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  • Embarcation solaire

    john coltrane, sun ship, jazz, impulseUn rapide retour sur la nécessaire réédition en 2013 d’un disque sans doute mésestimé.

    Jeudi 26 août 1965. Le quartet de John Coltrane, dans sa formule dite « classique », avec McCoy Tyner au piano, Jimmy Garrison à la contrebasse et Elvin Jones à la batterie, se retrouve aux studios RCA Victor de New York. Pour une fois, le saxophoniste a délaissé ceux du fidèle Rudy Van Gelder à Englewood Cliffs, New Jersey. C’est une différence importante dans la mesure où ce qui va être enregistré ce jour-là et qui constituera la matière première de l’album Sun Ship y sera entreposé, pour ne pas dire abandonné par la suite, prises alternatives, faux départs et autres inserts inclus.

    C’est aussi un moment crucial car cette formation n’enregistrera plus en studio qu’une seule fois en tant que telle. Ce sera le jeudi suivant. Cette ultime session, qui préfigurait le disque Meditations enregistré le 23 novembre avec l'adjonction de Pharoah Sanders et Rashied Ali, sera publiée – en décembre 1977 ! – sous le titre de First Meditations For Quartet.

    En ce 26 août 1965 donc, John Coltrane parvient à la fin d’un long et magnifique chapitre de son histoire, avant le rush final entrepris avec un nouveau groupe – Pharoah Sanders, Alice Coltrane, Jimmy Garrison et Rashied Ali – jusqu’au jour fatidique du 17 juillet 1967.

    Mais revenons à Sun Ship et son « embarcation solaire », disque parfois considéré comme mineur, qui trouve sa source au cœur d’une année d’une fertilité exceptionnelle, mais qui ne sera porté à la connaissance du public que le 16 avril 1971, soit presque quatre ans après la mort de John Coltrane, et sous la supervision de sa veuve Alice. L’album, imprégné comme tout ce que joue le saxophoniste d’une profonde spiritualité, comporte cinq compositions, dont les titres attestent du chemin sur lequel est engagé celui qui quelques mois plus tôt, en janvier, a publié son disque le plus emblématique, Love Supreme : « Sun Ship », « Dearly Beloved », « Amen », « Attaining » et « Ascent ». Il y a là comme une suite naturelle à « Ascension », disque enregistré deux mois plus tôt en grande formation. Ces cinq prises ont été choisies parmi les différentes versions disponibles, parfois au prix d’un montage de différentes séquences. C’est le cas par exemple de « Attaining », élaboré à partir d’une partie de sa prise 1 suivie des quatre dernières minutes de sa prise 3. Sun Ship est, vous l'aurez bien compris, un disque posthume, dont on ne saura jamais si la version publiée aurait été celle souhaitée par le saxophoniste. La question se posait très légitimement jusqu’à une période beaucoup plus récente, en 2013, quand est parue l’intégrale de la session. Mieux vaut tard que jamais… Nous avons depuis cette époque tout le matériau nécessaire pour nous forger une opinion valable. Et pour une fois, on peut se réjouir d’une telle mise au jour, aux antipodes des rééditions et leur bricolage d’alternative tracks dont l’honnêteté artistique est souvent plus que contestable.

    Car l’exhumation en 2001 de l’ensemble des enregistrements du 26 août 1965 a permis de balayer toutes les réserves qu’on pouvait avoir sur les choix opérés par Alice Coltrane. Cette fois, pas de montage discutable, puisque Sun Ship – The Complete Session offre en deux CD au moins une version complète de chacun des titres, sans intervention postérieure autre qu’un nouveau mastering. On y trouve également – le tout étant présenté dans l’ordre chronologique garant d’une réelle objectivité de l’écoute – des versions alternatives de certains titres (« Attaining », Sun Ship » ou « Amen »), des versions incomplètes, des faux-départs, des bribes de conversations.

    Tout cela nous confronte directement au processus de création et l’on imagine bien à quel point celui de John Coltrane exerce, aujourd’hui encore, un pouvoir de fascination. C’est toute l’incertitude – et sa force – du jazz qui est ici exposée, sans filtre. Et du même coup, cet album passé au second plan de la discographie du saxophoniste a trouvé en 2013 une sorte de « deuxième vie ». Au-delà de toutes les biographies, analyses ou exégèses qu’on peut lire autour d’un géant et d’une musique dont on sait maintenant qu’elle aura marqué le XXe siècle de toute son empreinte, la réédition voici maintenant six ans de Sun Ship – The Complete Session lui permet de briller de feux qu’on avait certes très nettement perçus – parce que la musique de John Coltrane n’a jamais été rien moins que brûlante, y compris dans ses formes les plus consensuelles – mais qui, cette fois, nous apparaissent dans tout leur éclat.