Americano !
Sacré Neil Young ! Chassez le naturel, il revient au galop, et pas n’importe lequel, celui de son Cheval Fou. On avait laissé le Canadien en 2010 avec Le Noise, un disque un peu énigmatique, voire introspectif, enregistré en duo avec le producteur Daniel Lanois. Un album dont il était parfois difficile de savoir s’il se façonnerait correctement dans nos mémoires avec le temps, celui-ci faisant toujours son affaire, mais – avouons-le – vers lequel on revient aujourd’hui assez peu alors que d’autres disques, beaucoup plus anciens, sont pour nous des compagnons de toute une vie (je vous épargnerai ma propre liste, mais j’évoque quelques lignes plus bas l’un de ces trésors...). Non qu’il soit mauvais (à l'exception de quelques fautes de goût qu’on attribuera par commodité à la vacuité musicale des années 80 à laquelle il n’a pas su lui-même échapper, Neil Young a rarement commis autre chose que de bons disques), mais allez savoir pourquoi, on a tendance à oublier The Noise. Comme s’il était un travail de laboratoire, une expérience, une idée en gestation...
2012 voit le retour du Loner électrique et sauvage, celui qu’on aime depuis toujours (ou presque, mais quand j’y réfléchis, je n’ai que des souvenirs très flous de l’époque antérieure à celle où j’ai croisé la musique de Neil Young pour la première fois...) et dont l’un des albums les plus éclatants en ce domaine est aussi l’un de ses premiers, le splendide Everybody Knows This Is Nowhere en 1969.
Pour ce retour en force, Neil Young a rameuté sa bande de companeros tout aussi électriques que lui, le groupe Crazy Horse avec lequel il n’avait pas travaillé sur disque depuis 2003, date de la publication de l’album Greendale. Et pour être plus précis, il faudrait même dire qu’on doit remonter à 1996 et au disque Broken Arrow pour retrouver le groupe en entier aux côtés de son mentor : Frank Sampedro à la guitare, Billy Talbot à la basse et Ralph Molina à la batterie. C’est dire que de telles retrouvailles ne pouvaient susciter que beaucoup d’impatience ! D’autant que pour composer le menu de Americana, Neil Young a choisi un répertoire par lequel il revisite à sa manière très particulière quelques grands classiques de la musique américaine, comme le célébrissime « Oh Suzanna », « Tom Dula », « Clementine » ou « This Land Is Your Land » (un hymne signé Woodie Guthrie), sans parler d’une relecture à sa façon de « God Save The Queen ». Avec une précision de la part de Neil Young : « Nous connaissons tous ces chansons depuis le jardin d’enfants. Mais à partir du moment où Crazy Horse les a réarrangées, elles nous appartiennent ». Prenez ça dans les dents !
Il n’y a que Neil Young pour oser délivrer un tel disque ! Qui d’autre que lui pourrait se permettre de nous balancer à la figure un pareil brûlot dont les imperfections – toujours les mêmes, celles qu’on aime, celles qu’on attend à chaque fois – sont aussi les qualités intrinsèques ? Une rythmique cul-de-plomb, car jamais la paire Talbot / Molina ne fait dans la finesse ni dans l’originalité, sa lourdeur éléphantesque étant irremplaçable ; une voix toujours en déséquilibre, approximative et incertaine, qui se fiche de savoir si elle est juste ou fausse comme de son premier cri ; des chorus de guitare mille fois entendus qu’on pourrait presque chanter avant de les avoir entendus... On sait tout cela, dès les premières notes, mais jamais, aussi paradoxal que celui puisse paraître, Neil Young n’est pris en défaut. Il est ailleurs, au-dessus... Probablement parce qu’il reste l'un des rares survivants d’une époque qui nous semble aujourd’hui bien lointaine et parce qu’il a su préserver intacte l’énergie originelle du rock qui coule dans ses veines. Debout face au vent, le père Young. Malgré certaines contradictions (reportons-nous pour mieux les comprendre au bouquin de JeanDo Bernard : Neil Young, Rock’n’Roll Rebel?), le personnage reste un insoumis qui semble être en mesure de jouer la musique qu’il veut, comme il veut et quand il veut. Et ça marche !
Americana en est un nouvel exemple. Le disque va sortir très prochainement, mais on peut d’ores et déjà l’écouter dans son intégralité sur le site du magazine Rolling Stone. Attention, ça décoiffe : like a hurricane, comme dirait l’autre !