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La musique hantée de Caravaggio

caravaggio, tempus fugit, rockAttention, coup de cœur ! C’est pour moi une émotion d’autant plus forte que je dois bien avouer être passé jusque-là à côté de ce quatuor dont l’existence remonte pourtant à plus de quinze ans et qui a publié fin janvier son quatrième album, Tempus Fugit. On ne saurait tout connaître, tout écouter, c’est vrai. Et d’une certaine façon, le plaisir est encore plus grand à l’idée que tant de choses existent et attendent une oreille attentive. Il y aura toujours, quelque part, un recoin inexploré… Oui, Caravaggio, un coup de cœur et un coup de poing à la fois. Mille raisons peuvent expliquer ce sentiment de connivence avec une musique qui se définit elle-même comme appartenant au rock mais dont les sources sont si multiples qu’elle ne saurait ainsi être circonscrite. Quoiqu’il en soit, il y a de l’électricité dans l’air et une forme savamment entretenue de noirceur qui vous happent dans l’instant. C’est une plongée vertigineuse, et pas seulement dans le temps qui s’enfuit.

Prenez deux musiciens dont la présence sur la scène jazz est majeure : Bruno Chevillon, connu notamment pour avoir longuement côtoyé Louis Sclavis, musicien majeur. On a aussi retrouvé le contrebassiste comme directeur artistique de l’ONJ du temps d’Olivier Benoit. Un ensemble dont faisait partie Éric Échampard, un batteur qui appartient, entre autres, au MegaOctet d’Andy Emler. Chevillon et Échampard se connaissent d’autant mieux qu’ils faisaient partie du trio du guitariste Marc Ducret.

Prenez maintenant deux autres musiciens, qu’on range hâtivement dans le grand fourre-tout des musiques contemporaines et/ou électroniques : Benjamin de la Fuente et Samuel Sighicelli. Deux artistes bardés de diplômes, adeptes de l’expérimentation, fondateurs de la compagnie Sphota avec laquelle ils ont créé différents spectacles pluridisciplinaires. Je précise aussi que le premier a lui aussi fréquenté l’ONJ d’Olivier Benoit, quand ce dernier lui a commandé une composition destinée au projet Europa Rome.

Le processus de création de Caravaggio est intéressant à plus d’un titre : d’abord parce que les musiciens reconnaissent, par-delà les expériences savantes dont ils ont été (et restent) les acteurs, leur amour pour les musiques de leur adolescence et leur part inhérente d’énergie voire de transpiration. En d’autres mots, le rock et ses ambiances électriques qu’ils ont su maintenir en eux à côté des autres sources d’inspiration. Miles Davis, Magma aux côtés de Bartok et Stravinsky… Ensuite parce que leur manière de travailler passe par différentes phases : ensemble, ils laissent la musique venir, improvisent, captent durant des heures, avant d’isoler tel ou tel moment qui fera l’objet d’un modelage et d’une écriture. Improvisation, oui, mais doublée d’une architecture d’une extrême précision.

Le résultat est saisissant, presque étouffant parfois. Électricité et électronique en action. Tempus Fugit est un incendie nocturne, et ses couleurs ne sont pas sans évoquer ça et là les noirceurs peaufinées par Robert Fripp du temps de King Crimson lors de la période Larks’ Tongues In Aspic, Starless And Bible Black ou Red (« Vers la Flamme (A) » a même des allures de Frippertronics, les spécialistes me comprendront !). Pourtant, Tempus Fugit n’est jamais désespérant, tant s’en faut. C’est plutôt de mystère et de clair-obscur qu’il faudrait parler, y compris lors de ces instants durant lesquels surgissent un dialogue furtif, une fanfare et des voix venues d’un film sans nom. On imagine des personnages apparaissant subitement dans un halo de lumière avant de retourner vers la nuit. Et malgré des sonorités souvent abrasives et brûlantes – à ce petit jeu, la guitare de l’invité Serge Teyssot-Gay n’est pas la dernière à souffler sur les braises –, malgré une tension maintenue à un haut niveau sous l’impulsion de la paire Chevillon-Échampard, malgré les stridences des cordes, malgré la pulsation obsédante des synthétiseurs (et leurs échos à ce qu’autrefois on appelait Krautrock), jamais l’idée d’une mélodie n’est perdue de vue par les musiciens.

Caravaggio accomplit avec Tempus Fugit le tour de force de faire naitre une musique neuve, bien que porteuse de ses mille histoires passées, habitée de scénarios dessinant les contours d’un demain façon science-fiction et résolument destinée à un combat. Entre les hommes et les machines, peut-être… En studio comme sur scène, ce quatuor est à découvrir de toute urgence.

Musiciens : Bruno Chevillon (basse, contrebasse, électronique), Éric Échampard (batterie, percussions, pad), Benjamin de la Fuente (violon, guitare électrique ténor, mandocaster, électronique), Samuel Sighicelli (orgue Hammond, syntéhtiseurs, sampler) + Serge Teyssot-Gay (guitare sur « Vers la flamme »).

Titres : Jessica Hyde / My Way (a) / My Way (b) / Winding Roads / Travelling / Vers la flamme (a) / Vers la flame (b) / 70 MM

Label : Éole Records

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