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Un amour de Tricot

tribute to lucienne boyer, grand orchestre du tricot, tricollectifJ’ignore combien parmi vous se souviennent de Lucienne Boyer, mannequin devenue chanteuse qui eut son heure de gloire dans les années 30 et 40. Les moins jeunes auront peut-être en tête la mélodie de « Parlez-moi d’amour » qu’elle avait créée en 1930. Non, vraiment, ça ne vous dit rien ? « Parlez-moi d’amour / Redites-moi des choses tendres / Votre beau discours / Mon cœur n’est pas las de l’entendre »… Voilà, maintenant vous commencez à chanter ce refrain, j’en suis certain.

N’ayez pas peur ! Il n’est pas question ici de nostalgie ni même de célébrer la chansonnette. On oubliera de surcroît le comportement très contestable de la dame durant les années 40, quand son cabaret affichait des interdictions honteuses. Non : aujourd’hui, il est question d’amour, rien que d’amour. Dans tous ses états.

Je vous parle en effet de Lucienne Boyer parce qu’une joyeuse bande d’iconoclastes, celle que composent quelques membres du Tricollectif, ont décidé de s’emparer de son répertoire et n'ont à l'évidence, vous me passerez l’expression, pas fait le voyage pour rien. Le Grand Orchestre du Tricot est en action, quelques mois après la parution d’Atomic Spoutnik conté par Robin Mercier et André Robillard. Autant le dire sans détour, Tribute to Lucienne Boyer s’impose dès à présent comme l’un des grands moments de l’année 2017. Jouissif et jubilatoire. C’est un véritable festival d’inventions et de flèches décochées, qui procède la plupart du temps par une opposition entre la voix, faussement ingénue et d’une incroyable saveur, d’Angela Flahault et les explosions en provenance de l’Orchestre. Attention, ça barde très souvent… Un dynamitage en règle, une tempête joyeuse au beau milieu de laquelle, et c’est bien normal, les soufflants s’en donnent à cœur joie. Ah qu’il est délicieux de se laisser bercer par les minauderies de la chanteuse pour mieux se sentir cueilli par les déflagrations de ces garnements qui, décidément, ne respectent rien. Oh qu’on aime cette insolence !

Il faut dire aussi qu’Angela Flahault est une artiste complète, tout autant chanteuse que plasticienne, qui s’est formée au chant lyrique, à la danse et à la comédie musicale. Elle est aussi adepte des musiques improvisées. Un sacré personnage qui habite totalement chacune des chansons proposées dans ce disque. Mutine comme pas deux, roulant les « r » à l’ancienne, adoptant des postures quasi punk, énervée dans les transports en commun ou faisant le choix de l’évanescence pour un « Parlez-moi d’amour » final où les silences comptent autant que les notes. L’amour est un mystère, même si le cœur est un violon.

Je ne reviendrai pas sur le pédigrée des musiciens qui ont décidé de détricoter ces huit chansons au texte parfois hardi (« Youp Youp »), contant de petites histoires très cinématographiques telle cette course sur le quai d’une gare (« J’ai raté la correspondance »). C’est bien simple, leur point (de tricot, bien sûr) est des plus classiques : une maille à l’endroit, une maille à l’envers. Pile et face. Et c’est parti pour un tour. Avec eux, les mièvreries deviennent acidulées. On pense être tranquille à écouter Angela Flahault nous raconter ses aventures espiègles et… bim ! Ils déboulent comme des forcenés (« Partie sans laisser d’adresse » en mode rock sauvage par exemple) avant de lever le pied pour faire chanter les cordes. Il y a dans cet hommage amoureux un petit côté bal populaire dévoyé, où une poignée de danseurs un peu pompette assureraient tant bien que mal la stabilité de l’embarcation quand « La valse tourne ». Gros bisou et folle guinguette, comme il est dit quelque part ! Tibute to Lucienne Boyer est un disque (mais aussi, et surtout peut-être un spectacle) haut en couleurs dont on savoure chacun des moments avec la mine réjouie du gourmand qui sent ses papilles exploser. Un embrasement du palais, des inquiétudes diététiques repoussées au lendemain... La plaisir, tout de suite. Plaisir d’amour ne dure pas toujours…

Pas de pédigrée donc, mais une liste qu’il faut établir ici sans attendre, celle de tous les protagonistes, tant leur travail – une dentelle finalement – s’avère une réussite éclatante. Roberto Negro (piano et arrangements), Théo Ceccaldi (violon et arrangements), Valentin Ceccaldi (violoncelle et arrangements), Gabriel Lemaire (saxophones et clarinettes), Sacha Gillard (clarinettes), Quentin Biardeau (saxophones), Fidel Fourneyron (trombone), Éric Amorfel (guitare, banjo), Stéphane Decolly (basse électrique) et Florian Satche (batterie et direction artistique). Elle est là, et bien là, cette jeune garde qui n’a peur de rien, ne se refuse aucune embardée et n'est jamais là où on l’attend. Des teigneux adorables, des musiciens hyperactifs qui sont le jazz d’aujourd’hui, avec leur culture puisant si besoin dans les histoires d’avant. Soyez rassurés toutefois si leur avenir vous inquiète, parce qu'ils ont l’œil rivé sur demain. Leur histoire ne fait que commencer.

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