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nino ferrer

  • Tous unis vers Nino

    niño ferrer, denis colin, ornette, univers ninoPas évident de savoir pourquoi, un vilain jour de 1998, Nino Ferrer a choisi de se tirer une balle en plein cœur et d’aller crier son blues ailleurs. Peur de vieillir ? Ultime déchirement d’un artiste nourri de jazz et de rhythm’n’blues, un chanteur qui avait dû accepter l’idée selon laquelle Nino ne rencontrait que rarement l’assentiment du public, surtout lorsqu’il lui présentait son vrai visage ? Nino Ferrer était multiple bien qu’entier : sa « Désabusion », son « Arbre noir », sa « Maison près de la fontaine », son « South » qu’il préférait de loin au « Sud » qu’on lui avait suggéré d’enregistrer en Français ou encore sa « Métronomie » affichaient un contraste saisissant avec les « Cornichons », « Le téléfon » ou « Mirza »... des tubes un peu crétins qui résonnent encore très fort dans la plupart des oreilles (au moins celles des anciens).

    Denis Colin n’est pas le premier à arpenter le répertoire de cet Italien naturalisé français qui “voulait être noir” et qui, petit à petit, s’est retiré de la scène pour vivre en famille dans le Quercy et se consacrer à la peinture. Jusqu’à ce coup fatal, au beau milieu des champs… Il y a quelque temps, le Sacre du Tympan de Fred Pallem avec Thomas de Pourquery y est allé de son Tribute To Nino… La preuve, certainement, que ce chanteur autrefois guitariste de Nancy Holloway avait ce petit supplément d’âme qui fait de vous un artiste, et pas seulement un interprète jetable aux oubliettes de la variété française, pourtant peu avare de produits manufacturés à date de péremption très rapprochée.

    Nino Ferrer, c’était autre chose : par delà les années 60 et leurs chansons anecdotiques, on a vite deviné chez lui une fêlure aux contours douloureux, une âme en peine, celle d’un type qui, vu de loin, paraissait se consumer au fil des jours et ne pas trouver l’épanouissement dans le petit monde de la variété insipide obstrué de vanités à paillettes carpentiero-druckerisées. Des albums en témoignent, comme Métronomie, Nino & Radiah, Blanat ou La désabusion. Pas vraiment des succès commerciaux, il faut bien le reconnaître, mais des disques qui permettaient de mieux connaître celui qu’il était vraiment. La peinture d’un monde doux amer… le sien.

    Denis Colin, qu’on avait laissé tout au bonheur de la musique de ses Arpenteurs et tout particulièrement de leur Subject To Change, vient de nous lancer une invitation à (re)découvrir l’Univers Nino. Celui qui était pour lui un “cousin éloigné”, parce qu’aux temps lointains de l’entre-deux guerres, le grand-père maternel du clarinettiste était ami avec Pierre Ferrari, père de Nino. L’histoire veut même que notre apprenti souffleur, quand il était âgé de neuf ans, ait exercé ses premiers talents à la flûte à bec en jouant la mélodie de « Mirza ».

    Denis Colin s’est bien entouré pour l’occasion. D’abord d’une brochette de musiciens aguerris, dont les deux Arpenteurs que sont le guitariste Julien Omé ou le trompettiste Antoine Berjault auxquels il faut ajouter le contrebassiste Théo Girard et François Merville, batteur baroudeur, dont on connaît les nombreuses collaborations, avec Louis Sclavis notamment. Pour chanter Nino Ferrer, Denis Colin s’est attaché les services d’une certaine Bettina Kee, alias Ornette : cette chanteuse, pianiste de jazz en d’autres temps, fait aujourd’hui parler d’elle en raison de la pop un peu folle qu’elle a notamment su faire valoir il y a trois ans avec son album Crazy, mais aussi à travers ses collaborations avec le poète Mike Ladd (et comme tout se tient, on retrouve ce dernier sur Wasteland, le premier album d’Antoine Berjault cité un peu plus haut). La chanteuse reçoit pour l’occasion l’appui choral de Diane Sorel.

