Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

le jardin

  • Dubois dans le jardin

    julien dubois, le jardin, jazzQuand on a – sans préméditation aucune – reçu un éveil musical passant, après les années d’enfance chantonnée, par le rock puis son évolution progressive (qu’on devrait plutôt qualifier de prospective, pour reprendre la suggestion d’Aymeric Leroy). Quand on a ensuite découvert le jazz-rock anglais (l’École de Canterbury par exemple) puis le jazz-rock américain (Miles Davis, Mahavishnu Orchestra), soit une belle ouverture vers le jazz, cet univers dans lequel je suis entré à pas de loup par la musique de John Coltrane, il y a de fortes chances pour qu’un disque revendiquant des influences multiples attire mon attention. La production discographique est abondante : aussi une sélection, instinctive ou intuitive, s’opère naturellement au cœur de toute la musique à écouter, avec pour conséquence la mise en avant de certains albums (pendant que d’autres sont mis de côté, malheureusement).

    C’est à n’en pas douter le cas pour Le Jardin, qu’a récemment publié le saxophoniste (alto) Julien Dubois. De lui, je ne connaissais rien, ou presque. J’ai compris que son parcours, passé aussi par la musique de chambre, était jalonné de références pouvant faire écho aux miennes : le jazz bien sûr, mais aussi le rock progressif (King Crimson est cité de manière récurrente), Zappa pour la surprise de scénarios tout en ruptures ainsi que des explorations sonores mâtinées d’électronique. Et même si l’arithmétique musicale d’un Steve Coleman, dont le systématisme m’a toujours laissé de marbre, est également évoquée au risque de m’éloigner, je ne peux que me féliciter d’avoir osé franchir le pas de cet espace paysagé et multicolore qu’est Le Jardin. Je passerai très vite sur les analogies avec le champ musical d’un Julien Dubois qui tracerait ici des lignes, ferait pousser des accords ou taillerait des rythmes à la manière d’un horticulteur ès sonorités. Je ferai également fi du caractère un poil énigmatique de la plupart des titres de compositions (voir plus bas), préférant entrevoir leur poésie sous-jacente. Il faut savoir ne pas trop en savoir…

    Parce que tout cela est vrai, sans doute, mais fait passer selon moi au second plan l’essentiel de la musique jouée par un quartet d’excellence au sein duquel je ne manque pas de souligner la présence de Simon Chivallon aux claviers, un pianiste dont j’avais beaucoup aimé la fibre coltranienne en 2018, à l’occasion de la parution de Flying Wolf. Oui, l’essentiel. Car si les compositions – reliées entre elles par la lecture d’un texte de Michel Foucault sur le thème des jardins – sont savamment construites, si leur complexité d’interprétation est réelle, elles sont d’abord habitées par une forme d’exultation poétique qui l’emporte sur toute autre considération. Et je rejoins en cela mon camarade Philippe Méziat qui écrivait : « Le quartet parvient à dépasser l’arithmétique pour atteindre à une certaine exaltation ». Le piège du trop écrit est déjoué, la méthode est suffisamment discrète pour ne pas refroidir l’ensemble et la fougue du quatuor – avec deux invités que sont Sylvain Rifflet au saxophone et Élise Caron au chant – balaie toutes les réserves qu’un surcroît de « cérébral » pouvait susciter. Le Jardin est un disque certes virtuose mais habité d’une joie véritable dont il ne se départit jamais. Il a une âme. Si vous êtes attentifs, vous entendrez même çà et là de petites créatures électroniques qui y circulent librement, histoire de vous faire comprendre que tout peut arriver et qu’aucune forme ne saurait être finie.

    Il ne vous reste plus qu’à vous laisser embarquer par la volubilité du saxophone alto de Julien Dubois et par les claviers de Simon Chivallon qui hissent des couleurs très chatoyantes. Son synthétiseur vous embarque parfois vers des contrées voisines de celles que beaucoup d’entre nous avaient pu visiter il y a bien longtemps, comme sur le final de « Allégeance au Dragon » avec ses élans façon Yes. Ces deux-là ont la capacité d'élaborer ensemble des textures sonores mouvantes d'une grande richesse, prenant appui sur une rythmique toujours à l'affût, composée d'Ouriel Ellert (basse) et Gaëtan Diaz (batterie).

    Le texte de Foucault évoque le jardin comme un lieu d’utopie : celui de Julien Dubois en est sans doute une, qui ne demande qu’à croître et laisser prospérer sa végétation plutôt luxuriante. Il est à coup sûr l’occasion de respirer un air des plus rafraîchissants.

    Musiciens : Julien Dubois (saxophone alto), Simon Chivallon (Rhodes et synthétiseurs), Ouriel Ellert (basse électrique), Gaëtan Diaz (batterie). Invités : Sylvain Rifflet (saxophone ténor), Élise Caron (chant).

    Titres : La tectonique des plaques partie I / Sisyphe ou la révolte du diminué / La chaîne de Fonzie / Deuxième vexation – Darwin / Icare ou le drame de l’augmenté / Allégeance au Dragon / La tectonique des plaques partie II / Warp Zone – niveau caché

    Label : Déluge