Stabat Akish
Jeunes pousses. Voici la quatrième publication du « Z Band » pour l'année 2009, et la neuvième depuis la naissance de ce collectif né en 2007, dont le cercle s'élargit petit à petit. C'est une excellente nouvelle... Pour coïncider avec l'hiver, nous avons curieusement choisi un thème qu'on aurait plutôt imaginé voir éclore au printemps, celui des « jeunes pousses », en d'autres termes des artistes prometteurs que chacun d'entre nous espère voir grandir dans les années à venir. Ici, il sera question d'une formation culottée, totalement décomplexée, dont la musique savante et débordante de vitalité créative se paie le luxe d'avoir été repérée par le grand John Zorn, au point que le saxophoniste new-yorkais leur a ouvert les portes de son label, Tzadik. Réunis en 2007 sous la direction de son jeune contrebassiste compositeur Maxime Delporte (trente-trois ans, né à Johannesburg et devenu toulousain quelque neuf ans plus tard), les six de Stabat Akish constituent une révélation dont il est certain qu'elle ne peut laisser indifférent. Je vous propose de partir à leur découverte, sous la forme d'une petite revue de presse à ma façon.
Je remercie dès à présent Jean-Luc Karcher qui a bien voulu mettre à ma disposition quelques unes des très belles photographies qu'il a prises durant le concert de Stabat Akish à Nancy.
L'histoire qui me lie à Stabat Akish est un peu bercée par le hasard : on a beau être à l'affût de toute nouveauté, guetter les musiciens qui inventent, chercher ailleurs ce qu'on ne trouve pas ici, il arrive parfois qu'on passe à côté de ce qui, pourtant, relève de l'évidence. Malgré l'abondance des informations qui peuvent submerger le chroniqueur lambda d'un chouette magazine comme Citizen Jazz, malgré la régularité du flux des nouvelles que nous déverse notre rédactrice en chef et qui est comme notre pain quotidien, on réussit à ne pas capter l'écho d'une musique qui aurait dû vous interpeller tant son propos est enthousiasmant. Oserai-je confesser que j'ai accompli l'exploit de ne pas lire la chouette prose d'un collègue rédacteur qui, voici quelques mois, disait tout le bien qu'il pensait de Stabat Akish ? Il ne m'en voudra pas, j'en suis certain, de le citer, lui qui écrivait : « Le groupe possède une puissance de feu rythmique ahurissante autour de laquelle se construit une mélodie urbaine faite de phrases courtes et de cassures permettant - dans un chaos tout à fait travaillé - d'irradier le propos d'autres influences, servi en cela par des musiciens tirant tous dans le même sens, pour tendre si possible vers un groove chauffé à blanc. » Franchement, je pense qu'une telle phrase suffit à vous donner une idée assez précise de ce qui vit dans cette musique tourmentée, imprévisible et qui ne se dépare jamais d'une bonne dose d'humour. Je vous invite d'ailleurs à lire l'intégralité de cette chronique rédigée à l'occasion du premier (et pour l'instant unique) disque de cette bande d'agités de la portée que sont les six musiciens qui forment Stabat Akish. C'est ICI, pour en savoir plus.
Ce camarade de chronique, le normand Franpi pour ne pas le citer, avait récidivé sur son blog et formulé de bien belles choses au sujet de Stabat Akish. Eh bien, oui, celles-là également m'ont étrangement échappé. Pourtant, tout était écrit pour que n'importe quel « truffe en l'air » dans mon genre se précipite pour en écouter plus ! Quand un amoureux du jazz écrit : « Les influences de Stabat Akish sont multiples, foutraques, mais avant tout urbaines, lorgnant tant vers un rock sautillant et psychotrope que vers un jazz puissant et versatile ou vers les complexités d'écritures d'une musique contemporaine qui ne serait pas déconnecté de son temps. Le propos peu sembler parfois malicieux, il est surtout ardent, s'offrant parfois au gré des surenchères des deux saxophonistes et de Guillaume Amiel, vibraphoniste remarquable, des moments de pur groove. », en temps normal, j'y vais, je fonce tête baissée ! Parce qu'on est habité par la certitude que quelque chose se passe, qui doit nous mettre en émoi. Tiens, puisqu'on en est aux recommandations de bonnes lectures, allez donc voir ce qui s'écrit chez Franpi dont j'adore les « photos qui n'ont rien à voir » !
