane va en effet réunir un grand ensemble qui vient souffler sur son quartet (McCoy Tyner au piano, Elvin Jones à la batterie, Reggie Workman à la contrebasse) un vent chaud, organique et soyeux, donnant encore plus d’épaisseur à sa musique. Il y a là Eric Dolphy (au saxophone alto, à la flûte et à la clarinette basse) qui s’implique aussi assez largement dans l’orchestration ; une section complète de cors anglais, un tuba, un euphonium ; Booker Little et Freddy Hubbard et leur trompette ; parfois la contrebasse est doublée, par Paul Chambers ou Art Davis. Comme le souligne Lewis Porter, Coltrane voulait davantage se concentrer sur la mélodie, le rythme devenant alors un point de départ. « J’ai un disque africain à la maison et ils chantent ces rythmes, certains de leurs rythmes ancestraux, alors j’en ai emprunté une partie et je l’ai donnée à la basse. Elvin joue une partie et McCoy s’est arrangé pour trouver quelque chose à jouer, des sortes d’accords. (…) Je n’avais pas de mélodie non plus, je l’ai inventée en cours de route ».

    La journée du 23 mai 1961 constituera en réalité la première de deux sessions, la seconde se déroulant quelques jours plus tard, le 4 juin. John Coltrane enregistre d’abord « Greensleeves », un chant traditionnel anglais qui se présente comme une valse et vient s’enchaîner naturellement à celle de « My Favorite Things », quelques mois plus tôt. Pas totalement satisfait de cette première version, Coltrane en souhaitera une seconde, non sans avoir préalablement mis en boîte « Song Of The Underground Railroad », une composition née de ses recherches autour de la musique folklorique du XIXe siècle. Il restera ce jour-là peu de temps pour enregistrer « Africa » qui fait suite à une quatrième composition intitulée « The Damned Don’t Cry ». « Africa » et ses deux lignes de contrebasse, « Africa », massif et dense. « Africa » comme dans un souffle. Encore un choc.

    Comme il en avait l’habitude, Coltrane est rentré chez lui avec, sous le bras, l’enregistrement de cette session. Et même si l’ensemble lui apparut alors satisfaisant, il ressentit le besoin de revenir sur « Africa », d’autant qu’un nouveau rendez-vous en studio était d’ores et déjà programmé pour le 4 juin. Et c’est une formation légèrement différente (une trompette et un cor en moins, Art Davis prenant la seconde contrebasse à la place de Paul Chambers, …) qui commencera par enregistrer « Blues Minor » avant de s’attaquer à deux nouvelles versions de « Africa » : celles-ci diffèrent par bien des détails de la première. Sans entrer dans une exégèse fastidieuse : les cors sont plus mis en avant, Eric Dolphy joue du saxophone alto et ajoute quelques cris. Il semble qu’une plus forte énergie parcoure l’ensemble, ce qui rejaillit bien entendu sur le jeu de Coltrane. Et tout l’intérêt de la réédition en 1997 de ces deux journées atypiques sous la forme d’un double digipack intitulé The Complete Africa / Brass Sessions est de nous permettre, entre autres, de comparer trois versions d’une même œuvre, d’en apprécier les variations subtiles et de faire le constat de l’exigence qui guidait chacun des projets du saxophoniste. Et ce d’autant plus qu’elles sont le témoignage (avec Ascension en 1965) d’une de ses rares incursions vers une musique orchestrale.

    On l’aura compris, le cœur de ces deux sessions, leur colonne vertébrale, ce qui nourrit en réalité l’ensemble du disque est bien « Africa » (et n’enlève rien au reste du disque, bien entendu), longue composition, de 14 à 16 minutes selon les versions, qui gronde d’une pulsion magnifiquement transmise par les contrebasses et la batterie pendant que la section de cuivres lance de longs appels vibrants, comme autant de cris d’animaux sauvages, ceux-ci nous conduisant dans une jungle incertaine, tantôt redoutable, tantôt splendide. La musique dessine des paysages majestueux, une course effrénée commence devant nous. John Coltrane y est incantatoire, déchirant, magistral. On le ressent tellement habité, parcouru d’un souffle vibratoire qu’on en vient soi-même à retenir notre respiration. Elvin Jones nous offre de son côté un chorus lumineux, qui s’éteint sur le battement de la contrebasse avant la reprise du thème final. Un joyau de plus, en attendant les suivants.

