Musiques buissonnières« La musique donne une âme à nos cœurs et des ailes à la pensée. » (Platon)2023-09-23T17:49:12+02:00All Rights Reserved blogSpiritHautetforthttp://maitrechronique.hautetfort.com/Denis Desassishttp://maitrechronique.hautetfort.com/about.htmlDead Jazz Plays the Music of the Grateful Deadtag:maitrechronique.hautetfort.com,2023-09-23:64627072023-09-23T17:47:59+02:002023-09-23T17:36:00+02:00 L’idée trottait dans la tête de Lionel Belmondo depuis une quinzaine...
<p style="text-align: justify;"><img id="media-6477025" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://maitrechronique.hautetfort.com/media/00/01/3727959107.jpg" alt="001 - Dead Jazz Plays the Music of the Grateful Dead.jpg" />L’idée trottait dans la tête de <strong>Lionel Belmondo</strong> depuis une quinzaine d’années. Lui, le musicien passeur, capable d’unir dans un même idiome des univers d’esthétiques très différentes – tels ceux de Lili Boulanger, Claude Debussy, John Coltrane ou Milton Nascimento – était habité du désir de célébrer la musique d’un groupe californien désormais mythique : <strong>The Grateful Dead</strong>. En écho au souvenir de tant d’excès psychotropes, des images kaléidoscopiques surgissent, réactivant la mémoire de concerts marathons où l’improvisation avait droit de cité dans un langage mêlant rock, folk, blues, country ou bluegrass. Les mélodies de Jerry Garcia sur les textes à forte teneur poétique de Robert Hunter ont porté pendant trente ans un groupe dont l’existence cessera au moment de la mort de son leader en 1995. Fort judicieusement, le répertoire ici sélectionné fait appel aux dix années les plus créatives de l’aventure et c’est un groupe très motivé qui célèbre avec beaucoup d’à-propos, conservant toutes les trames mélodiques en les parant de couleurs actuelles. <em>Dead Jazz Plays the Music of the Grateful Dead</em> est bien plus qu’un hommage : c’est une déclaration d’amour, dont le sommet est « Blues For Allah » qui épaissit encore le mystère de la version originale.</p><p><span style="font-size: 10pt;"><strong>Musiciens</strong></span></p><ul><li><span style="font-size: 10pt;"><strong>Lionel Belmondo</strong> : saxophones ténor et soprano, flûte alto, flûte bansouri, flûte harmonique ;</span></li><li><span style="font-size: 10pt;"><strong>Stéphane Belmondo</strong> : trompette, bugle ;</span></li><li><span style="font-size: 10pt;"><strong>Éric Legnini</strong> : piano Fender Rhodes, électronique, Nova Bass Station ;</span></li><li><span style="font-size: 10pt;"><strong>Laurent Fickelson</strong> : orgue Farfisa, piano Fender Rhodes, électronique ;</span></li><li><span style="font-size: 10pt;"><strong>Thomas Bramerie</strong> : contrebasse ;</span></li><li><span style="font-size: 10pt;"><strong>Dré Pallemaerts</strong> : batterie, tambourin.</span></li></ul><p><span style="font-size: 10pt;"><em><strong>Date de parution</strong> : 6 octobre 2023 (Jazz&People / B Flat)</em></span></p>
Denis Desassishttp://maitrechronique.hautetfort.com/about.htmlRichard Gilly, une présencetag:maitrechronique.hautetfort.com,2022-06-28:63891572022-06-28T23:04:43+02:002022-06-28T16:02:00+02:00 Il est des artistes qu’on garde près de soi, parce qu’on sait...
<p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;"><img id="media-6368535" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://maitrechronique.hautetfort.com/media/00/00/2815304006.jpg" alt="Richard_Gilly.jpg" />Il est des artistes qu’on garde près de soi, parce qu’on sait bien que, le jour venu, leur musique et leurs chansons seront autant de raisons de croire qu’il existe peut-être une issue à la violence de nos vies qui s’autoproclament civilisées. En ces jours assombris par une incertitude croissante et son angoisse corollaire, l’expression d’une humanité à fleur de peau n’est jamais à prendre à la légère. Cette mise à nu semble au contraire une nécessité. <strong>Richard Gilly</strong> fait partie de ce que j’aime nommer les « compagnons de vie ». Avec quelques autres, il nous laisse en effet le sentiment d’avoir toujours été présent à nos côtés. Lui le musicien chanteur arpentant son drôle de chemin, ce ménestrel diaphane dont la sensibilité s’est révélée il y a plus de cinquante ans maintenant, portée par un bouquet d’harmonies vocales exposées en pleine lumière et des guitares résonnant des échos cristallins de la côte Californienne. Ce jeune homme venu d’ailleurs confessait alors n’être pas un « grand fermier », mais il n’en était pas moins « un arboriste méticuleux de l’amour et des confidences faites au creux de l’oreille, dans la découverte du corps de l’être aimé ». Une culture de l’intime dont la délicatesse en disait long sur la pudeur d’un homme et son acceptation d’une fragilité à des années-lumière des codes de la virilité triomphante. Et que dire de sa récidive, quatre ans plus tard, lorsque ses <a href="http://notesvagabondes.hautetfort.com/archive/2021/11/19/richard-gilly-les-froides-" target="_blank" rel="noopener"><em>Froides saisons</em></a> vinrent planter un décor tout aussi lumineux et singulier, peuplé de rêves, d’amour, de solitude et de destins tragiques ? Richard Gilly était là, une fois encore, différent, un peu hors du temps, porteur d’une énigme intérieure qu’on n’avait pas forcément envie de résoudre, mais qui parlait si bien au cœur des âmes sensibles. L’histoire s’écrivait doucement, en toute discrétion, à son propre rythme, loin des urgences contemporaines et de l’immédiateté de nos communications désincarnées. Avec de temps à autre le sentiment que son personnage ne reviendrait plus jamais nous parler…</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;">Nous voici donc aujourd’hui. Un demi-siècle de présence plus ou moins lointaine – chacun d’entre nous suit une route différente, les trajectoires s’éloignent puis se rapprochent – pour une moisson discographique somme toute parcimonieuse, après les deux albums fondateurs cités plus haut. Ce furent : <em>Portrait de famille</em> (1977), <em>Râleur</em> (1984), <em>Rêves d’éléphant</em> (1993), <em>Des années d’ordinaire</em> (2002), <a href="http://maitrechronique.hautetfort.com/archive/2015/09/01/retour-vers-l-eternel-5678724.html" target="_blank" rel="noopener"><em>Les contes de la piscine après la pluie</em></a> (2015) et, tout récemment, <a href="http://notesvagabondes.hautetfort.com/archive/2022/03/28/richard-gilly-memoire-vive-6373715.html" target="_blank" rel="noopener"><em>Mémoire vive</em></a> (2022). Les dates de parution illustrent assez clairement l’élasticité temporelle qui caractérise le parcours de Richard Gilly. Et disons-le nettement : les deux derniers disques, qui semblent surgis de nulle part après un bien long silence (treize ans, tout de même, entre <em>Des années d’ordinaire</em> et <em>Les contes de la piscine après la pluie</em>…), ont grandement récompensé notre patience. Car il est vrai qu’on finissait par s’interroger… Que faisait-il donc depuis tout ce temps ? Où était-il ? Si nous étions certains de l’avoir conservé à portée d’oreille, remontant régulièrement à bord du train aux wagons bleus à la recherche d’un appelé et pas seulement en direction de Montargis, savait-il, lui, que nous étions là à attendre de ses nouvelles ? Notre ami ne nous avait pas laissé tomber, il fallait juste lui accorder le temps nécessaire au modelage souhaité et accepter une attente légitime. Après tout, au nom de quelle logique exigerions-nous de sa part une « production » calibrée par les exigences d’un quelconque marché de la musique dont il s’est écarté depuis belle lurette ? C’est que Richard Gilly, loin d’avoir enfoui tous les élans du cœur et toutes les révoltes qui l’habitent, travaillait à sculpter ses chansons, à en épurer les contours, se payant le luxe d’être au meilleur quand tant d’autres s’épuisent en redites vieillissantes. Ce minimalisme formel et cette écriture éradiquant au scalpel le moindre superflu, déjà à l’œuvre en 2015 dans sa collaboration avec le guitariste <strong>Freddy Koella</strong>, parviennent avec <em>Mémoire vive</em> à ce qu’il est convenu d’appeler un accomplissement, grâce au travail entrepris ici en étroite collaboration avec <strong>Hervé Le Duc</strong>, autre fidèle compagnon de route, qui en a assuré les arrangements et la réalisation. Une guitare, un clavier, un frisson de cordes ou quelques percussions de velours, le minimum vital en quelque sorte. Voilà pour l’écrin. Et puis cette voix qui chante et parle tout autant, retenue par ce qu’on devine être la pudeur d’un homme conscient. Les constantes de l’univers Gilly sont bien présentes et c’est un manifeste pour la Vie, un cri vibrant sans élever la voix, qui décoche ses flèches. Et comme toujours chez lui, l’amour est une source qui vous donne la force de regarder en toute lucidité un monde de brutalités et d’injustices multiples derrière lesquelles se cachent bien des beautés restant à contempler et des solidarités à mobiliser. Le combat est sans doute inégal, mais c’est peut-être le seul qui vaille encore la peine d’être engagé.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;">Richard Gilly n’a jamais rien voulu dire d’autre, me semble-t-il. Il continue de le faire, avec l’élégance qui le caractérise. Sur la pointe des pieds, mais d’un pas assuré. Le temps parle pour lui, pendant que lui nous parle du temps.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;"><em>Mémoire vive</em> est disponible sur Bandcamp.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;"><iframe style="border: 0; width: 350px; height: 470px;" src="https://bandcamp.com/EmbeddedPlayer/album=3909262878/size=large/bgcol=ffffff/linkcol=0687f5/tracklist=false/transparent=true/" seamless=""><a href="https://richardgilly.bandcamp.com/album/richard-gilly-m-moire-vive">RICHARD GILLY - Mémoire vive - by Richard Gilly</a></iframe></span></p><p><strong><span style="font-size: 12pt;">Les albums de Richard Gilly</span></strong></p><ul><li><span style="font-size: 12pt;"> 1971 : Je ne suis pas un grand fermier</span></li><li><span style="font-size: 12pt;"> 1975 : Les froides saisons</span></li><li><span style="font-size: 12pt;"> 1977 : Portrait de famille</span></li><li><span style="font-size: 12pt;"> 1984 : Râleur</span></li><li><span style="font-size: 12pt;"> 1993 : Rêves d'éléphant</span></li><li><span style="font-size: 12pt;"> 2002 : Des années d'ordinaire</span></li><li><span style="font-size: 12pt;"> 2015 : Les contes de la piscine après la pluie</span></li><li><span style="font-size: 12pt;"> 2022 : Mémoire vive</span></li></ul>
Denis Desassishttp://maitrechronique.hautetfort.com/about.htmlJohn Rememberedtag:maitrechronique.hautetfort.com,2022-01-05:63585722022-01-05T09:59:22+01:002022-01-05T09:47:00+01:00 John McLaughlin vient de souffler les 80 bougies de son gâteau...
