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batteur

  • T'as pas cymbales ?

    Rêves de batteries, batteries de rêve... Une petite flânerie, des digressions, forcément, avec pour point commun de tortueuses histoires de fûts et de caisses. Et pour finir, un beau disque à découvrir sans plus attendre...

    4_new_dreams.jpgC'était il y a fort longtemps, très longtemps. La preuve, j'étais jeune, quelque part entre la sortie de l'enfance et l'entrée dans cette phase – dont je ne suis pas toujours persuadé d'avoir réussi à m'extraire – qu'on nomme adolescence et que les psychologues de tout poil s'acharnent à rendre impossible à vivre... A cette époque, j'avais dans un premier temps caressé l'espoir de devenir un jour un guitar hero : les exemples vinyliques ne manquaient pas chez moi et le té en bois dont on m'avait imposé le recours pour d'erratiques cours de technologie au collège m'avaient de temps à autre permis de prendre la place avantageuse d'un John Fogerty ou d'un Eric Clapton au mieux de leur forme. Mais ma gestuelle silencieuse (et par conséquent inoffensive) avait vite trouvé ses limites lorsqu'après avoir emprunté à plusieurs reprises la (vraie) guitare de ma sœur (qui, me semble-t-il, n'en a jamais fait un usage beaucoup plus intensif que le mien, malgré quelques tentatives risquées de l'ascension d'un sommet technique tel que « Jeux Interdits »), je m'étais rendu compte que l'instrument était fort douloureux pour les doigts. Un camarade de classe, plus obstiné que moi, avait par ailleurs fini par me convaincre que l'apprentissage d'une six cordes risquait fort de s'apparenter à un vrai de chemin de croix, repoussant ainsi dans les limbes de ma rêverie mes pauvres ambitions musicales.

    C'est pourquoi j'eus tôt fait de m'adonner à un nouveau rêve artistique : devenir batteur ! Oui, trôner fièrement au centre d'une scène et déclencher dans toute leur immensité les forces incommensurables de l'univers !!! J'avais chez moi tout le matériel nécessaire pour assouvir cette nouvelle passion : un vieux coussin en cuir que je m'échinais à martyriser méthodiquement au moyen d'une paire d'aiguilles à tricoter qui n'en demandaient pas tant. Ah ah ah ! La sphère percussive n'avait qu'à bien se tenir, parce qu'au gré de mes découvertes, j'étais à chaque fois prêt à prendre la place de mes héros du moment. Je ne saurais établir une liste exhaustive de mes différentes victimes mais je me rappelle parfaitement avoir congédié dans un premier temps Colin Petersen (Bee Gees), Doug Clifford (Creedence Clearwater Revival), Bill Kretuzmann (Grateful Dead), avant de m'attaquer à de redoutables concurrents tels que Bill Bruford (Yes, King Crimson), Richard Coughlan (Caravan) ou John Marshall (Soft Machine). Aucun d'entre eux ne pouvait résister à mes pathétiques frisés, en quelques frappes bien senties sur la peau chamarrée de mon fût de fortune, je donnais un coup de vieux à leur jeu si étrangement mélodique alors que le mien, plus rustique, n'en était pas moins animé par la volonté définitive de leur succéder et de susciter chez eux une admiration sans bornes.

    Mais un beau jour, ce fut le drame... Je croisai le chemin de Magma et de son bourreau des cymbales, le dénommé Christian Vander ! Hé ho ! C'est quoi, ça ? Comment je fais, moi, avec mes deux aiguilles et mon vieux coussin ? Dis-donc, Cri-Cri, c'est pas du jeu ! Non, mais ça va pas la tête ? Il est fou, il va trop vite et en plus, je sais même pas faire les yeux de fou et il faudrait que j'apprenne à secouer la tête à toute allure de gauche à droite et inversement. Arrête, si mes parents me voient dans cet état, c'est l'asile direct !!! Déjà que j'ai réussi à monnayer allemand LV 2 contre un pack italien plus latin, c'est peut-être pas le moment de me faire remarquer. Alors là, je peux vous dire, j'ai eu comme un vieux coup de mou... Bon, je pressentais bien, très empiriquement, que mon sens inné du rythme équivalait grosso modo à celui d'un vieux gant de toilette desséché au fond d'un panier à linge sale, mais tout de même. Me faire ça à moi ? Et puis, il faut dire qu'avec cette fracassante déclaration d'hostilité kobaïenne, je me suis vite rendu compte que par le passé, quelques grands maîtres avaient bien déblayé le terrain, repoussant mon drumming in camera vers le tréfonds, que dis-je, le néant de l'histoire de la musique. Les Art Blakey, Elvin Jones, Tony Williams ou Jack DeJohnette étaient passés par là, je n'en avais même pas subodoré l'existence... Ma décision fut prise en quelques instants, un beau soir d'automne (en fait c'était peut-être une autre saison, mais j'en ai tiré une au sort et c'est tombé sur celle-là... désolé) : au placard aiguilles et coussin (au fait, je voudrais bien savoir ce qu'il est devenu celui-là, le pauvre, il n'a probablement pas eu droit à des obsèques dignes de son héroïsme subi, il faudrait que je songe à lui élever une stèle, une sorte de monument au coussin inconnu), je rends les armes et je ne serai jamais musicien ! Tout au plus me contenterai-je d'aimer la musique, ou plutôt les musiques. Je développerai malgré moi un terrible syndrome de boulimie des portées (dont la lecture continue de m'échapper), je deviendrai un goinfre des galettes, un affamé des mélodies.

