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pierre-alain goualch

  • Le mouvement perpétuel de Franck Agulhon

    Post_Katrina_1400x1400.pngJe connais Franck Agulhon depuis près de vingt ans… Je crois l'avoir vu pour la première fois en juillet 1995 : à cette époque, mon fils, alors saxophoniste en herbe et âgé de dix ans, terminait sa première année à l'École des Musiques Actuelles de Nancy et participait à un ultime stage de trois jours avant les vacances d'été. Parmi les musiciens chargés de l'animation, il y avait un jeune batteur qui attirait d'emblée la sympathie par sa simplicité désarmante et sa grande gentillesse. 

    Il s'en est passé des choses depuis tout ce temps ! Sa fidélité inaltérable à l'égard de ses vieux amis - tels que le pianiste Pierre-Alain Goualch et Diego Imbert, vous comprendrez un peu plus loin pourquoi je cite ces deux-là ! - ne s'est jamais démentie, malgré une activité assez trépidante qui n'a cessé de se déployer, au point qu'on a parfois l'impression que le plus lorrain des batteurs marseillais (à moins que ce ne soit le contraire) a disséminé des clones sur les scènes jazz de France, d'Europe et d'ailleurs. Quand j’y pense, je ne sais pas si j'aimerais être réincarné en agenda de Franck Agulhon : vous imaginez le nombre de coups de crayon en pleine face chaque jour ? Une torture… Compagnon de route régulier d'Éric Legnini, Pierrick Pédron, Vincent Artaud, Pierre de Bethmann, Diego Imbert ou encore Christophe Dal Sasso, Franck Agulhon peut aussi se targuer d'une très longue liste d’autres collaborations avec la fine fleur du jazz. 

    En dehors du disque que je souhaite évoquer dans cette note, il est tout de même intéressant de noter que Franck Agulhon est au générique de deux albums réjouissants qui viennent tout juste d’être publiés : Kubic’s Cure (Pierrick Pédron) et Sisyphe (Pierre de Bethmann Medium Ensemble) : on a connu plus déshonorant, n’est-ce pas ?

    Vous me croirez si vous voulez, mais notre homme est resté le même : il est à la musique ce que le sourire serait à un visage. Naturel, d'une sincérité presque émouvante et d'une générosité non feinte qui font de lui un musicien qu'on s'arrache volontiers ! Dans le livre Portraits Croisés - fruit d'un travail réalisé à l'automne 2010 avec mon ami photographe Jacky Joannès pour une exposition éponyme - que je viens de publier sur le site The Book Edition et dont je vous recommande l’acquisition, j'ai écrit un court texte pour chacun des quarante-neuf musiciens mis à l'honneur (je précise en passant qu'on y retrouve,  vous avez deviné… Pierre-Alain Goualch et Diego Imbert, mais bon, vous commencez doucement à comprendre que tout cela n’est pas le fruit du hasard) au premier rang desquels - l'ordre de présentation étant alphabétique - un certain Franck Agulhon. Voici ce qu'on peut lire à son sujet :

    "L'ubiquité radieuse

    Le sourire du musicien est le manifeste radieux d'une désarmante simplicité chez l'homme. Sa présence auprès de tant d'artistes pourrait laisser penser que Franck Agulhon possède le don d'ubiquité. Coloriste des peaux et cymbales, batteur inventif mais jamais simple sideman, il est un organe vital - le poumon - des projets auxquels il s'associe."

    agulhon_franck.jpg

    Notons le mot sideman, qui n'a rien de péjoratif, loin de là, mais signifie que Franck Agulhon n'avait pas, jusqu'à présent, vraiment mis son nom en avant à l'exception d'un duo avec… Pierre-Alain Goualch aboutissant à l'album Tikit en 2005 et de deux albums en solo (avec la présence d’une poignée d’invités amis sur le second volume pour une série de duos) dédiés à son art de la batterie sous le nom de Solisticks en 2008 et 2010. Ces deux disques étant à considérer comme l'illustration concrète d'une approche pédagogique de la batterie dont Franck Agulhon vient de partager l'expérience dans un Drumbook de près de 300 pages qui devrait intéresser plus d'un frappeur de peaux, voire un caresseur de cymbales... et réciproquement !

