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Spring In Swing

C'est l'heure du dixième rendez-vous (eh oui, le temps passe si vite...) pour le collectif des blogueurs, passionnés de musique en général et de jazz en particulier, unis sous la bannière du "Z Band". Nous avons choisi pour l'occasion - comment s'en étonner d'ailleurs ? - de célébrer le printemps et de lui associer ce qui, finalement, lui sied comme un gant : le swing.

Les différentes contributions sont à découvrir chez mes amis distants :

- "Springtime" d’Eric Dolphy, version Eberhard chez Jazz à Berlin ;
- "Springtime for… & Correction", chez Jazz à Paris ;
- Blossom Dearie et sa "Ballad Of The Spring" chez Jazz Frisson à Montréal ;
- “You must believe in spring” de Michel Legrand à Bill Evans, chez La Pie / JazzOcentre ;
- Clifford Brown avec "Joy Spring" sur Ptilou’s Blog ;
- "Springtime again", par Sun Ra chez Mysterio Jazz / Bill Vesée ;
- "Spring" par Kenny Dorham chez Belette ;
- "Springtime dancing", par Manu Katché chez Bladsurb ;
- "Everytime We Say Goodbye" de Jeanne Lee & Mal Waldron, du côté de chez Jazzques.

Ici, il sera question de John Coltrane et de sa version de "Spring Is Here", signée Rodgers & Hart.

coltrane_prestige_recordings.jpg

L'étymologie du mot printemps est, chez nous français, assez sommairement calendaire - c'est le premier temps de l'année (qui en compte quatre) - et plutôt dénuée de fantaisie. Au moins, nos voisins espagnols et italiens qui ont puisé à la même source se sont-ils arrangés pour que le mot sonne avec élégance et beaucoup plus de musicalité : primavera. Tout de même plus joli que notre martial et sec printemps ! Les anglais, quant à eux, ont chargé le mot de beaucoup plus de sens. Ils ont raison. Car leur spring est fortement dosé en éclosion, jaillissement ou surgissement. Il y a dans leur printemps toute l'idée de naissance, toute la dimension vitale qui font cruellement défaut à notre acception hexagonale, plus digne d'un manuel de compatibilité que d'un recueil de poésie.

Aussi, lorsqu'il s'est agi de débusquer dans ma discothèque le titre ou l'album qui répondrait correctement au défi lancé par l'un des membres du Z Band, mon choix s'est assez vite porté sur « Spring Is Here », une composition de Rodgers & Hart que John Coltrane avait enregistrée le 11 juillet 1958 et qu'on trouve à l'origine sur un album appelé Standard Coltrane.

Les quelques recherches que j'avais effectuées pour trouver la pépite convoitée m'avaient d'abord fait emprunter des chemins inadaptés : pas question d'imaginer en effet une évocation du Sacre du Printemps d'Igor Stravinsky ; encore moins de vous donner à écouter « Au printemps », la chanson de Jacques Brel. Hors sujet. Et que dire de l'histoire, qui reste à raconter, de cet énigmatique Buffalo Sprinfield, groupe légendaire des années 60 au sein duquel s'illustrait un Canadien solitaire qui se ferait connaître très vite sous le nom de Neil Young ? Passionnante à n'en point douter, mais pas vraiment swing. Encore qu'une telle affirmation mériterait certainement d'être discutée. J'ai dû aussi renoncer à vous parler de « Springtime » d'Eric Dolphy, une de mes premières pistes de travail, parce qu'une version de ce thème doit être présentée par l'un de mes collègues blogueurs et que la redondance me gênait un peu aux entournures.

