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Au-delà de la contrebasse

renaud garcia-fons, contrebasse, jazz, citizen jazzDe deux choses l’une : ou vous connaissez depuis belle lurette l’étendue du talent de Renaud Garcia-Fons et dans ces conditions la parution d’un nouveau CD-DVD composé d’une compilation établie par le contrebassiste lui-même et d’un film consacré à son parcours musical devrait vous ravir, même si vous n’aurez que deux nouvelles compositions à vous glisser entre les deux oreilles ; ou bien vous n’avez entendu parler de lui que de très loin, voire pas du tout – ce que je ne manquerais pas de considérer comme une grave erreur de votre part même si je n’ignore pas que la perfection n’est que très rarement de ce monde – et alors, cette double galette faisant office de carte de visite de luxe devrait vous inciter à vous lancer dans la découverte d’un artiste hors normes.

Je tiens à préciser que je ne possède aucune action dans l’entreprise Garcia-Fons mais que, après voir considéré les quarante-cinq années passées, celles qui débutent avec mes premières illuminations musicales, le bonhomme fait partie – c’est indubitable – de mes compagnons de vie, il est l’un de mes musiciens de chevet, de ceux vers lesquels je reviens toujours, lorsqu’après avoir englouti des heures et des heures de découvertes musicales, je suis gagné par la nécessité de m’abreuver aux sources. Je pourrais établir une liste de la dizaine de ces inspirateurs, mais ne voulant pas encourir le risque d’une injustice faite à celles et ceux que je ne citerais pas pour diverses raisons, je m’en garderai bien aujourd’hui. Renaud Garcia-Fons est un maître chanteur, un virtuose dont la technique époustouflante est la garantie d’une transmission sans entrave de la moindre de ses émotions, avec la plus grande fidélité. Homme du sud – il est d’origine espagnole – le contrebassiste habite sa musique comme celle-ci est habitée de ses racines au cœur desquels vibre un chant comme il en est peu.

Elève du grand François Rabbath, Garcia-Fons est entré dans l’univers du jazz à travers ses collaborations avec le trompettiste Roger Guérin, ou bien en tant que membre de l’Orchestre de Contrebasses, avant d’intégrer l’Orchestre National de Jazz sous la direction de Claude Barthélémy, de 1989 à 1991. Mais très vite, sa personnalité singulière va émerger : sa musique, principalement balisée par une dizaine d’albums, tous publiés sur le label Enja Records, en tant que leader (auxquels on peut ajouter quelques autres, comme par exemple ceux réalisés en collaboration avec Gérard Marais ou Nguyên Lê) est une invitation au voyage, un appel vers les espaces insoupçonnés du chant de l’âme. Chez lui, il n’est pas question de « jouer » mais plutôt d’être « en » musique, de ne faire qu’un avec elle et de délivrer une vibration dont le chant solaire est incomparable et unique. Certains n’hésitent pas à employer le terme de « génie » lorsqu’ils évoquent Renaud Garcia-Fons ; j’ignore si le mot est approprié (c’est un mot dont je me méfie comme de la peste) mais il laisse deviner à quel point le contrebassiste est un artiste majeur dont le chemin de lumière est celui du ravissement pour celles et ceux qui décident de faire un bout de route avec lui. A titre personnel, ce périple a commencé il y a une quinzaine d’années et je suis toujours gagné par la même fièvre à chaque fois qu’un nouveau disque est annoncé... même lorsqu’il s’agit d’une compilation !

Qu’il joue seul (Légendes – 1992, The Marcevol Concert – 2012), en duo avec Jean-Louis Matinier (Fuera – 1999), en trio (Entremundo – 2004, Arcoluz – 2005), en quartet (Alborea - 1995, La Linea Del Sur – 2009) ou en faisant appel à des contributions multiples pour hisser encore plus haut le pavillon des couleurs chamarrées de sa musique (Oriental Bass – 1997, Navigatore – 2001, Méditerranées – 2010), Renaud Garcia-Fons ne cesse de nous raconter une histoire aux parfums d’éternité : celle-ci, racines obligent, part des rivages de la Méditerranée et navigue vers tous les continents à la conquête de leurs cultures et de leurs traditions, qu’il fait siennes et laisse infuser au plus profond de son univers. L’invitation au voyage est à chaque fois renouvelée : latine par essence, on y entend du flamenco, mais aussi de la musique indienne, on peut aller jusqu’en Amérique du Sud ou en Europe de l’Est, y découvrir de lointains échos du folklore irlandais, mais toujours dans l’harmonie d’une puissante passion pour toutes les musiques. Une soif inextinguible, une offrande de chaque jour.

