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  • Christophe Marguet Résistance Poétique - Pulsion

    christophe marguet, resistance poétique, pulsion, citizen jazzLa vitalité créative de Christophe Marguet n’est plus à démontrer. En témoignent, par exemple, son engagement à partir de 2004 aux côtés d’Henri Texier et son Strada Sextet ; sa Résistance Poétique, devenue un groupe après avoir été un disque et qui ne cesse de grandir depuis près de quinze ans ; à venir, une Constellation à six musiciens dans laquelle évolue un certain Steve Swallow, qui fut son son directeur artistique au temps de ses premiers disques. Quelques axes de son travail qui, résumés à grands traits, révèlent un musicien ayant su insuffler ces vingt dernières années une chaleur constante à toutes ses expériences.

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  • Duos, duels...

    christophe marguet,daniel erdmann,together together,abalone,sylvain darrifourcq,akosh s,apoptose,meta records,jazzRégis Huby nous gâte encore : son label Abalone n’en finit pas d’abriter de petits trésors musicaux vers lesquels on revient à intervalles réguliers. Ici-même ou du côté de Citizen Jazz, j’ai déjà eu l’occasion de saluer quelques-unes de ses pépites qu’il me plaît de citer une fois de plus pour vous suggérer d’aller y laisser traîner vos oreilles averties, si le cœur vous en dit : Constellation, du sextet de Christophe Marguet, ou Pulsion de son quintet Résistance Poétique ; Thisisatrio de Franck Vaillant ; Songs No Songs du H3B de Denis Badault ; Ways Out du quartet de Claude Tchamitchian ; Traces du trio de Jean-Charles Richard ; Furrow, de Maria Laura Baccarini ; Cixircle du Quatur IXI ; ou encore les If Songs de Giovanni Falzone et Bruno Angelini. Vous comprendrez très vite le haut niveau de la maison et la richesse de ses productions...

    La fête continue avec Together, Together!, une nouvelle formule en duo au cœur de laquelle on retrouve une fois de plus le batteur Christophe Marguet, dont l’impressionnisme du jeu vient esquisser une danse d’une grande élégance avec le saxophone de Daniel Erdmann, musicien quadragénaire qu’on connaît tout particulièrement pour être membre du revigorant Das Kapital, aux côtés d’Edward Perraud et Hasse Poulsen (celui qu’on appelle Ass !).

    Un duo saxophone batterie. Je vous épargnerai la petite leçon d’histoire du jazz que mériterait cette association pas si courante, mais il m’est impossible, quand un dialogue d'une telle nature est engagé, de ne pas penser au 22 février 1967, lorsque John Coltrane et Rashied Ali étaient entrés en studio pour graver dans le marbre un moment essentiel appelé Interstellar Space. Un album qui constitue, aujourd’hui encore, un enregistrement de référence que Marguet et Erdmann, connaissent forcément sur le bout des doigts, même si leur rencontre est esthétiquement très éloignée de cette matrice aux allures de combat jusqu’au-boutiste. Coltrane voyait venir la fin de son chemin et voulait une fois encore repousser ses propres limites, celle d’un langage à la frontière du cri universel : à cet égard, Interstellar Space avait des allures de duel (qui inspirera d’autres disques du même type, je pense en particulier à Linkage d’Eric Barret et Simon Goubert, mais aussi à Soul Paintin’, trop méconnu à mon goût, de Boris Blanchet et Daniel Jeand’heur).

    Together, Together! est tout sauf un combat ou un duel, il faudrait plutôt parler de conversation ou de dialogue. Ce serait la définition d’un duo, celui de deux musiciens dont les jeux paraissent chercher à s’entrelacer avec beaucoup de sensualité. Christophe Marguet et Daniel Erdmann enchantent leurs compositions  (toutes originales et assez brèves, à l’exception de deux reprises, l’une de Duke Ellington « African Flower », l’autre de Billy Strayhorn « Lush Life ») par leur capacité à suggérer chacun de leurs mouvements – parce que ce disque est assurément celui du mouvement – plus qu’à les asséner ; tous deux esquissent des pas de danse dont le rythme s’échappe parfois vers des contrées nourricières : « African Dancer » en est un bel exemple, quand les mailloches de Marguet résonnent des échos d’une Afrique qui n’est pas sans évoquer celle du Canto Negro que sait si bien raconter Henri Texier (avec lequel Marguet a longtemps joué, il faut le rappeler). « Lush Life » est une autre illustration de la délicatesse avec laquelle Erdmann tourne, tourne et tourne encore autour du thème avant que Marguet ne le rejoigne pour chanter avec lui. Deux musiciens qui prennent plaisir à inverser leurs fonctions supposées ou plutôt à les fusionner, le batteur étant capable d’endosser le costume du mélodiste tout autant que du rythmicien tandis que le saxophoniste ira se glisser dans le rôle du pourvoyeur d’un rythme d’une souplesse féline. Elle est là, cette danse entre les deux, cette conversation entre gentlemen qui définit leur art du duo et se renouvelle à chaque instant ; une autre déclinaison de la résistance poétique si chère au batteur. Together, Together! n’est pas de ces disques qu’on écoute avec passivité ; il fait plutôt partie des instants d’équilibre un peu miraculeux, dont on connaît la fragilité, et qu’on ne veut pas laisser filer entre ses doigts. On laisse approcher la musique, on lui accorde tout son temps, pour qu’elle nous souffle ses délicatesses au creux de l’oreille. Musique sensuelle, on vous dit ! 

    Daniel Erdmann & Christophe Marguet – Together, Together!

    Daniel Erdmann (saxophone ténor) ; Christophe Marguet (batterie).
    Abalone Records 2014 – AB016

     

    christophe marguet,daniel erdmann,together together,abalone,sylvain darrifourcq,akosh s,apoptose,meta records,jazzAvant de conclure, puisqu’il est question ici de duo saxophone batterie, je ne peux passer sous silence un nouvel épisode de cette association qui peut aussi s'avérer d’une âpreté abrasive : Sylvain Darrifourcq et Akosh S. avancent leurs pions sur le terrain beaucoup plus brûlant d’un corps à corps violent et livrent une musique fiévreuse, presque hantée, avec Apoptose. Difficile en l’occurrence de parler de conversation tant l’échange entre les deux vous emporte loin, là où l’angoisse peut aussi vous étreindre : portée par une énergie qui est celle de la vie elle-même (reportons-nous pour mieux comprendre à la définition du mot apoptose, qui signifie la mort cellulaire, phénomène bénéfique parce que nécessaire à la survie), cette musique souvent sombre, hurlée quand il le faut, est d’une puissance ravageuse qui vous prend aux tripes pour ne plus vous lâcher. Ce n’est certes pas l’album qu’on conseillera pour une fin de banquet, mais celui-ci est assurément un choc émotionnel qu’il faut vivre pour le croire. Et comprendre que l’être humain reste un mystère, même si le voyage n’est pas de tout repos. 

