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denis colin

  • Colin Cueco Drappier Omé : « Quiet Men »

    quiet men, denis colin, pablo cueco, julien omé, saccardimon drappier, jazz[Carnet de notes buissonnières # 013] Ce disque est à mon sens l’une des heureuses surprises de ce début d’année 2019. En d’autres termes, il est un coup de cœur printanier après la grisaille hivernale. Par sa forme atypique d’une profonde originalité, comme par son répertoire qualifié par ses géniteurs de Psychedelic Folk Jazz. Tout un programme !

    Voici donc un quartet réuni sous l’appellation Quiet Men – les hommes tranquilles – autour du clarinettiste Denis Colin, musicien ayant entre autres créé la Société des Arpenteurs il y a une dizaine d’années et qui avait rendu en 2013 un hommage à Nino Ferrer avec son Univers Nino, et du zarbiste – le zarb est un instrument à percussion originaire d’Iran – Pablo Cueco. Tous deux se connaissent depuis longtemps pour avoir joué ensemble dans le trio du clarinettiste. Ces deux musiciens avaient par ailleurs une connaissance commune, celle de Simon Drappier, contrebassiste de Cabaret Contemporain, qu’on retrouve cette fois à l’arpeggione, un instrument à six cordes frottées et jouées à l’archet, accordées comme une guitare. Et puisqu’il est question de cordes, il en est six autres qui viennent s’ajouter à l’ensemble, celles de la guitare acoustique de Julien Omé entendu il y a quelques années au sein de l’ONJ période Daniel Yvinec.

    Les Quiet Men publient un disque envoûtant sur le label Faubourg du Monde. Vous ne chercherez pas à le ranger dans une catégorie bien définie, parce que ce sera mission impossible (et un peu vaine, aussi), sauf peut-être à accepter celle qu’ont inventée les musiciens eux-mêmes, ce Psychedelic Folk Jazz évoqué plus haut. Quiet Men, c’est un disque brûlant, tendu comme un arc, beau comme une statuette dont la pierre serait patinée par le temps, c’est une intensité qui tient pour beaucoup, au-delà de l’engagement des musiciens, à la texture singulière du quatuor. C’est le mariage des instruments à cordes qui élabore, comme une pâte musicale à modeler, une base charnue et onctueuse évoluant entre blues, folk et musique baroque ; c’est le zarb comme une invitation au voyage par-delà les continents ; c’est la clarinette – basse essentiellement – qui sort des chemins balisés de la mélodie et d’un balancement magnétique pour s’enivrer de liberté. Celle du jazz, sans nul doute, dont s’emparent les trois autres dès que la possibilité leur est offerte : Simon Drappier par exemple, qu’on retrouve en plein explosion et en état de grâce sur une « Gavotte sans retour » de toute beauté.

    Chacun des membres de cette confrérie des Quiet Men est venu avec une ou plusieurs compositions dans sa besace, forgeant le sentiment d’un collectif solidaire. La tranquillité apparente de ce dernier laisse entrevoir une addition de forces qui ne demande qu’à se libérer. Précipitez-vous sur ce disque, un beau voyage vous attend.

    Denis Colin (clarinettes basse et contralto), Pablo Cueco (zarb), Simon Drappier (arpeggione), Julien Omé (guitare).

    Label : Faubourg du Monde TAC

  • Tous unis vers Nino

    niño ferrer, denis colin, ornette, univers ninoPas évident de savoir pourquoi, un vilain jour de 1998, Nino Ferrer a choisi de se tirer une balle en plein cœur et d’aller crier son blues ailleurs. Peur de vieillir ? Ultime déchirement d’un artiste nourri de jazz et de rhythm’n’blues, un chanteur qui avait dû accepter l’idée selon laquelle Nino ne rencontrait que rarement l’assentiment du public, surtout lorsqu’il lui présentait son vrai visage ? Nino Ferrer était multiple bien qu’entier : sa « Désabusion », son « Arbre noir », sa « Maison près de la fontaine », son « South » qu’il préférait de loin au « Sud » qu’on lui avait suggéré d’enregistrer en Français ou encore sa « Métronomie » affichaient un contraste saisissant avec les « Cornichons », « Le téléfon » ou « Mirza »... des tubes un peu crétins qui résonnent encore très fort dans la plupart des oreilles (au moins celles des anciens).

    Denis Colin n’est pas le premier à arpenter le répertoire de cet Italien naturalisé français qui “voulait être noir” et qui, petit à petit, s’est retiré de la scène pour vivre en famille dans le Quercy et se consacrer à la peinture. Jusqu’à ce coup fatal, au beau milieu des champs… Il y a quelque temps, le Sacre du Tympan de Fred Pallem avec Thomas de Pourquery y est allé de son Tribute To Nino… La preuve, certainement, que ce chanteur autrefois guitariste de Nancy Holloway avait ce petit supplément d’âme qui fait de vous un artiste, et pas seulement un interprète jetable aux oubliettes de la variété française, pourtant peu avare de produits manufacturés à date de péremption très rapprochée.

