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meditations

  • Méditation

    coltrane_meditations.jpgS'il n'en restait qu'un ? Allez savoir... J'écrivais hier pour Citizen Jazz la chronique d'un bouquin consacré à Magma* lorsque je me suis senti gagné par un « besoin de John Coltrane »... C'est une sorte d'appel intérieur, assez fréquent chez moi depuis 25 ans, qui me pousse à vite gagner le deuxième étage de ma maison et à m'agenouiller devant le rayon du meuble où sont méthodiquement rangés tous mes disques du saxophoniste - comme leader ou sideman - soit largement plus d'une centaine. La difficulté vient juste après (voyez comme je suis habité par de graves problèmes existentiels... pendant que tant d'autres souffrent...) : quel CD choisir ? Mon œil scanne en quelques secondes les deux décennies qui séparent le premier enregistrement (1946) du dernier (1967) et, très souvent, mon choix se porte sur l'album Meditations, dont je finis par penser qu'il est celui qui me nourrit le plus intensément.

    Ce disque clôt une année particulièrement féconde, que j'avais rapidement résumée dans Citizen Jazz avec un article appelé 65, année héroïque ! et auquel je vous renvoie volontiers si vous souhaitez devenir presque incollable sur les douze mois qui avaient commencé par l'enregistrement du mythique A Love Supreme, en décembre 1964.

    Meditations, un disque phare, une musique abrasive, une énergie vitale. Une expression de la Beauté. Pourquoi donc celui-là et pas un autre ? Pourquoi y trouve-t-on, à chaque écoute, de quoi se ressourcer et se sentir plus vivant ?

    Parce qu'il est habité d'une force presque mystique qui nous touche au plus près et nous fait comprendre que l'artiste ne triche pas, qu'il EST sa musique ? Oui, sans aucun doute. Coltrane disait au sujet de l'album : « C'est une extension de A Love Supreme, sous une forme différente. Mais mon but reste le même, c'est une méditation à travers la musique. Je veux élever les gens, autant que possible. Pour les inciter à percevoir leur capacité à donner du sens à leur vie ».

    Parce qu'il donne à écouter tous les versants de la musique de John Coltrane, si nombreux depuis le milieu des années 50 ? Certainement. Il y a cette introduction un peu hallucinée où son saxophone croise le feu de celui de Pharoah Sanders : « The Father, The Son And The Holyghost » et qui est marquée par l'urgence mystique qui s'est révélée petit à petit chez lui ; et quelques minutes plus tard, la mélodie presque relâchée des premières mesures de « Love », assez proche finalement dans ses premières mesures des Ballads enregistrées quelques années plus tôt. Avant que le chant ne devienne quête... Une musique d'une intensité constante, brûlante, un flux de vie habité au plus profond de chaque note, mais qui ne se livre pas immédiatement à vous parce qu'il faut venir à sa rencontre et l'apprivoiser, avant qu'elle ne vous rende au centuple les menus efforts que vous aurez bien voulu lui consacrer.

    Le plus étonnant dans cette suite captée en studio le 23 novembre 1965, c'est qu'elle avait fait l'objet d'un premier enregistrement en quartet quelques semaines plus tôt, le 2 septembre (Et qui sera en fait le dernier rendez-vous sous cette forme d'un quatuor né en 1961, avec McCoy Tyner au piano, Jimmy Garrison à la contrebasse et Elvin Jones à la batterie. Les spécialistes considèrent cette formation comme la plus aboutie dans la courte carrière de John Coltrane). Ces First Meditations sont elles-mêmes un autre joyau qui fut publié bien des années plus tard et recoupent pour l'essentiel le répertoire des secondes. Mais au mois de novembre, John Coltrane choisit d'élargir sa formation : outre Pharoah Sanders (« Ce que j'aime chez lu, c'est la force de son jeu, la conviction avec laquelle il joue. Il a la volonté et l'esprit, ce sont les qualités que je préfère chez un homme. »), il fait appel à un second batteur, Rashied Ali, parce qu'il souhaite que, de plus en plus, sa musique soit imprégnée d'un foisonnement rythmique qui le hante.

    Il n'y a pas de hasard... Très vite, Elvin Jones, qui acceptait mal la cohabitation avec un autre batteur, et McCoy Tyner qui se sentait de moins en moins à sa place dans un univers où disparaissaient ses repères mélodiques et rythmiques, quittent le vaisseau Coltrane. Pharoah Sanders et Rashied Ali restent, bientôt rejoints par Alice Coltrane, l'épouse de John. Ce sera le point de départ d'une autre expérience, la dernière. Celui ou celle qui voudrait comprendre la puissance de ce nouveau foyer de création peut s'essayer à l'aventure inouïe qu'est le quadruple CD Live In Japan, enregistré en juillet 1966. Et pourra revenir ensuite vers les Meditations de novembre 1965, encore et encore.

    En écoute : « Love », troisième mouvement de Meditations.
    John Coltrane (saxophone ténor), Pharoah Sanders (saxophone ténor), McCoy Tyner (piano), Jimmy Garrison (contrebasse), Elvin Jones (batterie), Rashied Ali (batterie).

    * Philippe Gonin : « Magma, Décryptage d'un mythe et d'une musique » - Editions Le Mot et le Reste - 2010.