    Voilà une belle équipe qui fait sacrément plaisir ! Parce que ce disque, mine de rien, cet Univers Nino nourri à la tendresse électrisante, est un petit moment de bonheur dont on ressort avec le sourire. Mais attention, pas un sourire béat, non, juste celui qu’on ne peut contenir quand on vient de partager des instants riches en émotions. Et comme Denis Colin est un ferrerologue averti, il n’a pas jugé bon d’opérer une distinction factice entre le Nino « cornichon » et le Nino « désabusion ». Nino, c’est un tout, à prendre ou à laisser ! Au clarinettiste de nous révéler le fil tendu entre ces facettes multiples. Ce qu’il parvient à faire avec beaucoup d’acuité par une sélection de chansons qui concilie sans artifice « Les Cornichons » et « Métronomie », en passant par « L’arbre noir » ou « La rua Madureira », et non sans s’être une fois encore mis en quête de ce satané « Mirza ».

    Ni parodie ni imitation, ce disque tire une part importante de sa substance de la présence très forte de la guitare de Julien Omé, toute en variations de teintes électriques, et qui semblent parfois surgir des années 60 ; mais aussi du chant d’Ornette : celle-ci parvient à éclairer avec le même bonheur tubes énervés et chansons plus mélancoliques. Tenez par exemple : là où Nino Ferrer s’exaspérait de ne pas retrouver son chien maraudeur, Ornette prend les choses avec beaucoup plus de flegme. Elle n’exprime pas l’indifférence, mais elle veut nous faire comprendre qu’on ne va pas en faire un drame et que le quadrupède finira bien par revenir. Même chose pour l’organisation d’un pique-nique et ses indispensables cornichons (avec son clone italien appelé « Viva la Campagna »). Et quand Denis Colin se fait lui-même chanteur (« La désabusion », « L’arbre noir »), l’évocation du modèle Nino prend les couleurs d’un naturel tranquille, sans excès de pathos. Le groupe entier rend un hommage où certes la nostalgie affleure, mais sans jamais recourir aux effets tire-larmes. Il n’oublie pas de célébrer le bluesman qu’était Nino Agostino Arturo Maria Ferrari (belle version brûlante du « Blues des rues désertes » avec un magnifique Julien Omé une fois encore) ni le poète contemplatif (« The Garden »). Et c’est une version aux accents de rock progressif avec son motif cyclique très frippien qui nous rappelle les charmes oubliés de « Métronomie ». « La Rua Madueira » quant à elle, crépusculaire et nostalgique, voit le duo Colin (clarinette basse) / Ornette (voix et claviers) jouer la carte de l’épure à en donner le frisson. On ne pouvait rêver plus belle conclusion pour cet Univers Nino enregistré au studio Barberine qui jouxte la Taillade, la bastide que Nino Ferrer avait acquise dans les années 70. C’est là que Denis Colin a pu goûter le plaisir d’un équipement que le chanteur avait utilisé lui-même, comme cette console Gunter Loof 18 voix avec un compresseur par tranche. Voilà qui ne s’invente pas.

    Nino Ferrer aurait eu 80 ans cette année… Il serait un vieux jeune homme, peut-être aurait-il réussi à se faire oublier, peut-être aurait-il trouvé la paix en lui... On ne le saura jamais. La seule chose dont on est certain aujourd’hui, c’est que nous n’avons jamais oublié qu’on l’a aimé. Cet Univers Nino vient nous le rappeler et sonne à nos oreilles comme une déclaration de tendresse faite à un chanteur qui se disait désabusé, mais dont la force des plus belles chansons éclate au grand jour par leur capacité à nous attendrir, longtemps après. Merci à Denis Colin, à ses musiciens et à Ornette de nous avoir rappelé cette évidence.