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ndr big band

  • Célébrons la fache cachée de la lune

    nguyen_le_dsotm.jpgAu mois de juillet dernier, le guitariste Nguyên Lê m’a téléphoné pour savoir si je voulais bien lui rendre un petit service : dans un laps de temps très court (environ 36 heures), écrire le texte de présentation de son prochain CD, ainsi qu’une version un peu plus longue qui serait utilisée pour accompagner les envois à la presse. Un beau cadeau et pour moi un petit défi que j’ai accepté avec plaisir. Le disque, enregistré avec le NDR Big Band et une poignée d’artistes de renom dont la magnifique Youn Sun Nah, est une « relecture » de Dark Side Of The Moon, l’album culte enregistré par Pink Floyd en 1973 qui constitue par ailleurs l’une des plus grosses ventes de toute l’histoire du rock. Cet hommage – mais qui est bien plus que cela en réalité parce qu’il dépasse de très loin par ses arrangements (dont certains sont à mettre au crédit du grand Michael Gibbs) et ses petits ajouts très personnels, le travail qu’aurait mené un cover band sans imagination – sera très prochainement disponible : je vous propose de lire ici le texte français écrit pour la pochette de l'album et vous invite à vous reporter, si vous le souhaitez, à la traduction anglaise signée Martin Davis. L’ensemble des écrits consacrés à Celebrating The Dark Side Of The Moon sont consultables sur ma page A côtés.

    Nguyên Lê with Michael Gibbs & NDR Big Band
    Celebrating The Dark Side Of The Moon

    Mars 1973... Un quatuor connu pour ses inclinations psychédéliques livre au monde son album forteresse : Dark Side Of The Moon, un objet musical faisant appel aux technologies les plus avancées de l’époque, un disque stratosphérique, miroir des errances humaines et de notre société. Pink Floyd s’apprête à écrire une page essentielle de l’histoire du rock et va connaître un succès planétaire ; l’album reste, aujourd’hui encore, l’une des plus grosses ventes de tous les temps.

    L’idée de sa relecture fut imaginée par Siegfried Loch, directeur d’ACT, avec Stefan Gerdes et Axel Dürr, producteurs de la NDR, dont les amoureux du jazz connaissent bien le Big Band. Le pari était audacieux, mais un tel projet, impliquant un orchestre capable d’allier tradition et modernité, présentait d’autant plus de chances de réussite qu’il allait recevoir le concours de Michael Gibbs, compositeur, arrangeur et ami de longue date. Surtout, l’association de leurs forces à celles de Nguyên Lê, guitariste du dépassement des frontières stylistiques, devait sans nul doute aboutir au meilleur.

    Nguyên Lê : un magicien dont l’art se révèle à travers ses propres compositions, mais aussi en célébrations renouvelées d’un passé musical qu’il sculpte telle une matière première. On se rappelle Purple, hommage à Jimi Hendrix ou, plus récemment, Songs Of Freedom et ses évocations des grandes heures du rock. Et si ce guitariste flamboyant sait faire montre de déférence envers le matériau source, il exprime d’abord la diversité d’un imaginaire engendré par son histoire, celle d’un autodidacte virtuose et nomade. Sa musique se nourrit d’influences qui embrassent tous les continents et la peignent aux couleurs du jazz, du rock ou d’une fusion world imprégnée de lumière.

    Avec Celebrating The Dark Side Of The Moon, c’est bien l’imagination de Nguyên Lê qui est au pouvoir ; elle nous guide sur d’autres chemins, plus personnels et habités d’une fraternité musicale dont il ne s’est jamais déparé depuis de longues années. Comme si l’œcuménisme du chant faisait partie de son ADN créatif. Pas question en effet pour le guitariste de s’enfermer, par excès de respect, dans le cadre contraint du répertoire de Pink Floyd : avec ses allures de joyau, on se doute bien que l’entreprise consistant en une relecture par trop mécanique du disque aurait présenté un grand risque, celui de la fadeur et du manque d’âme. Mais Nguyên Lê est de ceux qui savent viser juste, au plus près du cœur, et ont appris à laisser parler un moi profond comme passeport de leurs émotions. Durant une heure, il donne de nouvelles formes aux dix compositions dans une complicité duale avec le NDR Big Band, formation aguerrie dont les textures chaudes, rehaussées par les orchestrations de Michael Gibbs, parviennent à détourner avec beaucoup d’élégance le propos initial sans pour autant le trahir. Ensemble, ils dépouillent la musique première de ses habits progressifs pour la présenter dans un autre écrin, celui d’un idiome dont la sensibilité dominante, celle du jazz, s’épanouit dans le confort des motifs orchestraux du NR Big Band. Il n’est même pas certain que les questionnements ontologiques qui hantaient les textes de Roger Waters et de ses camarades (l’argent, la mort, la vieillesse, la folie) comptent pour beaucoup dans cette célébration contemporaine. L’essentiel semble être ailleurs, dans une traduction plus intemporelle de leur esthétique et une libération des énergies. Les arrangements, signés par Gibbs lui-même pour trois d’entre eux et par le guitariste pour les autres, offrent une place de choix aux inspirations des solistes et laissent émerger d’autres compositions, qui prennent la forme d’extensions naturelles du corpus originel. Nguyên Lê, armé de son jeu rageur aux accents orientaux qu’on aime tant, peut aussi s’appuyer en toute confiance sur les invités que sont Jürgen Attig, Gary Husband ou Youn Sun Nah, magnétique dépositaire de la grâce et pourvoyeuse de sortilèges.

    Celebrating The Dark Side Of The Moon n’est pas un simple hommage à un disque entré dans l’histoire : il est l’expression fervente de la recréation – exempte du moindre effet d’imitation – d’une partition présente en filigrane. C’est un palimpseste aux teintes chaudes, dont l’écriture est forgée dans le respect de la matrice et l’expression multiple de l’identité. Comme un principe de vie.