Du côté des « grands » quotidiens, on a parlé de Stabat Akih aussi. Libération y est allé de sa contribution enthousiaste à l'occasion d'un article consacré aux Nancy Jazz Pulsations : « Difficile à définir car fortement irrigué, l'univers zapping aux multiples dynamiques de Stabat Akish se peuple autant des ombres du rock progressif 70's façon King Crimson que des compositeurs russes de la fin du XIXe siècle, tel Prokofiev. Si la référence à Zappa est inévitable, à cause d'un penchant non dissimulé pour «l'absurde et l'aléatoire à la manière des Monty Python», comme le précise Maxime Delporte, contrebassiste et leader du groupe, «il y a aussi des références à Charles Mingus, aux musiques de films et à la bande dessinée».
Pas mal, non ? Eh bien, malgré cette épaisse et gourmande couche de compliments, j'ai trop longtemps ignoré la joyeuse bande des toulousains de Stabat Akish.
Par conséquent, en ce mardi 13 octobre 2009, alors que Nancy Jazz Pulsations battait son plein et que je savourais à l'avance le bonheur d'un concert d'Univers Zéro, j'ignorais le plaisir qui me gagnerait en première partie de leur belle et intemporelle prestation. Je ne savais pas que le drapeau de Stabat Akish claquerait au vent comme il le fit durant une heure. Ah le beau concert ! Quel cadeau ! Vous pouvez lire maintenant le court texte que cette prestation m'inspira et qui constitue l'un des quatorze comptes-rendus écrits pour Citizen Jazz. A n'en pas douter, c'était l'un des temps très forts de la trente-sixième édition du festival.
« Il ne faut que quelques secondes pour comprendre pourquoi Stabat Akish, jeune groupe toulousain, a séduit le grand John Zorn au point que ce dernier leur ouvre les portes de son label Tzadik. Voici en effet une formation dont la musique vous cingle instantanément la figure tant elle est survoltée, virtuose et d'une complexité rythmique qui laisse d'autant plus pantois qu'elle est servie par de splendides arrangements. Une heure de musique qui passe comme si les minutes duraient quelques secondes... Entièrement composé par son leader, le contrebassiste Maxime Delporte, le répertoire est tiré de l'album Stabat Akish, à l'exception d'un inédit (« La serrure »). Splendide terrain de jeu où s'épanouissent le tourbillonnant Guillaume Amiel (vibraphone, marimba), Marc Maffiolo (saxophones ténor et basse), Ferdinand Doumerc (saxophones, flûte), Rémi Leclerc (claviers) et Stéphane Gratteau (batterie). Cerise sur le gâteau, ce petit monde très sympathique ne manque pas d'humour : on le débusque aussi bien à la lecture de certains titres (« La vache kiwi », « Dynamite cassoulet ») que dans leur nouvelle et temporaire dénomination à l'occasion de ce concert à Nancy : « Blaster Center » se trouve ainsi rebaptisé... « Stabat Akish Lorraine ». On ne saurait mieux dire pendant les NJP et c'est avec une vraie gourmandise qu'on déguste un final en forme de sound painting sous la conduite de Marc Maffiolo. Belle révélation, qui devrait occuper une place de premier plan sur la scène musicale d'avant-garde. C'est tout le mal qu'on souhaite à ce groupe profondément original ».
Vous savez quoi ? J'étais à peine rentré chez moi après ce concert qu'en quelques clics, j'avais commandé sur Internet le disque de Stabat Akish qu'un facteur bienveillant déposa dans ma boîte aux lettres quelques jours plus tard. Et là, dès les premières secondes de « La baie des anchois », j'ai pu sans peine retrouver tout ce qui m'avait transporté la semaine précédente : la générosité des compositions, la précision maniaque des arrangements, les syncopes et les ruptures incessantes, comme autant de rebondissements du scénario d'un film d'aventures un brin déjanté, voire d'un dessin animé un peu fou. Ces types-là peuvent se permettre de mobiliser une belle culture musicale sans jamais faire montre de la moindre cuistrerie. Parce que si leurs connaissances sont impressionnantes - on pourra relire plus haut quelques exemples de leurs influences - elles sont chez eux parfaitement assimilées et donnent naissance à un assemblage très prometteur. On n'en voudrait presque à Maxime Delporte et ses camarades de nous proposer quarante minutes de musique seulement ! Le disque de Stabat Akish est court, mais d'une densité de chaque instant qui vous happe. Surtout, il possède cette précieuse qualité de ne se découvrir réellement qu'au fil des écoutes, ce qui est la marque de l'élégance des grands artistes. Il y a de l'invention dans l'air chez Stabat Akish et c'est tant mieux ! Dans chaque composition se nichent mille trouvailles qui sont autant de propositions d'aller voir un peu plus loin, qu'il est possible de développer ou de combiner en autant de nouveaux petits univers autonomes. Stabat Akish, d'une certaine façon, ressemble à une stimulante séance de remue-méninges.