<p style="text-align: center;"><span style="font-size: 12pt;"><img id="media-6210874" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://maitrechronique.hautetfort.com/media/00/01/3190531250.jpg" alt="john mclaughlin,mahavishnu orchestra,shakti" /></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;"><a href="http://www.johnmclaughlin.com/" target="_blank" rel="noopener"><strong>John McLaughlin</strong></a> vient de souffler les 80 bougies de son gâteau d'anniversaire. Que de souvenirs en musique avec ce grand monsieur ! Mon premier choc fut une rencontre télévisée avec son Mahavishnu Orchestra en 1973 et l'album <em>Birds of Fire</em>. L’année suivante, le groupe changeait de formule et revenait avec <em>Apocalypse</em> et le London Symphony Orchestra. Ce disque reçut un accueil mitigé au moment de sa sortie. Et pourtant... Souvenir également d’une brève rencontre avec le guitariste dans les rues de Vittel, au début des années 90. Un homme charmant, un sourire désarmant. Happy birthday Mr. John !<br /></span></p><p style="text-align: center;"><span style="font-size: 12pt;"><iframe width="560" height="315" src="https://www.youtube.com/embed/uesfHqT7idg" title="YouTube video player" frameborder="0" allow="accelerometer; autoplay; clipboard-write; encrypted-media; gyroscope; picture-in-picture" allowfullscreen="allowfullscreen"></iframe></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;">J'ai retrouvé dans mes archives un texte écrit au mois de mars 2009, c'est une bonne façon selon moi de rendre une fois encore hommage à ce musicien au parcours exceptionnel. Vous pouvez le lire ci-dessous.<br /></span></p><hr /><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;"><strong>John Remembered</strong>. Je me suis plongé voici quelque temps, c'était au cours de l'automne dernier, dans la discographie très fournie d’un grand monsieur : John McLaughlin, dont la carte de visite, qui s'apparenterait plutôt à un <em>who's who</em> de la musique jouée depuis plus de quarante ans de par le monde, parle d’elle-même. Connu d’abord pour sa participation à l’aventure de <span style="font-weight: bold;">Miles Davis</span> - en particulier sur ces albums majeurs que sont <em>In a Silent Way</em> et <em>Bitches Bew</em> à la fin des années 60, mais aussi, peu de temps auparavant, à celle du <span style="font-weight: bold;">Lifetime</span> du batteur <span style="font-weight: bold;">Tony Williams</span>, ce guitariste virtuose a mis sur pieds une formation aujourd’hui presque mythique (en fait, ce qualificatif est idiot, je m'en rends compte, je veux dire par là que ce groupe, en particulier sa première mouture, celles des années 1970 à 1973, continue de me fasciner et que le quintette que McLaughlin avait formé avec <span style="font-weight: bold;">Jan Hammer</span> aux claviers, <span style="font-weight: bold;">Jerry Goodman</span> au violon, <span style="font-weight: bold;">Rick Laird</span> à la basse et <span style="font-weight: bold;">Billy Cobham</span> à la batterie semble toujours autant illuminé par la grâce), le Mahavishnu Orchestra, dont l’irradiation maximale (et la nôtre surtout) s’est produite entre les années 1971 et 1976, avant que son fondateur ne choisisse de s'éloigner d'un gourou un peu envahissant pour se tourner vers d'autres horizons, tout aussi propices à la méditation. Sa grande période créative suivante fut celle de l’ouverture vers la musique indienne : la naissance de <span style="font-weight: bold;">Shakti</span> au cours de la seconde moitié des années 70 en est un témoignage vibrant, revivifié bien plus tard sous le nom de <span style="font-weight: bold;">Remember Shakti</span>. Une expérience unique que je vous invite très vivement à découvrir. Apprenez à plonger dans ces heures de musique qui semblent jouées en un continuum féerique, dans un étirement rythmique et hypnotique qui en dit long sur les trésors de vie intérieure qui l'habitent, pour mieux nous les offrir, aux antipodes de nos habitudes occidentales qui, elles, semblent courir après un temps frappé au sceau de l'urgence. Avec Shakti, la musique s'installe, elle s'expose en circonvolutions magiques et la confrontation de John McLaughlin avec ses pairs indiens est la source de moments de grâce, où l'âme semble guider les doigts des musiciens. Il faudrait aussi parler de ce <em>guitar tri</em>o parfois houleux mais extrêmement lumineux – une virtuosité à six mains qui fut l'objet de pas mal de critiques pas vraiment justifiées et qui nous laissa un disque splendide : Friday Night In San Francisco – avec <span style="font-weight: bold;">Al Di Meola</span> et <span style="font-weight: bold;">Paco De Lucia</span>, sans oublier l’hommage à <span style="font-weight: bold;">John Coltrane</span> que John McLaughlin rendit en 1973 en compagnie d'un <span style="font-weight: bold;">Carlos Santana</span> (<em>Love Devotion Surrende</em>r) qui venait de publier ce qui reste peut-être son meilleur disque, <em>Caravanserai</em>, puis beaucoup plus tard en 1995 avec <em>After the Rain</em>, ni la belle collection d’albums en compagnie des plus grands (<span style="font-weight: bold;">Trilok Gurtu</span>, <span style="font-weight: bold;">Elvin Jones</span>, <span style="font-weight: bold;">Dennis Chambers</span>, <span style="font-weight: bold;">Joey De Francesco</span>...). Âgé aujourd’hui de 67 ans, John McLaughlin le Capricorne (voilà ce qui nous relie, en fait, lui et moi) est toujours sur la brèche : en témoigne <span style="font-weight: bold;">4th Dimension</span>, sa formation actuelle où officie <span style="font-weight: bold;">Hadrien Féraud</span>, un jeune bassiste français qui fêtera cette année ses 25 ans et <em>Floating Point</em>, le dernier disque du groupe. Homme d’une élégance toute britannique, John McLaughlin m’a en outre fait un jour un très beau cadeau. Remontons un peu le cours du temps et arrêtons le calendrier des souvenirs au lundi 6 juillet 1992… Nous sommes dans les Vosges, plus précisément en la jolie petite ville de Vittel qui organisait en ces temps reculés, chaque été, un festival de guitare (aujourd’hui disparu, faute d’argent, de public et de soutien des collectivités locales... ce qui, à l'heure de la récession mondiale que nous connaissons, paraît nous renvoyer à une époque proche de l'Antiquité, il n'est que de voir les municipalités qui se pressent aujourd'hui pour fermer les robinets de toute dépense risquant de se voir apposer le label culturel, débarrassons-nous vite de tous ces saltimbanques si nous ne voulons pas creuser la dette, creuser la dette, creuser la dette... mais au fait, l'abime ne se trouverait-il pas au tréfonds du cerveau de certains de nos élus ?) où se côtoyaient quelques têtes d’affiches internationales et d’autres, moins en tête et plus locales. On y a vu Carlos Santana, Larry Corryel, Mike Stern… et beaucoup d’autres au rang desquels John McLaughlin et son trio de l’époque (<strong>Trilok Gurtu</strong> aux percussions, <strong>Dominique Di Piazza</strong> à la basse). En cette fin d’après-midi, j'arpentais les deux ou trois rues qui forment le centre de la ville (allez vous y promener un jour et promettez-moi de vous livrer à un exercice très instructif : comptez le nombre de salons de coiffure... vous serez étonnés) et c’est en m'approchant du Palais des Congrès, lieu du Festival, que j’aperçus une silhouette qui m’était très familière : Mister John McLaughlin himself, tout juste sorti de l’exercice obligé de la balance des instruments. Ni une ni deux, je pris mon courage à deux mains – parce que je suis un faux extraverti et un vrai timide – et entrepris de l’aborder pour lui dire, en toute simplicité, combien sa musique avait été importante pour moi. Je me mis à lui parler avec une fièvre enfantine de ce Mahavishnu Orchestra en compagnie duquel j’avais passé beaucoup d’heures de musique. Ah, ce beau groupe sur lequel John McLaughlin régnait, tout habillé de blanc et qui jouait un drôle de rock mâtiné de jazz, urgent, virtuose, cérébral, voire mystique. On lui reprochait de jouer trop vite, de manquer d'âme, de vouloir gagner chaque année la course des 24 Heures du Manche (en particulier dans un magazine spécialisé aujourd'hui dirigé par le comique de service d'une émission de télé-crochet où défilent des créatures très souvent pathétiques, preuve que la roue tourne impitoyablement pour tout le monde, y compris pour ceux qui tentaient de nous faire croire à l'époque qu'ils étaient des êtres révoltés et combatifs). Balivernes, balivernes, on ne critique pas le Mahavishnu par ici : ce groupe brûlait sur scène comme sur disque, on retenait son souffle en écoutant sa musique. Tiens, j’ai même un souvenir très précis : le samedi 6 octobre 1973 (allez savoir pourquoi j’ai retenu cette date, peut-être parce que le même jour, un héros du sport français, le jeune automobiliste François Cevert, venait de se tuer pendant les essais d’un grand prix de Formule 1 de Watkins Glen à l’âge de 29 ans), la télévision (qui comptait trois chaînes exclusivement de service public – certes un peu contrôlées façon Voix de la France – à cette époque, ne l’oublions pas en notre ère de prolifération hertzienne, en voie de mise au pas toutefois) diffusait comme chaque semaine, pendant l’après-midi, un concert de rock dans le cadre d’une émission dont j’ai oublié le nom (Pop 2, peut-être. Oui, c'est ça : même que le présentateur commençait toujours par : « Salut, c'est Pop 2 ! ». Ce jour-là, j’ai fait connaissance avec le Mahavishnu Orchestra : autour de John McLaughlin, armé d'une somptueuse guitare à double manche et tout de blanc vêtu, officiaient des musiciens dont je ne tardai pas à apprendre qu’ils étaient eux-mêmes de grands messieurs de la musique. Ils avaient pour nom, je le rappelle au risque de me répéter parce que tel est mon plaisir, Jan Hammer, Billy Cobham, Rick Laird et Jerry Goodman : jazz électrique, musique complexe, d’une intensité stupéfiante. Je découvrais ainsi un nouvel univers, moi qui venais de gravir la paisible montagne du <span style="font-weight: bold;">Grateful Dead</span> (grâce au concours très particulier de mon gentil <a href="http://musiques.hautetfort.com/archive/2005/03/09/l_arbre_a_disques.html" target="_blank" rel="noopener"><span style="font-weight: bold;">Arbre à Disques</span></a>) et qui m’initiais depuis quelques mois à ce mouvement qu’on appelle le rock progressif (<span style="font-weight: bold;">Pink Floyd</span>, <span style="font-weight: bold;">Yes</span>, <span style="font-weight: bold;">King Crimson</span>, <span style="font-weight: bold;">Genesis</span>) ou à la musique dite de l’École de Canterbury (<span style="font-weight: bold;">Soft Machine</span>, <span style="font-weight: bold;">Matching Mole</span>, <span style="font-weight: bold;">Caravan</span>, <span style="font-weight: bold;">Hatfield & The North</span>, ...). Une heure de concert à tomber de joie, suivie d’une virée en ville, à grands pas comme d'habitude, pour dénicher l’album chez mon disquaire favori. Patatras ! Rien dans les bacs ! <span style="font-style: italic;">Birds of Fire</span> ? Connais pas mon bon monsieur… Impatience et rage, il me le fallait... Surtout que pour une fois, j'avais mis de côté assez de sous pour me payer un disque (eh oui, les jeunes : je parle d'un temps où l'on achetait les disques, étonnant, non ?)