    Akosh S. & Sylvain Darrifourcq – Apoptose

    Akosh Szelevényi (saxophone, bols thibétains, cloches, zither) ; Sylvain Darrifourcq (batterie, percussions, zither, sextoys, iPhone).
    Meta Records 2014 – Meta 067

  • L'équation de la constellation

    christophe marguet, regis huby, benjamin moussay, steve swallow, cuong vu, chris cheek, , abaloneJuillet 2013

    Je suis confronté à une drôle d'équation personnelle… Ne vous faites pas de souci, je ne vais pas vous raconter ici ma vie, mais juste tenter de partager une situation qu'il m'arrive de connaître de temps à autre et que je crois intéressante en ce qu'elle me confronte à une limite naturelle que, finalement, je n'ai pas envie de franchir. Je vous explique…

    Il est question de musique, bien sûr.

    J'ai reçu il y a quelque temps le nouveau disque enregistré par le sextet du batteur Christophe Marguet. Cette Constellation interprétée par une formation magistrale me laisse sans voix, ou plutôt sans mots, puisqu'il s'agit ici d'écrire autour de la musique. J'ai écouté à plusieurs reprises ce double album publié sur l’impeccable label Abalone de Régis Huby - un habitué des réussites qui accomplit un véritable sans faute artistique - et, à chaque fois, je me suis retrouvé dans un état de bien-être assez difficile à décrire, dont la retranscription ne semble pas pouvoir passer chez moi par une analyse de la musique elle-même, mais plutôt par un simple mot d'ordre : « Allez-y, foncez, achetez-le, c'est un disque splendide, bourré à craquer d’humanité et riche de talents et d'émotions multicolores ! » Au-delà de cette injonction, je peine à trouver un angle d’attaque satisfaisant parce que je crains que mes mots ne finissent par trahir la musique elle-même.

    Septembre 2013

    Oui mais, c’est bien gentil tout ça mais... avouons-le, c’est quand même un peu injuste, non ?

    Injuste pour le batteur, dont je loue déjà les qualités depuis belle lurette (et en particulier dans le cadre de sa participation au Strada d’Henri Texier) et qui faisait partie de ma brochette de Maîtres en 2012 pour une Pulsion que j’avais par ailleurs généreusement vantée dans une chronique de Citizen Jazz. Christophe Marguet, artiste accompli, musicien en quête de nouvelles rencontres, batteur infatigable et compositeur inspiré (à l’exception de « After The Rain » de John Coltrane en clôture de l’album, Marguet signe toutes les compositions).

    Injuste pour Régis Huby qui joue ici bien plus que le rôle de stimulateur, puisqu’il participe à la fête aussi en tant que violoniste et contribue à lui-seul à faire dériver la musique vers des échappées belles qui ne sont pas, parfois, sans évoquer les couleurs impressionnistes de Songs No Songs du H3B de Denis Badault dont il était aussi l’un des éminents acteurs. Marguet, Huby, une sacrée collaboration qui n’en finit pas d’enchanter. Allez donc aussi prêter une oreille à leur travail aux côtés de l’immense Claude Tchamitchian pour un autre album coup de maître, Ways Out (Abalone, toujours et encore...). Tiens, j’en profite pour me rappeler (et vous rappeler si vous l’avez oublié, ce qui serait une grave erreur de votre part) un disque un peu fou, un peu barré de sa dame, la belle Maria-Laura Baccarini dont le Furrow, hommage iconoclaste à Cole Porter était un enchantement aux contours jazz et électriques assez inédits (avec aussi le guitariste Olivier Benoit, pas encore directeur de l’ONJ mais déjà grand monsieur, n’en déplaise à certains). Régis Huby, c’est le musicien génial qu’on rêve de croiser un jour ou l’autre, sur disque comme sur scène.

    Injuste pour l’immense Steve Swallow dont la basse électrique continue de me fasciner. Pas n’importe qui, quand même, jetez un coup d’œil panoramique à son pédigrée et vous comprendrez. Swallow (monsieur Carla Bley, soit dit en passant), c’est la grande classe, l’élégance personnifiée et le talent à l’état pur. Jazzophile tardif (j’avais 27 ans quand j’ai acheté mon premier Coltrane), j’ai fait sa connaissance dans les années 90, lorsqu’il faisait partie du Transatlantik Quartet d’Henri Texier, pour des albums de chevet que sont Izlaz ou Colonel Skopje (et, un peu plus tard, dans Respect, un all stars avec Bob Brookmeyer, Paul Motian et Lee Konitz). Marguet et Swallow se connaissent bien, le premier ayant eu la chance de bénéficier du second comme directeur artistique en 1996 pour Résistance Poétique et en 1999 pour Les correspondances.

    Injuste pour Benjamin Moussay, pianiste inventeur de climats étoilés qui brillent chaque jour un peu plus. Youn Sun Nah doit s’en souvenir puisqu’elle a fait appel à ses services en 2004, Claudia Solal aussi, Louis Sclavis pareil... Ecoutez le trio Atlas de ce dernier et les Sources qu’ils ont trouvées ! Le voici donc qui retrouve le giron Huby après avoir travaillé à ses côtés pour le projet All Around en 2011.

    Injuste pour le trompettiste au talent frappé au coin de l’éclectisme Cuong Vu, un musicien qui, entre autres activités, rejoint régulièrement la bande à Pat Metheny depuis une dizaine d’années.

    Injuste pour Chris Cheek, un saxophoniste qui ne se refuse pas, ici ou là, l’assistance de l’électronique et qu’on retrouve régulièrement avec le guitariste Kurt Rosenwinkel. Cheek, c’est important de le préciser, compte tenu des passions de Christophe Marguet, a aussi travaillé avec l’immense et regretté batteur Paul Motian, disparu voici peu et qui manque à tant de ses disciples.

    Injuste oui, ne pas en dire plus, surtout que la formule sonore imaginée par le batteur et ses complices dessine des couleurs très particulières, qui passent en toute fluidité de climats apaisés, lumineux à d’autres, moins confortables et nés des perturbations atmosphériques engendrées par chacun des protagonistes. Tout sauf un disque de batteur, parce qu’ici, on parle collectif, on joue ensemble, on chante du début à la fin.

    Un double disque qui s’ouvre par le balancement d’une pulsion nourricière, celle de « On The Boot », première occasion pour Chris Cheek et Cuong Vu de dévoiler l’étendue de leurs inspirations, soulevées par la luxuriance du paysage dessiné par leurs quatre acolytes. Au bout de cinq minutes, on sait qu’on a affaire à un grand disque.

