Les fantômes de l’Hermitage
Je ne voudrais pas donner l’impression de radoter – de toutes façons, c’est probablement ce qui est train de m’arriver - mais je vais tout de même revenir une fois encore sur le récit Ladies First ! que j’ai finalement décidé de publier sous la forme d’un livre, un récit qu’on peut se procurer facilement sur Internet et plus particulièrement sur le site www.thebookedition.com. C’est un ami journaliste et écrivain – il se reconnaîtra – qui m’a convaincu de ne pas laisser mon texte dans l’état où j’avais prévu de le faire vivre, soit cinquante-trois panneaux au format A4 (un par photographie de l’exposition mise en place avec Jacky Joannès) et une histoire qu’on lit en passant de l’un à l’autre. Avant son inexorable disparition à compter de la date de clôture de cette expérience de fusion entre image et texte. J’entends encore cet ami me dire : « Il faut publier ! Il faut publier ! C’est important. Sinon, on ne finit jamais... ». Soit, j’ai obtempéré, j’ai tout de même recueilli les avis complémentaires de deux lectrices que je tiens une fois de plus à remercier ici, parce que leurs encouragements ont été déterminants.
Mes premiers lecteurs ont aimé ce court récit. Voilà qui, à défaut de me rassurer complètement, me fait plaisir parce que leurs remarques me démontrent que le but que je m’étais fixé est atteint : ils ont eu envie de lire l’histoire jusqu’au bout, de démêler le vrai du faux sans toujours y parvenir et, surtout, de ressentir la passion pour la musique que j’essaie de communiquer depuis longtemps à travers les chroniques que j’écris ici ou là depuis quelques années mais aussi par les personnages mis en scène dans Ladies First !
Mais c’est d’un autre petit phénomène que j’aimerais parler ici, un fait à première vue – c’est le cas de le dire - anodin que j’ai ressenti comme l’expression poétique d’une magie du quotidien. Au mois d’août, j’avais terminé la première mouture du texte, il me restait un travail de nettoyage et de détection des fautes et autres coquilles (je suis certain qu’une ou deux traînent encore...) ; je savais à ce moment que le livre allait exister et je me posais la question de l’illustration de couverture. J’avais en tête l’une des phrases clés du livre, qui dit : « J’aimerais tant savoir ce qui pour elle est l’ombre et ce qui est la lumière ». Alors que choisir ? Pas la moindre idée... et soudain, cette illustration tant convoitée m’est apparue, je devrais même dire qu’elle s’est imposée à moi, et qu’à partir de cet instant je n’ai plus hésité.
21 août 2013, vers 15 heures 30. Nous quittons la Fondation de l’Hermitage à Lausanne où se tient une belle exposition consacrée au peintre Miró. Il faut beau, la douceur de l’air incite à la flânerie tout au long d’une allée goudronnée qui nous mènera au petit parking ombragé où se trouve notre voiture. Et là, mes yeux fixent le sol et voient se dessiner et danser d’étranges personnages, qui ressemblent un peu aux fantômes de notre enfance. C’est un jeu de lumière imaginé par le soleil jouant avec les ombres mouvantes des feuilles d’un arbre à peine soulevées par une brise tiède qui projette sur le bitume un ballet mystérieux. Sans attendre, je sors mon téléphone de ma poche et je prends deux ou trois photographies, parce que je sais que je viens de voir, comme surgie de nulle part, peut-être de la nuit dont j’ai essayé de la sortir, cette chanteuse en souffrance qui va renaître à la vie de la musique.
Les fantômes de l’Hermitage, un titre qui s’est écrit tout seul et que j’ai donné à cette photographie (et que par étourderie je n’ai pas cité dans le livre), comme j’aurais pu le faire d’un tableau si j’avais été doté du moindre talent de peintre (ce qui, je préfère le confesser ici, n’est vraiment pas mon cas. Je me pose suffisamment de questions quant à mes capacités d’écriveur pour ne pas ajouter une nouvelle torture à mon cas pathologique).
Voilà pour la petite histoire... Vous me pardonnerez cette relecture introspective et un brin chichiteuse d’une situation qui n’est peut-être après tout que le fruit d’un hasard heureux et anodin. Mais depuis ce jour helvète, j’ai eu envie de croire à une apparition clin d’œil venant donner vie à un personnage qui n’existait jusque là que dans mon imagination.
Une peu de poésie dans ce monde de brutes, après tout...