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afrique

  • La musique maîtresse du GRIO

    compagnie impérial, grand impérial orchestra, jazz, afrique, musiqueÀ deux jours près, la date de sortie officielle de cet album (le 17 janvier 2020) coïncide avec celle de mon anniversaire. Autant dire qu’il s’agit là d’un beau cadeau et – j’assume ce pronostic dont l’intérêt vous échappera peut-être – de l’un des temps forts de l’année jazz 2020 (tiens, pendant que j’y pense, il y a aussi le bouleversant Deep Rivers du pianiste Paul Lay). Une année qui pourtant commence seulement. Il est, parfois, des évidences qui s’imposent à vous… Surtout lorsque les membres du Grand Impérial Orchestra (dont l’acronyme est le GRIO) citent Oscar Wilde en exergue de leur projet : « Le seul moyen de se débarrasser d’une tentation est d’y céder ». Alléchant, forcément... Mais de quoi s’agit-il donc ?

    Au départ, il y a l’Impérial Quartet fondé par les saxophones multiples (de basse à sopranino) de Damien Sabatier et Gérald Chevillon, le contrebassiste Joachim Florent et le batteur Antonin Leymarie. Ce quatuor est une sorte de centre nerveux de la Compagnie Imperial sur le label de laquelle est publié Music Is Our Mistress, album d’une formation élargie cette fois à quatre autres musiciens amis qui ont souvent croisé la route de ladite compagnie : les trompettistes Aymeric Avice et Frédéric Roudet, le tromboniste Simon Girard et le pianiste Aki Rissanen. Autant dire qu’il sera question de souffle(s) et que la tempête déclenchée par cet octuor promet d’être très revigorante.

    Ce doublement du quartet m’amène à rappeler que la petite bande impériale aime décliner ses formations à la façon d’une famille recomposée, comme nous le prouvent Impérial Pulsar (soit le quartet et deux percussionnistes maliens) ou le récent Impérial Orpheon, pour l’avènement duquel trois des membres du quartet (Sabatier, Chevillon, Leymarie) avaient uni leurs forces à celles de l’accordéoniste chanteur Rémy Poulakis. En était résulté un passionnant Seducere dont je m’étonne encore qu’il n’en ait pas été question ici-même. Mais bon, l’erreur est humaine, n’est-ce pas ? Je crois me souvenir néanmoins de la diffusion d’un extrait de ce disque lors d’un Jazz Time que j’avais animé pour Radio Déclic. Vous me pardonnez ?

    Avec un tel titre – Music Is Our Mistress – on pense évidemment à Duke Ellington et son autobiographie Music Is My Mistress, mais je m’en tiendrai là pour les comparaisons, même s’il y a dans cette musique qualifiée « d’aventure » quelque chose qui n’est pas sans rappeler l’esprit du Liberation Music Orchestra de Charlie Haden et Carla Bley, dans cette façon qu’a le GRIO d’unir au plus près une expression très festive à la conscience de ses origines, ici une fois encore très africaines par la référence aux Banda Linda d’Afrique Centrale : « Chez eux, chaque morceau a une fonction sociale, qui accompagne toutes les époques de la vie, de la naissance à la mort ». Cette Afrique source n’est d’ailleurs pas le seul repère pour les membres du GRIO : ainsi, on entend très nettement à plusieurs reprises (« Cult Of Twins », « Linda Linda », « Gomorra Pulse ») les influences cycliques et répétitives d’un compositeur tel que Steve Reich. Rien d’étonnant à cela lorsqu’on sait comment est construite la musique des Banda Linda : « Ils jouent en général les trompes par groupes de cinq : chaque trompe joue une note et c’est l’imbrication de ce hoquet instrumental qui génère la polyphonie ». À la lecture de cette explication, on pense forcément aux superpositions rythmiques (les déphasages) du compositeur américain.

    Ces références étant établies, il faut maintenant dire que ce qui saute aux oreilles à l’écoute de Music Is Our Mistress, c’est la générosité, celle-ci n’étant pas dénuée d’une forme joyeuse de spiritualité lorsque la musique prend la forme d’un hymne. C’est le sentiment de liberté heureuse qui irradie ses huit compositions, originales pour la plupart quand elles ne consistent pas en des réarrangements de traditionnels Banda Linda. Prenez par exemple le trombone de Simon Girard tout au long de « Hillbrow » et vous saurez de quoi il retourne. C’est l’embrasement cuivré qui traverse tout le disque, un incendie allumé par la horde de saxophones trompettes trombone et leurs dialogues fiévreux (« A Cançào Do Grilo »). C’est aussi la capacité à arrêter la course du temps pour parler d’amour (« Frida Kalho Song Of Love »).

    Générosité, liberté, embrasement, amour. Finalement, je me rends compte que cette chronique aurait pu tenir en quatre mots. Une fois encore, je n’ai pas su résister à la tentation digressive, mon grand et vilain défaut. Mais il faut faire preuve de mansuétude à mon égard, parce que Music Is Our Mistress est de ces disques qui vous rendent bavard, joyeux, partageur, optimiste. C’est d’ailleurs l’effet provoqué par chacune des productions de la Compagnie Impériale depuis toutes ces années. Et ce dernier avatar en grande formation, loin de faire exception à la règle, en est plus que jamais la démonstration.

    Musiciens : Aymeric Avice (trompette, piccolo, bugle), Fred Roudet (trompette, bugle), Simon Girard (trombone), Damien Sabatier (saxophones baryton, alto, sopranino), Gérald Chevillon (saxophones basse, ténor, soprano), Aki Rissanen (piano), Joachim Florent (contrebasse), Antonin Leymarie (batterie).

    Titres : Cult Of Twins / Hillbrow / À Cançào Do Grilo / Frida Kalho Song Of Love / Gomorra Pulse / Anima / Linda Linda / Tchébou Ganza Tché Gaté / Le sommeil droit

    Label : Compagnie Impérial