    « Satiric Dancer », les ostinatos de Moussay, le groove de Swallow et le chœur des soufflants enrichi des stimuli de cordes signés Régis Huby. Ca pousse, ça avance, ah c’est bon... avant que la route ne s’élève pour emprunter des chemins escarpés, sous les coups de boutoir de la basse et du Fender Rhodes. Le son est plus sale, forcément, sous la poussière, la température monte, les hommes transpirent. Marguet veille au grain, jamais la tension ne se relâche, on devine son plaisir de jeu, sa jubilation rythmique d’être à ce point propulsé par la basse du longiligne Steve. Vu et Cheek s’en donnent à cœur joie.

    Avec « Argiropouli », la fête continue, d’abord sous la forme d’un hymne aux accents nostalgiques. On imaginerait volontiers un film italien, un peu fellinien, un peu années 60. Puis le violon de Régis Huby prend la parole, crée de nouvelles couleurs, s’évade vers ces ailleurs que seuls les musiciens connaissent. Imperceptiblement, on change de monde, nous voilà dans d’autres sphères, plus mystérieuses et sérielles. S’ensuivra un enivrant dialogue éthéré entre la basse si singulière de Steve Swallow et les claviers presques liquides de Benjamin Moussay. Tous deux semblent nous inviter à les rejoindre dans leur rêve. Entrons avec eux.

    « D’en haut » marque une nouvelle rupture esthétique : Huby et Moussay engagent leurs compagnons à les suivre dans un univers qui – c’est évident – quitte les rivages du jazz pour s’échapper vers des contrées plus typiquement européennes et romantiques, comme s’il s’agissait de jeter des ponts, de magnifier un dialogue entre musiciens français et américains et donc de cultures différentes, mais complémentaires. La réponse de Chris Cheek ne se fait pas attendre, lui qui s’envole littéralement dans un chorus aérien de toute beauté. Visiblement ravi de ce rappel à l’ordre US, Marguet lui réplique par un fulgurant solo de batterie, histoire de montrer qu’il sait y faire. Suffit de demander...

    Une batterie transition vers un majestueux « Benghazi » qui résonne des vibrations du Fender Rhodes associées à celles du violon. Voilà un thème à la mélodie grave et porteuse d’un blues inquiet qui n’est pas sans évoquer le monde d’Henri Texier et une composition comme « Indians ». Rien d’étonnant, quand on y pense : il est inimaginable d’envisager que l’influence du contrebassiste ne puisse avoir rejailli sur celle du batteur. Au tour de Cuong Vu de faire monter la fièvre : il est vrai aussi, que la paire Marguet Swallow continue d’irradier l’ensemble. Huby et Moussay, eux, jouent les enlumineurs illuminés... On ne s’en lasse pas.

    Si l’ombre d’Henri Texier planait sur « Benghazi », on sait à qui est adressé le clin d’œil de « Only For Medical Reasons ». Voilà du Carla Bley pur jus, il y a un petit côté Lost Chords dans cette composition doucement chaloupée et chaotique où l’humour affleure, Cuong Vu se transforme alors en un double de Paolo Fresu et Chris Cheek endosse le costume d’Andy Sheppard. Quant à Swallow, on le sait, il est chez lui ! On s’y croirait...

    « Last Song » : les européens reprennent l’avantage. Huby et Moussay entraînent leurs camarades au pays d’un romantisme néo-classique. Une composition courte, une mélodie concise (on rejoint ici H3B)... et pas de batterie. Marguet sait que, parfois, se taire c’est aussi jouer.

    Retour aux fondamentaux du groove avec « Remember », dont le balancement est sublimé par la combinaison du drive de Marguet et la rondeur de la basse. Un boulevard pour les solistes qui trouvent là le terreau idéal à leurs explorations solaires. Mais ce disque n’est décidément pas comme les autres : une nouvelle rupture se fait jour, la lumière cède la place à une sorte d’éblouissement plus immobile. Grande classe, encore une fois.

    On a parlé de route tout à l’heure, voici venir une « Old Road » qui n’a de vieux que son titre parce qu’il s’agit bel et bien d’une sacrée aventure, pas poussive pour deux sous, avec son thème entêtant et sa rythmique hypnotique. La patte Moussay, à n’en pas douter, et les éclats des solistes qui zèbrent le ciel de leurs élans (beaux échanges, une fois de plus, entre Cuong Vu et Chris Cheek) jusqu’à Régis Huby qui s’enflamme pour un final presque sautillant de joie.

    Coltrane pour finir ! Quel beau cadeau... « After The Rain ». Cette fois, on se tait, on laisse l’orchestre – je trouve que ce mot convient bien à la formation – dérouler l’émotion du thème. Les couleurs, une fois encore, sont splendides, et si le saxophoniste est respecté, jamais il n’est singé. Les six musiciens parlent leur propre langue, ils réussissent une traduction simultanée des plus élégantes. Tous ensemble ! Chapeau bas.

    Voilà... Je n’avais finalement pas grand chose à dire au sujet de ce disque, je pouvais juste vous décrire cette musique un peu comme si j’écrivais en direct le reportage d’une écoute attentive et, je l’avoue bien volontiers, sous le charme. Marguet, Huby, Moussay, Swallow, Vu et Cheek : cette dream team s’est réunie au studio La Buissonne de Pernes-lès-Fontaines au mois de septembre 2012 pour enfanter une Constellation dont les richesses sont immenses. Voilà un disque, je le sais depuis longtemps, qui sera de mes galettes de cœur. Signe qui ne trompe pas : il n’a pas quitté le sommet de la pile des disques en écoute. J’y reviens tout le temps.

    29 septembre 2013, 22h55

    Je crois que j’ai été un peu long...

  • Sentimental

    love_songs_reflexions.jpgJ’aurai l’occasion de revenir plus longuement sur le nouveau disque d’Henri Texier, Love Songs Reflexions, paru la semaine dernière chez Label Bleu. J’ai sur le feu en effet une chronique de cet album habité qu’on pourra lire prochainement sur le site de Citizen Jazz, agrémentée d’une interview que le contrebassiste m’a fait l’amitié de m’accorder. Ses propos viendront se croiser avec ma propre perception du disque et j'espère que le résultat sera à la hauteur de cette heure de musique... En attendant cette publication, voici pour vous donner envie d’en écouter beaucoup plus un court extrait de  «In A Sentimental Mood» dont il était question ici-même voici trois jours seulement.

