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kevin coyne

  • We miss you, Kevin...

    kevin coyne

    Kevin Coyne est mort le 2 décembre 2004. Il avait 60 ans. Sept ans (déjà !) après son départ, on veut croire que son passage ici-bas aura laissé une empreinte durable, même si l’on peut craindre non sans raison que son immense talent ne rayonne aujourd’hui que dans le cercle assez fermé de ses inconditionnels. Jusqu’à la fin, Coyne se sera consumé au service d’un art qu’on pourrait qualifier de blues tant la brûlure qu’il transmettait semblait la jumelle de la douleur qui hantait cette musique des origines.

    Je ne reviendrai pas trop longuement sur son histoire, que d’autres ont déjà expliquée, ici ou . Pour faire court, rappelons que le chanteur s’était d’abord engagé dans des études d’art avant d'être employé dans un hôpital comme travailleur social où l’une de ses tâches consistait à s’occuper de malades affectés de troubles psychiatriques. On imagine déjà que nous ne sommes pas en présence d’un artiste léger. Amateurs de sucreries sirupeuses, Kevin Coyne n'est pas pour vous, passez votre chemin et rallumez la télévision.

    Après l’expérience du groupe Siren dont il était le chanteur, Kevin Coyne se présentera seul avec sa guitare en 1972 pour publier le disque Case History puis, dès l’année suivante, le bouleversant Majory Razorblade, un double album qui va l’installer durablement comme une sorte d’ovni musical. Car pour avoir eu la chance de vivre en direct cette époque faste par l’entremise de mon frère qui avait su dénicher cette perle rare (une de plus), je peux ici témoigner du caractère totalement atypique du personnage : ours mal peigné, gros buveur, guitariste dont la technique loin d’être académique consistait autant à boxer son instrument qu’à en faire sonner les cordes, chanteur qui était tout sauf un vocaliste charmeur mais plutôt un écorché vif, Kevin Coyne était un cas artistique vraiment pas comme les autres. Être habité, hors du commun, véritable bluesman dont chaque note jouée, chaque parole chantée semblait pour lui être l’ultime, il brûlait d’une douleur contagieuse qui trouvait certainement ses racines dans les souffrances qu’il avait côtoyées pendant de longues années et qu'on voulait partager, en imaginant que, peut-être, nous l'aiderions un peu à se sentir plus léger.

    Cette période des années 70 aura été rien moins que somptueuse. Un disque monumental, Blame It On The Night, verra le jour en 1974. Une sorte de coup parfait dans ses imperfections rageuses, son énergie existentielle un peu désespérée. Un album essentiel, qui évoque dans sa noirceur électrifiée (écoutez "River Of Sin", par exemple) le Time Fades Away de Neil Young, un autre artiste dont les imperfections font tout le génie. Un brûlot qu’on n’en finit pas d’écouter pour le découvrir à chaque fois. Citons aussi Matching Head And Feet, Heartburn, Millionnaires And Teddy Bears, et bien d’autres encore. Il y a chez Kevin Coyne une totale singularité : c’est presque naturellement qu’on recevra comme une évidence sa rencontre avec un autre grand personnage, tout aussi atypique et génial : Robert Wyatt. Tous deux se retrouveront sur la seconde face de l’album Sanity Stomp en 1980. Et que dire de l'urgence qui continue de hanter Pointing The Finger (1981), album lorgnant parfois vers un hard rock sulfureux ("As I Recall") ?

    Au milieu des années 80, après une dépression nerveuse et une lutte sans merci contre l’alcool, Kevin Coyne quittera l'Angleterre pour mettre le cap sur l’Allemagne. Tout en continuant à enregistrer et se produire sur scène, il laissera éclore son talent de peintre, d’écrivain et de poète, ce qu'il était aussi... Jusqu’au bout, il se tiendra debout malgré une maladie des poumons qui finira par l’emporter. Il faut lire ce témoignage qui met en scène un Kevin Coyne, presque à bout de forces, obligé de chanter sous assistance respiratoire, quelques mois seulement avant sa mort. Pas forcément bien écrit, mais un précieux compte-rendu.

    Voilà… Je ne sais plus trop pour quelle raison j’ai repensé à Kevin Coyne il y a quelques jours, retrouvé ses vieux albums, sa voix éraillée, sa guitare mal accordée, sa proximité douloureuse. Aucune tentation nostalgique de ma part : cette musique n’a pas pris une ride, elle pourrait avoir été enregistrée hier. On voudrait tant, aussi, qu’elle puisse voir le jour demain.

    Le jeu de mots est facile, trop facile peut-être mais pourtant il s’impose : en cette époque si grise qui voit émerger le grondement des peuples pris en tenaille entre la cupidité et le cynisme d’une minorité, celle des néo-dictateurs de la finance mondiale, on voudrait qu’une voix irradiée se fasse entendre, qu’un poing se lève. Tiens, on voudrait dire : vas-y Kevin, cogne, cogne, cogne ! Tu nous manques. Reviens !

    En écoute, "Blame It On The Night", extrait de l'album éponyme.

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