… ce qui fut fait quelques jours plus tard (le 19, restons précis, je ne me rappelle plus l'heure exacte ni le temps qu'il faisait, vous m'en voyez désolé), à mon grand soulagement… Il est vrai qu’à cette époque, dans une petite ville de la Meuse, si jolie soit-elle et traversée par un fleuve, il fallait beaucoup plus qu’un clic (légal bien sûr) pour se procurer certains trésors… On attendait, parce qu’on ne pouvait pas faire autrement, on questionnait son commerçant, on lui montrait un article paru dans Best ou Rock’n’Folk, parfois notre vendeuse favorite notait la référence sur son cahier et nous promettait d’en parler au représentant lors de sa prochaine visite. Aujourd’hui… clic, clic et clic… et deux jours plus tard, l’objet est glissé dans votre boîte aux lettres (enfin, ça dépend du facteur tout de même : y a les méthodiques qui passent le carton sans dégât, d'autres qui massacrent un peu l'emballage en prenant un air dégagé, d'autres enfin qui renoncent et vous laissent un petit mot vous expliquant qu'ils reviendront demain, toujours en votre absence puisqu'à la même heure. Charge à vous d'aller, le surlendemain, récupérer votre bien au bureau de Poste le plus proche. Conclusion : le disque est resté plus longtemps dans les entrepôts de La Poste qu'il n'a mis de temps à voyager, nous vivons une époque moderne). Tant qu’il y aura des objets, bien sûr…</span><br /><br /><span style="font-size: 12pt;">Nostalgique, moi ? Tu parles… Bon, j’en étais où… Ah oui, ma rencontre avec John McLaughlin, ces petites choses que j’avais envie de lui dire, ma seule façon de le remercier, de lui expliquer combien sa musique avait pu m’aider et continuait d’être présente dans mon quotidien. « Je voulais vous dire que Mahavishnu, c’est un groupe que j’ai écouté pendant tout le reste de mon adolescence, j’ai même révisé mon baccalauréat en écoutant <span style="font-style: italic;">Visions of the Emerald Beyond</span> en 1975, ce disque avec <span style="font-weight: bold;">Jean-Luc Ponty</span> au violon qui engage des duels somptueux avec vous avant que les chœurs ne chantent « Let me fulfill life ! ». Je voulais vous dire merci, tout simplement, pour tout ce que vous avez fait ». Tout sourire, d’une simplicité désarmante et dans un français impeccable, John McLaughlin eut alors cette réplique que je n’ai pas oublié : « Mais vous avez toujours l’air d’un adolescent ! ». Venant de lui, svelte et d'allure juvénile, j’ai cru deviner qu’il s’agissait d’une gentillesse, j’avais 34 ans à l’époque. C'est bizarre de me dire ça, encore un peu et j'aurais eu l'âge d'être mon propre fils... C'est idiot ce que je dis ? Oui ? Tant pis... Alors j’ai savouré mon plaisir et quelques heures plus tard, pendant le concert de son trio, je n’ai pas pu éviter de repenser à ces quelques mots, avec beaucoup d'émotion. Une légende vivante m’avait adressé la parole sans être entouré de dix gardes du corps, il n’avait même pas paru incommodé par mon intrusion…</span><br /><br /><span style="font-size: 12pt;">Dès le lendemain, gagné par la même urgence qu’en ce soir du 6 octobre 1973 où je m’étais mis en quête de <span style="font-style: italic;">Birds of Fire</span>, je filai chez mon disquaire pour me procurer <span style="font-style: italic;">Qué Alegria</span>, deuxième disque que le trio venait d’enregistrer. Sans imaginer forcément que de longues années plus tard, je l’aurais toujours en mains, avec le même plaisir et que je penserais à ces instants comme s’ils s’étaient déroulés quelques jours plus tôt.</span><br /><br /><span style="font-size: 12pt;"><em>Time Remembered</em>... Le temps ne compte pas, de toutes façons, et les souvenirs sont souvent nos meilleurs amis.</span></p>
Denis Desassishttp://maitrechronique.hautetfort.com/about.htmlThis is Ground Countrol to Major Zeuhltag:maitrechronique.hautetfort.com,2021-07-10:63263422021-07-11T10:10:06+02:002021-07-10T17:16:00+02:00 À l’initiative de leur bienveillant admirateur Christophe Chassol ,...
<p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;"><img id="media-6275792" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://maitrechronique.hautetfort.com/media/02/02/2939215765.jpg" alt="magma" />À l’initiative de leur bienveillant admirateur <strong>Christophe Chassol</strong>, les musiciens de <strong>Magma</strong> étaient les invités d’Arte Concert, le temps d’une interprétation condensée de l’œuvre emblématique du groupe, « Mëkanïk Destruktïw Kommandöh ». C'était le 22 juin dernier. Un rendez-vous très attendu dans la mesure où la bande à <strong>Christian Vander</strong> avait connu un important remaniement à l’automne 2019 et ne s’était produite dans son nouveau <em>line up</em> qu’à l’occasion de quelques concerts, juste avant que la pandémie de Covid-19 ne mettre tout ce petit monde à l’arrêt. C’est vrai qu’on était curieux de savoir où en était le batteur, lui qui depuis ce changement ne cachait pas son plaisir en constatant que l’enfant <em>kobaïen</em> pouvait aussi swinguer.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;">Je passe ici très rapidement sur les commentaires qu’on a déjà pu lire sur les réseaux sociaux, partagés entre propos admiratifs et critiques émanant de la part de ceux qui, fidèles à leurs habitudes de commentateurs, savent mieux que le groupe lui-même ce qu’il aurait convenu de jouer, et de quelle manière. La nostalgie n’est pas toujours bonne conseillère et même si la prestation de Magma n’était pas exempte de quelques imperfections – n’oublions pas cette très longue pause contrainte, il me semble indispensable de rappeler deux ou trois choses. Libre à vous de n’être point d’accord d’ailleurs.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;">Magma a composé l’essentiel de son œuvre dans la première moitié des années 70, soit deux trilogies publiées dans un ordre <em>sui generis</em> et une composition qu’on peut considérer comme un grand final, « Zëss », dont l’ultime version a requis le concours d’un orchestre symphonique. On pourrait en ajouter quelques-unes, de moindre ampleur, mais il n’est pas anormal de penser que tout est là et que dans les années à venir, le groupe s’appuiera avant tout sur son grand répertoire lorsqu’il se produira en public. On peut rêver de cette « nouvelle musique » souvent évoquée par Christian Vander, mais les essentiels présentent un caractère inépuisable et sont la matière première dans laquelle chacun des musiciens plongera pour faire vivre au plus intense chacune des notes. À cet égard, le choix de « MDK » dans l’émission d’Arte semble assez logique dans la mesure où on peut considérer cette composition comme l’hymne de Magma. Il fallait bien choisir, de toutes façons.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;">Venons-en à l’interprétation maintenant, critiquée par certains. Trop ceci, pas assez cela, y avait qu’à, il aurait fallu… Christian Vander a 73 ans, et même s’il paraît en bonne forme, faisons preuve de réalisme, jamais plus il ne déploiera un jeu apocalyptique comme il le fit aux grandes heures de Magma. Conscient de ses forces et de ses limites (physiques comme vocales), il fait le choix d’une interprétation beaucoup plus souple et surtout beaucoup plus aérienne, en phase avec sa condition, mais en conservant le même engagement. Jamais on ne pourra le suspecter de tricherie, car Christian Vander vit EN musique. Côté technique, pas d’inquiétude, on sait qu’il est et reste l’un des batteurs les plus impressionnants encore en activité, et ça ne date pas d’hier. Tout au plus cette évolution liée à l’âge confère-t-elle à son jeu une dimension moins surhumaine, mais toujours aussi exigeante et précise.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;">Dans ces conditions, il est inutile de regretter le jeu tellurique de Philippe Bussonnet (qui aura été de l’aventure durant près de 25 ans et demeurera un des musiciens essentiels de la planète Kobaïa) à la basse pour mieux déplorer celui de <strong>Jimmy Top</strong> (fils de Jannick, bien sûr, autre compagnon de route majeur dans l’histoire du groupe). La souplesse de ce dernier, le caractère félin de son attaque des cordes sont sans doute les garants d’une association telle que Vander la désire lui-même. Redisons-le une fois, encore : Magma peut swinguer ! Et s’il s’agit de s’abreuver encore et encore à la surpuissance du Magma d’autrefois pour entrer en vibration, eh bien foin des lamentations nostalgiques et donneuses de leçons, tournons-nous vers la discographie <em>live </em>qui est abondante et documente parfaitement le caractère exceptionnel de ce long chemin : <em>Magma Live</em> (1975), les soirées <em>Retrospëktïw</em> à l'Olympia (1980), la trilogie <em>Theusz Hamtaak </em>pour la première fois réunie au Trianon (2000), les concerts <em>Mythes et Légendes</em> au Triton retraçant toute l’histoire (2005), la trilogie <em>Ëmëhntëhtt-Ré</em> jouée dans son intégralité au Triton (2014). De quoi se plaint-on ?