    Sébastien Texier : saxophone alto, Manu Codjia : guitare, Christophe Marguet : batterie, Henri Texier : contrebasse

  • « Songs » d’une nuit d’été…

    shakespeare songs, guillaume de chassy, christophe marguet, andy sheppard, kristin scott-thomas, Voilà encore une réussite – et pas des moindres – à mettre au crédit d’Abalone Productions, label sur la destinée duquel veille l’éminent Régis Huby. Le violoniste n’est toutefois pas à la manœuvre musicale des Shakespeare Songs dont la paternité revient à un duo formé par le pianiste Guillaume De Chassy et le batteur Christophe Marguet. Ces deux-là travaillent ensemble depuis quelques années déjà et prennent un plaisir non dissimulé à explorer des territoires musicaux variés, qui unissent dans un même élan compositions originales, chansons françaises des années 30 ou encore musiques improvisées. Piano et batterie, autant dire une formule sonore qui les pousse à investir quand il le faut le champ des possibles de l’autre : si le premier instrument est naturellement harmonique, il peut et doit s’emparer du rythme et de la pulsation pour faire bonne mesure dans un contexte où chacun s'efforce d'occuper au mieux l’espace rendu disponible par le nombre restreint des protagonistes. On peut compter sur la main gauche de Guillaume De Chassy pour prendre une telle mission à son compte, ce qu’elle fera avec d’autant plus d’aisance que la batterie de Christophe Marguet – on le sait depuis un petit bout de temps maintenant – est elle-même une source mélodique au même titre qu’une force de frappe. A ce niveau d’interaction, un duo est, quand on s’y songe, bien plus qu’un duo. C'est un orchestre.

    Malgré cette richesse éprouvée à deux, la collaboration entre Guillaume De Chassy et Christophe Marguet a finalement abouti à une extension les conduisant à la formule du trio par l’adjonction d’Andy Sheppard, qu’on qualifiera volontiers de saxophoniste parfait, et qui brille, entre autres, au cœur de la galaxie Carla Bley depuis près de vingt ans. Son élégance naturelle, la beauté formelle du son de son instrument (soprano comme ténor), la précision de son phrasé aérien, son aptitude à écrire de passionnantes pages musicales en faisaient le compagnon idéal des histoires que le duo brûlait de raconter.

    Et puisqu’il est question d’histoires, c’est ici qu’il faut rappeler que De Chassy et Marguet, pour musiciens accomplis qu’ils soient, n’en sont pas moins hommes de cultures et, à ce titre, des lecteurs avides de sensations poétiques. L’un comme l’autre sont depuis belle lurette des adeptes de Shakespeare : aussi l’idée d’un travail puisant son inspiration dans l’univers du dramaturge de Stratford-Upon-Avon, sa poésie tourmentée et ses personnages aux destins souvent tragiques a-t-elle émergé dans leurs têtes et dans leurs cœurs. Ils n’étaient certes pas les premiers à se risquer à l'exercice, mais ils étaient certains de pouvoir faire entendre leur propre voix.

    Hamlet, Othello, Macbeth, Le conte d’hiver, La tempête, Roméo et Juliette, Le Roi Lear, Le songe d’une nuit d’été... Un sacré terreau, pour ne pas dire un terreau sacré. Qu’importe, un tel défi n’était pas de nature à rebuter ces musiciens qui surent trouver le ton juste dès les premières répétitions. Et c’est à la suite d’une première tournée qu'une autre idée se fit jour : celle de parer leur musique des textes de Shakespeare ; ou plutôt, comme Guillaume De Chassy le dit lui-même, de « la faire surgir réellement du texte ». A ce petit jeu, pouvait-on rêver d’une meilleure voix que celle de Kristin Scott-Thomas pour un disque à venir ? Pouvait-on imaginer une parole mieux portée que par la plus française des actrices britanniques, formée à l'École Nationale Supérieure des Arts et Techniques du Théâtre de Paris, et certainement l’une des plus aptes à s’emparer d’une poésie dont les accents si particuliers appartiennent désormais au passé ? On a beau continuer d’appeler l’anglais la langue de Shakespeare, il ne faut pas oublier cependant que le poète est mort il y a 400 ans exactement…

    L’actrice a enregistré les textes, les a habités avec une passion peu commune pour incarner Hermione (Conte d’Hiver), Prospero ou Caliban (La Tempête), Capulet (Roméo et Juliette), Othello, Cordelia (Le Roi Lear), Hamlet, Puck (Le Songe d’une Nuit d’Été)... En plein dans le mille ! Le trio était aussitôt subjugué par la qualité de son investissement dans le projet, son travail comblait les désirs de ses musiciens. Il ne restait plus qu’à unir cette voix et sa diction envoûtante à celles des instruments.

    Pari largement tenu, et même au-delà : Shakespeare Songs réussit l’alchimie très précieuse entre une poésie aux accents souvent terrifiants, sublimée comme on l’a compris par l’interprétation de Kristin Scott-Thomas, et la beauté formelle d’une musique (trans)portée par un trio en lévitation. Le disque s’ouvre par « Le Roi a fait battre tambour », une chanson traditionnelle du XVIIe siècle, avant de céder la place à dix compositions originales signées De Chassy ou Marguet. Cette musique, dont l’élégance native vous saute au visage, prend des formes majestueuses ; surtout, elle vous invite à partager l’intimité entre les trois protagonistes, le trio privilégiant l’expression collective pour limiter la prise de parole individuelle à l'essentiel. Il n’y a plus de leader, c’est une union sacrée au service de Sa Majesté Shakespeare. On se demande ce qu’il faut aimer le plus dans le climat instauré : son pouvoir mélodique, le lyrisme de l’interprétation, la fluidité des interactions, la tension maintenue à son plus haut niveau à chaque instant, l’équilibre assuré entre écriture et improvisation, le caractère intemporel des couleurs sonores…

    Gardons à l’esprit – je veux bien le parier – que ce disque ne prendra pas une ride dans les années à venir et qu’il pourrait bien devenir un classique, voire une référence. Shakespeare Songs est arrivé le 7 décembre 2015 : il s’est inscrit depuis ce jour dans la catégorie des disques dont on n’épuise pas les richesses à force de les écouter. La répétition ne saurait donc lui nuire. Bien au contraire, son pouvoir d’attraction ne fera que grandir de jour en jour. Il ne vous reste plus qu’à le découvrir. Il n'est jamais trop tard pour bien faire !