    Je m'aperçois que d'autres, avant moi, ont connu ce type de mésaventures. Ainsi, je lis dans le dernier numéro de l'excellent Improjazz* (dont il faudra que j'évoque l'existence un jour ou l'autre, parce que la passion de son créateur continue de m'impressionner) une interview passionnante de l'écrivain Guy Scarpetta. Cet amateur de jazz nous raconte que ses parents avaient décidé de lui faire apprendre le violon. Un choix qui se solda par un résultat proche de l'accident industriel dont il a réussi à extraire une passion pour la musique : « Cette expérience ratée a bien failli me dégoûter à tout jamais de la musique. Mais curieusement, il a suffi que je renonce à jouer pour qu'aussitôt, comme par miracle, mon oreille s'ouvre. Pour que je devienne immédiatement passionné de musique, de toutes sortes de musiques ». Ah ben voilà, on se sent moins seul quand on lit ce genre de choses ! Merci monsieur Scarpetta...

    Ce qui me pose problème avec ce foutu non apprentissage – considérez-moi comme un a-musicien et qu'on n'en parle plus – c'est la formulation correcte des plaisirs qu'on ressent à l'écoute d'un disque, quand on est incapable de les traduire en termes musicalement adaptés. Prenez par exemple un très beau disque récemment publié par le batteur (ben oui, forcément, toutes ces circonvolutions pour en arriver là...) Bruno Tocanne. Ses 4 New Dreams sont un véritable petit enchantement... Ma collègue Diane sait très bien trouver les termes adéquats dans la chronique qu'elle a rédigée pour Citizen Jazz, elle vous explique tout ça avec les mots justes... ceux que je serais bien incapable de trouver moi-même. Quand il est question d'un intervalle de quarte ascendante, je me fais tout modeste, je rase les murs de ma connaissance, je me pose même la question de ma légitimité de chroniqueur citoyen, c'est vous dire... Alors il me reste pour tout viatique la tentation de l'enthousiasme, qui s'affranchit des obstacles techniques et n'a d'autre ambition que de communiquer le bonheur qu'on vit à l'écoute d'un très réjouissant quartet. J'avais voici quelque temps salué la relecture par le même Bruno Tocanne et son i-Overdrive Trio de la musique de l'énigmatique Syd Barrett, membre fondateur de Pink Floyd. Ce type-là (Tocanne, pas Barrett qui malheureusement ne communique plus depuis le mois de juillet 2006), qui multiplie les rêves depuis quelque temps, est à classer sans attendre parmi ceux que j'appelle volontiers les agitateurs d'atomes, ces musiciens qui savent bousculer votre quotidien acoustique en vous suggérant des chemins sur lesquels, de votre propre initiative, vous n'oseriez pas forcément vous engager. Ils vous tapent sur l'épaule en vous disant : « Allez, tu viens avec nous, on va faire une chouette balade, tu verras, je suis certain que tu vas voir des petits coins que tu ne connaissais pas ». Ici, avec le fidèle Rémi Gaudillat (trompette), Michael Bates (contrebasse) et Samuel Blaser (trombone), nous sommes en excellente compagnie. Celle de ces musiciens épris de liberté et de découverte et qui, à chaque seconde, renouvellent votre plaisir de récepteur en vous embarquant dans leurs conversations enfiévrées, en vous proposant de ne pas vous laisser endormir par un confortable conformisme. Bruno Tocanne aime l'idée de résistance et c'est aussi ce qu'on apprécie chez lui : on sent qu'armé de ses baguettes, il dynamite à la fois sa musique mais aussi notre vigilance. Mais qu'on ne s'y méprenne pas : ces 4 New Dreams ne sont en rien une œuvre absconse et difficile d'accès ! Juste l'expression la plus pétillante qui soit d'une belle santé et d'une volonté de ne pas s'arrêter en si bon chemin. Toujours avancer. Et puis, quand on publie un disque sur lequel on trouve des compositions qui s'appellent « Le singulier au pluriel », « Pas si simple » ou « Le présent du vindicatif », on sait que la musique sera conjuguée avec ce mélange d'humour et d'élégance qui sont une vraie politesse faite à nos oreilles curieuses. Et si vous voulez vous faire une petite idée des inventions renouvelées des quatre compères, je vous suggère de ne pas attendre plus longtemps.


    PS : En me relisant, je m'aperçois que cette note n'a pas vraiment de fil directeur. Tant pis, je veux bien assumer cette incohérence, qui est probablement le fruit de ma sénilité naissante. Ou parce qu'aujourd'hui étant le jour de mon anniversaire, j'ai décidé de faire comme je voulais. Et le coussin sur lequel je suis assis au moment où j'écris ces ultimes lignes n'a qu'à bien se tenir...

    * Et j'en profite pour remercier ici Philippe Renaud qui a eu la gentillesse d'y inclure une petite note informative sur le CD « Portraits Croisés » dont je me permets de rappeler qu'il est toujours disponible !