Sunday Night Blues
Quand quelques idées s'entrechoquent, au soir d'un dimanche pluvieux...
Dans quelques jours débutera à Nancy une fête foraine annuelle d'un mois. La foire, comme on dit par ici... Les camions et leurs manèges ont fait leur entrée dès lundi matin dans la ville, provoquant de beaux bouchons et, ce faisant, la colère de l'homo automobilus en route vers son labeur et de fait coincé dans sa maisonnette sur roues. Quant à moi, plus piéton que jamais, j'observais ce matin les véhicules dans lesquels s'exhibent la plupart des forains : en règle générale, de très très grosses cylindrées allemandes, véritables attentats écologiques qui m'y feront regarder à deux fois avant que j'engage le moindre centime d'euro - ce qui ne m'est pas arrivé depuis des lustres - dans l'une ou l'autre de ces attractions bruyantes et kitsch qui, tout au plus, me permettront de repartir chez moi l'estomac retourné ou les bras chargés d'un affreux lot de consolation fabriqué dans la dictature eldorado chérie de nos ayatollahs néo-conservateurs, hypocritement baptisée RPC sur les étiquettes introuvables de la plupart des produits qu'on essaie de nous fourguer à tout bout de magasin*.
Ah, puisqu'on parle des ayatollahs du libéralisme échevelé (privatisons les bénéfices, mutualisons les dettes), je pense à cette récente émission vue sur l'excellent site Arrêt sur Images qui avait pour sujet d'étude le directeur du journal l'Express, le sémillant et omniprésent Christophe Barbier, toujours ceint de son écharpe rouge, éditorialiste bien fourni en ronds de serviette sur de nombreux plateaux de télévision consentants. Ce journaliste, dont l'inspiration idéologique pourrait être qualifiée de thatchero-zemmourienne, aime s'adonner sur son blog à quelques saillies provocatrices, qu'il justifie au nom de je ne sais quel besoin de débat, qu'il faudrait impérativement lancer. Soit. Il s'attaquait l'autre jour à la question des obèses montrés du doigt par les compagnies aériennes qui menacent de surtaxer les sièges passagers de ces encombrants bipèdes. Soit encore, cette question est intéressante, car elle traite potentiellement de plusieurs sujets sensibles : la discrimination d'une part, les raisons de la croissance exponentielle de l'obésité dans les sociétés occidentales selon le modèle américain d'autre part, pour ne citer que les plus prégnantes. Mais, comme l'aurait dit Rossini, ce vil Barbier préfère choisir un angle plus pernicieux en opposant ceux dont l'obésité serait d'origine génétique et les autres, qui auraient grossi par manque de volonté. Il faudra que ce professionnel de la parole m'explique la méthode qu'il va employer pour séparer les uns des autres et comment il pourra extraire le phénomène de l'obésité galopante de son contexte social, lui même résultant d'un système économique (dont il reste le défenseur) à la dérive. En réalité, ce « bougisme » médiatique un brin stérile n'est probablement rien d'autre qu'une flatulence intellectuelle - une parmi tant d'autres - ayant pignon sur écran depuis quelque temps, mais qui nous interpelle fortement quant à son pouvoir de nuisance dans les esprits. Et doit nous inciter à la plus extrême vigilance.
Esprit es-tu là ? Certains pensent que l'art possède des vertus rédemptrices pour l'homme. Je fais partie de ceux-là et lorsque le quotidien devient lourd à porter, la musique m'est d'un précieux secours. Hier soir, une chorale chantait le Requiem de Gabriel Fauré en la cathédrale de Nancy. Adultes et enfants dans un même élan : de quoi vous enchanter et vous laisser croire qu'il existe encore une porte de sortie à ce maelström dans lequel nous sommes englués, nous les humains. Et une incitation très forte à mettre le doigt là où ça fait du bien en partageant avec vous quelques oeuvres fortes. Comme celles que crée avec un talent fou le clarinettiste saxophoniste Louis Sclavis, auquel je pense à la minute présente parce qu'une collègue blogueuse qui l'a vu sur scène tout récemment est encore, semble-t-il, sous le charme puissant de sa musique. On la comprend ! L'abondante discographie du bonhomme depuis 25 ans témoigne de sa créativité sans pareille, dans une ascension régulière et dont ses quatre derniers disques, d'une stupéfiante beauté, sont à chaque fois autant de promesses avérées pour l'avenir : « L'Affrontement des prétendants » (2001), « Napoli's Walls » (2003), « L'Imparfait des Langues » (2007) et « Lost On The Way » (2009). Ces petites merveilles, toutes publiées sur le label ECM, inventent un jazz contemporain, en éveil permanent.
L'éveil, vous dis-je !
* Cette phrase compte 731 caractères, mais je suis capable de faire beaucoup mieux... ou pire, c'est vous qui voyez !
Commentaires
un réjouissant coup de gueule que voilà.
D'accord avec Gisèle!
Appréciés particulièrement:le"vil Barbier", "la flatulence intellectuelle", et "l'éditorialiste bien fourni en ronds de serviette sur de nombreux plateaux de télévision"!!! et d'accord bien sûr pour souligner la non prise en compte du facteur sociologique dans le phénomène de l'obésité galopante...Marx est mort !le règne de la génétique re-commence!
D'accord encore avec les bienfaits de la musique. Nous venons d'assister ce WE à trois concerts roboratifs dont deux de Raul Barboza (et Nardo Gonzalez, guitare): beauté des sonorités alliée à la chaleur humaine, à l'humour tendre, et au chant de la poésie du monde...ça fait du bien!!!
FR
@ Gisèle et Françoise : c'est vrai qu'en me relisant, je m'aperçois qu'il y a quelque chose qui ressemble à un petit coup de gueule dans ma note. Et pourtant, mon "inspiration" première était plutôt celle de cette sensation désagréable qui me gagne le dimanche soir, proche de la tristesse, depuis que je suis gamin. D'où le "Sunday Night Blues".
Si déjà on peut s'échapper par la musique, celle qu'on a choisie.... oui c'est ton coup de gueule (je n'ose pas la faire mais je n'en pense pas moins)...
Comment ne pas être d'accord ? Chacun trouve dans l'art ses propres résonnances, nous partageons celles de Louis Sclavis (et de Fauré, et de quelques autres !), il y en a d'autres, mais toutes ont cette particularité de faire vibrer au plus profond de soi une corde que chacun nommera à sa guise. Pour moi, c'est celle du sens de la vie, comme diraient les Monty Python :-)
yeah !
aa