  • Nancy Jazz Pulsations 2011 # 2

    henri texier, nord sud quintet, nancy jazz pulsationstions

    Dans la foulée du concert de Pascal Schumacher (voir note précédente), Henri Texier et ses musiciens n’ont pas manqué leur rendez-vous avec Nancy Jazz Pulsations. Son Nord Sud Quintet (Sébastien Texier : saxophone alto et clarinette, Francesco Bearzatti : saxophone ténor et clarinette, Manu Codjia : guitare, Christophe Marguet : batterie, Henri Texier : contrebasse) a très vite embarqué le public de la Salle Poirel vers des contrées peuplées de musiques vibratoires dédiées « aux musiciens noirs », d’Afrique ou d’ailleurs. Le groupe jouera la quasi intégralité de son dernier disque, Canto Negro et fera une démonstration d’une grande efficacité : le quintet, c’est la réunion d’individualités très fortes au service d’un collectif toujours en état de rébellion. Entre ballades mélancoliques (« Tango Fangoso », « De Nada ») et charges électriques puissantes (« Mucho Calor ») confinant au hard rock, la musique d'Henri Texier est un chant universel et émouvant. A 66 ans passés, le contrebassiste à l’éternel bonnet continue de creuser le sillon de sa révolte, il est un point de repère essentiel de notre scène jazz.

    Salle Poirel - Nancy - Mercredi 5 octobre 2011

    En écoute : "Tango Fangoso" - Henri Texier Nord Sud Quintet

    podcast

    Texte préparatoire à un prochain compte-rendu complet pour Citizen Jazz.

  • On air... de printemps

    Ma récente collaboration à l'émission Jazz Time de mon camarade Gérard Jacquemin sur Radio Déclic est en ligne sur ce blog. L'enregistrement s'est déroulé mercredi dernier et la diffusion vendredi à 17 heures et samedi à 9 heures. Un treizième rendez-vous des Jazz Twins, placé cette fois sous le signe des cordes.

    Sommaire de l'émission "Il pleut des cordes"

    David REINHARDT Spiritual Project - « Deux anges »
    David REINHARDT (guitare), Antonio EL TITI (guitare), Dominique DI PIAZZA (basse), Xavier SANCHEZ (percussions), Emy DRAGOï (accordéon).
    Cristal Records 2015

    Vincent COURTOIS Quartet West - « Modalités »
    Vincent COURTOIS (violoncelle), Benjamin MOUSSAY (piano), Daniel ERDMANN (saxophone ténor), Robin FINCKER (saxophone ténor, clarinette).
    La Buissonne 2015

    Gérard MARAIS Quartet Inner Village - « Baron Noir »
    Gérard MARAIS (guitare), Henri TEXIER (contrebasse), Jérémie TERNOY (piano), Christophe MARGUET (batterie).
    Cristal Records 2015

    M&T@L - « Ant Colony »
    Maxime ZAMPIERI (batterie), Thomas PUYBASSET (saxophone), Laurent DAVID (basse).
    Alter-Nativ 2015

    Richard MANETTI Groove Story - « Bad Town »
    Richard MANETTI (guitare), Stéphane GUILLAUME (saxophones ténor et soprano), Fred D’OELSNITZ (Fender Rhodes), Jean-Marc JAFET (basse), Yoann SERRA (batterie).
    Label Bleu 2014

    Alban DARCHE Stringed L’horloge - « Polka »
    Alban DARCHE (saxophone ténor), Fred CHIFFOLEAU (contrebasse), David CHEVALLIER guitare), Marie-Violaine CADORET (violon), Marian Iacob MACIUCA (violon), Loïc MASSOT (alto), François GIRARD (violoncelle).
    Cristal Records 2015

    Paul ABIRACHED & Alain JEAN-MARIE Nightscape - « Limbo»
    Paul ABIRACHED (guitare), Alain JEAN-MARIE (piano)
    Archie Ball 2014

    Nir FELDER Golden Age - « Lover »
    Nir FELDER (guitare), Aaron PARKS (piano), Matt PENMAN (basse), Nate SMITH (batterie).
    Okeh Records 2014

    Ecouter l'émission
    podcast

  • Guillaume De Chassy : « Pour Barbara »

    guillaume de chassy, pour barbara[Carnet de notes buissonnières # 011] Le pianiste Guillaume De Chassy consacre tout un disque à la chanteuse Barbara, sobrement intitulé Pour Barbara. Voilà un musicien raffiné, dont l’univers se situe aux confins du jazz et de la musique classique. Ses collaborations avec les grands noms sont nombreuses : Paul Motian, Andy Sheppard, Enrico Rava, Lars Danielsson, Paolo Fresu, Émile Parisien par exemple, pour ce qui concerne le jazz ; Brigitte Engerer, Laurent Naouri ou Natalie Dessay, côté classique. On se souviendra aussi de son projet Shakespeare Songs, en trio avec le batteur Christophe Marguet et le saxophoniste Andy Sheppard, avec sur disque – l’un des plus beaux de l’année 2015 – le concours de Kristin Scott Thomas dans le rôle de la récitante.

    Cette fois, Guillaume De Chassy se présente seul pour rendre hommage à la « longue dame brune » disparue en novembre 1997. Comme tant d’autres, il lui vouait (et lui voue toujours) une grande admiration. Il faut savoir par ailleurs que Pour Barbara est à l’origine une commande de la Philharmonie de Paris destinée à une création en 2017, que le pianiste définit en quelques mots : « Au milieu des espaces mouvants qui sont les miens, j’ai souhaité que surgissent, de loin en loin, des mélodies reconnaissables entre toutes, comme dans une sorte de songe. J’adresse toute ma gratitude à cette inspiratrice, invisible et présente ». Le résultat est de toute beauté : Pour Barbara est un disque – on pourrait évoquer l’idée de nocturne – d’où émane une émotion toujours contenue, la sensibilité de Guillaume De Chassy s’y exprimant avec une ferveur discrète. Çà et là quelques échappées improvisées s’immiscent au cœur des mélodies, comme autant de fugues amoureuses. Ces mélodies, on en connaît l’élégance depuis longtemps. Elles sont ici servies par un jeu empreint d’une grande délicatesse, dont le pianiste ne se départit jamais. Tout est ici affaire de retenue, d’humilité et – osons le mot – de recueillement. Guillaume De Chassy a par ailleurs « glissé » trois compositions à lui, toutes appelées « Pour Barbara : Avant la nuit, Vers l’Aube, En son Jardin ». Un ultime cadeau à cette grande dame dont les mystères restent entiers, finalement. Pour Barbara.

    Guillaume De Chassy (piano).

    Label : NoMadMusic

  • 22, v’là les « Maîtres » !

