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Voici quarante ans et trois jours précisément que disparaissait Duane Allman, tué dans un accident de moto. Il n’avait même pas vingt-cinq ans et derrière lui déjà de belles pages tournées dans le grand bouquin de l’histoire du rock américain. On devrait plutôt parler de southern rock en ce qui le concerne, lui qui au crépuscule des années 60 avait créé le groupe The Allman Brothers avec son frère Gregg. Une histoire bien courte, beaucoup trop courte, comme on peut le deviner, et une poignée d’albums imbibés d’une forte dose d’un blues rock fiévreux hanté par la guitare de Duane Allman – et particulièrement sa slide guitar. Deux albums urgents et brefs enregistrés en studio (The Allman Brothers (1969) et Idlewith South (1970) ainsi qu’un somptueux Live At Fillmore East (1971) témoignent de l’ébullition de la fratrie Allman.
Mais Duane, sans son frère, participera au printemps 1970 à une autre aventure à laquelle le conviera Eric Clapton, celle de Derek & The Dominos. Ce groupe laissera en héritage ce que l’on peut considérer aujourd’hui comme l’un des must have de l’histoire du rock, le mythique double album Layla And Other Assorted Love Songs. Disque parfait, presque intemporel dont le titre « Layla » confine au sublime. Les deux guitaristes rivalisent de brillance et de vibration, atteignant là un sommet dont on ne se lassera jamais.
Tout récemment, Eric Clapton a publié un enregistrement live avec le trompettiste Wynton Marsalis. Leur reprise de « Layla » ressemble à s’y méprendre à un naufrage qui nous fait regarder avec regret, tout là haut, vers le ciel étoilé des musiciens qui sont partis trop vite. Il est parfois coupable de s’acharner à faire vivre ce qui est passé du monde des vivants à celui de l’éternité.
Allez comprendre... Il m'arrive parfois d'être surpris par mes propres émotions musicales tant elles pourraient sembler irréductibles les unes aux autres. Moi le Coltranien quasi-obsessionnel, le rédacteur un peu maniaque (et, ce faisant, pas toujours aussi productif qu'il le souhaiterait) de Citizen Jazz, le mélomane non pratiquant en quête névrotique de sensations fortes et toujours prêt à se laisser embarquer vers des contrées dont il lui plaît d'ignorer par avance la géographie, je ne peux me résigner à me repaître uniquement de ces nourritures puissantes dont la digestion nécessite parfois qu'on les ingère non sans patience et précaution. Car je m'épanouis aussi – j'espère être pardonné ! – sur des chemins beaucoup mieux balisés, dont je connais par cœur le point de départ et l'itinéraire en général rectiligne.
C'est l'un et l'autre.
Je viens par exemple de consacrer beaucoup de temps à écouter la musique d'Olivier Greif, une œuvre hantée de mysticisme et sur laquelle semble planer en permanence une interrogation inquiète de la mort : Meeting Of The Waters, The Battle Of Agincourt, Sonate de Requiem, pour citer de récents achats dont je ne cesse de me féliciter (vous avez bien lu : acheter un disque.. quelle drôle d'idée !).
Comme par un mouvement de balancier intérieur auquel je ne peux me soustraire, j'éprouve – quelque temps plus tard – une nécessité sereinement teintée de rock, de folk ou de blues. Une envie de revenir en arrière, à cette époque où je découvrais jour après jour de nouveaux disques sous la guidance méthodique et cultivée de mon frère. Le temps de l'adolescence, des émerveillements, d'une certaine volonté aussi d'ignorer les vicissitudes de notre monde vulgaire, partant de l'idée que le jour de l'affrontement avec la réalité viendrait bien assez vite. Une plongée dans l'innocence.
Il y a dans cette alternance de temps forts et de moments musicalement sécurisés comme une exigence permanente d'un retour aux sources, celle d'une impérieuse renaissance sans laquelle la grisaille du quotidien serait trop envahissante, étouffante même.
Une respiration vitale. Un luxe, certes, mais un précieux recours... So precious...
Après Olivier Greif et son classicisme atonal et parfois sériel, après ses inspirations de feu et de glace, j'ouvre aujourd'hui en grand les fenêtres pour découvrir un paysage brûlant, mais de la caresse d'un soleil généreux. Je suis on The Road To Escondido, et je cherche la revitalisation par un simplissime « Danger », en compagnie – excellente au demeurant – de J.J. Cale et Eric Clapton (vous pouvez l'écouter un peu plus bas, ne vous en privez surtout pas).
