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  • Barney Wilen à Tokyo, quand le jazz est là…

    barney wilen, live in tokyo, jazzDécidément, il semblerait que l’heure soit à l’exhumation d’enregistrements qu’on n’attendait pas ou plus… Miles Davis et John Coltrane sont sous les feux de l’actualité discographique. C’est Rubberband pour le premier, un disque aux accents funk qui remonte à la période allant d’octobre 1985 à janvier 1986, juste après son départ de Columbia pour Warner et avant le planétaire Tutu. Quant au saxophoniste, on le retrouve avec Blue World et une session du 24 juin 1964, à l’origine destinée à devenir la bande son d’un film canadien, Le Chat dans le Sac. L’occasion pour Trane d’enregistrer à nouveau des compositions qu’on connaissait déjà, comme « Naima », « Like Sonny » ou « Village Blues », mais avec son quartet « classique » cette fois.

    Aussi, la parution de Live in Tokyo ’91 par le quartet de Barney Wilen attire vraiment l’attention. D’abord en raison du talent exceptionnel du saxophoniste, disparu à l’âge de 59 ans en 1996 après une vie chaotique, celle d’un homme hors des codes de notre société qui ne se sentait « pas vraiment blanc » et qui l’avait vu côtoyer entre autres Miles Davis pour la musique du film Ascenseur pour l’échafaud en 1957, mais aussi Thelonious Monk, dans le cadre d’un autre film, Les liaisons dangereuses de Roger Vadim. Ensuite parce que Wilen, qui n’en était pas pour autant ignorant des nouvelles technologies, avait lui-même branché en ce 11 février 1991 sur la console du Keystone Korner un petit enregistreur numérique acheté le matin même ! Coup de chance pour tous les amoureux du jazz qui peuvent découvrir l’intégralité d’un long concert bénéficiant d’une excellente qualité de son. Encore un bel exemple de résurgence dont on a toutes les raisons de se réjouir…

    Dans le copieux livret qui accompagne ce double CD, René Urtreger (seul survivant du quintet de 1957 dont on peut découvrir depuis peu un passage dans l’émission de télévision Au clair de la lune, voir la vidéo au bas de cette note) dit au sujet de Barney WIlen : « Il jouait comme les Américains ». On mesure le compliment adressé à celui qui avait aussi plongé dans le free jazz, le rock ou l’Afrique en brûlant sa vie par les deux bouts. Et c’est vrai qu’entouré de « la fine fleur de la musique française d’aujourd’hui » (sic), soit Olivier Hutman (piano), Gilles Naturel (contrebasse) et Peter Gritz (batterie), le saxophoniste administre ce qu’on osera qualifier de leçon de jazz et qui, avant tout, s’avère emblématique d’un langage dont les principes actifs sont l’écoute mutuelle et l’interaction entre les musiciens. Avec eux, nous sommes gâtés !  Dans son texte écrit pour les Portraits légendaires du jazz, le journaliste Pascal Anquetil évoque « la sensualité et la puissance féline de son jeu ». On y est : son droit, puissant et souple à la fois, s’emparant de standards ou de chansons de Charles Trénet, Barney Wilen plonge en lui-même et raconte milles histoires de vie – combien cet homme-là en a-t-il vécues ? – accordant au quartet le temps nécessaire à l’épanouissement d’un chant à quatre voix tout au long de chorus et à la faveur d'un interplay fiévreux dont la densité ne faiblit jamais. Le jazz est là, tout simplement.

    Live in Tokyo ’91 a des allures de menu copieux (deux heures et quart de musique, tout de même) qu’on dégustera avec la délectation que peut susciter cette musique lorsqu’elle est à ce point habitée. C’est un disque tombé du ciel, en quelque sorte, qui explique beaucoup mieux que par les mots ce que Barney Wilen lui-même disait : « Je suis accroché au souffle. Quelque chose de magique se passe dans l’instrument. Ce qui en sort n’est plus vraiment le souffle de l’homme ».

    Musiciens : Barney Wilen (saxophones ténor et soprano), Olivier Hutman (piano), Gilles Naturel (contrebasse), Peter Gritz (batterie).

    Titres : CD1 > Introduction / Beautiful Love / L’âme des poètes / Mon blouson (C’est ma maison) / Que reste-t-il de nos amours ? / Besame Mucho – CD2 > How Deep is the Ocean ? / Little Lu / Old Folks / Latin Alley / Bass Blues / No Problem / Goodbye / Doxy

    Label> : Elemental Music

  • Les belles bulles de Théo Girard

    theo_girard_bulle.jpgIl n’est pas si courant qu’un disque suscite chez vous, d’emblée, de la jubilation. En d’autres mots une joie intense. Dans ces conditions, il faut se réjouir de la parution d’une Bulle enivrante (et pas seulement parce qu’elle pourrait pétiller dans une coupe de champagne) par le quartet du contrebassiste Théo Girard, qui en signe les huit compositions, souvent de format court. Un disque paru sur son propre label Discobole et qui survole de toute sa grâce et son énergie cette rentrée musicale. Bulle est une suite de chansons qui n’auraient pas de paroles, aux mélodies entêtantes qui arboreraient parfois les habits d’un hymne. Et si on se doit à cet égard d’avoir naturellement une pensée pour le travail du grand Charlie Haden, que Théo Girard a beaucoup écouté, c’est un autre contrebassiste qui vient à l’esprit : Henri Texier. On retrouve dans les deux univers le même appétit pour le « chant », la même connivence fiévreuse entre des musiciens qui, aux côtés du leader, forment un groupe compact dont la force de conviction impose le respect. Jusqu’à certains titres eux-mêmes qui pourraient venir en droite ligne d’un album du dit Henri Texier, comme « Fire Alert » en écho à « Water Alert ». Les joutes entre le saxophone alto du jeune Basile Naudet et la trompette d’Antoine Berjeaut sont vives, passionnées, volubiles. Elles contribuent pour beaucoup au sentiment de tournis que provoquent ces 39 minutes de musique sous haute tension. Le drumming de l’Anglais Seb Rochford est alerte et incisif, sa complicité avec le patron fait merveille (« Rototown »). Quant à la contrebasse de Théo Girard, elle est un régal de rondeur et de puissance, d’une force tranquille qui rassure en ce qu’il ne se verra jamais reprocher de « coincer la bulle ». Tout ici est tournoyant, comme un manège (« Roller Coaster », un bel exemple de cousinage avec l’écriture d’Henri Texier), comme un disque qui tourne (« Microsillon »), l'ensemble est mû par un groove persistant (« Endless Groove »). Dédié au regretté Éric Groleau, compagnon de route de Théo Girard avec G!rafe et parti bien trop tôt, Bulle est par ailleurs l’occasion de savourer des ballades aux intonations nostalgiques, comme ces « Grandes dames » dédiées aux deux grands-mères du contrebassiste. Avec une telle addition de forces dans l'unité, Théo Girard donne une suite passionnante à 30YearsFrom publié voici trois ans en trio. On brûle d’impatience à l’idée de découvrir ce répertoire sur scène : il sera explosif, c’est une certitude.

    Musiciens : Théo Girard (contrebasse, compositions), Antoine Berjeaut (trompette et bugle), Basile Naudet (saxophone alto), Seb Rochford (batterie).

    Titres : Champagne !! / Des souvenirs de vous / Rototown / Fire Alert / Grandes dames / Roller Coaster / Endless Groove / Microsillon

    Label : Discobole