</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;">Pour finir, j’aimerais rappeler que Magma laisse peu de place à l’improvisation. Le seul temps accordé à un chorus dans la version donnée pour Arte est celui d’une courte intervention de Christian Vander lui-même vocalisant sur le thème de « Spiritual », de son si cher John Coltrane, dont il mime d’ailleurs le saxophone soprano en chantant. Pour le reste, tout est affaire de précision et de mise en place rigoureuse qui permettront d’embarquer musiciens et public dans une sorte de transe joyeuse. On apprécie alors d’autant plus la nouvelle architecture des chœurs – toujours une performance ! – qui contribuent eux-aussi à instaurer ce climat aérien dont il était question un peu plus haut. Avec ses six voix (auxquelles on peut ajouter celle de <strong>Thierry Eliez</strong> qui prend une part significative au chant), Magma nous rappelle ce que Vander a toujours dit, à savoir que sa musique était au départ conçue pour être chantée autour d’un piano.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;">À la fin de ce bref concert, on voit les musiciens s’embrasser, se serrer les uns contre les autres. Un vrai moment d’émotion, qu’on n’aurait peut-être pas imaginé il y a 40 ou 50 ans, à l’époque où un concert de Magma s’apparentait souvent à une cérémonie un peu menaçante. La roue a tourné, il n’y a pas lieu de le regretter. À chaque époque son climat. Celui du Magma 2021 semble plus apaisé : il ne contredit en rien les précédents, il offre tout simplement une autre direction.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;">Il est tellement simple de s’en réjouir !</span></p><p><span style="font-size: 10pt;"><strong>Titres</strong> : Mëkanïk Destruktïw Kommandöh.</span></p><p><span style="font-size: 10pt;"><strong>Musiciens</strong> : <strong>Christian Vander</strong> (batterie, chant), <strong>Jimmy Top</strong> (basse), <strong>Rudy Blas</strong> (guitare), <strong>Simon Goubert</strong> (Fender Rhodes), <strong>Thierry Eliez</strong> (claviers, chant), <strong>Stella Vander</strong> (chant), <strong>Hervé Aknin</strong> (chant), <strong>Isabelle Feuillebois</strong> (chant), <strong>Laura Guaratto</strong> (chant), <strong>Sandrine Destefanis</strong> (chant), <strong>Sylvie Fisichella</strong> (chant).</span></p><p style="text-align: center;"><span style="font-size: 12pt;"><iframe width="560" height="315" src="https://www.youtube.com/embed/3o58rJCtEi4" title="YouTube video player" frameborder="0" allow="accelerometer; autoplay; clipboard-write; encrypted-media; gyroscope; picture-in-picture" allowfullscreen="allowfullscreen"></iframe></span></p>
Denis Desassishttp://maitrechronique.hautetfort.com/about.htmlNothing But Love : The Music of Frank Lowetag:maitrechronique.hautetfort.com,2020-11-20:62786602022-06-28T16:02:20+02:002020-11-20T07:00:00+01:00 Un coup de maître ! Il est des hommages un brin compassés...
<p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;"><img id="media-6195330" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://maitrechronique.hautetfort.com/media/00/00/2804655248.jpg" alt="frank lowe, bernard santacruz, nothing but love" />Un coup de maître ! Il est des hommages un brin compassés tandis que d’autres sont fervents, parce qu’on n’ose pas les qualifier d’heureux. En écoutant <em>Nothing But Love, The Music of Frank Lowe</em>, on ne peut qu’être emporté dans le tourbillon d’un jazz de l’exultation, qui franchit avec allégresse les portes du <em>free</em>, celui qui célèbre aujourd’hui un musicien disparu en 2003 à l’âge de 60 ans. On résumera à grands traits la carrière de <strong>Frank Lowe</strong> en rappelant que ce saxophoniste ténor natif de Memphis, qui s’était établi à New York en 1966, influencé par Ornette Coleman et John Coltrane, avait collaboré avec Sun Ra ainsi qu’au World Galaxy d’Alice Coltrane en 1971, sans oublier sa participation à la <em>Relativity Suite</em> de Don Cherry en 1973. Avant d’entamer une carrière en son nom où se croiseront quelques figures marquantes de l’histoire du free jazz, telles que le batteur Rashied Ali (dernier compagnon de route de John Coltrane), le contrebassiste William Parker ou encore le violoncelliste Abdul Wadud. Et beaucoup d’autres…</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;">Difficile toutefois de cerner en quelques lignes la personnalité d’un tel musicien qu’on qualifiera volontiers de libertaire, mais une chance nous est donnée de le connaître un peu mieux grâce à <strong>Bernard Santacruz</strong>, contrebassiste qui eut le privilège de le rencontrer en janvier 1993 et de travailler à ses côtés quasiment jusqu’à sa mort, avec un ultime concert en mai 2001 à l’occasion du festival Musique Action de Vandœuvre-lès-Nancy. En témoignent par ailleurs différents enregistrements comme : <em>Latitude 44</em> (1994), <em>After The Demon’s Leaving</em> (1996) ou <em>Short Tales</em> (1999).</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;">Nous sommes en 2019. Bernard Santacruz est à New York et retrouve deux musiciens avec lesquels il avait joué aux côtés de Frank Lowe : le batteur (et trompettiste) <strong>Anders Griffen</strong> et le pianiste <strong>Christopher Parker</strong>. Ils décident alors d’enregistrer au Park West Studio de Brooklyn. À cette occasion, le contrebassiste fait la connaissance de deux autres musiciens qui se joignent à eux : le saxophoniste <strong>Chad Fowler</strong> et la chanteuse <strong>Kelley Hurt</strong>.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;">Coup de cœur, donc, pour ce qui, bien plus qu’un hommage, se révèle une fête tant la vibration qui émane de cette session est puissante, portée par un souffle de vie communicatif. Sept thèmes enlevés, joyeux, signés par le saxophoniste (dont une double version de « In Trane’s Name » avec pour la seconde <strong>Bobby Lavell</strong> au saxophone ténor) et empruntés à différents albums qui embrassent toute sa carrière, en commençant par l’inaugural <em>Beings</em> en 1973. Cette musique en couleurs vives est un chant, porté par un quintet habité par la joie de la première à la dernière minute du disque. Il est inutile de chercher à distinguer un musicien plus qu’un autre, tous parlent la même langue, dans un unisson du cœur qui a des allures de communion. Mais dans une exultation, une douce folie qui s’empare d’eux pour ne jamais les lâcher. Si jamais vous aviez des doutes quant à la vitalité de ce jazz dont on n’a cessé d’annoncer la mort depuis des lustres, plongez-vous dans ce <em>Nothing But Love</em>, noyez-vous dans sa frénésie heureuse. C’est là un excellent remède à la mélancolie qui peut nous gagner en ces temps de pandémie et un encouragement à ne jamais renoncer. Le contrebassiste et ses partenaires boxent dans la vie, en quête d’élévation et de lumière. Ils les ont trouvées, c’est certain, en ce mois de juin 2019. Et tournent là les pages d'une très belle « histoire d'amour ».<br /></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;">Pour terminer, j’aimerais ici remercier personnellement Bernard Santacruz, non seulement pour le beau cadeau qu’il m’a fait en m’adressant un exemplaire de <em>Nothing But Love</em>, mais aussi pour ces heures de musique si belles dont on peut se délecter à travers sa participation à <a href="https://www.citizenjazz.com/Over-The-Hills.html" target="_blank" rel="noopener"><em>Over The Hills</em></a> sous la houlette de Bruno Tocanne, au <em><a href="https://www.citizenjazz.com/Remi-Gaudillat-Bruno-Tocanne.html" target="_blank" rel="noopener">Canto De Multitudes</a></em> du même Tocanne avec Rémi Gaudillat ou encore avec son album solo <em><a href="https://blogs.mediapart.fr/jean-jacques-birge/blog/041017/la-contrebasse-de-bernard-santacruz" target="_blank" rel="noopener">Tales, Fables And Other Stories</a></em>. Un salut très amical donc, à ce magnifique musicien dont la sensibilité me touche au plus près du cœur. Merci !</span></p><p style="text-align: left;"><span style="font-size: 10pt;"><strong>Titres</strong> : Decision In Paradise | Addiction Ain’t Fiction | In Trane’s Name | Fuschia Norval | Inappropriate Choices | The Flam | Nothing But Love | In Trane’s Name | Addiction Ain’t Fiction (alt).</span></p><p style="text-align: left;"><span style="font-size: 10pt;"><strong>Les musiciens</strong> : <strong>Chad Fowler</strong> (saxophone), <strong>Christopher Parker</strong> (piano), <strong>Bernard Santacruz</strong> (contrebasse), <strong>Anders Griffen</strong> (batterie et trompette), <strong>Bobby Lavell</strong> (saxophone), <strong>Kelley Hurt</strong> (voix).</span></p><p style="text-align: left;"><span style="font-size: 10pt;">Label : <a href="https://mahakalamusic.bandcamp.com/" target="_blank" rel="noopener">Mahakala Music</a></span></p><p style="text-align: left;"><span style="font-size: 12pt;"><a href="https://musicoffranklowe.bandcamp.com/album/nothing-but-love" target="_blank" rel="noopener"><span style="font-size: 10pt;">Acheter le disque</span></a></span></p><p style="text-align: center;"><span style="font-size: 12pt;"><iframe style="border: 0; width: 100%; height: 120px;" src="https://bandcamp.com/EmbeddedPlayer/album=2886884127/size=large/bgcol=ffffff/linkcol=0687f5/tracklist=false/artwork=small/transparent=true/" seamless=""><a href="https://musicoffranklowe.bandcamp.com/album/nothing-but-love">Nothing But Love by Kelley Hurt, Chad Fowler, Christopher Parker, Bernard Santacruz, Anders Griffen</a></iframe></span></p>
Denis Desassishttp://maitrechronique.hautetfort.com/about.htmlFrasiak : Mon Béranger 2tag:maitrechronique.hautetfort.com,2020-11-10:62760432020-11-10T17:08:37+01:002020-11-10T07:00:00+01:00 Nancy, le 10 novembre 2020 Mon cher Éric, Une...
