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take five

  • A bout de souffle...

    dave_brubeck_time.jpgZut de zut ! Dave Brubeck vient de casser sa pipe. Une bien mauvaise idée de sa part. Et même s’il nous a quittés à un âge plus que respectable, quasi canonique, – il aurait soufflé ses 92 bougies aujourd’hui – on ne peut s’empêcher de regretter que, dans un monde où tant d’êtres nuisibles ont la peau dure et jouissent d’une vie bien trop longue, les artistes ne puissent accéder de plein droit à la vie éternelle. C’est ainsi, c’est injuste.

    Ce grand monsieur du jazz, un pianiste trop souvent décrié pour des raisons qui continuent de m’échapper – Sa musique était-elle trop propre sur elle ? Trop sage ? Lui reprochait-on une culture classique qui, forcément, pouvait s’insinuer dans ses notes (il fut l’élève de Darius Milhaud) ? Son look façon clerc de notaire était-il incompatible avec un univers plus noctambule et moins sage en apparence ? Avait-il commis le crise de lèse-jazz d’un succès assez exceptionnel ? Les spécialistes pourront répondre à cette question s’ils le souhaitent... – avait réussi une performance plutôt hors du commun (et je ne parle pas ici de sa longévité, Dave Brubeck s’étant encore produit sur scène en 2011, à l’âge de 90 ans) consistant à populariser le jazz sans jamais le dévoyer, tout en le bousculant de l’intérieur avec des compositions aux métriques complexes qui pouvaient s’avérer redoutables à jouer pour les musiciens eux-mêmes.

    C'est à la plus belle époque de son quartet, une formation aujourd’hui légendaire car entrée de plain pied dans l’histoire de la musique du XXème siècle, que furent enfantés deux disques indispensables : Time Out (1959) et Time Further Out (1961), et que de véritables petits missiles planétaires furent mis sur orbite depuis la base Brubeck : « Take Five » (une composition du saxophoniste Paul Desmond qu’il est quasi impossible de ne pas connaître), «  Blue Rondo A La Turk », « Three To Get Ready » ou « Unsquare Dance ». Parées de leur élégance rythmique et de leurs mélodies accrocheuses, ces compositions n’allaient pas tarder à faire le tour du monde et nous, Français, avons eu aussi la chance de les découvrir par l’entremise de Claude Nougaro qui sut les adapter avec un sacré talent : si je vous dis « A bout de souffle » ou « Le jazz et la java », je sais que vous entendrez une musique qui vous est familière. Je me trompe ?

    Le chant. Oui, c’est cela qui habitait la musique de Dave Brubeck. Le chant et le rythme, tout en pièges taquins et en mesures impaires, comme un malicieux pied de nez. La vie, en quelque sorte.

    A titre personnel, Dave Brubeck m’évoque deux souvenirs. Le premier remonte à mes premières années d’étudiant. A cette époque, le jazz était pour moi plutôt jazz rock, la plupart du temps électrique et se tapissait en particulier dans les disques du Mahavishnu Orchestra ou de Soft Machine. Je connaissais les grands noms du jazz, mais de loin seulement. J’avais un copain de fac qui, lui, se targuait d’être un pur et dur du jazz et faisait tourner en boucle l’album Time Out sur lequel on peut écouter l’universel « Take Five ». Comme tout le monde, je connaissais cette mélodie, je ne l’identifiais pas forcément mais elle sonnait bien à mes oreilles. Je pensais même que Dave Brubeck était le saxophoniste (je suis prêt à parier que je n’étais pas le seul dans ce cas). Cette mélodie entêtante, ce rythme faussement bancal, je les ai toujours gardés dans un coin de ma tête et lorsqu’est venu pour moi le temps d’entrer plus avant dans le dur du jazz, après avoir englouti la discographie de John Coltrane en particulier, je me suis rappelé ce disque et je l’ai acheté. Un plaisir tout neuf, comme intact, un petit parfum d’intemporel magique. Le second souvenir est plus récent, il remonte à une quinzaine d’années quand mon fils était tout juste adolescent et déjà saxophoniste. Un beau jour, il nous a fait écouter son travail : il avait appris par cœur la partition de Paul Desmond sur « Take Five », chorus inclus, et la jouait fièrement avec une sourcilleuse fidélité à l’original. Fierté des parents, joie d’un gamin qui progressait à grands pas et voulait, lui aussi, déjouer les pièges souriants de cette musique. Un exercice dont il s’est plutôt bien tiré depuis...

    Alors aujourd’hui, même si Dave Brubeck vient de faire le grand saut, je voudrais souhaiter un heureux anniversaire à ce monsieur élégant et lui souhaiter d’aussi belles aventures dans sa nouvelle vie. J’en connais là-haut qui risquent de s’éclater. 

    J’en profite également pour renouveler mes vœux d’heureux anniversaire à mon rejeton, lui-même né le 6 décembre. Que sa vie soit aussi longue et gorgée de musique que celle du grand Dave !

    En guise de bonus : le Dave Brubeck Quartet interprète « Take Five » en 1964.

    Dave Brubeck : piano, Paul Desmond (saxophone alto), Gene Wright (contrebasse), Joe Morello (batterie).