Vaillant compagnon
Il y a, comme ça, des décisions qu'on a du mal à comprendre. Le fait du prince, probablement… Je sais bien qu'aucune situation n'est immuable, je sais bien qu'il faut que les choses changent et que l'évolution est inscrite dans nos gènes de bipèdes dotés d'un cerveau mais, tout de même ! Pourquoi cette suppression brutale d'une émission aussi singulière que remarquable et sincère que ne l'était "Sous les étoiles exactement", chaque nuit de la semaine, sur France Inter, dans une animation unique de curiosité bienveillante et gourmande de Serge Levaillant ?
Ce type est devenu, à force d'écoute, de questions mitonnées aux petits oignons doux, de chaleur répandue par une voix complice et confidente, l'ami de ses invités tout autant que de ses auditeurs. On écoute Levaillant parce qu'on se sent bien avec lui, parce qu'une ou plusieurs heures en sa compagnie, c'est une assurance sérénité, une injection bienfaisante de sollicitude et de découverte. Fin cuisinier, Levaillant reçoit dans son studio comme il recevrait chez lui des amis : la table est accueillante, la cuisine est copieuse, elle a pris tout son temps pour mijoter. Oui, "Sous les étoiles exactement", c'est une gourmandise de l'esprit, il y a toujours quelque chose à picorer, y compris pour celui ou celle qui n'est pas forcément affamé ou qui apprécie plus ou moins le plat proposé.
Musiques, littératures, gastronomies, vies… je mets volontairement ces mots au pluriel parce que chez Levaillant, il n'y a pas de dogme ni de ligne directrice autre que celle d'un appétit insatiable pour tout ce qui est à découvrir et, surtout, à partager. Une nécessaire et rare humanité, tout contre nous, qui ne demandons que ça…
Les insomniaques comme moi en savent quelque chose, eux qui savent que leurs nuits chahutées pouvaient toujours trouver un exutoire relâché dans cette proximité que bien peu de ses collègues ont su imaginer et réaliser.
Oserais-je une confidence ? Je me demande si, parfois, il ne m'est pas arrivé de boire un café le soir dans le secret espoir d'être réveillé quelques heures plus tard en pleine nuit, un peu brutalement… là, je connaissais une solution : tendre le bras derrière ma tête de lit, atteindre le petit poste de radio – fidèle compagnon – toujours en bonne place, avant de l'allumer. Pour me laisser embarquer par Serge le confident, l'ami distant qui nous parle au creux de l'oreille, celui aussi qui laisse à ses interlocuteurs le temps de s'exprimer et de délivrer un propos aux antipodes de toute démarche mercantile. Oiseau de nuit, Serge Levaillant n'a pas son pareil pour extirper le meilleur de ses invités : parce qu'il les aime, tout simplement, parce qu'il veut les rapprocher de nous et inventer une drôle de famille invisible mais bien réelle. La nôtre.
Ces nuits en direct sont à conjuguer au passé, parce qu'un certain Philippe Val a décidé qu'elles ne comptaient pas plus qu'un Kleenex usagé. On parle d'une émission le week-end uniquement, dans d'autres conditions probablement. Rayant d'un trait injuste vingt-cinq années de fidélité et de vraie tendresse – mais une tendresse exempte de toute mièvrerie ou d'admiration béate. La fraternité épicurienne qui caractérisait "Sous les étoiles exactement" aurait pourtant dû inciter les "responsables" de l'antenne à y regarder à deux fois avant de déchirer brutalement ce précieux parchemin radiophonique. Un tel service du public est-il si impossible à faire vivre encore un peu ? Le "service public" n'a-t-il rien de mieux à faire que de singer ses concurrents en bourrant ses programmes nocturnes de rediffusions d'émissions diurnes ?
Je fais quoi maintenant ? J'arrête le café ? Serge, prends ta voiture, ne te mets pas en retard, et fais comme si tu ne savais rien. On ne sait jamais, sur un malentendu… enfin, le mot est mal choisi, parce que notre seul désir, à nous les allumés de la nuit, c'est de t'entendre. Et bien. Et pour longtemps !