    Ce n’est pas sans une certaine émotion que je vous livre le palmarès de la première cérémonie de remise des trophées qu’on appelle par ici les Maîtres. Cette soirée très privée – j’en étais à la fois le Président et l’unique spectateur – est née de mon incapacité absolue à me résoudre à l’élaboration d’une liste de mes dix albums préférés de l’année 2012. Je l’ai tenue chez moi, dans la solitude de ma perplexité, face à de cruels choix auxquels personne ne m’avait contraint. Un exercice auquel s’est déjà livré mon camarade Franpi, dont je vous invite à découvrir la sélection beaucoup plus sévère sur son blog. J’ai cru comprendre, par ailleurs, que la camarade Belette n’avait pas résisté au charme des listes...

    Mon Top Ten, comme y disent, sera un Top 22… Je dois être trop enthousiaste, certainement, et donc vite prompt à vanter les mérites d’un grand nombre de disques, au risque, peut-être, de dissoudre dans un ensemble trop vaste les qualités immenses et intrinsèques de chacun d’entre eux. Mais c’est ainsi : je me dois de partager les bonheurs que me procurent la musique et les musiciens. J’ai bien peur d’apparaître comme un béat niais, toujours prêt à imaginer que ma joie peut aussi être celle des autres. M’en fous, j’assume... Comble de malchance, je ne dispose que d’une seule vie, ce qui ne me permet pas d’écouter tout ce qui mériterait de l’être (les grands absents de ma liste sont les premières victimes de cet agenda un peu trop chargé, et croyez-moi, ils sont nombreux). Et surtout que l’on ne se méprenne pas : j’ai énormément souffert pour parvenir à cette longue liste, j’ai sous le coude un bon paquet de disques qui auraient pu, ici ou là, en pousser d’autres vers la sortie. Que leurs auteurs ne m’en tiennent pas rigueur...

    Ou peut-être que les mois qui viennent de s’écouler auront vu s’épanouir à nos oreilles des heures et des heures de musique enchantée en très grande quantité, faisant de 2012 un cru d’exception. Allez savoir…

    Je ne trouve pas de réponse à ces interrogations. Je sais aussi qu’il va s’en trouver ici ou là pour me reprocher comme l’an passé d’avoir oublié le continent américain, dont je ne méconnais pas l’importance (même si, en réalité, beaucoup de disques m’auront échappé, forcément) mais qui, finalement, n’a pas besoin de mes modestes services pour se faire connaître. N’y voyez là aucune trace d’un patriotisme de mauvais aloi, comprenez simplement que bien souvent, tout près de nous, parfois à peine un peu plus loin, c’est déjà l’abondance ! Des labels, petits ou un peu plus grands, « sans bruit », en plastique ou en « carton », parfois associés en réseaux, déploient des trésors d’imagination pour faire vivre cette Musique qui le mérite bien ! Des artistes creusent jour après jour, non sans difficultés, leur sillon pour « réaliser » leurs rêves et les partager avec nous. Je n’ai donc entrevu – ou plutôt entrécouté – qu’une infime parcelle de ce vaste terrain sur lequel tous les jeux de l’imaginaire sont possibles.

    On sera donc indulgent avec une sélection qui, finalement, n’en est pas une : elle est à prendre comme une suite de suggestions parmi lesquelles il se trouvera forcément un disque que vous aimerez. Ouvrez vos yeux, vos oreilles et votre cœur, le reste viendra naturellement… bref, gardez en vous toute la fraîcheur qui sera toujours votre alliée. L’ordre est alphabétique, parce que je ne vois aucune raison de m’astreindre à un classement...

    Alea jacta est !

    PS : in extremis, trois jours plus tard, je me suis permis d'ajouter un vingt-troisième élément que j'avais commis la grave erreur d'oublier alors qu'il a enluminé le début de l'année. Il s'agit de Soul Shelter, de Bojan Z. La mémoire a ses mystères, parfois... Ce Top 22 est en fait un Top 23 !

    Yuvai Amihai Ensemble

    cover.jpgLa musique embrasée du guitariste Yuval Amihai est portée avec ce disque à un haut niveau de chaleur. Chant, mélodie, lyrisme et tradition… C’est beau, tout simplement. Damien Fleau y rayonne au saxophone soprano. Plus

    Olivier Bogé : Imaginary Traveler

    Cover.jpgLe jeune saxophoniste a quelque chose d’un philosophe. Son premier album est en réalité une proposition – toujours mélodique et solaire – de retour sur soi. Se connaître, goûter chaque instant pour célébrer la vie. Une chance pour nous, un disque lumineux. Plus 

    Emmanuel Borghi Trio : Keys, Strings And Brushes

    keys_strings_brushes.jpgParce qu’il semble enfin lui-même, le pianiste Emmanuel Borghi frappe très juste avec un disque intime et mélodique. Sorti sur la pointe des pieds, son album mérite vraiment qu’on s’y attarde. Plus 

    Philippe Canovas : Thanks

    canovas-thanks.jpgEn toute discrétion, le guitariste Philippe Canovas offre une musique raffinée et intime. C’est peu son histoire qu’il évoque, en une vingtaine d’épisodes courts et séduisants. Plus 


    Pierre Durand : Chapter 1 NOLA Improvisations

    cover.jpgDisque presque solitaire, fruit d’un voyage initiatique à la Nouvelle Orléans entrepris par Pierre Durand dont la guitare évoque Coltrane, John Scofield et l’Afrique. Séduction immédiate. Plus 

    Electro Deluxe Big Band : Live in Paris

    E2L Live in Paris.jpgUn feu d’artifice entre soul, funk et jazz et un autre « maître », de cérémonie celui-là, en la personne du chanteur James Copley qui a fort à faire face à un Big Band furieux de douze soufflants. Ce disque devrait être remboursé par la Sécurité Sociale. Plus 

    Renaud Garcia-Fons : Solo (The Marcevol Concert)

    RGF-SOLO.jpgLe contrebassiste est un virtuose, on le sait. Mais habiter sa musique avec autant d’intensité est la marque des très grands. Ce concert en solitaire, où l’instrument ne rechigne pas à s’abandonner à quelques effets sonores, en est le témoignage vibrant et intemporel. Plus 

    Antoine Hervé PMT QuarKtet

    pmt_quarktet.jpgOn pensait qu’Antoine Hervé était un musicien sérieux. Il est bien plus que cela et son quartet, dynamité par Jean-Charles Richard, Philippe Garcia et la facétieuse acousmatique de Véronique Wilmart, nous prouve qu’il est un passionnant créateur. Magique !