    A l’écoute de cette musique enregistrée voici maintenant 50 ans, on comprend très vite que les années qui ont suivi auront été celles d’une musique hors de toutes les normes, une musique qui fera voler en éclats tous les cadres usuels. Quelques mois plus tard, du 1er au 5 novembre, John Coltrane investira le Village Vanguard de New York et bouleversera une fois de plus les codes en vigueur, inventant de nouvelles règles du jeu. Une deuxième pièce majeure à verser au dossier Impulse, qui a réédité en 1997 l’intégralité de ces soirées sous la forme d’un coffret de quatre disques : rien moins qu’essentiel, tant il nous dit le caractère séminal de ces heures. Le Coltrane de la folie débridée est en germe. Et s’il n’y interprète pas « Africa » (seul « Greensleeves » est intégré au répertoire), Coltrane fait la démonstration d’une force presque surhumaine, d’un engagement total – comme originel – et imprime à son art une spiritualité qui ne cessera de grandir durant les six années à venir.

    Aucun doute : la pulsion de l'Afrique – car c’est elle notre sujet du jour, ne l’oublions pas – aura très certainement contribué pour beaucoup à cette évolution foudroyante du saxophoniste, comme par l’injection dans les veines de John Coltrane du sang de la vie… Le plus bel hommage qu’il pouvait rendre à ce continent meurtri.

    Assez parlé, on écoute maintenant : "Africa" (version 3), extrait de la session du 4 juin 1961

    John Coltrane (saxophone ténor), McCoy Tyner (piano), Reggie Workman & Art Davis (contrebasse), Elvin Jones (batterie), Eric Dolphy (bass clarinet), Booker Little (trompette), Britt Woodman (trombone), Carl Bowman (euphonium), Bill Barber (tuba), Pat Patrick (saxophone baryton), Julius Watkins, Donald Corrado, Bob Nothern & Robert Swisshelm (cor anglais).

    Du côté de chez Z, l'Afrique retrouvée :

    JazzOCentre : La trilogie Slavis-Romano-Texier

    Jazz Frisson : Abdullah Ibrahim et le temps dérobé

    Jazzques : Une interview d'Oran Etkin

    Mysteriojazz : L'Afrique, un sujet pas mal gâché...

    Ptilou's Blog : Afrique en chambre, Ballaké Sissoko et Vincent Segal

    Flux Jazz : Beautiful Africa - Bobby Few 4tet z'Avant Garde

     

     

  • Stéphane Belmondo - The Same As It Never Was Before

    stephane belmondo, citizen jazzIl flotte sur ce disque comme un parfum de plénitude… Stéphane Belmondo ne s’en cache pas : The Same As It Never Was Before est l’aboutissement d’un projet qui lui tenait particulièrement à cœur et sur lequel il a travaillé des années. Cinq, pour être exact. Un disque qui lui vaut par ailleurs une signature sur le prestigieux label Verve, celui de son enfance et des disques qu’écoutait son père. On imagine volontiers son bonheur à l’idée d’allier rêves de toujours et réalité…

    L’actualité des Belmondo et de leurs proches est très riche en ce moment : Laurent Fickelson, compagnon de route et directeur artistique de The Same As It Never Was Before, propose de son côté un envoûtant The Mind Thing où le trompettiste est naturellement impliqué. Lionel Belmondo, le vrai frère, réédite de son côté avec une ferveur peu commune son Hymne au soleil, devenu le nom d’une formation pour un album tout aussi réussi que son prédécesseur, Clair obscur.

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  • Parhélie "live"

    Le trio Sphère (Jean Kapsa : piano, Antoine Reininger : contrebasse ; Maxime Fleau : batterie) vient de publier un bel album appelé Parhélie. Ce disque est d’ailleurs l’objet de la chronique que j’écris actuellement pour Citizen Jazz, un texte que vous pourrez (si vous le voulez, bien sûr, je ne peux pas vous y obliger…) lire prochainement en ligne sur le site du magazine. Tout m’indique que je vais proposer qu’il soit classé dans la catégorie « Élu » tant je suis sensible à l’alchimie très séduisante que ces trois jeunes musiciens (ils ont l’âge de mes enfants, eh oui…) ont su créer : un disque extrêmement mélodique, habité d’une retenue qui témoigne de leur grande maturité et sur lequel leurs improvisations sont toujours convaincantes, comme le fruit naturel de leur travail et de leur connivence. Le trio manifeste un bel équilibre qui, à n’en point douter, est implicitement évoqué dans le titre de son premier disque.