Fort heureusement, le chantier trimestriel auquel nous nous astreignons - avec la plus grande joie - m'a fait (re)poser la main sur un monumental coffret, aujourd'hui difficile à trouver et disponible seulement à un prix exorbitant, que je m'étais acheté voici 18 ans maintenant presque jour pour jour, alors que le printemps pointait le bout de son nez, déjà. Une preuve que le hasard n'existe pas. The Prestige Recordings, soit seize CD gorgés jusqu'à leur limite physique de la musique enregistrée par John Coltrane, en tant que leader ou sideman, pour le compte du label Prestige entre le 24 mai 1956 et le 26 décembre 1958. Vingt heures de sessions qui n'incluent cependant pas celles que le saxophoniste avaient enregistrées avec Miles Davis, et qui ont elles-mêmes fait l'objet d'une réédition particulière sous le titre de The Legendary Prestige Quintet Sessions. Ce coffret donc, qui n'est rien moins que le témoignage comme en direct de l'envol de John Coltrane vers les hauteurs stratosphériques où il ne tardera pas à évoluer, est bien celui de l'éclosion, du jaillissement. Il est à n'en pas douter la matérialisation du printemps d'un artiste hors normes dont les saisons allaient malheureusement se succéder à une bien trop grande vitesse, au point que le sinistre hiver le cueillera à l'aube de la quarantaine, laissant sur le carreau un nombre incalculable de musiciens qui voyaient s'évanouir prématurément ce Maître Coltrane en quête d'une musique qu'il voulait absolue. The Prestige Recordings rassemble dans leur intégralité une bonne douzaine d'albums (comme Lush Life, Dakar, The Last Trane, Stardust, Bahia, Black Pearls, Settin' The Pace ou The Believer) ainsi que de nombreuses pièces éparpillées parmi une vingtaine d'autres enregistrées par Sonny Rollins, Red Garland, Kenny Burrell, Ray Draper ou Tadd Dameron. Une caverne d'Ali Baba musicale qu'on ne cesse de visiter avec, à chaque fois, la même curiosité et la plus grande des gourmandises. Et qui nous permet de mesurer l'intensité de l'engagement de John Coltrane dans sa musique, la vitesse folle à laquelle son art évoluait. Nous sommes ici encore très loin des déchirements mystiques de sa dernière période, celle qui va de l'année 65 à sa mort en juillet 1967, le registre de ces trente mois de sessions étant plutôt celui d'un hard bop d'une facture qui nous semble aujourd'hui classique, voire sage. Mais John Coltrane marque chaque mesure jouée d'une empreinte très particulière, habitée d'un lyrisme communicatif qui annonce le leader qu'il deviendra très vite (souvenons-nous que c'est l'année suivante, en 1959, qu'il signera avec le label Atlantic et enregistrera ce que beaucoup considèrent comme un disque phare, Giant Steps).

john_coltrane.jpgRevenons à nos moutons de printemps, parce qu'il faut bien, tout de même, répondre à notre commande du moment. Et savourons le fait qu'on trouve, niché parmi les quelque 126 compositions qui constituent cette coûteuse mais si riche intégrale, un certain « Spring Is Here » (1) ! Bingo, l'affaire est dans le sac. Ce thème de Richard Rogers et Lorenz Hart, composé en 1938 pour la comédie musicale I Married An Angel, est bien celui qu'il nous faut pour célébrer le printemps. Sa traduction est en effet on ne peut plus simple : le printemps est là. La fraîcheur de la mélodie, le swing tranquille qui semble couler naturellement de chaque note, font de ces minutes captées le 11 juillet 1958 un petit moment de bonheur apaisé, servi par des musiciens qui se connaissent fort bien. John Coltrane, volubile à souhait, réunit ce jour-là en effet ses trois acolytes du quintette de Miles Davis (Red Garland au piano, Paul « Mr P.C. » Chambers à la contrebasse et Jimmy Cobb à la batterie) auquel vient s'ajouter Wilbur Harden, un trompettiste de la scène hard bop, avec lequel le saxophoniste avait auparavant enregistré trois albums en tant que sideman sur le label Savoy. Certains spécialistes considèrent qu'il s'agissait là comme d'une sorte de renvoi d'ascenseur envers un musicien qui n'était peut-être pas de la trempe d'un Donald Byrd avec lequel Coltrane s'était tout récemment mesuré, et encore moins d'un Miles Davis. Mais l'esprit est là, Coltrane habite très vite l'espace et offre au bout de trente-huit secondes un chorus fougueux qui nous explique pendant près de deux minutes qu'il a beaucoup de choses à nous dire.