<p style="text-align: right;"><span style="font-size: 12pt;">Nancy, le 10 novembre 2020</span></p><p><span style="font-size: 12pt;"><img id="media-6190965" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://maitrechronique.hautetfort.com/media/00/01/2782236968.jpg" alt="eric frasiak, mon beranger" />Mon cher Éric,</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;">Une fois encore, il faudra me pardonner. Car voilà qu’à ma grande honte, je te rejoue « le coup de <a href="http://maitrechronique.hautetfort.com/archive/2019/10/28/lettre-a-eric-frasiak-avec-un-s-bien-sur-6186096.html" target="_blank" rel="noopener">Charleville</a> », si tu veux bien me passer cette expression un peu triviale. J’avais envisagé en effet une chronique pour évoquer ce <em>Béranger 2</em> que tu viens de publier en plein confinement et voilà que je dois y renoncer. Parce que tu vois, tout cela est un peu trop personnel, alors j’aime mieux te dire les choses comme elles me viennent, je t’écris une nouvelle lettre et de toutes façons, sache d’emblée que je réitère pour l’essentiel tout ce que j’avais pu écrire un beau jour de mai 2014 dans ma chronique de <em>Mon Béranger</em> que j’avais de manière un tantinet taquine intitulée <a href="http://maitrechronique.hautetfort.com/archive/2014/05/21/eric-frasiak-ou-le-gout-du-pere-francois-5374849.html" target="_blank" rel="noopener">Éric Frasiak ou le goût du Père François</a>. Je ne boudais déjà pas mon plaisir : « Le Meusien ne se cache pas derrière son maître à chanter, pas plus qu’il n’essaie de tirer la couverture à lui en dénaturant les versions originales. Non, c’est beaucoup plus simple que ça : c’est un peu comme si les deux hommes marchaient côte-à-côte, bras dessus bras dessous. Quand l’un chante, on entend l’autre. »</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;">Je ne peux pas te cacher que lorsque tu as annoncé l’idée d’un <em>Béranger 2</em>, j’étais intrigué : à quoi bon puisque ton premier hommage était si réussi ? Est-ce bien nécessaire ? Foin des réserves, le cru 2020 vient balayer les doutes. Mieux que ça – pardonne s’il te plaît ma manière de dire ces choses – j’ai l’impression que les années qui passent te vont comme un gant. Si j’osais, je te dirais que tu passes le cap des années comme le bon vin. Déjà que <em>Charleville</em> avait des allures de coup parfait…</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;">Bis repetita et sans doute plus que ça. Tu as puisé dans les années 70 pour composer ce nouveau menu, aussi copieux que le précédent. Le CD est plein comme un œuf avec ses dix-sept titres qui ont dû être pour toi un sacré casse-tête. Je t’imagine hésitant sur l’un ou l’autre, le mettant de côté, y revenant pour finalement te décider en sachant qu’une limite physique finirait par t’imposer des choix.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;">Pour ce qui me concerne, tout cela me convient parfaitement, d’autant plus que je ressens à l’écoute de ce disque l’immense plaisir qui a été le tien. La communication est directe, tu peux être rassuré, tout cela vient en droite ligne du cœur ! Oh comme on devine le frisson qui te gagne quand tu te lances dans un solo de guitare électrique sur « Elle voyage » ou « Derrière ses valises », que je tiens pour le sommet du disque, avec ses sept minutes au final presque planant qui pourraient durer une vie entière et qui viennent rappeler que, plus qu’un chanteur interprète, amoureux de la poésie et homme sensible, politiquement engagé, tu es un musicien nourri de ces belles musiques qui ont tant fait vibrer les sexagénaires que nous sommes aujourd’hui. Cette fièvre contractée à l’écoute des Hot Tuna, Pink Floyd ou autres Lou Reed ne pourra jamais retomber. Tu es un rocker, finalement. Il n’existe pas d’aspirine pour contrer cette température née des folies d’une décennie qui va nous nourrir encore longtemps et c’est bien heureux.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;">Ce que je voulais aussi te dire, et peut-être même te redire, c’est que j’ai beau connaître toutes ces chansons de François Béranger – tu sais, <em>Le Monde Bouge</em> et <em>L’Alternative</em> sont des disques que j’ai usés jusqu’au creux du sillon quand j’étais adolescent – lorsque tu les chantes, c’est toi que j’entends, pas lui. Tu as l’intelligence de prendre la bonne distance, tu t'autorises le pas de côté rythmique pour faire entendre ta petite musique. On sait ta passion et ton respect pour celui qui t’a donné envie d’être celui que tu es devenu, mais tu évites avec une évidente jubilation le piège de l’interprétation pâlichonne, trop révérencieuse. Toi, tu as l’énergie, la fibre. Et tu respires la joie d’être en musique, je te garantis que ça s’entend d’un bout à l’autre de l’album.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;">Il faut dire aussi un petit mot sur ceux qui t’entourent, ton groupe d’amis, ceux qui ont su t’aider à modeler un écrin qui se fiche bien des modes et donne la priorité à ce qu’en d’autres mots on appelle le <em>groove</em>. Je sais que tu me comprends lorsque je dis cela. Les claviers de <strong>Benoît Dangien</strong> sont un petit bonheur, la rythmique composée de <strong>Philippe Gonnand</strong> à la basse et <strong>Olivier Baldissera</strong> ou <strong>Raphaël Schuler</strong> à la batterie est forte et souple à la fois, jamais pesante. Je ne peux pas citer tout le monde, juste dire aussi qu’un zeste d’accordéon, une tombée de <em>pedal steel</em> ou les échos de la guitare de ton complice <strong>Jean-Pierre Farra</strong> sont les épices qui font que le plat est plus savoureux encore.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;">Pas besoin d’en dire plus à ce stade : il est question de plaisir ici, de tendresse, de rage, d’humour, de lucidité aussi face à un monde qui portait déjà en lui, au temps de François Béranger, toutes ces tares qui n’en finissent plus de suinter sur nos vies pandémiques. Tout cela est d’une actualité criante… Tu tends un grand fil rouge par-dessus ces décennies qui ont fait nos vies, dans un exercice d’équilibriste qui nous unit. Nous sommes là, à tes côtés, tu peux avancer les yeux fermés.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;">Allez, je lève mon verre à ta santé et à celle de ton nouveau disque dont tu laisses entendre qu’il pourrait avoir une suite. Tu as raison car, comme on le dit, jamais deux sans trois. L’an passé, nous devions trinquer pour de vrai et puis… Coronavirus, confinement, méchants coups de baguette sur les doigts des <em>non essentiels</em> dont tu fais partie aux yeux de la technocratie néolibérale autoritaire et dans les rangs desquels je me glisse volontiers… et puis, rien du tout, re-confinement et encore et toujours les gros yeux faits aux artistes, attention si vous n’êtes pas sages, nous allons sévir encore… Ce sera pour une autre fois mais je te le jure, nous y parviendrons. Ici à Nancy ou à Bar-le-Duc, je rêve d’un après-midi de printemps, d’une terrasse et d’un bavardage de l’amitié où nous pourrions nous souvenir de ce que nous n’avons pas vécu ensemble, mais en même temps pourtant.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;">Je t’embrasse et m’en vais de ce pas me remettre un petit coup de ton beau <em>Béranger 2</em>. Et je vais m’envoler une fois encore avec ce « Derrière ses valises » si beau, si beau…</span></p><p><span style="font-size: 12pt;">Bien à toi,</span></p><p><span style="font-size: 12pt;">Denis</span></p><p style="text-align: center;"><span style="font-size: 12pt;"><iframe width="560" height="315" src="https://www.youtube.com/embed/Fxiz86pkpoM" frameborder="0" allow="accelerometer; autoplay; clipboard-write; encrypted-media; gyroscope; picture-in-picture" allowfullscreen="allowfullscreen"></iframe></span></p>
Denis Desassishttp://maitrechronique.hautetfort.com/about.htmlOrchestre National de Jazz : Dancing In Your Head(s) / Rituelstag:maitrechronique.hautetfort.com,2020-10-22:62715492020-10-22T13:29:18+02:002020-10-22T07:00:00+02:00 Pour ne rien vous cacher, je me suis senti un peu orphelin de l’ONJ...