    Nino Ferrer, c’était autre chose : par delà les années 60 et leurs chansons anecdotiques, on a vite deviné chez lui une fêlure aux contours douloureux, une âme en peine, celle d’un type qui, vu de loin, paraissait se consumer au fil des jours et ne pas trouver l’épanouissement dans le petit monde de la variété insipide obstrué de vanités à paillettes carpentiero-druckerisées. Des albums en témoignent, comme Métronomie, Nino & Radiah, Blanat ou La désabusion. Pas vraiment des succès commerciaux, il faut bien le reconnaître, mais des disques qui permettaient de mieux connaître celui qu’il était vraiment. La peinture d’un monde doux amer… le sien.

    Denis Colin, qu’on avait laissé tout au bonheur de la musique de ses Arpenteurs et tout particulièrement de leur Subject To Change, vient de nous lancer une invitation à (re)découvrir l’Univers Nino. Celui qui était pour lui un “cousin éloigné”, parce qu’aux temps lointains de l’entre-deux guerres, le grand-père maternel du clarinettiste était ami avec Pierre Ferrari, père de Nino. L’histoire veut même que notre apprenti souffleur, quand il était âgé de neuf ans, ait exercé ses premiers talents à la flûte à bec en jouant la mélodie de « Mirza ».

    Denis Colin s’est bien entouré pour l’occasion. D’abord d’une brochette de musiciens aguerris, dont les deux Arpenteurs que sont le guitariste Julien Omé ou le trompettiste Antoine Berjault auxquels il faut ajouter le contrebassiste Théo Girard et François Merville, batteur baroudeur, dont on connaît les nombreuses collaborations, avec Louis Sclavis notamment. Pour chanter Nino Ferrer, Denis Colin s’est attaché les services d’une certaine Bettina Kee, alias Ornette : cette chanteuse, pianiste de jazz en d’autres temps, fait aujourd’hui parler d’elle en raison de la pop un peu folle qu’elle a notamment su faire valoir il y a trois ans avec son album Crazy, mais aussi à travers ses collaborations avec le poète Mike Ladd (et comme tout se tient, on retrouve ce dernier sur Wasteland, le premier album d’Antoine Berjault cité un peu plus haut). La chanteuse reçoit pour l’occasion l’appui choral de Diane Sorel.

    Voilà une belle équipe qui fait sacrément plaisir ! Parce que ce disque, mine de rien, cet Univers Nino nourri à la tendresse électrisante, est un petit moment de bonheur dont on ressort avec le sourire. Mais attention, pas un sourire béat, non, juste celui qu’on ne peut contenir quand on vient de partager des instants riches en émotions. Et comme Denis Colin est un ferrerologue averti, il n’a pas jugé bon d’opérer une distinction factice entre le Nino « cornichon » et le Nino « désabusion ». Nino, c’est un tout, à prendre ou à laisser ! Au clarinettiste de nous révéler le fil tendu entre ces facettes multiples. Ce qu’il parvient à faire avec beaucoup d’acuité par une sélection de chansons qui concilie sans artifice « Les Cornichons » et « Métronomie », en passant par « L’arbre noir » ou « La rua Madureira », et non sans s’être une fois encore mis en quête de ce satané « Mirza ».

    Ni parodie ni imitation, ce disque tire une part importante de sa substance de la présence très forte de la guitare de Julien Omé, toute en variations de teintes électriques, et qui semblent parfois surgir des années 60 ; mais aussi du chant d’Ornette : celle-ci parvient à éclairer avec le même bonheur tubes énervés et chansons plus mélancoliques. Tenez par exemple : là où Nino Ferrer s’exaspérait de ne pas retrouver son chien maraudeur, Ornette prend les choses avec beaucoup plus de flegme. Elle n’exprime pas l’indifférence, mais elle veut nous faire comprendre qu’on ne va pas en faire un drame et que le quadrupède finira bien par revenir. Même chose pour l’organisation d’un pique-nique et ses indispensables cornichons (avec son clone italien appelé « Viva la Campagna »). Et quand Denis Colin se fait lui-même chanteur (« La désabusion », « L’arbre noir »), l’évocation du modèle Nino prend les couleurs d’un naturel tranquille, sans excès de pathos. Le groupe entier rend un hommage où certes la nostalgie affleure, mais sans jamais recourir aux effets tire-larmes. Il n’oublie pas de célébrer le bluesman qu’était Nino Agostino Arturo Maria Ferrari (belle version brûlante du « Blues des rues désertes » avec un magnifique Julien Omé une fois encore) ni le poète contemplatif (« The Garden »). Et c’est une version aux accents de rock progressif avec son motif cyclique très frippien qui nous rappelle les charmes oubliés de « Métronomie ». « La Rua Madueira » quant à elle, crépusculaire et nostalgique, voit le duo Colin (clarinette basse) / Ornette (voix et claviers) jouer la carte de l’épure à en donner le frisson. On ne pouvait rêver plus belle conclusion pour cet Univers Nino enregistré au studio Barberine qui jouxte la Taillade, la bastide que Nino Ferrer avait acquise dans les années 70. C’est là que Denis Colin a pu goûter le plaisir d’un équipement que le chanteur avait utilisé lui-même, comme cette console Gunter Loof 18 voix avec un compresseur par tranche. Voilà qui ne s’invente pas.

