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Pour une fois, je n’abuserai ni des mots, ni même de ce travers dont je me régale : la confection de phrases interminables. Je veux simplement partager avec vous une photographie que je trouve magnifique.
Mon ami Jacky Joannès, en grand chasseur de portraits de musiciens, était l’autre jour au pied de la scène du Chapiteau de la Pépinière, pendant un concert que le saxophoniste Charles Lloyd donnait dans le cadre du festival Nancy Jazz Pulsations.
Et soudain, il a vu ça…
Ah qu'il est beau cet instant fugace durant lequel la silhouette du musicien s’est dessinée, juste par un effet d’éclipse d’un projecteur. C’est admirable. Je ne saurai jamais assez remercier l'ami Jacky pour la joie que peuvent procurer tous ses coups d’œil. Quand un regard plein de lumière nous offre de tels petits miracles visuels, on s’incline et on savoure…
Des places assises en plus grand nombre, un vrai soin apporté à la lumière, un son plutôt meilleur qu’à l’habitude malgré quelques approximations (comme au début du concert de Chucho Valdès), voilà une série d’améliorations qui est à souligner. Le Chapiteau de la Pépinière, lieu emblématique du Festival, évolue tranquillement, au rythme de la déambulation des spectateurs en quête d’un verre de bière ou d’un paquet de cacahuètes grillées vendues à prix d’or ; toujours imprégné de cette ambiance historique bien particulière, on adore le détester ou on déteste l’adorer, c’est selon l’humeur du moment !
Charles Lloyd a beau être nimbé de sa propre légende et des pages importantes qu’il a fait tourner à l’histoire du jazz, on imagine volontiers que le saxophoniste a ressenti un immense bonheur de voir sa musique dynamitée par un trio haut de gamme : Jason Moran au piano, Reuben Rogers à la contrebasse et Eric Harland à la batterie. Tous les trois ont assuré une bonne partie du spectacle, permettant à Charles Lloyd de servir en toute sérénité sa musique selon le mode introspectif qu’on lui connaît depuis longtemps, au saxophone ténor, à la flûte ou au tarogato. Cet artiste-là est libre, tout comme son jazz qui sait s’affranchir de la mélodie pour glisser vers des échappées plus aventureuses, mais toujours habitées. Le quartet communique peu avec le public, déroulant son histoire presque sans interruption dans une ambiance qui, reconnaissons-le, ne rend peut-être pas justice à son intensité méditative. Lloyd est un géant du jazz qui, de sa démarche hésitante, est venu nous inciter à regarder vers le haut.
Oublions la prestation de Raphael Gualazzi même si la standing ovation par une partie du public a de quoi interroger. Voilà un ersatz plutôt insipide de Paolo Conte dans un mauvais jour et de Jamie Cullum au quotidien, revu et corrigé par un directeur artistique ayant fait ses classes dans la Nouvelle Star : ses gesticulations associées au martèlement frénétique des touches de son piano mettent surtout en évidence la vacuité d’un propos convenu et une désagréable confusion entre énergie et séance de fitness. Quant à son massacre de « Caravan », il restera par ailleurs dans les annales du festival comme l'un des moments les plus terrifiants de cette édition... La conclusion s’impose : je ne suis pas le cœur de cible de ce type de produit marketing. Il faut savoir reconnaître ses propres limites. Tant mieux pour ceux qui aiment, après tout.
Fort heureusement, le cubain Chucho Valdés a redressé la barre d’une soirée qui menaçait de s’étioler en variété estampillée Bisounours au pays du jazz ! Avec ce pianiste bardé de prix et de distinctions, c’est un torrent d’énergie qui s’est déversé, notamment sous les coups de boutoir des trois percussionnistes de ses Afro-Cuban Messengers ; un flot de musique généreuse bien servi également par une paire trompette / saxophone jamais en mal d’inspiration. Valdés est aussi, à sa façon, un percussionniste, quoiqu’on ne saurait le cantonner à ce rôle de dynamiteur de touches qui a fait sa renommée : des incursions très mélodiques, aux confins du jazz et des univers de compositeurs comme Debussy ou Stravinski, ont aussi émaillé son propos, élargissant le spectre musical d’une formation enthousiaste, augmentée de la chanteuse Mayra Caridad Valdés, le temps d’un « Besame Mucho » ondulant et espiègle. L’un des beaux moments du concert aura certainement été « Zawinul’s Mambo », en hommage au créateur du groupe Weather Report, où l’on peut entendre une évocation de « Birdland » ; le groupe enchaînera avec « Stella By Starlight », rendu méconnaissable sous les assauts des fûts. On ressort de cette prestation aux rouages bien huilés tout ragaillardi à l’idée de s’être glissé dans les pas de Chucho, malgré la bruine qui nous rappelle que l’automne vient d’arriver.
Chapiteau de la Pépinière – Mercredi 12 Octobre 2011
En écoute : « Zawinul’s Mambo », extrait de Chucho’s Steps par Chucho Valdés & The Afro-Cuban Messengers.
Texte préparatoire à un prochain compte-rendu complet pour Citizen Jazz.