<p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;"><img id="media-6184097" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://maitrechronique.hautetfort.com/media/00/02/1970619125.jpg" alt="orchestre national de jazz,frédéric maurin" />Pour ne rien vous cacher, je me suis senti un peu orphelin de l’ONJ lorsque la mandature d’<strong>Olivier Benoit</strong> a pris fin en 2018. Quelle claque que ces quatre années écoulées bien trop vite ! L’aventure <em>Europa</em> en quatre étapes (<a href="http://maitrechronique.hautetfort.com/archive/2014/06/05/etonnez-moi-benoit-5385039.html" target="_blank" rel="noopener"><em>Paris</em></a>, <a href="http://maitrechronique.hautetfort.com/archive/2015/04/03/ich-bin-berliner-5596532.html" target="_blank" rel="noopener"><em>Berlin</em></a>, <a href="http://maitrechronique.hautetfort.com/archive/2016/11/07/rome-unique-objet-de-mon-assentiment-5870841.html" target="_blank" rel="noopener"><em>Rome</em></a> et <a href="http://maitrechronique.hautetfort.com/archive/2017/04/16/olivier-benoit-ou-la-musique-en-lettres-capitales-5933568.html" target="_blank" rel="noopener"><em>Oslo</em></a>) est pour moi une sorte d’anthologie de ce que la musique actuelle peut produire de meilleur, par cette alliance du jazz, du rock, du minimalisme sériel, de l’improvisation et de la musique contemporaine. On n’est pas près d’en avoir fait le tour… Ce n’est donc pas sans une forme de nostalgie immédiate – et injuste, forcément – que j’ai pris connaissance de la nouvelle (et variable) mouture de l’orchestre sous la direction d’un autre guitariste, <strong>Frédéric Maurin</strong>. Loin d’être un inconnu, j’avais pu apprécier le talent de musicien mais aussi de « chef d’orchestre » de ce dernier à travers l’ensemble Ping Machine, un groupe dont on retrouve rien moins que huit membres dans les deux formules de l’ONJ que je vais évoquer ici.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;">Mais nous avons beaucoup de chance, il faut le dire, car Frédéric Maurin n’a pas fait les choses à moitié. Je dirais même que pour ce qui concerne sa première production discographique, publiée à la fin du mois d’août, le nouveau directeur artistique a vu double en nous offrant deux visions radicalement différentes (tant sur la formule sonore que sur la source d’inspiration), démontrant ainsi la richesse de ce nouveau collectif qui va, j’en suis certain, marquer de son empreinte l’histoire de l’ONJ.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;">Son premier projet s’intitule <em>Dancing In Your Head(s)</em> et tire son titre d’un album publié par <strong>Ornette Coleman</strong> en 1977. Il célèbre l’œuvre de ce saxophoniste qui définissait sa musique comme « autre chose » et l’avait conduite entre autres vers les rivages du <em>Free Jazz</em>. Pour mener à bien cette expérience, Frédéric Maurin a fait appel à <strong>Fred Pallem</strong>, connu pour son Sacre du Tympan, qui signe les arrangements de l’album. Côté mise en œuvre, l’ONJ prend appui sur une cellule nerveuse composée d’un nœud aux couleurs très électriques dans lequel on retrouve <strong>Pierre Durand</strong> (guitare), <strong>Bruno Ruder</strong> (Fender Rhodes), <strong>Sylvain Daniel</strong> (bassiste qui enchaîne son troisième ONJ consécutif) et <strong>Rafaël Korner</strong> (batterie). Ajoutez une imposante couche de dix soufflants (dont la répartition femmes / hommes est équitable, il faut le souligner) et vous obtenez une véritable déferlante. Cette musique de l’exultation est explosive, à commencer par l’enchaînement torride <em>Feet Music / Jump Street / City Living</em> en ouverture de ce disque enregistré live au Festival Jazzdor Strasbourg-Berlin au mois de juin 2019. C’est un condensé détonant de jazz, de blues et de funk, qui parvient à mettre en lumière par un véritable passage en force l’évolution de la musique d’Ornette Coleman, depuis le quartet acoustique de la fin des années 50 jusqu’au passage à l’électricité avec le groupe Prime Time. <em>Dancing In Your Head(s)</em> révèle une très belle ambition, et c’est une réussite étincelante. Cerise sur le gâteau, l’ONJ bénéficie pour ce projet du concours d’un invité prestigieux, le saxophoniste américain <strong>Tim Berne</strong>, présent sur trois titres. Si vous avez besoin d’une bonne cure de vitamines, vous saurez où vous approvisionner.</span></p><p style="text-align: center;"><span style="font-size: 12pt;"><iframe width="560" height="315" src="https://www.youtube.com/embed/0CLP_oA8q8A" frameborder="0" allow="accelerometer; autoplay; clipboard-write; encrypted-media; gyroscope; picture-in-picture" allowfullscreen="allowfullscreen"></iframe></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;">Un premier projet… et comme vous l’avez compris, un second. Car voici un autre disque, double celui-ci, qui s’intitule <em>Rituels</em> et donne à entendre un répertoire radicalement différent, puisqu’il est acoustique et accorde une large place aux voix. Et pour cette occasion, l’ONJ intègre même un quatuor à cordes. C’est vraiment un grand écart avec la musique de <em>Dancing In Your Head(s)</em>.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;">Des voix, oui, et quelles voix ! On retrouve trois (en)chanteuses dont les imaginaires semblent sans limites et que j’ai eu l’occasion d’évoquer ici-même ou dans le magazine Citizen Jazz : Camille Durand alias <strong><a href="https://www.citizenjazz.com/Ellinoa.html" target="_blank" rel="noopener">Ellinoa</a></strong>, <a href="http://maitrechronique.hautetfort.com/archive/2019/04/02/leila-martial-baa-box-warm-canto-6140844.html" target="_blank" rel="noopener"><strong>Leïla Martial</strong></a>, <strong><a href="https://www.citizenjazz.com/nOx-3-Linda-Olah.html" target="_blank" rel="noopener">Linda Oláh</a></strong>. Trois voix singulières, à forte teneur créative, auxquelles s’ajoute celle du baryton <strong>Romain Dayez</strong>.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;">Leïla Martial et Ellinoa se partagent le travail d’écriture de <em>Rituels</em> avec Frédéric Maurin bien sûr, mais aussi le pianiste <strong>Grégoire Letouvet</strong> et la flûtiste <strong>Sylvaine Hélary</strong>. Toutes les compositions sont inspirées de textes anciens en provenance de folklores des différents continents. Ils sont issus du livre <em>Les techniciens du sacré</em> de Jerome Rothenberg, un poète éditeur anthologiste américain. Ce recueil permet de découvrir des textes issus de chants maoris, de cérémonies indiennes, d’épopées et louanges d'Afrique, d’hymnes d'Égypte ou du Pérou, de cosmogonies d'Asie centrale, du pays Dogon, d'Australie, de légendes d'Irlande et de Chine, d’inscriptions sumériennes, de rites de possession… Pour faire court, on dira qu’ils parlent de la vie et de tout ce qui fait que l’humanité est ce qu’elle est. Avec son mystère originel.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;">Voix, cordes, bois, cuivres, percussions… voilà un panorama orchestral majestueux et une succession de climats aussi mystérieux qu’oniriques. Parfois, le travail vocal n’est pas sans me faire penser à un autre aréopage singulier, Magma. Cet ONJ-là instaure un climat d’une poésie mystérieuse et fait voler en éclats les codes classiques du jazz pour offrir différents tableaux qui seraient ceux d’une musique contemporaine aux couleurs poétiques. Prenez par exemple « Femme Délit », cette composition hantée, haletante signée Leïla Martial qui s’affirme plus que jamais comme une aventurière de la musique : il faut apprécier, se délecter du travail que cette musicienne hors normes effectue sur les sons, les rythmes et les mots. Sans oublier bien sûr la force d'envoûtement du collectif, les textures soyeuses tissées par les cordes et les interventions solistes, comme celles de Fabien Debellefontaine au saxophone ténor ou de Susana Santos Silva à la trompette.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;">L’ONJ nous bouscule, nous embarque sur des chemins aux frontières du rêve et du réel et révèle une fois encore sa capacité à renouveler son langage et à nous entraîner ailleurs, vers ce quelque chose d'autre assez indéfinissable. « Something Else », aurait dit Ornette Coleman…</span></p><p style="text-align: center;"><span style="font-size: 12pt;"><iframe width="560" height="315" src="https://www.youtube.com/embed/HbiPV17FgII" frameborder="0" allow="accelerometer; autoplay; clipboard-write; encrypted-media; gyroscope; picture-in-picture" allowfullscreen="allowfullscreen"></iframe></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;">Un bonheur n’arrivant jamais seul, on apprend que toute la discographie de l’Orchestre National de Jazz est désormais disponible à l’écoute et à l’achat en ligne sur le site de <a href="https://orchestrenationaldejazz.bandcamp.com/" target="_blank" rel="noopener">Bandcamp</a>. Soit 31 références et une incroyable galerie de directeurs artistiques et musiciens depuis 1986.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;">Vous n’avez pas fini de danser dans votre tête !</span></p><p><span style="font-size: 10pt;"><strong>Musiciens « Dancing In Your Head(s) »</strong> : <strong>Jean-Michel Couchet</strong> (saxophones alto et soprano) ; <strong>Anna-Lena Schnabe</strong>l (saxophone alto, flûte) ; <strong>Julien Soro</strong> (saxophone ténor) ; <strong>Fabien Debellefontaine</strong> (saxophone ténor, flûte, piccolo) ; <strong>Morgane Carnet</strong> (saxophone baryton) ; <strong>Fabien Norbert</strong> (trompette, bugle) ; <strong>Susana Santos Silva</strong> (trompette) ; <strong>Mathilde Fèvre</strong> (cor) ; <strong>Daniel Zimmermann</strong> (trombone) ; <strong>Judith Wekstein</strong> (trombone basse) ; <strong>Pierre Durand</strong> (guitare électrique) ; <strong>Frédéric Maurin</strong> (guitare électrique et direction) ; <strong>Bruno Ruder</strong> (Fender Rhodes) ; <strong>Sylvain Daniel</strong> (basse) ; <strong>Rafaël Koerner</strong> (batterie) ; Invité : <strong>Tim Berne</strong> (saxophone alto).</span></p><p><span style="font-size: 10pt;"><strong>Titres</strong> : Feet Music (Including Open To The Public) / Jump Street / City Living / Good Old Days (Including Mob Job & Street Woman) / Something Sweet, Something Tender / Dogon A.D. / Lonely Woman / Kathelin Gray / Theme From A Symphony (Including Macho Woman).</span></p><p><span style="font-size: 10pt;"><strong>Musiciens « Rituels »</strong> : <strong>Ellinoa</strong> (voix) ; <strong>Leïla Martial</strong> (voix) ; <strong>Linda Oláh</strong> (voix) ; <strong>Romain Dayez</strong> (voix) ; <strong>Catherine Delaunay</strong> (clarinette, cor de basset) ; <strong>Julien Soro</strong> (saxophone alto, clarinette) ; <strong>Fabien Debellefontaine</strong> (saxophone ténor, flûte, piccolo) ; <strong>Susana Santos Silva</strong> (trompette) ; <strong>Christiane Bopp</strong> (trombone) ; <strong>Didier Havet</strong> (trombone basse, tuba) ; <strong>Stéphan Caracci</strong> (vibraphone, marimba, glockenspiel, percussions) ; <strong>Rafaël Koerner</strong> (batterie) ; <strong>Bruno Ruder</strong> (piano) ; <strong>Elsa Moatti</strong> (violon) ; <strong>Guillaume Roy</strong> (alto) ; <strong>Juliette Serrad</strong> (violoncelle) ; <strong>Raphaël Schwab</strong> (contrebasse).</span></p><p><span style="font-size: 10pt;"><strong>Titres</strong> : Le monde fleur / Rituel (1ère partie) / Rituel (2ème partie) / La métamorphose / Femme délit / Loon / Naissance(s) de la nuit / Aiôn.</span></p><p><span style="font-size: 10pt;">Label : <a href="https://www.onj.org/catalogue/" target="_blank" rel="noopener">ONJ Records</a></span></p>
Denis Desassishttp://maitrechronique.hautetfort.com/about.htmlLe Deal : Jazz Traficantestag:maitrechronique.hautetfort.com,2020-10-15:62701162020-10-16T18:42:48+02:002020-10-16T07:00:00+02:00 Autant vous le dire sans détour, ce disque est hautement...
