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eve risser

  • Vous reprendrez bien un peu de désert ?

    white_desert_orchestra.jpgVous voulez que je vous dise ? Je pense être tombé définitivement amoureux de la musique d’Ève Risser… Pour tout vous dire, voilà deux fois en peu de temps qu’elle me fait le coup de la séduction. L’année dernière, elle s’était pointée en solo, aux commandes de son piano plus ou moins préparé, pour s’avancer doucement, presque en silence, dans la douceur feutrée de ses Pas sur la neige et leur petit clin d’œil à Claude Debussy. Je lui avais consacré une chronique dont le titre était déjà aussi désastreux que celui d’aujourd’hui, mais il s’agissait d’un texte dont l’ambition, on ne peut plus sincère, était de dire en quelques paragraphes tous les bonheurs vécus à la confrontation d’une musique paraissant s’inventer devant moi, pour moi.

    Ève Risser récidive. C’est en quelque sorte une récidève… ou plutôt un nouveau récit d’Ève, une belle histoire glacée, aux milles détours et accidents successifs, accordant une même place aux images et aux sons. Surtout, il ne s’agit pas de n’importe quel récit, parce que cette fois, la dame est accompagnée et de bien belle façon. Ils sont neuf autour d’elle qui forment le White Desert Orchestra, un tentet faisant la part belle au souffle et à la confection d’une myriade de détails mutins, une formation qui sait aussi bien esquiver la mélodie que fourmiller de trouvailles sonores et d'arrangements entêtants. Les deux versants se regardent : voilà un titre qui intrigue et s’explique par le fait que la pianiste a voulu – on me permettra de la citer – « transcrire la tension créée par l’air vibrant dans les canyons, lieux puissants où la Terre nous montre ses vieilles cicatrices ». Rassurez-vous et ne craignez pas le vertige car l’inspiration, si minérale et géologique soit-elle, peut s'avérer parfois plus quotidienne, comme lorsque’Ève Risser compose sous l’influence de voisins dont les travaux à la perceuse nourrissent le jeu du basson ou du trombone. Surtout, de la première à la dernière seconde, ce disque est captivant, porteur d’un sang neuf dont on tant besoin en ces temps de sinistrose et d'appels malsains au retour à des valeurs desséchées.

    Le propos initial d'Ève Risser est intéressant. Mais là, à mon sens, n’est pas forcément l’essentiel pour celui ou celle qui va entrer dans son monde singulier. Parce qu’à l’écoute de ce disque magnétique traversé d’une douce arythmie et de quelques soubresauts chahuteurs ; à l'exploration d'une musique qui demandera à chacun la plus grande attention pour en déceler les beautés suggérées, empreintes des mystères surgis de paysages majestueux, on tombe sous le charme d’une symphonie en glissements mineurs et précipitations sonores. Ici, les instruments peuvent chanter, comme savent le faire la plupart de leurs condisciples, mais il leur faut dire plus, et autrement, parce que répéter ce que les autres savent déjà est sans intérêt. Il y a mieux à faire : souffler, parler, grogner, crier, crisser, lancer des appels vibrants, agencer en déphasages et imbrications successives des textures aux couleurs changeantes, nourrir une forme d’hypnose. Ève Risser se dit influencée par la scène musicale scandinave et les pays nordiques. On veut bien la croire tant il est vrai que son désert blanc impose des étendues immobiles, parfois désolées, face auxquelles on retient son souffle. Bruit, silence, bruit, repos… Jour et nuit.