    Je n’évoquerai donc ici Parhélie qu’indirectement, après avoir pu assister dimanche soir à un concert de la formation au Théâtre du Petit Hébertot à Paris (Zacharie Abraham remplaçant Antoine Reininger, engagé ailleurs). Dans le cadre intime de cette salle chaleureuse, les trois musiciens ont largement confirmé le bien que peut inspirer leur disque. Surtout, il nous ont montré que cet équilibre dont le centre est variable mais constant – là est bien le sens de ce parhélie musical – s’appuie sur de belles énergies reposant sur des personnalités différentes : presque timide, Jean Kapsa porte un discours souvent méditatif, il sait ne pas jouer une note quand elle n’est pas nécessaire et nous épargne les grands effets de manche et les chevauchées acrobatiques sur son clavier. Maxime Fleau, de son côté, est plus l’homme de la tension, d'une expression progressive de la puissance de son jeu. Remplaçant du moment, Zacharie Abraham a su trouver sa place (on imagine volontiers que l’exercice consistant à s’insérer dans un espace occupé par un autre depuis trois ou quatre ans n’est pas des plus aisés), discrètement mais sans faille néanmoins.

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    Le trio Sphère au Théâtre du Petit Hébertot - Paris, le 29 mai 2011.

    La petite conversation que j’ai pu avoir avec les musiciens après le concert a fini de me convaincre : voilà des artistes humbles et sincères, dont les horizons musicaux ne sont pas finis et qui regardent devant eux. Sphère a proposé une composition inédite ; lors de l’interview, nous avons pu aussi parler de l’autre groupe dont ils sont les membres actifs, Festen, et d’un projet de second disque. Attention : Sphère et Festen sont deux entités bien distinctes, aux esthétiques différentes. Par son approche, le premier est typiquement jazz, quand le second est manifestement porté par une vibration qui lorgne avec bonheur du côté du rock. Mais ce sont les mêmes êtres humains qui interagissent, c’est le même sang qui coule dans les veines des deux formations.

    Des formations que je surveille de près, croyez-le bien, parce qu’elles annoncent une génération d’artistes qui connaissent l’histoire du jazz sur le bout des doigts (voire de la musique classique : pour la petite histoire, on soulignera que Maxime Fleau, avant d’être batteur, a suivi un cursus de clarinettiste) mais qui savent lui adjoindre d’autres chapitres, sans le moindre complexe. Inutile de dire que leur cocktail a tout pour me plaire…

    En écoute, quelques minutes du concert au Théâtre du Petit Hébertot, avec un extrait de "Sept lieues sous les mers".
    Jean Kapsa (piano), Zacharie Abraham (contrebasse), Maxime Fleau (batterie). La captation privilégie (involontairement) le son de la batterie, mais le son d'ensemble me paraît écoutable...

    podcast

    PS : l'illustration est un montage un peu rustique... Parisien d'un jour sans appareil photo, j'ai dû faire avec les moyens du bord : plusieurs clichés pris avec mon téléphone, avant un petit rafistolage informatique, histoire de présenter le trio d'un seul coup d'œil...

  • Nuit d'ombrelle

    Didier Malherbe, Eric Löhrer, Nuit d'ombrelle, citizen jazzOn connaît la passion que Didier Malherbe éprouve depuis près de vingt ans pour le doudouk, instrument à vent originaire d’Arménie et chargé de la mémoire des hommes qui souffle depuis des siècles le velours de ses sons nostalgiques, souvent très émouvants. Cette passion s’épanouit notamment au sein d’Hadouk Trio, réjouissant tant par la personnalité attachante de ses membres (Steve Shehan et Loy Ehrlich) que par son répertoire ethnicisant. On peut en goûter les charmes soyeux au long de sept albums publiés en une quinzaine d’années.

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