<p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;"><img id="media-6181533" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://maitrechronique.hautetfort.com/media/00/02/1890744480.jpg" alt="jazz traficantes, florian pellissier, yoann loustalot, théo girard" />Autant vous le dire sans détour, ce disque est hautement addictif. Il a débarqué chez moi il y a quelque temps, sans prévenir, comme s’il s’agissait pour lui de mieux asséner la force vitale d’un jazz aux couleurs <em>néo hard bop</em> (pardonnez-moi ce vilain qualificatif). Au départ, je ne lui ai accordé qu’une attention distraite, notant dans un coin de ma mémoire le nom du groupe, <strong>Le Deal</strong>, et le titre de l’album, <em>Jazz Traficantes</em>. Rien de plus. Et voilà que quelque temps plus tard, scrutant la pile de mes CD en attente d’une première écoute et dont la hauteur commence à mettre l'équilibre en péril, je décide de me débarrasser de son blister thermocollé (ah quelle cochonnerie ce truc…) pour ouvrir le <em>digipack</em>. Je découvre un bel objet, comme une réduction de 33 tours, et lit deux noms qui m’interpellent : <strong>Yoann Loustalot</strong> y joue du bugle et <strong>Théo Girard</strong> de la contrebasse. Ces deux-là sont à eux-seuls une promesse. Le premier nous réjouit dans de multiples aventures (Aérophone, Old and New Songs…). Le second, vous le connaissez déjà, puisque j’ai évoqué ici-même sa <a href="http://maitrechronique.hautetfort.com/archive/2019/09/10/les-belles-bulles-de-theo-girard-6174844.html" target="_blank" rel="noopener">Bulle</a> dont la composition « Champagne » est le générique de mon <a href="http://radiodeclic.fr/shows/lheure-du-jazz/" target="_blank" rel="noopener">Heure du Jazz sur Radio Déclic</a>. Je connaissais par ailleurs de nom le pianiste <strong>Florian Pellissier</strong> dont je n’avais pas encore vraiment écouté la musique, en particulier celle de son quintet. Une erreur vite réparée car cette formation brillante s’est produite tout récemment dans le cadre de <a href="https://www.citizenjazz.com/Florian-Pellissier-a-fait-un-reve.html" target="_blank" rel="noopener">Nancy Jazz Pulsations</a>. Quant au batteur <strong>Malick Koly</strong>, je comprends qu’il a côtoyé le regretté Wallace Roney. Tout cela sent donc plutôt bon…</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;">Il me semble important de résumer l’histoire de ce disque qui est intéressante à plus d’un titre. À la faveur d’un séjour à New York, les quatre musiciens ont décidé de réserver une session au mythique studio Van Gelder, providentiellement disponible, là-même où de grandes pages de l’histoire du jazz ont été écrites pour des labels tels que Blue Note, Verve ou Impulse. Ce lieu incomparable fut en particulier le refuge d’un certain John Coltrane qui aura pu y graver une flopée d’enregistrements mythiques, au premier rang desquels <em>A Love Supreme</em>… Mieux, le quartet a pu bénéficier du concours de l’assistante de feu Rudy Van Gelder, qui s’est ingéniée à leur mitonner un environnement aux petits oignons, dans le plus grand respect de la configuration originale. L’histoire veut que le studio et ses boiseries dégageaient encore l’odeur du New York des années 60. Légende, quand tu nous tiens…</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;">Le résultat est ébouriffant. C’est un condensé de vie, capté en quelques heures seulement et d’une incroyable densité. Cinq compositions dont une longue suite en trois parties, des mélodies qui vous trottent en tête pour ne plus vous quitter. Une pulsation qui jamais ne se relâche. Une évasion dans l’instant. La spontanéité du jeu. L’écoute de l’autre, les interactions. Une musique qui (en)chante. Tout y est. On est frappé par la cohésion d’un quartet en état de grâce, on ressent au plus près la vibration et le bonheur de vivre en toute conscience des moments dont chaque musicien profite au maximum, sachant que l’histoire – toujours elle, cette sacrée et belle histoire du jazz – ne repassera pas les plats. Je pourrais évoquer ici des références sous-jacentes, le terreau en quelque sorte (Lee Morgan, Wayne Shorter, Herbie Hancock…), mais je préfère saluer la performance d’un ensemble qui s’empare d’un répertoire original écrit la veille seulement de l’enregistrement. Il y avait à l’évidence une l’urgence dans l’air. On devine que les musiciens sont entrés dans le studio gonflés à bloc, prêts à libérer leurs énergies. Je n’ai même pas besoin de rappeler les qualités de chacun des protagonistes dont le jeu – parfaitement capté, le disque est un vrai bonheur à ce niveau-là également – est comme éclairé par la magie de l’instant. Peut-être me trouverez-vous un poil emphatique ? Vous auriez tort car ma modeste expérience d’un parcours de découverte musicale dont la durée excède désormais le demi-siècle m’a appris à identifier les signes avant-coureurs du grand disque. Ils sont bien là : quand tout le reste, subitement, ne compte plus ; quand le disque semble trop court ; quand on regrette de ne pas savoir assez bien chanter pour entonner les thèmes qui surgissent ; quand on veut y revenir, encore et encore, même si un tel acharnement semble injuste vis-à-vis des disques en souffrance ; quand les poils se dressent sur les bras. <em>Los Traficantes</em> est un disque frisson. Nous avons tous tellement besoin de cette élévation un peu magique, en ces temps de nivellement par le bas de l’économie mercantile, d’infantilisation et de restriction flagrante de nos libertés…</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;">J’évoquais tout récemment cet album inspiré avec Florian Pellissier. Ce valeureux musicien, homme plein d’humour par ailleurs, m’a fait part d’une réelle émotion en me tenant des propos que je m’autorise à reproduire ici tant ils disent beaucoup en quelques mots : « C’est comme si c’était mon premier disque de jazz, ma première vraie session, dans les codes historiques ».</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;">Rien à ajouter. Si, tout de même : achetez ce disque, en CD ou vinyle. Il trouvera chez vous une place de choix.</span></p><p><span style="font-size: 10pt;"><strong>Musiciens</strong> : <strong>Florian Pellissier</strong> (piano, Fender Rhodes) ; <strong>Yoann Loustalot</strong> (bugle) ; <strong>Théo Girard</strong> (contrebasse) ; <strong>Malick Koly</strong> (batterie).</span></p><p><span style="font-size: 10pt;"><strong>Titres</strong> : Jazz Traficantes / Riot in Chinatown / Custom Agents / Mexican Junkanoo / Noche en la Carcel</span></p><p><span style="font-size: 12pt;"><span style="font-size: 10pt;"><strong>Label</strong> : </span><a href="https://www.favoriterec.com/" target="_blank" rel="noopener"><span style="font-size: 10pt;">Favorite</span></a></span></p><p style="text-align: center;"><span style="font-size: 12pt;"><iframe style="border: 0; width: 350px; height: 470px;" src="https://bandcamp.com/EmbeddedPlayer/album=2292933870/size=large/bgcol=ffffff/linkcol=0687f5/tracklist=false/transparent=true/" seamless=""><a href="https://favoriterecordings.bandcamp.com/album/jazz-traficantes">Jazz Traficantes by Le Deal</a></iframe></span></p>
Denis Desassishttp://maitrechronique.hautetfort.com/about.htmlPierre-Michel Sivadier : Paùl Jacktag:maitrechronique.hautetfort.com,2020-10-07:62683422020-10-07T10:45:12+02:002020-10-07T07:00:00+02:00 Je me pose souvent, sans doute plus que de raison, la...
