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Re(con)naissant

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Et un de plus sur la pile ! Ou plutôt quatre, pour être précis... Il y a tout de même quelque chose qui s'apparente chez moi à un sortilège. Je vous épargnerai toutefois la narration des innombrables épisodes qui lient ma vie de mélomane à la musique du Grateful Dead. Eh oui... encore eux ! Mais comment expliquer ce drôle d'appel auquel je résiste très difficilement dès lors que l'annonce d'un nouveau disque est portée à ma connaissance ? Voilà bientôt quarante ans que ça dure et même si la formation originelle n'existe plus depuis quinze ans - Jerry Garcia, âme du groupe, ayant quitté ce monde au mois d'août 1995 - les Dead Heads voient régulièrement leur soif de musique étanchée par la publication d'un nouveau disque : cette fois, c'est le concert du 7 juillet 1989 au Stade John F. Kennedy de Philadelphie qui est à l'honneur. Trois CD, trois heures de musique et, cerise sur le gâteau, l'équivalent en images ramassé sur un seul DVD. Le titre du mini-coffret est extrait des paroles de « Standing On The Moon », l'une des compositions de Built To Last, disque studio que le Grateful Dead venait de publier et qui serait d'ailleurs son dernier : Crimson, White & Indigo nous présente les six musiciens en excellente forme, malgré la fournaise dans laquelle ils évoluent et le mini short absolument ridicule arboré par Bob Weir, le second et indispensable guitariste.

Une question de forme en effet : trois ans auparavant, Jerry Garcia s'était mis en très grand danger après un coma diabétique qui lui avait valu un long et pénible séjour à l'hôpital. Peu nombreux étaient alors ceux qui auraient parié sur son retour ! Mais le Captain Trips, grand consommateur de substances illicites et très nocives, avait beaucoup appris de cet accident : « Quand j'étais à l'hôpital avec des tubes branchés un peu partout, je pensais aux millions de choses que j'aurais pu faire au lieu d'être allongé sur un lit ». Il disait vrai : l'année suivante, le Grateful Dead enregistrait In The Dark, l'un de ses meilleurs disques et se payait même le luxe d'un hit single avec « Touch Of Grey ». Un phénomène peu courant chez un groupe capable de battre tous les records d'affluence depuis la fin des années 60 lors de ses concerts - on citera pour mémoire le concert de Watkins Glen de 1973 et ses 600.000 spectateurs - mais modeste vendeur de disques. Et si le successeur de cet album, ce Built To Last dont il est question un peu plus haut, n'atteignait pas en 1989 les mêmes sommets, il soulignait toutefois la vivacité retrouvée du Grateful Dead.

L'écoute du disque est particulièrement révélatrice : les musiciens prennent un plaisir absolu à jouer et les chorus de guitare de Jerry Garcia sont incisifs comme aux plus beaux jours (il suffit pour s'en convaincre d'écouter dès le début son lumineux solo sur « Iko Iko »). Débarrassé des afféteries et gadgets synthétiques qui polluaient parfois son jeu à la fin des années 70 jusqu'au début des années 80 (comme tant d'artistes et de groupes, le Grateful Dead avait subi, mais de manière assez périphérique toutefois, le désastre musical de cette époque), notre homme impulse au groupe toute l'énergie de sa propre renaissance. Crimson, White & Indigo s'écoute dans la plus grande des fluidités, les minutes coulent en toute sérénité, chaque musicien apportant une couleur très personnelle à un ensemble parfaitement identifiable.