    Nino Ferrer aurait eu 80 ans cette année… Il serait un vieux jeune homme, peut-être aurait-il réussi à se faire oublier, peut-être aurait-il trouvé la paix en lui... On ne le saura jamais. La seule chose dont on est certain aujourd’hui, c’est que nous n’avons jamais oublié qu’on l’a aimé. Cet Univers Nino vient nous le rappeler et sonne à nos oreilles comme une déclaration de tendresse faite à un chanteur qui se disait désabusé, mais dont la force des plus belles chansons éclate au grand jour par leur capacité à nous attendrir, longtemps après. Merci à Denis Colin, à ses musiciens et à Ornette de nous avoir rappelé cette évidence.

  • Roboratif

    Subject to Change cover.jpgIl me tarde de lire la chronique que doit rédiger notre ami Julien pour le compte de Citizen Jazz !!! Parce que s'il a pris autant de plaisir que moi à l'écoute du dernier disque du clarinettiste Denis Colin, alors il ne se privera pas d'enrober son texte d'un enthousiasme parfaitement justifié. Subject To Change, tel est le nom du CD enregistré par une sacrée conférie appelée La Société des Arpenteurs

    Imaginez-vous un petit matin d'automne : il fait gris et froid, une radio crache de mauvaises nouvelles du monde et vous vous levez fatigué après de longues heures d'insomnie. La vie n'est pas toujours, on le sait, un long fleuve tranquille et vous ruminez je ne sais quel problème personnel dont vous ne trouvez pas la solution. Moral bas d'un optimiste désespéré...

    Et voilà que retentissent les premières mesures de « Hopperation », la composition qui ouvre l'album Subject To Change. Ah oui, tu m'étonnes que ça change ! Une vraie opération de gonflage en énergie ! Une cure d'oxygène pour tympans apathiques qui vous fait voir les choses de la vie avec un début de sourire. La Société des Arpenteurs, c'est une quinzaine de musiciens qui vous balancent un musique hyper mélodique, brillante, animée d'un groove impeccable, aux arrangements cuivrés et électriques, sur laquelle la clarinette basse de Denis Colin fait merveille. Un jazz qui pète le feu et qui sait se faire binaire s'il le faut. Et ça dure une heure comme ça, sans temps mort, sans faute de goût. J'irais même jusqu'à dire que c'est exactement la musique que j'ai besoin et envie d'écouter en ce moment.

    J'ai pris le temps de vous établir la liste de ce big band tourbillonnant qui s'est même payé le luxe d'un invité lui-même pas banal, le saxophoniste Tony Malaby (pour mémoire, ce dernier a travaillé avec Steve Coleman ou encore Ravi Coltrane et joue dans Birdwatcher, le dernier disque de Michel Portal). Subject To Change, c'est mon coup de cœur du moment, et j'espère que ces quelques lignes vous donneront l'envie d'en savoir un peu plus. Je me réjouis aussi à l'idée de voir sur scène dans les prochains jours une extraction très noble de cette société sous la forme d'un quintette qui sera l'une des belles soirées de l'édition 2009 de Nancy Jazz Pulsations. J'en parlerai plus en détail dans un prochain article pour Citizen Jazz...

    La Société des Arpenteurs :

    Denis Colin (clarinette-basse & compositions), Benjamin Moussay (Fender rhodes & electronics), Julien Omé (guitare), Antoine Berjeaut (trompette & bugle), Sylvaine Hélary (flûtes), Fabrice Theuillon (sax baryton & soprano), Stéphane Kerecki (contrebasse), Arnault Cuisinier (contrebasse), Eric Echampard (batterie), Tony Rabeson (batterie). Et aussi : Philippe Sellam (sax), Fabrice Moreau (batterie), Thomas Gimonprez (batterie), Misja Fitzgerald-Michel (guitare). Invité spécial : Tony Malaby (sax).

    P.S. : bien que d'une coloration différente, il est un autre disque à surveiller du coin de l'oreille : c'est Humus que nous propose Bojan Z et son Tetraband.

    En écoute, les premières minutes de "Hopperation", qui ouvre l'album Subject To Change.

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