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Chronique ton bus !

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À la faveur d'un déménagement professionnel - mon bureau est désormais établi dans un quartier au sud de Nancy, soit à plus de trois kilomètres de mon domicile - je suis devenu un usager quotidien des transports en commun, et plus particulièrement de la ligne de bus numéro 2, mise en place récemment, au grand dam de bon nombre de mes concitoyens qui pleurent la raréfaction de leurs propres bus dans d’autres secteurs moins bien desservis. L’itinéraire créé à la fin du mois d’août 2013 constitue à lui seul un guide touristique pour qui voudrait en savoir un peu plus sur la Cité des Ducs de Lorraine et s’épargner le ridicule d’une déambulation, coiffé d’un casque, dans un petit train touristique (curieusement immatriculé en Alsace, ce qui démontre la capacité d’anticipation de nos élus à regrouper les régions) roulant à une allure de sénateur (mais au moins, ce petit train conserve un semblant d’utilité, ce qui le différencie de la ruineuse et bien opaque assemblée d’élus par les élus) : il commence par les hauteurs du quartier dénommé le Champ-le-Bœuf avant de traverser celui du Haut-du-Lièvre, célèbre pour ses barres d'immeubles aux dimensions démesurées, sa population économiquement défavorisée, son pôle médical parfois aux mains des fonds de pension américains, sans oublier sa nouvelle prison et, plus loin, tout au fond, le Zénith, salle de concert aussi sexy qu’une interview de Florent Pagny par Michel Drucker à l’époque du premier tiers provisionnel. Poursuivant sa route, le bus HNS (pour Haut Niveau de Service, ce qui signifie d'abord une fréquence de passage élevée et la possibilité d'y monter par n'importe quelle porte, ce que la plupart des passagers n’ont pas encore compris, eux qui s’obstinent à utiliser exclusivement la porte avant) emprunte deux boulevards, l'un desservant des quartiers résidentiels, l'autre abritant entre autres le campus lettres de l'université de Lorraine avec sa cohorte d’étudiants pas encore certains des raisons pour lesquelles ils ont échoué en cet endroit où il est bien plus facile d’entrer que de sortir diplômé. Il est alors temps de rejoindre le (très laid) quartier de la gare - en pleine rénovation et livré à une brigade d’architectes sadiques - avant de filer vers le centre ville et ses commerces,  où il approchera mais pas trop la Place Stanislas, avant de rejoindre le marché, sa nouvelle place sans verdure et de rallier via la Place des Vosges - qui ne présente qu'un très lointain cousinage avec son homologue parisienne - l'avenue de Strasbourg où vous attendent l'hôpital central et la maternité. Puis c'est la sortie de Nancy par le quartier Bonsecours, en direction de Jarville et enfin de Laneuveville, terminus tout le monde descend. On l'aura compris, la ligne 2 et son bus sont des instruments de brassage de beaucoup de populations locales (à l'exception de la tribu des automobilistes, souvent verts de rage à l'idée qu'on ait réduit leur aire de jeu à une simple file pendant que le bus s'épanouit sur sa propre voie).


Ligne 2 (couverture).jpgS'y asseoir, même muni d'un livre, c'est l'occasion privilégiée d'une observation tranquille de la congrégation bigarrée des passagers. Ce faisant, je me suis attelé à un petit travail consistant à scruter discrètement mes compagnons d’infortune itinérante et à noter rapidement, le soir, quelques unes des scénettes dans la contemplation – d’un œil, l’autre continuant sa lecture - desquelles j’ai pu me complaire. Si l’expérience s’avère concluante, j’envisage de rassembler ces textes après une relecture minutieuse sous la forme d’un livre qui paraîtra d’ici à deux ans. 


En attendant, je vous propose de découvrir trois extraits de ce livre en gestation...


#1


Ce matin, mon voisin, fort malodorant – il est tôt, trop tôt pour avoir déjà pris une douche – a le nez encombré. Il renifle, renifle et, n’y tenant plus, se tourne vers la vitre pour s’atteler à un savant nettoyage de ses narines dégoulinantes. Zut, il s’en met plein les doigts, ça devient compliqué pour lui. Je fais semblant de regarder ailleurs et poursuis ma lecture de « La montagne magique », qui réclame tout de même un minimum d’attention. Coup d’œil en coin de l’enrhumé matinal : persuadé que je ne m’aperçois de rien, il s’essuie méthodiquement les doigts sur son pantalon. Je devine un soulagement chez lui, malgré des mains qui sont devenues collantes. Fort heureusement, nous ne nous connaissons pas, je n’ai pas eu besoin de les lui serrer en guise de bonjour…


#2


Avis de grand calme ce matin. J’ai trouvé une place assise au fond du bus et je peux repartir à Davos pour tenir compagnie à Hans Castorp. Face à moi,  une drôle de géométrie s’est dessinée : deux jeunes femmes et deux garçons, probablement des lycéens. Les premières sont placées côté vitre et plongées dans la contemplation de leur téléphone, je les devine occupées à écrire des messages textes. A intervalles réguliers, elles jettent un coup d’œil au dehors, il fait encore nuit. Les seconds, assis entre elles, sont tout aussi mutiques et s’appliquent à un exercice de passivité absolue ; pas un seul mouvement, le regard plongé vers des mains qu’ils tiennent serrées entre les cuisses. Comme en sommeil, mais les yeux ouverts. Derrière moi, j’entends la conversation de deux lycéennes qui ponctuent la moitié de leurs phrases par des gloussements où je détecte la présence récurrente de « LOL », que je pensais réservés à l’expression écrite. Elles parlent de cinéma et téléchargeront Le loup de Wall Street , « parce qu’ils ont gagné assez d’argent comme ça ». En revanche, elles veulent absolument aller voir Yves Saint-Laurent, elles sont folles de Guillaume… Canet ! Elles vont être déçues, mais je ne dis rien.


#3


D'abord je ne comprends pas pour quelle raison il bouscule tout le monde et force le passage avec son chien. Ensuite, je me rends compte que je suis un idiot : il est aveugle ou plutôt… comment doit-on dire ? Mal voyant. C'est vrai que je trouvais ça téméraire de bousculer un groupe de jeunes en uniforme : casquette perchée sur le crâne blouson à capuche chaussures dites de sport avec plein de couleurs vernies et de marques écrites en gros qui vous font une démarche un peu stupide. Surtout qu'il flotte un soupçon d'agressivité dans le petit groupe, j'entends même une fille dire à l'un des mâles rigolards qu'il commence « à lui péter les couilles ». Une performance, tout de même, je ne sais pas comment il y est parvenu… Et puis voilà notre aveugle qui revient, finalement il préfère rester debout et s'accrocher à l'une des barres métalliques. Il la cherche des mains, sonde l'espace invisible mais ne la trouve pas. Alors, comme dans un seul geste - presque une chorégraphie - les garçons s'extirpent de leur bulle acide pour se plier en quatre et lui venir en aide. C'est à celui qui sera le premier à lui attraper le poignet avec délicatesse et conduire la main aveugle vers l'appui tant convoité. Sourire discret de l'homme en guise de merci. Un éclair de grâce vient de zébrer le bus…

Commentaires

  • L'expression "péter ou casser les couilles" est très courante dans bouche des jeunes filles (j'avoue qu'elle sort de la mienne aussi, très énervée, même si je ne suis plus très jeune...). Pour l'anecdote, quand je reprend ma fille sur cette phrase en lui disant "impossible tu n'en a pas !", elle m'a répondu très justement "J'en ai plus que la plupart des gars." Et je suis carrément d'accord avec elle ! ;))

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