    Il y a du beau monde dans le White Desert Orchestra, et notamment quelques jeunes pousses qu’on suit du coin de l’oreille depuis quelque temps déjà. Je vous fais grâce de leur biographie (très fournie) mais je ne peux omettre de les citer : Sylvaine Hélary (flûtes, voix), Antonin Tri-Hoang (saxophone, clarinettes), Benjamin Dousteyssier (saxophones), Sophie Bernado (basson, voix), Eivind Lenning (trompette), Fidel Fourneyron (trombone), Julien Desprez (guitares), Fanny Lasfargues (basse, voix), sans oublier l’inénarrable Sylvain Darrifourcq (batterie, percussions) dont on sait la capacité à surprendre. Une belle brochette d’explorateurs pour se lancer à la conquête de contrées nouvelles. Notez au passage la présence de quatre femmes, ce qui ne peut qu’enthousiasmer tant une telle proportion demeure rare dans le monde du jaaaaze, aujourd’hui encore. Et puis, finalement, cette musique, qu’est-elle vraiment ? Jazz ? Musique contemporaine ? Je n’en sais fichtre rien : elle existe, tenace et persistante et c’est déjà beaucoup. Elle se fraie son propre chemin, suivez-la.

    Je vais vous faire une confidence qui vous paraîtra peut-être un peu ridicule, mais je prends le risque de susciter votre moquerie. Les deux versants se regardent m’a vite plongé dans un état de plaisir voisin de celui qu’il m’est arrivé de connaître au contact de musiques qui me semblaient inouïes (prenez ce mot dans son sens premier), il y a fort longtemps. Tenez par exemple, une composition, débridée, chaotique, convulsive comme « Tent Rocks » m’a ramené une quarantaine d’années en arrière, quand j’assouvissais ma soif d’émotions inédites en me frottant à l’univers déjanté des anglais d’Henry Cow (Fred Frith, Chris Cutler, Dagmar Krause, Tim Hodgkinson, John Greaves) à l’époque des albums Leg End, Unrest ou In Praise Of Learning. Comprenez-moi bien : je ne compare pas les formations mais les sensations produites et une volonté commune de dynamiter les codes en vigueur. Les deux versants se regardent est à cet égard une déclaration d’explosion.

    Ève Risser et ses camarades ne swinguent pas, ne groovent pas non plus, ils ne sont les gardiens d’aucune tradition autre que celle consistant à surprendre collectivement : ils avancent, d’abord doucement, vous tournent autour, vous enveloppent pour mieux vous secouer à la première occasion, vous électrocuter, ils vous questionnent et réussissent à faire tomber toutes vos résistances à force d’imaginer une musique qui soit bien la leur. Ils dédient par ailleurs cet album (publié sur le label Clean Feed) au regretté Grégoire Gensse, récemment disparu à un âge où la vie ne fait que commencer pour la plupart des humains. Lui qui avait fourbi avec le Very Big Experimental Toubifri Orchestra un Waiting In The Toaster à l’imagination aussi insolente que celle de ce nouveau disque d’une pianiste en plein accomplissement. Et dont le rayonnement irradie les musiciens qui évoluent avec elle.

    Les deux versants se regardent ? Oui, sans doute. Mais surtout, ils s’écoutent. Et souvent…

  • Qu’importe le flocon...

    eve_risser.jpgApprochez-vous un peu, s’il vous plaît. Plus près, plus près, n’ayez pas peur ! J’aimerais vous parler d’un disque qui bruisse plus qu’il ne fait de bruit, d’un album tout en suggestion vous parlant à l’oreille, d’une invitation à vous faufiler dans les pas d’une pianiste pas comme les autres. Ève Risser, formée à l’école classique mais adepte de ses évolutions contemporaines, musicienne amoureuse des improvisations tout autant que des objets qu’elle manipule pour donner plus de vie à son piano préparé, est une des personnalités les plus attachantes d’une scène qu’on n’ose pas circonscrire au jazz. On l’a vue et écoutée pendant quatre ans dans l’ONJ sous la direction de Daniel Yvinec ; dans le duo aux couleurs surréalistes, Donkey Monkey avec Yuko Oshima ; dans le quartet The New Songs, entre musique improvisée et musique contemporaine, mais aussi le Trio En Corps avec le contrebassiste Benjamin Duboc et le batteur synesthésique Edward Perraud, ... sans compter bien d’autres duos tout aussi fouineurs et une propension naturelle à s’impliquer dans des projets ayant pour point commun les voyages « entre les musiques ».

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