Compagnons
Je crois me rappeler avoir écrit ici - ou ailleurs - que j'étais incapable de lire un seul livre à la fois. En ce moment, sont installés sur ma table de chevet un livre de nouvelles (« Onze histoires de solitude », de Richard Yates), un autre d'inspiration philosophique (« L'endroit du décor » de Raphaël Enthoven) et un troisième aux confins de l'histoire et de la sociologie (« La vie mondaine sous le nazisme » où l'auteur, Fabrice d'Almeida, décortique le cynisme d'un groupe social que les horreurs de la vermine brune ne saurait entamer). Je crois aussi que j'ajouterai prochainement les « Quinze Promenades Sociologiques » dans Paris de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot.
Et puis, aux côtés de ces LDD (livres à durée déterminée) trônent quelques LDI (livres à durée indéterminée) vers lesquels je reviens régulièrement, pour en lire quelques pages, un chapitre, au gré de mes inspirations. Leurs richesses sont inépuisables. A commencer par la monumentale biographie de John Coltrane écrite par Lewis Porter ; puis les « Essais » de Montaigne, dans leur traduction contemporaine d'André Lanly ; un des volumes de « La Recherche du Temps Perdu » de Proust, dans la Pléïade ; enfin, le « XXe siècle » de René Rémond, qui démonte le grand meccano politique de la période 1918-1995. Il y a là aussi un petit intrus, parce que je l'ai chipé à Madame Maître Chronique : c'est « Le Voyage en Italie » de Goethe.
Disons-le haut et fort, ces Essais transformés par le travail de titan d'un éminent linguiste sont une lecture hautement recommandable - et particulièrement enrichissante. La traduction en français moderne de l'œuvre de Montaigne par le philologue André Lanly est en effet un bonheur de lecture presque inépuisable. Sans jamais trahir le texte originel - le plus souvent, ce sont des mots ou des expressions qui sont ici remplacés par leur équivalent contemporain avec une volonté d'explication jamais ennuyeuse - cet universitaire qui exerça durant vingt ans à Nancy a réussi une adaptation qui nous rend parfaitement lisible cette somme d'un abord moins direct dans son texte originel et qui nous est proposée dans une version intégrale. On se surprend à empoigner ce gros pavé (1300 pages disponibles depuis peu dans la collection Quarto de Gallimard) pendant quelques minutes, on lit un texte, quatre ou cinq pages, et on revient, un peu plus tard. Un tel chef d'œuvre, proposé à moins de 30 €, voilà un placement sans risque à très haute valeur ajoutée, excellent remède anti crise.