    Daniel Humair New Reunion : Sweet & Sour

    sweetandsour.jpgLe batteur Helvète n’a certainement plus rien à prouver et pourtant, il rebat les cartes en s’entourant d’une jeune garde dont la liberté d’expression invente un menu musical savoureux et épicé. Plus 

    Stéphane Kerecki : Sound Architects

    sound_architects.jpgL’élégance de cet album est certainement celle du contrebassiste Stéphane Kerecki lui-même. Son trio est ici... un quintet, puisque Tony Malaby et Bojan Z sont aussi de la fête. La musique est habitée, la pulsation celle du cœur. Plus 

    Christophe Marguet Résistance Poétique : Pulsion

    cover.jpgLa générosité est la marque de fabrique de ce quintet qui brille de mille feux. Sébastien Texier (saxophone, clarinette), Mauro Gargano (contrebasse), Bruno Angelini (piano) et Jean-Charles Richard (saxophones) entourent le batteur pour un chant… irrésistible ! Plus 

    Joce Mienniel : Paris Short Stories Vol. 1

    ParisShortStories.jpgProche de Sylvain Rifflet avec lequel il pratique l’art secret de l’encodage, le flutiste Joce Mienniel n’est pas en reste avec un disque malicieux où trois trios rivalisent d’invention pour célébrer leurs amours musicales. On veut le volume 2 de ces très bonnes nouvelles ! Plus 

    ONJ : Piazzolla !

    ONJ-Piazzolla--cover.jpgDaniel Yvinec et sa bande d’artificiers s’attaquent à un nouveau monument, Astor Piazzolla. Un tour de force où l’on n’entend pas de bandonéon ni même de tango. Et pourtant, la sensualité, celle de magnifiques textures sonores, est là. Plus 

    Anne Paceo : Yôkaï

    front.jpgLa batteuse élargit son trio, faisant appel à la solidité de Stéphane Kerecki et à la jeunesse d’Antonin-Tri Hoang. Un disque qui fait affleurer une enfance africaine très chantante. Plus 


    Pierrick Pédron : Kubic’s Monk

    cover.jpgOn l’attendait plutôt avec un troisième volet de ses aventures électriques, mais voilà le saxophoniste qui déboule dans un hommage urgent et parfaitement maîtrisé à Thelonius Monk, enregistré en quelques heures. Le jazz comme il n’a jamais cessé d’être et le sera pour longtemps encore. Plus 

    Jean-Charles Richard : Traces

    cover.jpgLe saxophoniste éclate aux côtés de Christophe Marguet (Pulsion), d’Antoine Hervé (PMT QuarKtet), mais aussi en trio pour un disque dont le titre aurait tout aussi bien pu être Empreintes tant il éclabousse de sa fougue une musique en climats aussi variés qu’intenses. Plus 

    Sylvain Rifflet : Alphabet

    pochette_v2.jpgDeux disques coup sur coup au début de l’année : d’abord de passionnants Beaux-Arts, puis cet Alphabet aux sonorités singulières, hors de toutes influences. Une création à l’état pur.  Plus 

    Rusconi : Revolution

    rusconi-revolution.jpgUn trio Helvète adepte de Sonic Youth, plutôt inclassable et éclectique, qui joue la carte d’un minimalisme mélodique très attachant. Au cœur de l’album, une longue composition, “Alice In The Sky”, avec le grand Fred Frith dans le rôle de l’invité. Plus

    Jacques Schwarz-Bart : The Art Of Dreaming

    cover.jpgQuand le rêve d’un homme devient la réalité d’un artiste. Avec ce disque, le saxophoniste parvient à une forme d’épanouissement qui confine à l’enchantement. On est à la fois heureux pour lui et pour nous tous qui profitons de cette irradiation. Plus 

    Louis Sclavis Atlas Trio : Sources

    sources.jpgLe clarinettiste n’en finira donc jamais de nous surprendre. Chaque disque est pour lui une nouvelle quête, et pour nous une formidable invitation au voyage, cette fois en trio. Du grand art. Plus 

    Claude Tchamitchian : Ways Out

    cover.jpgLe contrebassiste s’électrifie pour un album fascinant en quartet, avec Régis Huby (violon), Rémi Charmasson (guitare) et Christophe Marguet (batterie). Un univers se modèle devant nous, quelque part entre jazz et musiques progressives. Les cordes s’entrelacent, la batterie chante. Plus 

    Bruno Tocanne : In A Suggestive Way

    inasuggestiveway.jpgPlus coloriste que jamais, attentif à ses compagnons comme toujours, le batteur rend un hommage sensible à son « héros » Paul Motian. On est là au cœur du processus de création, c’est l’essence du jazz. Plus 

    Bojan Z : Soul Shelter

  • Un si joli village

    Gerad_Marais.jpgVoilà un disque qui ne respecte pas la chronologie des textes que je dois écrire par ici. Je ne m’appesantirai pas sur la hauteur d’une pile dont l’équilibre est constamment menacé par une croissance rapide, pour ne pas dire exponentielle, ni même sur le sentiment de culpabilité qui me gagne à l’instant où je pense aux musiciens dont les dernières productions sont en instance d’admiration de ma part, et que je maintiens temporairement dans un silence qui aboutira – je leur fais cette promesse – à une libération de ma parole envers eux. Je suis moins ordonné qu’on ne pourrait parfois le croire : oui, c’est vrai, j’ai pour habitude de planifier mes écrits consciencieusement mais... j’aime par-dessus tout l’idée d’un enthousiasme qui emporte toutes mes bonnes résolutions sur son passage et vient bousculer un calendrier qui n’aime rien tant que d’être chahuté par la spontanéité des élans. Ainsi en va-t-il d’Inner Village, un disque publié chez Cristal Records par le guitariste Gérard Marais, qu’on est heureux de retrouver en très grande forme et, de surcroît, très bien entouré.

    Gérard Marais... Compagnon de route de Michel Portal au temps de « Splendid Yzlement » il y a plus de 40 ans. Guitariste ayant écrit de nombreuses pages de musique, écrite ou improvisée, en compagnie de Raymond Boni, Didier Levallet, Dominique Pifarely, Aldo Romano, Emmanuel Bex, Louis Sclavis, Renaud Garcia-Fons, Claude Barthélémy, Jacques Mahieux, Sylvain Kassap. Vous aurez compris qu’il est question d’un grand monsieur... J’emploierai certainement le mot lyrisme à son sujet, à plusieurs reprises : il ne faut pas s’en étonner, même si certains pensent qu’il s’agit là d’un mot fourre-tout bien commode. Ils ont tort : Gérard Marais possède la faculté de susciter l’adhésion, sans en faire plus qu’il ne faut, et ce disque en est une démonstration éclatante. C’est là, à n’en pas douter, une des forces d’un lyrisme en action... Et puis c’est bien, non, d’être un musicien lyrique ? C’est la preuve qu’on est en vie !

