La musique sereine de Julie Campiche
Ne vous y trompez pas. La musique de Julie Campiche n’est pas forcément à l’image du titre de son nouveau disque. En effet, si Onkalo (« cave » en finnois) est un site d'enfouissement finlandais de déchets nucléaires, si ce lieu à durée de vie prétendument illimité peut susciter bien des peurs comme tant d’autres, la harpiste suisse fait le choix de dévoiler avec son quartet des paysages empreints de sérénité et d’accorder au temps qui passe inexorablement toute la place qui lui revient naturellement.
On avait laissé la suissesse aux commandes d’Orioxy, une formation dont elle avait partagé la direction avec la chanteuse israélienne Yael Miller. Huit années d’existence, trois albums au compteur. Et pour ce qui me concerne, une réelle attraction suscitée par l’univers onirique et mystérieux d’une formation au sujet de laquelle j’avais écrit, il y a fort longtemps maintenant, dans une chronique pour le magazine Citizen Jazz : « le quatuor, toujours en équilibre sur le fil tendu de ses contes d’où la folie n’est jamais exclue, prend un malin plaisir à bousculer très vite le confort de son univers pop-rock pour le faire chavirer vers d’autres contrées plus aventureuses et, pour tout dire, passionnantes ».
Onkalo, tout aussi passionnant, mais dans un registre différent, guidé par une ligne de conduite assumée. Ne pas accélérer la course, savoir ne pas jouer trois notes si deux suffisent, respecter le silence. Respirer. C’est tout ce qui se trame par exemple dans le « Flash Info » en ouverture de l’album, avec son alternance implacable de moments calmes et d’accélérations brutales. Julie Campiche semble nous inciter à prendre du recul face au déferlement des actualités. Prenez le temps de la réflexion. Le ton est donné et à partir de ce moment-là, toute la musique de l’album imposera la nécessité de ne pas se livrer à une course inutile. Le clair-obscur qui entoure « Onkalo », zone mortelle s’il en est, va de pair avec une réaction salutaire sous la forme d’une pulsation régulière, solide. Face au risque mortel, le quartet joue la carte de la vie. « Cradle Songs », « Lepidoptera », « Dastet Dard Nakoneh » sont de majestueuses ballades, « To The Holy Land » fait valoir un balancement tranquille. Jamais les musiciens ne se prennent les pieds dans le tapis d’une course vaine. Julie Campiche aime à préciser : « Si ça va trop vite, j’ai l’impression de casser l’élastique, le fil conducteur ! »
La forme de Onkalo est peut-être celle du jazz. Un jazz qui associerait sons naturels et effets électroniques (tous les musiciens s’y collent). Allez savoir de quoi il retourne exactement, on s’en moque un peu, après tout… Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse… Ici, c’est de minimalisme qu’il faudrait parler, mais ce dernier est loin d’être ordinaire – appelons-le minimalisme prospectif – dans la mesure où il semble capable d’explosions à chaque instant. On retient souvent son souffle à la découverte de ces six histoires dont la durée assez longue est la garantie d’un véritable dépaysement. Au pays d’une sérénité acquise à force de s’autoriser à rêver.
Le quartet de Julie Campiche, qui aura mis plus de trois ans avant d’enregistrer sa musique, ne semble pas douter de sa force tranquille. Les quatre protagonistes, emmenés par une harpiste plus que jamais traversée de lumière, ont eu un jour la bonne idée de se lancer à la quête de la beauté. Ils ne sont pas les premiers et ne seront pas les derniers. Mais il faut les remercier d’avoir touché leur but du doigt. Disons-le sans détour, Onkalo est un enchantement.
Musiciens : Julie Campiche (harpe, effets), Leo Fumagalli (saxophone, effets), Manu Hagmann (contrebasse, effets), Clemens Kuratle (batterie, effets).
Titres : Flash Info / Cradle Songs / Onkalo / To The Holy Land / Lepidoptera / Dastet Dard Nakoneh
Label : Meta Records