    Aussi, c'est avec un grand plaisir qu'on trouve un beau matin dans sa boîte aux lettres un disque appelé Post Katrina signé Franck Agulhon himself, dans une formule en trio avec… mais oui, bien sûr, Pierre-Alain Goualch et Franck Agulhon ! Quand on vous dit que cet homme est fidèle en amitié, cette double présence presque constante à ses côtés en est la démonstration flagrante… Un trio qui ne m'était d'ailleurs pas inconnu puisque j'avais déjà croisé sa route le 15 octobre 2012, à la Fabrique, juste à côté du Théâtre de la Manufacture. Il était à l'affiche des apéros jazz de Nancy Jazz Pulsations, sous le nom d'Electrico, et se présentait déjà comme le projet du batteur. Enfin, pourrait-on dire !

    J'écrivais à l'époque pour le magazine Citizen Jazz : "Au-delà de la complicité qui unit depuis bon nombre d’années ces artistes aguerris, il faut saluer une vraie prise de risque : cette musique, loin de caresser dans le sens du poil un jazz tranquille, va chercher ailleurs son inspiration et n’hésite pas à nous bousculer dans notre confort. Elle repose avant tout sur de courts motifs que le trio expose avant de les triturer pour les déformer (parfois au moyen d’effets couplés aux claviers), les répéter et les modeler encore. Avec un grand sourire ! Electrico, c’est un peu l’histoire d’une sculpture sonore vivante, d’une conversation animée sur le fond comme sur la forme. C’est la musique comme on l’aime : vivante, naturelle et spontanée."

    Voici donc la version enregistrée par une formation qui a perdu son nom pour s'appeler logiquement Franck Agulhon… parce que cette fois, il se présente en leader. C'est bien mérité après tout, personne n'ira lui reprocher de vouloir nous raconter sa petite histoire de la musique.

    Franck Agulhon ne m’en voudra certainement pas de dire que dès les premières notes de « 2 Boys », on est comme en terrain connu. Il y a dans la pulsion qui habite le thème les réminiscences de son travail avec Eric Légnini, ce qu’on peut appeler le groove, un mot pas si facile à définir et que, pourtant, le batteur incarne et qu’il sert à merveille dans le trio du pianiste. C’est aussi l’impression d’un mouvement sans fin, sans effort apparent, associé à un plaisir du jeu. Le ton est donné d’emblée et les deux compères associés à cette aventure s’en donnent à cœur joie. Pas un seul instant la tension ne retombera, Post Katrina offre douze séquences assez courtes dont l’enchaînement frénétique est le témoignage d’une volonté d’aller droit au but, sans détours inutiles. Pierre-Alain Goualch engage un combat ludique et obstiné, parfois strident, avec son Fender Rhodes pendant que Diego Imbert dynamite les bases arrières avec la fermeté du drive qu’on lui connaît depuis des années. Agulhon, lui, rayonne et emmène son monde avec l’aisance de ceux qui ne cherchent pas à prouver leur talent, parce qu’ils n’en ont pas besoin, mais plutôt à s’offrir en pourvoyeurs d’instants de vérité. Difficile de résister, par exemple, à ce « Cajun Medium » au balancement contagieux : 2’24 de bonheur d’être tous ensemble. Impossible de ne pas chavirer avec « Froggy », dont le déséquilibre est un peu celui de l’ivresse. On peut aussi se laisser aller à une « Lounge Party » hypnotique, aux confins du jazz et du trip hop, histoire de montrer que le trio ne confit pas sa musique dans le passé mais qu’il est aussi à l’écoute du présent. La coloration de « Lucifer » ou de « Nirva Double » - Goualch s’ingéniant à salir le son de son Rhodes - vient confirmer cette impression d’ouverture à d’autres climats, vers des chemins moins confortables, plus escarpés et, surtout, très prometteurs. Au fil des minutes, le trio semble s’évader, vers un ailleurs où il reste beaucoup à découvrir. Signalons enfin – parce que l’information n’est écrite nulle part – que le trio devient quartet le temps d’un « Wounded » final au parfum de blues, grâce à la présence de Julien Birot à la guitare (ce dernier ayant par ailleurs eu la responsabilité du mixage de l’album). Oui, le blues, comme un retour aux sources.