Voilà par conséquent une jeune pousse dont on surveillera attentivement la croissance en espérant que ses bourgeons seront les plus nombreux possibles. Allez, c'est dit : plus tard, quand je serai grand, je serai jardinier !
On peut commander le disque de Stabat Akish ICI par exemple ou bien directement sur le site de Tzadik.
En écoute, "La Baie des Anchois", qui ouvre l'album.
Les autres textes du Z Band (liste en cours)
Jazz à Berlin : Peter Van Huffel
Jazz à Paris : Sylvaine Hélary
Jazz Frisson : Parc-X Trio
JazzOCentre : Benoit Lavollée Trio
Ptilou' Blog : Nenad Gajin
Mysterio Jazz : Tyondai Braxton
Commentaires
Serveur ? :-)
Merci pour le petit clin d'oeil enthousiaste :)
Pas mal comme ambiance à écouter de ce mini big band. Ca sonne bien. Belle découverte. On va guetter leur passage parisien ! dès que !
Je suis agréablement surprise : merci pour le morceau choisi, en effet, c'est très intéressant ! pas ennuyeux du tout. Je n'ai pas écouté d'autres extraits mais je te fais confiance.
Ton bel enthousiasme donne évidemment envie de prêter l'oreille ...ce que j'ai fait! d'autant que ces gens sont de mon pays ou pas loin et d'après Myspace amis d'un petit groupe que nous aimons fort , assez déjantés eux aussi, "Pulcinella" dont certains morceaux ,"Vie et mort du platane de Prugnanes ,me rappelent par la mélodie"la baie des anchois".En fait j'ai bien aimé la baie des anchois. Je suis donc allée écouter un peu plus sur Myspace.C'était un peu plus ardu pour moi, dur à "déchiffrer" si j'ose dire. trop de ruptures dans la phrase et la mélodie...J'en déduis que je ne suis pas assez "affutée" ,experte en écoute, et que ton choix est judicieux puisque tu as choisi un extrait susceptible de nous plaire...
A part ça joyeux Noël et joyeuses fêtes, bonne musique, bonne écriture...
FR
Merci à toi Françoise pour ton commentaire. Effectivement, le disque de Stabat Akish n'est pas de ceux qui ne s'écoutent qu'une seule fois. Bien au contraire, il faut y revenir, chiper ici ou là les trouvailles et déguster comme on le ferait d'un plat goûteux.
Je profite de ce message pour te souhaiter, à toi et tes proches, une excellente année 2010, en souhaitant que tu reviennes ici régulièrement pour y inscrire des commentaires.
Et je t'envoie un lien vers un disque que tu connais peut-être, qui va t'intéresser, ne serait-ce que par la présence d'un certain accordéoniste :
http://www.disquesdreyfus.com/pages/366692-more-than-ever.html
Tu peux y aller les yeux fermés, c'est excellent !
J'ai apprécié ce morceau, ainsi que les commentaires de MC qui sont un petit morceau d'anthologie.
Pour le moment je ne suis pas «acheteuse» du CD cependant, mais je suis sûre comme tu dis MC que c'est une musique qu'il faut d'abord mieux connaître avant de la reconnaître. Bises.
à MC: Merci pour tes conseils; j'ai un peu tardé car j'ai pris le temps de "ressasser" un peu Stabat A. Bien sûr tu as raison ainsi que SisterFE l'écoute réitérée permet de renouer le fil que les ruptures cassent. Il faut te dire que n'étant pas musicienne, j'ai absolument besoin d'un thème mélodique pour suivre le déroulement d'un morceau; j'adore qu'il se perde pour réapparaître...ma limite c'est de ne pas le retrouver assez tôt...le charme est
rompu!!!mais à force de réécouter on "reconnaît" comme dit qui vous savez..
