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zaza desiderio

  • Là-bas et ici...

    La&Ca_Se_Souvenir.jpgC’est le type-même du disque auquel on ne s’attend pas vraiment et qui vous fait du bien, tout de suite. Comme un dépaysement, dans l’espace et dans le temps, un voyage instantané dont les tour operators seraient de jeunes musiciens ayant leur camp de base du côté de Lyon et des attaches plus lointaines, par-delà les océans. Un autre gang des Lyonnais, en quelque sorte, mais honnête et poétique celui-là, empreint de beaucoup de tendresse. Ils ont pour nom La&Ca, ce qui signifie « là-bas et ici » en portugais (comprenez « au Brésil et en France »). Parce que l’histoire de ce trio devenu quatuor a commencé à Rio de Janeiro il y a quelques années, lorsque Camille Thouvenot (piano et moog) et Audrey Podrini (violoncelle) ont retrouvé le batteur percussionniste Isaias « Zaza » Desiderio afin de s’y produire en concert. Le pianiste et le carioca se connaissent bien, eux qui sont membres d’un autre trio, Dreisam, aux côtés de la saxophoniste allemande Nora Kamm. Souvenons-nous de leur Source, un album que j’avais évoqué ici-même il y a trois ans dans une chronique intitulée « Et au milieu coule la Dreisam », et que mon camarade citoyen Olivier Acosta n’avait pas manqué de saluer dans le magazine Citizen Jazz. À cette époque, j’ignorais que les références cinématographiques seraient de nouveau à l’ordre du jour (cf. un peu plus loin) à l’occasion d’un autre disque.

    La&Ca, donc. Une formule sonore assez peu courante finalement, au service d’un projet musical s’inscrivant entre jazz et musique de chambre, et qui fusionne les expériences de trois musiciens qui ont appris à plonger ensemble dans un état de douce rêverie. Un peu plus tard, sans doute par gourmandise pour les couleurs chatoyantes, le trio a fait appel à une autre voix, celle de la clarinette de Vincent Périer. Intimisme garanti, chaleur des timbres, douceur des textures et subtiles échappées vers des rivages plus progressifs et tourmentés, en particulier lorsque Camille Thouvenot délaisse son piano pour s’emparer d’un moog, cet instrument dont les excellents praticiens sont assez rares et qui semble provenir d’un passé devenu aujourd’hui lointain (je pense ici aux années 70, bien sûr). Voilà pour ce qui est des ingrédients d’un disque auquel on s’attache si facilement, et dont le titre fait écho à un film signé en 2001 par la réalisatrice actrice Zabou Breitman : Se souvenir des belles choses. Ce long métrage traitait de la question douloureuse de la mémoire qui s’enfuit. Le disque, quant à lui, invite chacun d’entre nous à s’arrêter pour mieux considérer le monde dans tous ses états : la nature, la ville et ses complications, l’histoire et la guerre, les éléments, les voyages, l’absence ou le silence. Publié chez Inouie Distribution, Se souvenir des belles choses est de ces albums qu’on peut aussi feuilleter… parce qu’il n’y a pas que le streaming dans la vie. Belle idée en effet que ce livret illustrant chacune des onze compositions (toutes signées par les membres du groupe) au moyen d’une photographie et d’un texte original ou en forme de citation (Antoine de Saint-Exupéry, Pierre Lemaître). Ainsi tous les sens sont en éveil, parce qu’il faut bien se souvenir si l’on veut exister. De ce que nous sommes, d’où nous provenons et dans quel univers nous vivons. Se souvenir des belles choses sans pour autant ignorer les autres…

    La musique, d’une élégance naturelle, est à l’aune de ces évocations. Jamais mièvre, toujours fluide. Si le lyrisme du moog et la force souple de la batterie nous rappellent qu’elle s’inscrit sans ambiguïté dans le temps présent, les couleurs acoustiques délicatement ourlées du piano, du violoncelle et de la clarinette renvoient souvent à un néo-impressionnisme qui trouverait sa source dans la musique au début du siècle dernier. Juste avant le besoin de bouger, de danser, d’être en mouvement : parce que Charlie Parker, parce que valse, parce que samba, parce que... le tourbillon de la vie et les images qu’il projette, nostalgiques parfois. Surtout, c’est la perception d’une lumière irisée – peut-être celle des bien nommées « Couleurs d’automne » ou du ciel « Juste avant l’orage » – qui émane de l’écoute de ces échappées aux accents intemporels. Et d’une forme d’apesanteur, aussi, juste avant l’oubli… La&Ca joue – avec une discrétion qui l’honore – la carte d’un enchantement apaisant. L’enchantement, un mot qui en contient un autre, essentiel : le chant, celui qui se fait entendre entre là-bas et ici. Les influences (classique, jazz, latino…) des trois musiciens agissent ici comme des catalyseurs de nuances pour laisser émerger un langage amoureux de la vie. Et de tous les souvenirs qu’on pourra engranger au fil des jours. On se souviendra de toutes ces belles choses, c’est sûr. « In the silence »…

