Noble
Chipée au vol, cette conversation se tenant à une table voisine de la nôtre, à la terrasse d’un excellent restaurant de poissons de Mornac-sur-Seudre.
Monsieur et madame, la soixantaine bien avancée, très «vieille France», se sont installés au soleil après avoir réservé une table à l’ombre. Monsieur s’ennuie poliment et hausse le sourcil pendant que son épouse, laide mais de bonne famille, égrène quelques souvenirs d’un autrefois perdu, avec sa mère qu’elle vouvoie, avant de passer en revues leurs petites filles qui, toutes, forcément, sont belles, malgré les défauts des unes et des autres. On habite du côté de Versailles, on occupe durant l’été une villa à Pontaillac.
Madame mère ne sait pas trop quoi choisir dans le menu qu’on lui propose. D’abord ceci, puis non, plutôt cela. On passe la commande au serveur. «Et puis, non, après tout, je vais prendre autre chose, tiens des moules marinières, ça fait un siècle que je n’en ai pas mangé, des moules marinières.» Sa fille la réprimande gentiment, tout en chuintements giscardiens, avec cette diction compassée de ceux qui savent leur supériorité sur le voisinage.
Alors la mère sermonnée, à qui l’on vient d’expliquer qu’en cuisine des gens s’activent à préparer leurs plats, proteste : «Mais enfin je sais ce que c’est, tout de même, j’ai déjà mangé dans un restaurant, tout de même !».
Réplique de sa fille : «Oui, mais eux, ch’est la première fois qu’ils vous j’ont comme cliente, maman».
Hu hu hu, on s’amuse bien chez les nobles…