Les huit titres enregistrés ce jour-là viendront trouver leur place sur trois albums différents (Standard Coltrane, Stardust, Bahia), qui s'ajoutent à une discographie déjà substantielle et qui n'en finira pas de grandir. Au point que la délimitation de ses contours est souvent très complexe, aujourd'hui encore. On peut s'en faire une idée assez complète en allant voir par ICI.

podcast

John Coltrane (saxophone ténor), Wilbur Harden (trompette, bugle), Red Garland (piano), Paul Chambers (contrebasse), Jimmy Cobb (batterie). Enregistré le 11 juillet 1958. Disponible sur l'album Standard Coltrane.

(1) Six mois plus tôt, Coltrane enregistrait « It Might As Well Be Spring » pour le compte de Gene Ammons. Cette session sera publiée sous le nom de Groove Blues et fait aussi partie de The Prestige Recordings. Une preuve que le printemps peut aussi éclore avant la saison !

Commentaires

  • Un demi siècle plus tard, il continue de nous parler. On ne s'en lasse jamais !!!

  • Belle session que ce 11 juillet 1958... et Coltrane attaque fort ce "spring is here". Ce coffret fait un peu rêver...

  • Aurais-je à nouveau coupé de l'herbe sous le pied ? Désolé, j'ai du rater une mention quelque part. Bel article, fort documenté, merci... Qui laisse à penser qu'un deuxième article sur Eric Dolphy "Springtime"n'aurait pas été redondant du tout !

  • Je viens de voir que ce "Spring Is Here" est aussi présent sur le disque The Stardust Session, qui compile les enregistrements du 11 juillet 1958.
    Bon article en tout cas!

  • Merci de nous faire partager un peu de ce coffret ultra-collector... et bravo pour la leçon de langues européennes comparées :-)
    Comme je te répondais chez moi avant même d'avoir lu ton billet, les fans de Coltrane savent ce que le jazz doit aux comédies musicales ! Je pensais évidemment à My Favorite Thing, mais en voici une preuve supplémentaire !

  • @ La pie blésoise : et encore, je vous ai épargné le "fruhling" de nos amis Germains, parce qu'à chaque fois que j'entends de l'Allemand - est-ce parce que je suis lorrain ? - j'ai l'impression de me faire engueuler...

    @ Lomi : tu as parfaitement raison. Je me suis limité à l'album original sur lequel "Spring Is Here" est sorti, ainsi qu'à la réédition de ce coffret magnifique. Mais bien entendu, tu sais que la discographie de Coltrane devient vite opaque dès lors qu'on additionne les rééditions.

  • Merci pour cette limpide démonstration du génie de Coltrane!

    Jean Francois

  • Coltrane, on ne s'en lasse pas et les albums que tu as cités sont tous excellent. Je conseillerais aussi le honteux live à l'Olympia de Miles Davis en 1960. Honteux parce que Trane se fait siffler par un public obtus, alors qu'il révèle complètement ce qu'il sera plus tard. C'est un véritable document, qui fascine et qui fait mal à la fois.

  • Très bon conseil en effet, ce concert de l'Olympia. Où Coltrane frappe d'emblée très fort sur "All Of Me", avec un chorus qui soulève - on l'entend très bien - le public. De somptueuses minutes qui lui arrachent sifflements mais aussi applaudissements, on sent que quelque chose se passe. 50 ans plus tard, la magie ne s'est pas évanouie le moins du monde, ces instants restent uniques !

  • Je vois aussi sur le parcours, pour me rendre à mon travail, deux maisons squattées, dont les murs ont été peints, un peu dans le genre de ce que tu nous montres, des revendications, des manifestes....

  • Swing in Spring Is A good lesson for me and has information That I Will keep in my mind like this The information has So Much good and take in MOST for the information.

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