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  • Yôkaï

    front.jpgUne belle passe de trois pour la batteuse Anne Paceo qui, après deux albums très réussis avec son trio (Triphase, Empreintes), nous revient cette fois dans une formation élargie. Encore plus de couleurs, une inspiration africaine qui fait chanter l'enfance de la musicienne, pour une création plus personnelle née d’un projet lancé au début de l’année 2011.

    Du côté de chez Laborie, on étoffe tranquillement un catalogue haut de gamme : car dans la période toute récente, outre ce Yôkaï charmeur, une figure légendaire du jazz européen, un autre batteur, Daniel Humair, vient de signer un manifeste aigre-doux en faisant appel à quelques artificiers de la jeune garde (Vincent Peirani, Émile Parisien et Jérôme Regard). Son Sweet & Sour est hanté par une fièvre libertaire, la camarade Diane l’ayant d'ailleurs salué comme il se doit dans une récente chronique du côté de chez Citizen Jazz. Dans ce concert de louanges, je n'oublie pas le roboratif Chien-Guêpe d'Émile Parisien ni même les enchanteurs Vertigo Songs de la pianiste Perrine Mansuy, qui nous avait réjouis il y a un an. Et puis... Yaron Herman. Et puis... Shaï Maestro. Bref, beaucoup de beau monde. Allez faire un petit tour du côté de chez eux, vous n'en reviendrez pas bredouilles !

    Revenons à nos moutons, ou plutôt à nos peaux... 

    Anne Paceo a déjà une impressionnante carte de visite : outre ses deux précédents disques, on peut cartographier son talent en scrutant la petite mappemonde de ses collaborations sur la scène jazz : Christian Escoudé, Rick Margitza, Henri Texier, Rhoda Scott, Emmanuel Bex ou Philip Catherine l’ont associée à leurs propres travaux. Ou bien en rappelant qu’elle a joué avec le Norrbotten Big Band, un orchestre scandinave qui l’a invitée à jouer ses compositions au début de l’année. Quand on ne la retrouve pas aux côtés de trois musiciens européens, confrontant ses balais avec un orchestre birman de six musiciens. Tout ça pour dire que la dame a du répondant et que sa volonté de faire avancer sa musique est tout aussi indéniable qu’expérimentale.

    On ne pourrait pas comprendre l’évolution que marque Yôkaï sans savoir qu’Anne Paceo a passé les premières années de sa vie en Côte d’Ivoire et que la présence de grands maîtres des percussions répétant près de la maison de ses parents a forcément laissé des traces (des empreintes, faudrait-il dire) qu’elle laisse éclater au grand jour avec ce nouveau disque.

    Et pour bien tourner cette page aux fragrances africaines, Anne Paceo n’a pas manqué d’opérer un recrutement pour le moins judicieux : rescapé du trio Triphase, le pianiste Leonardo Montana est en quelque sorte le garant de l’assise mélodique et rythmique de cette musique. A ses côtés – on ne se refuse rien – le contrebassiste Stéphane Kerecki dont on ne dira jamais assez à quel point il est devenu en quelques années un élément essentiel de la scène jazz, magnifiant cet instrument dont la pudeur n’a chez lui d’équivalent que la profondeur. Ah, cette Patience enregistrée voici peu en duo avec le pianiste John Taylor ! Je crois bien me souvenir que ce disque fut l’un de mes dix coups de cœur de l’année 2011. Pour compléter ce noyau rythmique, Anne Paceo a recruté deux musiciens eux-mêmes plutôt doués, c’est le moins qu’on puisse dire : Antonin-Tri Hoang (clarinette basse, saxophone alto) met au service de Yôkaï toute la fougue brillante et l’inventivité de sa jeunesse (il n’a que 23 ans) pendant que Pierre Perchaud, décocheur de flèches électriques, ajoute le son d’autres cordes, celles de sa guitare. Deux recrues qu’on retrouve par ailleurs au sein de l’ONJ sous la direction de Daniel Yvinec. Pas de surprise donc avec ce petit monde, la qualité est a priori au rendez-vous.

    [mode digression]Puisqu’il est question ici de Stéphane Kerecki, je voudrais profiter de son passage chez Anne Paceo pour vanter les mérites de son propre trio qui vient de publier un disque absolument réjouissant. Une petite merveille de chaleur lyrique et de rondeurs gourmandes enregistrée avec ses camarades Thomas Grimmonprez (batterie) et Mathieu Donarier (saxophones). Cerise sur le gâteau, Kerecki a eu l’heureuse idée, lui aussi, d’élargir son trio à un quintet en appelant deux artificiers, le saxophoniste Tony Malaby et l’immense Bojan Z au piano. La contribution de ce dernier est décisive et l’album, Sound Architects, est de ceux qu’on écoute en boucle, sans compter. Mon petit doigt me dit qu'un autre camarade Citoyen, ce cher Julien, a beaucoup beaucoup aimé et qu'il le fera savoir bientôt.[/mode digression]

    Du beau monde donc mais finalement, ce n’est pas la composition de la formation qu’on va retenir. Non, c’est plutôt la grande luminosité de la musique jouée qu’on a envie de surligner. Un parfum d’Afrique, on l’a dit, et un climat de sérénité qui inonde chacun des douze titres de l’album. Les histoires que nous raconte (parfois même en les chantant, d’une voix presque enfantine, comme sur « Smile ») sont un peu magiques, Anne Paceo disant en avoir trouvé une partie de l’inspiration à travers la lecture de romans graphiques, et notamment un manga dans lequel elle a fait la connaissance des Yôkaï, petits esprits chimériques qui ont longtemps inspiré les peintres japonais. Afrique, Japon, ... des voyages donc, réels ou imaginaires qu’elle nous invite à vivre avec elle. Son jeu, d’une gracilité suggestive qui peut élever son niveau de puissance jusqu'à l’imprécation d’un roulement de tambour, n’est jamais démonstratif. Il illustre à la façon d’une enluminure, sans être jamais décoratif. Yôkaï, comme une série de tableaux dont le moindre détail compte.

    Voyage, chant, soleil et générosité. Une belle quarte, une belle carte de visite et un disque qu’on écoute avec toute la sérénité que peuvent procurer ces instants d’harmonie.

    Je voudrais ici pour finir souligner les qualités fédératrices de Yôkaï, tant son potentiel de séduction d'un public plus large que celui du cercle restreint aux seuls amoureux du jazz est vraiment l'une des grandes qualités. Les influences qui traversent sa musique, le sang qui irrigue le moindre de ses vaisseaux et son interprétation à la fois décomplexée et solaire sont autant d'atouts dans le jeu d'Anne Paceo qui, du haut de ses vingt-huit ans, prend un évident plaisir à mener tout son petit monde à la baguette. Avec notre consentement !