Il faudrait la connaissance d’un expert – tel n’est pas mon cas - pour parler de la technique fabuleuse de Renaud Garcia-Fons, dont l’instrument est bien plus qu’une contrebasse : avec ses cinq cordes, elle se joue de tous les obstacles de la technique et sait se faire aussi bien violon que guitare, il peut lui arriver de se charger d’électricité et même d’entrer en connexion avec l’univers de l’électronique. Mais peut-être ne sont-ce là que des considérations périphériques pour qui ne souhaite rien d’autre que de voyager avec lui et se laisser emporter. La technique n’est pas chez cet homme une fin en soi, elle est une vibrante courroie de transmission du chant.

Avec cette compilation intitulée Beyond The Double Bass dont il a opéré lui-même les choix parmi 118 compositions (j’ai compté, inutile de vérifier), Renaud Garcia-Fons joue la carte de l’exhaustivité en faisant en sorte que chacun des albums soit représenté, mais sans se contraindre à un ordre chronologique. L’idée était de sélectionner des compositions qui puissent témoigner de la diversité de son travail de création et mettre en avant des pièces accordant une place importante à la contrebasse, dans un souci de cohérence et d’homogénéité de l’ensemble. Au point que celui qui découvrira cette musique avec le disque pourrait croire à un album « normal ». Le répertoire est d’une grande richesse et ses différentes déclinaisons sont autant de variations dans les couleurs projetées sur un même paysage.  Au total, douze extraits auxquels Garcia-Fons ajoute deux inédits dont une chanson (« Camino de Felicidad ») qui permet d’entendre à nouveau la voix de sa fille Solea (déjà présente sur l’album La Linea Del Sur).

Bien sûr, ceux qui – comme moi – possèdent déjà tous les disques cités un peu plus haut, pourraient regarder d’un œil un peu dépité la présence de ces deux inédits : comment, acheter un disque pour deux titres seulement, n’est-ce pas un peu abusif ? Mais ils se consoleront vite avec la présence d’un DVD et du film de Nicolas Dattilesi, qui connaît bien son sujet pour être lui-même un passionné de l’œuvre du contrebassiste. Son film est construit autour de plans inédits pris lors de l’enregistrement live du concert solo au Prieuré de Marcevol (The Marcevol Concert) et de témoignages de différents amis comme le guitariste Nguyên Lê, le contrebassiste Barre Phillips ou le fidèle luthier Jean Auray. Tous disent leur admiration, voire leur fascination pour la magie qui opère dès lors que Renaud Garcia-Fons empoigne sa contrebasse, avec ou sans archet, et laisse libre cours à sa poésie de l’âme humaine.

Ce monsieur est un grand, qu’on se le dise...

Bonus...

Le Trio de Renaud Garcia-Fons interprète « Berimbass » (extrait du CD/DVD Arcoluz)

Reanud Garcia-Fons solo interprète « Kalimbass » (extrait du CD/DVD The Marcevol Concert)

Voir la bande annonce du film Au-delà de la contrebasse

Voir mes chroniques des disques de Renaud Garcia-Fons pour Citizen Jazz

Commentaires

  • Pour moi aussi, le son de la contrebasse de Renaud Garcia-Fons, la personnalité énigmatique et pleine de retenue et nonobstant passionnée de ce musicien ont constitué une rencontre fondamentale dans mes divagations musicales.
    Bien sûr c'est en suivant l'accordéon, celui de Venitucci ,que je l'ai rencontré, et La Linea Del Sur reste pour moi une oeuvre fondamentale que je ressasse. Dans deux autres rencontres : celle du texte de l'album Marcevol, et un court échange , où il m'a dit avec son demi sourire : "Ainsi vous me poursuivez, ainsi vous aussi vous voyagez pour la musique" il me semble avoir entrevu quelque chose de sa remarquable personnalité...
    Oui c'est peut-être le mot génie qu'il faut utiliser Denis mais au sens latin pour cet Homme de la Méditerranée, ingenium, Talent Donné ...
    Merci en tout cas de ton bel article plein d'enseignements ...

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