<p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;"><img id="media-6178414" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://maitrechronique.hautetfort.com/media/01/02/2131521618.jpg" alt="pierre-michel sivadier, paùl jack, stella maris" />Je me pose souvent, sans doute plus que de raison, la question de la légitimité. N’étant pas musicien, mais un simple récepteur, ai-je le droit d’écrire dans le but d’évoquer un disque à des fins de « chronique » ? Qui suis-je pour oser ? Parce qu’il y aura forcément quelqu’un·e qui dira mieux et de façon plus juste. J’en suis certain. Alors quand il s’agit d’un livre, comment pourrais-je avoir l’outrecuidance de glisser quelques lignes qui ne demandent qu’à être délaissées au profit d’autres, plus belles, plus riches ? Tout cela m’a traversé l’esprit, insidieusement, au moment où j’ai reçu <em>Paùl Jack</em>, le roman de <strong><a href="http://pierremichelsivadier.free.fr/" target="_blank" rel="noopener">Pierre-Michel Sivadier</a></strong> paru aux belles éditions bretonnes <a href="https://editionsstellamaris.blogspot.com/" target="_blank" rel="noopener">Stella Maris</a>. Loin d’être un inconnu, cet artiste – chanteur, pianiste, compositeur, poète – a entre autres expériences côtoyé Christian Vander et Offering. <em>Si</em>, son troisième disque en 25 ans, est à cet égard un moment singulier, tout comme ses deux précédents rendez-vous, empreint d’une beauté amoureuse, tourmentée et onirique. C’est d’ailleurs ce que je me suis efforcé d’expliquer dans le magazine <a href="https://www.citizenjazz.com/Pierre-Michel-Sivadier.html" target="_blank" rel="noopener">Citizen Jazz</a>.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;">Le livre à côté de moi, sur la table de chevet. Durant quelque temps, je n’ai pas osé. Le lire, l’ouvrir. Juste un regard de temps à autre sur sa couverture, sa reproduction d’un tableau de Paul Klee et les notes de la quatrième page. Il y avait ce petit quelque chose qui me retenait, m’empêchait. Je ne saurais expliquer cette retenue de façon plus précise. Et puis est venu le moment de plonger parce que tout cela, finalement, n’avait aucun sens. Si le chanteur est aussi singulier et attachant, pourquoi après tout l’écrivain ne le serait-il pas ? Parce qu’il l’est, sans le moindre doute.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;">Qu’on me comprenne bien, cependant : vous ne trouverez pas ici une « critique » littéraire, mon expérience est largement insuffisante en ce domaine et quand bien même elle le serait… Je jette quelques idées, une série d’impressions de lecture.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;">Je ne sais pas s’il faut raconter l’histoire, parce qu’il y en a bien une, celle de deux musiciens et de leur vie, c’est une narration à rythme variable – l’écrivain reste musicien – de leur existence dans notre monde à tous mais aussi dans le leur, sur scène, dans les coulisses ou entre deux portes, une vie intime qui leur appartient et leur échappe, au cœur de laquelle on hésite parfois à se frayer un passage, avec ou sans leur accord. Car le lecteur se doit d’être discret, ne l’oublions jamais, il peut observer les personnages, mais à condition de ne pas les déranger. Le premier semble inaccessible et imprévisible, habité d’une grâce capricieuse et pudique à la fois (Jack) ; le second est en quête de cette amitié amoureuse qui semble ne devoir vivre que le temps d’un rêve et chez qui on devine une pointe de jalousie face à cet autre plus exposé à la lumière (Paùl). Raconter leur(s) histoire(s) de manière linéaire est mission impossible ; ce serait accréditer l’idée d’une forme classique, avec un déroulement, un dénouement. Rien de tout cela…</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;">Car ce n’est pas ce que j’ai lu dans <em>Paùl Jack</em>, texte traversé à intervalles réguliers par la présence d’un chat, celui de Jack, un troisième personnage qui porte sur les humains qui l’entourent son regard amusé, voire caustique et prend un malin plaisir à les mener par le bout du museau et de la moustache pendant que les deux « héros », de leur côté, jouent au… chat et à la souris. <em>Paùl Jack</em>, ou l’occasion aussi de constater l’état du monde et de nos vies d’humains égarés, par exemple dans un Paris qui perd son âme, des êtres contaminés par un langage désincarné et superficiel soumis à l’éphémère des modes. Une pointe d’amertume devant nos quotidiens en manque de sens. <em>Paùl Jack</em>, ou de multiples questionnements auxquels n’est pas forcément donnée une réponse, parce que nos vies restent avant tout des interrogations. <em>Paùl Jack</em>, ou une expression libérée des contraintes de forme, parfois une simple phrase, parfois un poème ou ce qu’on pourrait supposer être les paroles d’une chanson, mais une langue toujours portée par un élan poétique et le besoin de surprendre. Loin d’être une longue ligne droite conduisant d’un début à une fin, le texte emprunte mille chemins détournés qu’on suit en toute confiance.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;"><em>Paùl Jack</em>, ou ce genre de livre qu’on lit, partagé entre le désir d’aller jusqu’au bout, conscient que le dernier mot ne sera pas signe d’une fin, et la tentation d’une lenteur qui en fera un compagnon un peu plus longtemps. Pierre-Michel Sivadier nous fait un beau cadeau : je n’ai pas décelé de message subliminal dans son texte, mais juste entendu battre délicatement un cœur, pudique et conscient.</span></p><p style="text-align: center;"><span style="font-size: 12pt;"><iframe width="560" height="315" src="https://www.youtube.com/embed/zsaGOMfODbk" frameborder="0" allow="accelerometer; autoplay; clipboard-write; encrypted-media; gyroscope; picture-in-picture" allowfullscreen="allowfullscreen"></iframe></span></p>
Denis Desassishttp://maitrechronique.hautetfort.com/about.htmlSidi Bemol : Chouf !tag:maitrechronique.hautetfort.com,2020-09-17:62639912020-09-17T13:53:05+02:002020-09-17T07:00:00+02:00 On n’ira pas par quatre chemins : Chouf ! est un disque de rock, un...
<p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;"><img id="media-6171128" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://maitrechronique.hautetfort.com/media/02/01/3148083411.jpg" alt="sidi bemol, hocine boukella, chouf, gnawa, " />On n’ira pas par quatre chemins : <em>Chouf !</em> est un disque de rock, un vrai, ruisselant des énergies qui irriguent les veines d’un artiste unique en son genre, <strong>Hocine Boukella</strong>, ici plus charismatique que jamais aux commandes de son groupe <strong>Sidi Bemol</strong>. C’est le rock en effet qui lui a inoculé un beau jour le virus de la musique, forgeant son désir de chanter et prendre en main une guitare. Retour cinglant à ses premières amours, <em>Chouf ! </em>se présente comme un manifeste électrique échappant aux pièges des modes par sa forme épurée. Et si l’on retrouve bien l’environnement singulier du musicien algérien qu’on connaît depuis près de trente ans, le graphiste – Elho a plus d’une corde à son arc – n’est jamais loin, qui couche sur le papier des textes pensés à la façon de dessins. Souvent au moyen d’une seule image, comme une sorte de petit strip qui dirait tout en un temps très court. Alors, « gourbi », « gnawi » ou toute autre appellation pour définir son idiome : qu’importe… Ici forme musicale et fond anthropologique sont en harmonie pour aller à l’essentiel et dire la vie.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;">Ce sont d’abord les couleurs, brutes et dépouillées. Deux guitares, une basse et une batterie enregistrées live du côté de Bath en Angleterre, aux studios Real World, sous la direction artistique de Justin Adams. Ce guitariste anglais, connaisseur des traditions musicales africaines et arabes, a su élaborer l’écrin parfait de ce dixième album tendu comme un arc, sous une forme naturellement rock (on nous pardonnera d’insister sur ce qualificatif). Le groupe est resserré autour du leader : deux résidences et quatre jours d’enregistrement auront suffi à élaborer la formule adéquate. <strong>Youssef Boukella</strong>, le frère bassiste, a embarqué avec lui <strong>Maamoun Dehane</strong>, son complice batteur de l’Orchestre National de Barbès. Quant à <strong>Abdennour Djemai</strong>, compagnon de route au sein de Sidi Bemol, il sait si besoin faire chanter sa guitare électrique aux accents de la musique traditionnelle. On n’oubliera pas l’invité Hakim <strong>Hammadouche</strong>, virtuose du mandoluth, celui-là même qui accompagna l’ami Rachid Taha durant les quinze dernières années de sa vie. Le menu de <em>Chouf !</em> est copieux : treize chansons courtes, nerveuses à souhait et teintées de blues, d’une urgence dont on saisit d’emblée le caractère vital. Au bout du compte, on s’aperçoit que le repos n’est accordé que le temps de deux ballades poignantes, d’une saisissante beauté, dédiées aux femmes et à la place qui devrait être la leur dans la société (« Ɛziza Lalla ») ; mais aussi à la jeunesse symbole de l’espoir en des jours meilleurs (« Salam ɛlikum »). La formule sonore est idéale, le coup parfait !</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;">Pour le reste, tous ces poings levés, tous ces appels vibrants, toutes ces absurdités et ces sens interdits pointés du doigt (« Fi Ṛasi "Rond-Point" »), tous ces mensonges dénoncés (« Alef Lila u ḥila »), toutes ces illusions ou désillusions (« Win Darek »)… forment un défilé existentiel, sans bavardages ni fioritures – l’écriture est frappée du sceau de la concision – pour mieux revendiquer des vérités qui dérangent. Une manifestation par le chant, avec tous les risques qu’elle suppose, tel celui de « prendre une raclée » (« Lyum en Baṣi ! »). On l’aura compris : <em>Chouf !</em> est un appel vibrant au maintien en éveil de nos consciences face aux errances d’un monde en proie à la corruption et à l’omniprésence des religions, quand nos sociétés devraient au contraire se prévaloir d’une quête de savoir et de la prise en compte de l’Autre. Le titre du disque ne dit rien d’autre, d’ailleurs : « regarde ! » On peut se souvenir également que Hocine Boukella est un scientifique de formation. Pour lui, biologie et musique avancent main dans la main, toutes deux ayant pour vocation première l’observation de la vie. Il ne se prive pas, d’ailleurs, de railler le charlatan (« Cheihk Chelwachi ») qui se cache derrière les écrits saints alors que le plus admirable des textes est sans nul doute le « livre de la nature », cette nature qu’on ne saurait comprendre avec des formules magiques.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;">Observateur des luttes politiques, de leurs cycles infiniment répétés (« Zman Jdid ») et de cette équation tragique qui voudrait que les êtres humains soient comme des arbres dans une forêt attendant le bûcheron qui viendra les abattre, Hocine Boukella n’a pas les idées noires pour autant. Car <em>Chouf !</em> est aussi un hymne à la liberté, porteur d’optimisme au-delà des vicissitudes de notre époque, il exprime la confiance en les générations à venir qui, plus conscientes que nous, sauront ne pas reproduire nos erreurs passées et présentes. C’est un disque de combat.</span></p><p><span style="font-size: 12pt;">PS : ce texte, que j'ai écrit au mois de mai, figure sur le dossier de presse de <em>Chouf !</em></span></p><p><span style="font-size: 10pt;"><strong>Musiciens</strong> : <strong>Hocine Boukella</strong> (chant, guitare) ; <strong>Youssek Boukella</strong> (basse, chœurs) ; <strong>Abdennour Djemai</strong> (guitare, chœurs) ; <strong>Maamoun Dehane</strong> (batterie, chœurs). Invité : <strong>Hakim Hammadouche</strong> (mandoluth).</span></p><p style="text-align: center;"><span style="font-size: 12pt;"><iframe width="560" height="315" src="https://www.youtube.com/embed/Ptcp41vU8fQ" frameborder="0" allow="accelerometer; autoplay; clipboard-write; encrypted-media; gyroscope; picture-in-picture" allowfullscreen="allowfullscreen"></iframe></span></p>