Car le Grateful Dead, au-delà de son inspiration blues et rock voire country, de ses longues envolées improvisées nées de la « grande époque psychédélique » du côté de San Francisco, possède une vraie identité sonore qu'il est finalement assez compliqué de définir. Lançons quelques pistes cependant : il y a la voix fragile empreinte de mélancolie de Jerry Garcia posée sur les notes cristallines de sa guitare, il y a la présence plus impétueuse de Bob Weir le rockeur qui tisse une toile rythmique continue derrière les sinuosités de son leader qui n'a jamais caché son admiration pour des musiciens de jazz comme Django Reinhardt ou... John Coltrane ; mais le Grateful Dead, c'est aussi une assise percussive marquée par une grande souplesse, celle du jeu tout en nuances des batteurs (Bill Kreutzmann et Mickey Hart) qui jamais ne cognent vraiment, mais agissent plutôt comme des illustrateurs polyphoniques. On n'oubliera surtout pas Phil Lesh, bassiste faussement discret et personnalité majeure du groupe : ses attaques veloutées sont aussi l'une des composantes génétiques du sang qui coule dans les veines de cette musique.

Côté claviers, la situation aura toujours été plus précaire dans l'histoire du groupe. Et mortifère surtout... Car il faut se souvenir que le Grateful Dead était né sous l'impulsion de Ron Mc Kernan, pianiste, harmoniciste, chanteur et bluesman habité qui n'avait pas survécu à une cirrhose du foie née de ses excès répétés : décédé en 1973, celui qu'on surnommait Pig Pen avait trouvé en Keith Godchaux un successeur avant tout pianiste et, il faut bien le reconnaître, plus transparent. Un tournant majeur dans l'histoire du groupe, qui se voyait amputé de fait d'une bonne part de sa fibre blues. Mais la mort accidentelle de Godchaux en 1980 avait fait entrer dans la danse un nouveau venu, Brent Mydland - présent sur ce concert de 1989 - musicien beaucoup plus fougueux, d'une présence tonifiante qui lui avait valu d'être particulièrement apprécié de Jerry Garcia, ce dernier lui vouant un véritable attachement. Mydland remettait l'orgue Hammond à l'honneur et sa voix écorchée donnait au Grateful Dead une nouvelle assise, plus proche de son empreinte sonore initiale. Il savait aussi manifester une forte présence sur scène : en témoigne ici sa prestation fiévreuse sur « Blow Away », l'une de ses compositions. Mydland harangue le public, l'emporte avec lui dans une danse frénétique sous le regard bienveillant et les coups d'oeil complices de Jerry Garcia.

D'une certaine manière, Crimson White & Indigo se situe au cœur d'une courte période, plutôt faste, qui viendra se fracasser quelques mois plus tard sur la disparition de Brent Mydland, entré en dépression après des déboires conjuguaux, et qui finira par mourir d'une overdose. On dit que jamais Jerry Garcia ne s'est remis de cette nouvelle tragédie et que la douleur aura contribué à une nouvelle plongée dans la drogue qui finira par l'emporter lui-même en 1995.

Crimson White & Indigo ne laisse pourtant rien paraître de l'histoire à venir du Grateful Dead, bien au contraire ! Son répertoire, qui se compose comme à l'accoutumée d'originaux du groupe (« Hell In A Bucket », « Ramble On Rose », « Loser », « Let It Grow », « Box Of Rain », « Scarlet Begonias », « The Other One », ...) mais aussi de reprises de Bob Dylan (« Stuck Inside Of Mobile With The Memphis Blues Again » ou « Knockin' On Heaven's Door » qui clôt magnifiquement le concert) ou de classiques comme « Little Red Rooster » ou « Turn On Your Lovelight », fait jaillir toute la lumière née d'une amitié et d'une complicité qui possèdent finalement peu d'équivalents dans l'histoire du rock.

Et l'on n'en finira pas de revenir vers ces artistes qui, avant tout, ont su insuffler une très forte dose d'humanité à leur art.

The Grateful Dead : Jerry Garcia (guitare, chant), Bow Weir (guitare, chant), Phil Lesh (basse, chant), Brent Mydland (claviers, chant), Bill Kreutzmann & Mickey Hart (batterie, percussions).

Commentaires

  • Tu as réussi à insérer une vidéo ! Et oui, encore eux ! Toute une époque que tu regrettes... et moi aussi.

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