Danger She's out into the night Danger She's such a pretty sight She was treated so badly it seems Now she's looking full of dreams Danger She's out into the night
Aucune fioriture, rien de vraiment neuf dans cette musique qui balance tranquillement, une invitation mélodieuse à la contemplation qui ne m'inspire aucun sentiment de culpabilité, parce que toutes les musiques se valent quand elles sont habitées par une âme généreuse...
Bien qu'enregistré en 2006 – il est par ailleurs la dernière apparition de l'organiste Billy Preston – ce disque pourrait avoir été publié trente ans plus tôt et n'apportera probablement rien à l'histoire de la musique contemporaine.
Qu'importe ! Les deux lascars expriment au mieux une certaine idée de l'épure. Si deux notes sont nécessaires, pas besoin d'en jouer trois. Si un chorus de guitare se laisse deviner parce qu'il a un petit air de déjà entendu, c'est tant mieux, on ne demande rien d'autre. On ne veut pas subir un effet de surprise : bien au contraire, on veut revivre ce qu'on a déjà vécu. Et bien que signé Cale – Clapton, ce disque doit énormément au premier qui compose la quasi totalité de ces songs et y imprime sa marque très particulière, celle d'un flegme faussement somnolent qui est devenu sa carte d'identité au gré des albums.
J'aurais pu choisir d'autres exemples, ils ne manquent pas par ici. Il faudra d'ailleurs, puisqu'on évoque une certaine musique américaine, que je vous dise deux mots d'un disque quasi introuvable aujourd'hui et qui me procure des sensations identiques. Son auteur a eu l'extrême gentillesse de me le faire parvenir : Métropolitain, du guitariste Alain Bellaïche, très bien entouré à l'époque – celle des années 70 – de grands messieurs ayant pour nom Alain Renaud ou Nils Lofgren est en effet une petite perle où se croisent avec bonheur les influences de Crosby, Stills, Nash & Young, The Doobie Brothers ou encore mon Hot Tuna fétiche. Mais j'y reviendrai, parce que tout ceci mérite bien plus qu'une rapide conclusion à cette note un peu existentielle.
En attendant... goûtez tranquillement la saveur de ce chouette « Danger » ! Et laissez-vous aller à ces quelques minutes d'un revitalisant carpe diem musical.
J'observe - ou plutôt j'écoute - un mouvement de retour en arrière, assez loin vers les années 60 et 70, dans le monde de ce que j'appellerai, pour simplifier, la musique rock. Voilà un phénomène qui me rassure en ce sens que je me fais moins l'effet d'être un vieux schnock lorsque je m'aperçois que de jeunes musiciens vont puiser dans les mêmes fonds de catalogue que moi (et quelques autres d'ailleurs) ! Comme s'ils avaient tiré un trait sur toute la période commençant à la fin des années 70 et le désastre disco annonçant le désert des années 80 et ce qui en a découlé par la suite. Toute cette période où la création musicale comptait beaucoup moins que la rentabilité qui pouvait être dégagée de l'investissement à court terme sur une éphémère tête d'affiche. Mon fils, manifestant ainsi probablement plus de sagesse que son père, dit qu'il s'agit là d'une nouvelle mode en attendant la suivante. Une mode donc, consistant à n'en avoir pas. Aujourd'hui pourtant, on se réclame des pères de la soul music, on convoque la musique acoustique d'origine californienne, les synthétiseurs sont rangés dans les placards au profit de claviers plus traditionnels. Volontairement, je ne citerai aucun nom. Mais je me pose la question du lien qui pourrait exister, s'il s'agit d'un mouvement à plus long terme, entre la prise de conscience du basculement écologico-économique que nous allons forcément devoir vivre dans les années à venir, et cette autre nécessité exprimée ainsi d'une musique moins encombrée d'artifices et plus chargée d'esprit, aux antipodes de celle qui avait pu s'épanouir durant les années « fric » et toc. Ou peut-être tout ceci n'est-il que le fruit de l'imagination du potentiel (futur) ringard que je suis. La parenthèse vous indiquant d'ailleurs que ce processus irréversible est peut-être déjà engagé.
N'empêche... puisque l'on parle de vieux croûlants... Il y a ce gamin de 61 ans nommé Steve Winwood dont j'aimerais vous parler plus longuement un jour. Ce type là chante comme un Dieu et tout son parcours parle pour lui, sans qu'il soit besoin d'en rajouter : Spencer Davis Group (à 15 ans), Blind Faith avec Eric Clapton (à 20 ans), Traffic et sa discographie magique (dans la foulée de Blind Faith), ses albums solo (dont le tout récent Nine Lives est exemplaire) et sa participation à quelques galettes historiques : Electric Ladyland de Jimi Hendrix, Berlin de Lou Reed ou encore Broken English de Marianne Faithfull.
Allez, vous partez avec moi pour un petit retour en arrière ?