Pour R.Giuliani , Michel le connaissait et avait acheté et chroniqué le cd en 2006...mais moi je l'avais oublié , ou méconnu.Bref, grâce à toi je le redécouvre.Tout est bien le saxo, la contrebasse de R. Vignolo, le piano...et bien entendu RG dont je découvre I remember astor, que je ne connaissais pas...je suis ravie! Quelle vieille fan je fais!
Amicalement
FR
stabat akish: "un nom imprononçable un son inoubliable" c'est tout ce que j'ai trouvé à dire à ferdinand doumerc à la fin du concert d'anthologie que nous avons eu la chance de vivre à une poignée l'autre jour à "santa cruz de volvestro" au fin fond de l'ariége. ma derniere grosse claque remontée au concert de donny mc caslin à jazz sur son 31 et son phénoménal "powerfull trio" ( antonnio sanchez au drums laisse tomber...) mais là : dans ta face man, aussi énorme qu'innatendu,du grand wazzou à massada et bien plus encore. que c'était bon,que c'était grand.
six magiciens, aussi virtuoses ,qu'heureux d'étre là et de partager dans l'himmalaya de leur simplicité. j'espére avoir l'honneur de vous recevoir bientot
dans mon émission (jazzibar sur radio galaxie 98.5 fm, mais pas encore sur le net) pour une spéciale stabat akish. mes seigneurs, zornement votre.carmine.
Salut à tous,
et merci à toi MC pour cette chronique !
Nous sommes vraiment ravis d'avoir joué aux NJP,
et de savoir que cette musique ait pu stimuler l'imaginaire fait chaud au coeur...
Concernant le 1er album, notre intention de départ était de le sortir en vinyl (33 tours), d'où la brièveté de chaque morceau: 2 faces de 39 mn. Nous avons décidé de garder ce format pour le cd, et de développer certains morceaux sur scène afin de ne pas trop joncher de fils barbelés les promenades champêtres.
Le 2nd album se prépare sans la contrainte de durée. Le temps de chaque pièce dépendra de la musique seule et non du support.
Cela dit, j'aime bien l'idée de proposer sur un album le sommaire d'une performance live. C'est plus amusant, et c'est aussi une invitation à venir écouter la musique vivante (live) avec des musiciens et un public...vivants.
Bien à vous,
Bon réveillon à tous !
maxime delporte.
ps: Carmine, pour l'émission c'est quand tu veux !
Merci Maxime pour ton passage ici, où tu es le bienvenu, évidemment. Je suis content que tu aies apprécié cette note, elle était écrite sincèrement !
Je formule pour le groupe mes meilleurs voeux de musique pour l'année 2010, qui ne sera certainement pas facile pour les artistes, en particulier pour ceux qui, comme Stabat Aksih, ne ronronnent pas !
A bientôt !
Salut !
J'avais envie de réagir, certes tardivement, à cet article. Encore une fois il est très bien écrit, et moi qui ne connaissait pas ce groupe avant de te lire, j'avais tout de suite relevé ce nom. J'ai enfin écouté et j'adore ! Alors vraiment merci !
En écoutant ça m'a fait penser à The Dreamers de John Zorn.... et par les détours du net je suis arrivé sur un site que tu connais bien ( Citizen Jazz ) et plus particulièrement sur un article de ta plume remarquablement écrit à propos de The Dreamers justement ! C'est amusant comme tout est lié !
Voilà c'était encore une fois pour te remercier, car je lis ton blog régulièrement désormais, et j'ai déjà découvert ou redécouvert beaucoup d'artiste grâce à toi, tu es un très bon messager du jazz.
Harold
@ Harry : merci de ta visite et des commentaires flatteurs !
Tu as parfaitement raison d'établir un lien entre Stabat Akish et John Zorn, puisque celui-ci les a signés sur son label Tzadik. Et les apparentements entre leurs musiques sont bien réels, c'est encore plus manifeste sur scène.
C'est pour moi une des plus belles surprises de la période récente !