Rebelle... ze riteurne !
Je reviendrai plus en détail, par le biais d’une chronique pour Citizen Jazz, sur le livre que JeanDo Bernard a consacré à Neil Young. Sans attendre cependant, j’aimerais souligner ici ses qualités. La première d’entre elles étant sa spontanéité associée au style incisif et sans détours inutiles qui vous font dévorer ce Neil Young, Rock’n’Roll Rebel ? comme dans un seul souffle (on pourra juste regretter une petite série de coquilles tout au long des pages).
L’auteur connaît bien son affaire et, comme il le démontre dans un chapitre introductif, a vécu pleinement ces années 60 dont la période 1968-1975 fut d’une incroyable fécondité. Moyennant une poignée de souvenirs d’enfance mobilisés en quelques pages bien senties, il nous dresse le portrait de ces temps aujourd’hui lointains – la France du général De Gaulle, des yé-yés, de la Guerre du Viet-Nam, de toute un génération en quête d’un autre monde, cette recherche n’excluant pas le recours à tout un arsenal de produits pour le moins stupéfiants – au beau milieu desquels va éclore le Loner, mister Neil Young himself.
Si JeanDo Bernard connaît son Neil Young sur le bout des doigts (depuis The Squires jusqu'au récent Le Noise en collaboration avec le producteur Daniel Lanois, en passant par Buffalo Springfield et Crosby, Stills Nash & Young), il n’en a pas pour autant écrit un livre de fan hardcore ! Il n’y a dans sa démarche aucune tentation hagiographique : bien au contraire, il s’efforce de décortiquer à travers une partie des disques du Canadien (qui sont nombreux et dont la recension exhaustive aurait abouti à un catalogue fastidieux) les ressorts de ses engagements tant sur le plan politique que philosophique ou écologique, n’hésitant pas à pointer du doigt ses contradictions (une radicalité anti Bush qu’on ne peut que mettre en parallèle avec une plus grande tiédeur envers Ronald Reagan, par exemple). Le journaliste écrivain nous propose un exercice d’admiration cultivée mais raisonnée et c’est là une des grandes forces du livre. Sans jamais oublier de nous rappeler la singularité du musicien, tant le chanteur que le guitariste. Nourri de folk, de blues et de rock.
Mais l’essentiel me paraît résider ailleurs (ce n’est ici qu’un point de vue personnel) : en effet, la lecture du livre est la démonstration de ce qui fait tout le pouvoir de séduction de Neil Young : quelles que soient certaines de ses errances, quel que soit le niveau de sa production discographique (généralement très élevé, mais l’artiste a connu des coups de mou, notamment durant les sinistres années quatre-vingt), l’histoire du Loner est celle d’un éternel recommencement. Pour lui, comme pour nous. Neil Young n’est jamais là où on l’attend : le succès d’un Harvest aboutit à la sombre tournée Times Fades Away ; un climat country ou folk pourra être balayé d'un revers de gilet à franges par un disque hautement électrique ou une tentative technoïde, avant le retour aux sources, en solitaire ou flanqué de son fidèle Crazy Horse. Depuis plus de quarante ans, beaucoup d’entre nous sont prêts à embarquer avec lui, quitte à descendre temporairement du train si l’atmosphère ne nous convient pas, mais certains que le prochain voyage méritera le détour. Neil Young fait partie de ces artistes qui sont de vrais compagnons de vie, des êtres humains avec leurs forces et leurs failles, mais toujours fidèles à nos rendez-vous avec eux. Et d’une générosité indiscutable doublée d’une force de conviction inoxydable.
Neil Young, Rock’n’Roll Rebel ? nous l’explique avec la même sincérité : ce livre, édité par Camion Blanc, devrait séduire non seulement les fans de la première ou de la deuxième heure, mais aussi tous ceux qui voudraient faire la connaissance d’un personnage unique.
Bonus !
Tout récemment a vu le jour un Live In Chicago, un double album enregistré en 1992. Neil Young, plus solitaire que jamais, s’accompagne à la guitare, au piano, voire à l’harmonium. Il est possible que ce disque soit redondant avec d’autres déjà disponibles. Mais à lui seul, il est le témoignage de la démarche artistique de Neil Young, intense, mélange de fragilité et de force, presque intemporelle. En voici un court extrait, avec le poignant « The Needle And The Damage Done ».