    Post Katrina s’appelle ainsi, on l’aura deviné, en hommage à la Louisiane, berceau du jazz martyrisé par l’ouragan du même nom en 2005. On peut le comprendre aussi, du point de vue de Franck Agulhon, comme une manière de dire : je sais d’où je viens, je connais mes racines et cette musique continue de vibrer là-bas comme au premier jour. De fait, elle continue de vibrer en moi. Elle me nourrit depuis si longtemps, je lui devais bien cette célébration humble et généreuse à la fois.

    Une célébration qui n’est certainement pas la dernière, c’est tout le mal qu’on souhaite au batteur.

  • Bal(l)ade

    finally.jpgLes lorrains connaissent bien Valérie Graschaire (native de la ville de Metz) depuis un bon petit bout de temps maintenant. Ils ont pu découvrir l'étendue de son talent au sein de son quartet ainsi qu'à travers différentes expériences comme celle qui l'a amenée à devenir la chanteuse de l'Orchestre National de Jazz de Lorraine au cours des années 90 (avec lequel elle enregistrera l'album Angustia d'Amour en 1999) où à monter un répertoire dédié à Thelonious Monk avec la complicité du pianiste Pierre-Alain Goualch, un projet qui aboutit en 2000 à un album remarqué, Honky Monk Woman. La chanteuse est aujourd'hui (enfin) reconnue comme l'une des plus belles voix de la scène jazz française et ce n'est que justice. Aussi ce n'est pas sans une certaine émotion que Franck Agulhon, au détour d'une interview où il devait être question de sa propre actualité, tient à souligner qu'il se sent un peu comme le « papa » de Finally, un disque sorti chez Cristal Records à l'automne dernier et pour lequel ont été réunis les vieux amis, les complices de (presque) toujours que sont Diego Imbert (contrebasse) et Pierre-Alain Goualch une fois encore, auxquels viennent s'ajouter le lyrisme de Stéphane Belmondo au bugle et les inspirations de Peter Gabriel, Rémi Chaudagne, Eric Legnini ou Joni Mitchell. Papa dites-vous ? Car si Valérie Graschaire est à la ville madame Agulhon et la mère des enfants du batteur, on devine forcément le subtil dosage d'amour, de famille et d'amitié avec lequel a été tissée la belle toile chaleureuse de ce disque à la production épurée (il n'est jamais inutile de souligner la qualité de la prise de son qui fait la part belle aux instruments, presque exclusivement acoustiques, qui semblent ici venir nous jouer au creux de l'oreille) et qui met en valeur la voix chaude de Valérie Graschaire, nous prenant par la main pour une tranquille balade sur fond de ballades, dont les influences vont aussi bien puiser à la source du jazz qu'à celle d'une certaine pop music. Les reprises de « Mercy Street » (Peter Gabriel) et de « Both Sides Now » (Joni Mitchell) sont de belles réussites qui se mêlent naturellement à des compositions originales ou à de semi reprises, comme l'élégant « Nightfall » d'Eric Legnini sur lequel Valérie Graschaire a écrit ses propres paroles. Disque intimiste et apaisé, Finally est incontestablement un petit moment de grâce et une belle carte de visite supplémentaire pour la chanteuse. On aurait tort de s'en priver !

    Valérie Graschaire : voix,
 Pierre-Alain Goualch : piano et Fender Rhodes,
 Diego Imbert : contrebasse,
 Franck Agulhon : batterie,
 Stéphane Belmondo : bugle.


    En écoute : un extrait de « Mercy Street »

    Cristal Records - 2008