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thelonious monk

  • Parle à Monk...

    Leçon de jazz - Thelonious Monk.jpgVous allez me dire que je radote… A la fin de l’année 2012, j’avais déjà évoqué les Leçons de Jazz d’Antoine Hervé afin d’en souligner les plaisirs : érudition, pédagogie, humour mêlés dans cette relation si particulière, très gourmande, que le pianiste entretient avec la musique. Ce billet que j’avais intitulé « Les élucubrations d’Antoine » prenait place à une époque où notre distingué professeur - lui-même musicien virtuose, aussi ne vous fiez pas à son apparente bonhommie, ce type-là est un sacré client - avait déjà publié quatre DVD relatant les hauts faits de ses désormais fameux concerts commentés : figuraient à son tableau d’honneur plusieurs géants comme Wayne Shorter, Antonio Carlos Jobim, Oscar Peterson ou Keith Jarrett. Depuis, ce palmarès s’est étoffé puisqu’ont été épinglés par maître Antoine les pianistes Bill Evans et Dave Brubeck et, tout récemment, géant parmi les géants, l’inclassable et imprévisible Thelonious Monk, encore un pianiste, un musicien hors normes qui marquera l’histoire de la musique du XXe siècle de son empreinte, qu’on peut sans prendre trop de risques ranger dans la catégorie des génies et qui continue aujourd’hui encore, bien que disparu en 1982 après une dizaine d’années de silence, à souffler sa singularité sur pas mal de productions contemporaines. Il n’y a pas si longtemps par exemple, le saxophoniste Pierrick Pédron lui dédiait un Kubic’s Monk en trio d’une urgence magnifique ; un exemple parmi beaucoup d’autres, qui venait nous rappeler l’éternelle jeunesse de ce compositeur dont les merveilles feront l’objet d’innombrables découvertes pendant de très très longues années encore, j’en fais ici le pari. Et inversement, il faudrait qu'un jazzologue pointilleux fasse le compte des reprises d'une composition telle que « Round Midnight », dont le titre traduit fut celui d'un film de Bertrand Tavernier en 1986. On serait étonné !

    Puisqu’il est question de pianistes, j’en profite pour glisser ici une information pratique qui pourrait en séduire quelques un(e)s parmi vous. Un coffret de six DVD regroupant cinq leçons de jazz à un prix somme toute très raisonnable (un peu plus de 30 €) a récemment vu le jour : je n’ai aucune action dans la maison Hervé, mais si j’étais vous, je sais ce que je ferais… Pensez-donc : Oscar Peterson, Bill Evans, Dave Brubeck, Keith Jarrett et… Thelonious Monk dans un emballage certes plus minimaliste que celui de la collection habituelle, mais avec toute la mise en scène qui nous plaît tant depuis le début. Antoine Hervé, raconte la vie des musiciens, décortique leur répertoire, donne des informations techniques et, il faut le souligner, prend un plaisir énorme à la pratique d’un exercice qu’il ponctue de nombreux thèmes qu’il joue lui-même avec la verve qu’on lui connaît. Cerise sur le gâteau : dès qu’il interprète une composition, un plan fixe du clavier (et donc de ses mains) s’affiche en haut de l’écran, contribuant à mettre encore mieux en scène la leçon ainsi donnée et à l’illustrer d’une sautillante chorégraphie digitale. Ah si j’avais pu recevoir de tels cours de musique à l’époque où je m’ennuyais au collège… Mais ceci est une autre histoire.

    Revenons plutôt à Thelonious Monk (dont Antoine Hervé nous rappelle qu’on le surnommait parfois Melodious Tonk, en raison de sa capacité à mettre en musique les bruits de la ville et notamment la circulation automobile et les klaxons des voitures) : un type bourru, pince sans rire, profond, rêveur, mystérieux, qui voyait tout mais ne disait rien, et qui portait à l'annulaire une bague sur laquelle était inscrit son nom. Et quand il retournait sa main on pouvait lire : « know ». Voilà qui ne s’invente pas… Monk, né en 1917, avait suivi Barbara, sa mère évangéliste qu’il accompagnait en jouant de l’orgue, il avait lui-même appris la musique « sur l’épaule de sa sœur » Marion. Les femmes compteront d’ailleurs beaucoup dans sa vie puisqu’outre Nelly son épouse, il ne faut pas oublier la princesse Pannonica, bienfaitrice de bien des musiciens. Monk, dandy, toujours bien habillé, adepte des chapeaux, mais casse-cou aussi, un caractère entier qui pouvait payer de sa personne quand il s’agissait de prendre la défense de ses amis victimes de brutalités dans une Amérique d’apartheid. Un musicien de la révolte. Avec Charlie Parker et Dizzy Gillespie, il fut l’un des inventeurs du be-bop : il renouait en cela avec une tradition africaine, sans vraiment en être conscient, il jouait le jazz noir par excellence et c'est dans la danse qu'il trouvait la transe jusqu’à la perte de l’équilibre.

    Tout Monk est là, dans la syncope et dans l’idée de quelque chose d’asymétrique. Chez lui, la suggestion et l’ellipse sont les plus importantes, elles sont au cœur de son processus créatif qui le voit inventer des techniques basées sur des résonances et des dissonances qu’il fait naître en retirant des notes « évidentes ». Le pianiste compose une musique à la fois populaire et complexe, où la surprise règne en maîtresse absolue ; Monk était - et demeure - un musicien atypique qui aura mis du temps avant d’être reconnu, un artiste assoiffé d’expériences sur le son et les matériaux dont il aimait a tester les vibrations, en précurseur des recherches acoustiques.

    Tout cela - et bien d’autres choses encore, je vous laisse par exemple découvrir cette séquence drolatique durant laquelle on comprend comment le pianiste trouvait les titres de ses compositions - cette nouvelle Leçon de Jazz le raconte, durant une heure et demie qui passe à la vitesse de l’éclair. Et comme un bonheur ne vient jamais seul, le DVD est doublé d’un CD du concert en hommage à Thelonious Monk qu’Antoine Hervé avait donné en décembre 1997 à la Cité de la Musique.

    Dans un article qu’elle consacre sur le site des Dernières Nouvelles du Jazz au coffret dont je parlais plus haut, ma consoeur Sophie Chambon a trouvé une formule que je reprends volontiers à mon compte : « Ludidactique » en un mot, tel est le résultat de cette histoire de séduction et de musique.

    C’est bien dit ! Et maintenant, j’attends un nouveau rendez-vous et si j’avais une suggestion à faire, je pousserais volontiers la candidature de John Coltrane sur l’échiquier des leçons de jazz d’Antoine Hervé. Je dis ça comme ça, en passant...