  • Et au milieu coule la Dreisam

    dreisam, source, nora kamm, camille thouvenot, zaza desiderio, jazz, lyonJe n’irai pas par quatre chemins. Voilà, tout simplement, un de mes coups de cœur de cette deuxième partie de l’année ! Un disque gracieux et raffiné, dont les inspirations sont à la fois celles du jazz, de la musique néo-impressionniste du début du XXe siècle mais aussi, on le comprendra vite, de la musique brésilienne ; une belle Source dont j’ignorais tout jusqu’au jour où une main bienveillante eut la bonne idée de le déposer dans ma boîte aux lettres, à la fin du mois d’août. Une surprise d’autant plus agréable que son conditionnement sous la forme d’un objet à la finition soignée, presque taquin, fait surgir comme par malice un CD lutin au moment où le digipack s’ouvre sous vos yeux. Je n’oublie pas – j’y tiens beaucoup – de saluer les efforts accomplis par les musiciens pour donner à leurs albums une identité véritable, celle qui donne envie de se procurer le disque en tant qu’objet pour le conserver ensuite comme on le ferait d’un beau livre. Je ne prétends pas qu’il sera possible d’endiguer le raz-de-marée de la dématérialisation numérique forcenée et d’atténuer les effets secondaires de ces étranges algorithmes de nature fleurpellerinesque qui engendrent un zapping musical forcené, sans âme et sans consistance chez tant de nos contemporains et se présentent comme un défi malsain, celui de la crétinerie massive badigeonnée aux excès de l'ultralibéralisme, lancé à l’imagination créative, mais il me plaît de croire que des actions résistantes comme celles-ci, aussi modestes soient-elles, constituent une réponse élégante qu’il faut encourager à tout prix. Dont acte...

    Revenons à ce premier disque du trio Dreisam. Drôle de nom pour un groupe, non ? En réalité, pas tant que ça puisque c’est après un concert donné à Freiburg en 2011 que Nora Kamm, Camille Thouvenot et Zaza Desiderio décidèrent de donner à leur formation le nom de la rivière qui coule du côté de cette ville allemande. Dreisam – le groupe – se présente sous la forme d'une aventure à la fois triangulaire et internationale.  D’abord parce que l’équilibre atteint par sa formule pas si courante frise la perfection formelle : lyrisme radieux du piano, séduction immédiate du saxophone dont l’énergie est contenue dans un écrin de douceur, foisonnement festif de la batterie. Tout autant que la rivière originelle, les mélodies paraissent couler naturellement de chacun des instruments, dont aucun ne domine jamais les deux autres. Dreisam est un triangle équilatéral, une figure géométrique de l'équilibre. Des dix compositions originales (chaque membre du trio apporte sa contribution), qui font l’objet d’un soin minutieux et bénéficient d’arrangements d’une grande élégance, émane une poésie de l’instant qui touche au plus près du cœur parce que la musique qui se joue est la traduction d’un chant vibrant et chaleureux. Toutes manifestent un appétit de voyage et sont parées de couleurs chaudes, d’une fluidité harmonique qu’on pourra qualifier de néoromantique, et dont tout porte à croire qu’elle est l’émanation d’une fusion réussie, celle de trois personnalités complémentaires. Cette symbiose n’est pas sans rapport avec les origines des trois musiciens : leurs nationalités et, de fait, leurs cultures, comptent certainement pour beaucoup dans l’expressivité et le métissage de la musique assemblée sous l’entité discographique Source. Elles nourrissent chez eux le besoin de s’enrichir de leurs différences et de les sublimer avec une sérénité qui fait un bien fou. Camille Thouvenot est français, Nora Kamm allemande et Zaza Desiderio brésilien. Tous trois ont adopté depuis quelques années la belle ville de Lyon, devenue le trait d’union de leurs imaginations et le point de départ d’une histoire qui les verra se produire dans différents festivals et clubs. Jusqu’à ce jour de mai 2013 où ils bénéficieront du concours de Gérard de Haro aux studios La Buissonne pour l’enregistrement de leur premier disque. Dans ces conditions, quoi de plus naturel que tout le travail accompli depuis 2011 et le concert de Freiburg trouve un aboutissement sous le titre de Source ?

    Source, comme son nom l’indique, est un point de départ. Son charme contagieux donne envie de connaître la suite ; en attendant, cet album en forme de découverte devrait en séduire plus d’un. A commencer par moi !

    PS : j’ai salué récemment la parution de cette très belle Source lors de l’émission Jazz Time dont mon camarade Gérard Jacquemin m’a confié la programmation au mois de septembre. Vous pouvez l’écouter en ligne sur la page On Air de ce blog.

    Dreisam : Source
    Zaza Desiderio (batterie), Nora Kamm (saxophones), Camille Thouvenot (piano).
    Diapason 002 - Absilone / Socadisc