    Avec ce nouvel enfant musical, Gérard Marais, bientôt 70 ans au compteur, nous fait un immense plaisir. Un bonheur communiqué sans nul doute à son camarade, lui-même fringant septuagénaire, Henri Texier, contrebassiste de tous les combats qui a répondu présent à l’appel d’une formation marquée par l’euphorie, et qu’on imaginerait volontiers être l’auteur de quelques-unes des neuf compositions toutes signées par le guitariste, tant leur chaleur évoque son propre chant, celui qu’il offre tout au long de sa révolte mélodique (je pense en particulier à « Serengeti », dont le thème majestueux est une sorte de cousin de « Colonel Skopje »). Texier, lui-même compagnon de route de Marais, notamment dans le collectif Zhivaro, s’épanouit d’autant mieux dans cette connivence avec le guitariste qu’il y retrouve son complice du Strada Quartet (ou Sextet), le mélodiste des peaux Christophe Marguet qu’il m’arrive de saluer ici très souvent... parce qu’il le vaut bien ! Un sacré batteur, tout aussi rouleur de mécanique des fûts que confident aux balais, un percussionniste de la passion colorée. Voilà reconstituée une rythmique qui peut travailler les yeux fermés (ah, le groove profond de « Think Nocturne » qui va entraîner la guitare vers des rivages blues rock), parce que sa gémellité n’est pas de circonstance, elle est naturelle et marie puissance, souplesse et diversité des nuances. Ces deux-là sont en musique comme des frères... Et puis, plaisir encore à l’écoute du pianiste Jérémie Ternoy, un musicien discret originaire du nord de la France qui pourrait bien devenir un des grands de demain, je suis prêt à en faire le pari. Ternoy avait accompli un très beau Bill (Circum Disc – 2012), poétique et captivant, en compagnie de Nicolas Mahieux à la contrebasse et de Charles Duytschaever à la batterie. Il est aussi membre d’un autre trio, TOC, dont j’ai évoqué tout récemment le jusqu’au boutiste Haircut. Sans oublier sa présence au sein de Magma depuis près de trois ans, une expérience qui ne sera certainement pas sans laisser de traces chez lui, parce qu’on n’habite pas la planète Kobaïa sans en revenir un poil irradié. Pianiste protéiforme, ici dans un registre plus « classique » mais d’une grande présence mélodique, Ternoy est à la fois le contrepoint chaleureux au jeu de Gérard Marais et un soliste d’une grande justesse, dont toutes les interventions sont marquées au fer de la concision.

    L’écoute d’Inner Village confine à l’enchantement : chacune des compositions ressemble à une histoire courte qu’on découvre avec avidité, avant de plonger dans la suivante. Plonger, oui, mais sans jamais se perdre, tout simplement parce qu’on s’y sent bien, tout de suite. Beauté des thèmes, évidence souvent joyeuse de leur mélodie... Saurez-vous résister à ce « Baron Noir » qui ouvre l’album ? Et juste après, comment ne pas être gagné par la nonchalance radieuse de « Le Rouge et le Noir » ? Ou ne pas être mis en appétit par un « Latin Breakfast » bourré de vitamines ? Difficile aussi de ne pas être ému par « Inner Village » ou par l’empathique « Lonesome Queen »... On se prête vite au jeu consistant à fredonner ces neuf « chansons » qui s’installent dans notre mémoire immédiate comme de possibles standards... On vibre aux interventions solidaires et noueuses des solistes, dont on perçoit sans filtre, dans toute sa dimension intime, la joie d’être au cœur d’une fête qu’il faut savoir goûter à chaque instant. A un tel niveau d’harmonie et d'épure, le jazz ressemble à un processus d’élévation personnelle, il devient un langage naturellement universel et s’empreint d’une fièvre contagieuse. Nul besoin d’être un exégète pour se fondre dans la limpidité d’une atmosphère si épanouie et profiter de son climat bienfaisant, préservé des vicissitudes des modes. Cette musique-là n’a pas d’âge, sa vibration est intemporelle ; on l’écoutera d’autant plus longtemps qu’elle bénéficie d’une prise de son dont la qualité est à souligner. La guitare et ses nuances chatoyantes viennent vers nous en ligne directe du cœur de Gérard Marais, dont la pulsation et le lyrisme habitent chacune des 47 minutes de son Village intérieur. Tour à tour délicate de fluidité et parfois plus rageuse, mais toujours chantante, comme dans ce grandiose « Katchinas » en conclusion de l’album, où chacun des musiciens est gagné par une inspiration profonde, peut-être celle qui leur est transmise par les esprits presque homonymes des Indiens Hopis et leurs danses rituelles... Voilà qui nous rappelle un sextet formé au début des années 90 par le guitariste, avec Jean-François Canape, Michel Godard, Henri Texier, Yves Robert et Jacques Mahieux, et sur le disque éponyme duquel on pouvait déjà entendre cette composition, ainsi qu'un certain « Baron Noir »... Comme par un juste retour des choses et sous l'effet d'une circulation au plus profond de la mémoire de Gérard Marais, Inner Village s'ouvre et se ferme sur cette évocation d'un passé toujours très vivant. 

    Inner Village est un disque pour tous, un disque de chevet. Une belle page tournée dans le grand livre du jazz. On peut suggérer à Gérard Marais de ne pas s’arrêter en si bon chemin... En ce qui me concerne, je le suivrai, il peut en être certain !


    Gérard Marais Quartet : Inner Village

    Gérard Marais (guitare, compositions et arrangements), Jérémie Ternoy (piano), Henri Texier (contrebasse), Christophe Marguet (batterie).

    Cristal Records – CR 229

  • Quintessence

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    Akasha, c’est le titre du nouveau disque enregistré par le quartet du contrebassiste Yves Rousseau, publié sur le toujours juste Abalone, le label du violoniste Régis Huby, lui-même impliqué dans cette splendide réalisation en tant qu’instrumentiste. Je présente par avance mes excuses aux musicien(ne)s* que je dois évoquer ici mais qui viennent de se faire dépasser in extremis sur la ligne d’arrivée de mon blog, tant cet album trouvé voici à peine deux jours dans ma boîte aux lettres est en phase avec le besoin de trouver un remède à la pesanteur des heures que nous vivons depuis quelques jours, mais aussi avec les moments d'allégresse collective qui les ont suivies. Akasha est un disque en état de grâce, un espace de liberté préservée et, pour ce qui me concerne, une médecine douce suscitant l’envie irrépressible d’ajouter ici une nouvelle chronique, après des jours de grande sécheresse.

    Le quartet d’Yves Rousseau est né voici une quinzaine d’années et comptait jusqu’à présent deux albums à son actif (Fées et Gestes en 2000 et Sarsara en 2004) ; une association restée bien vivante depuis dix ans puisqu’on la retrouvera réunie autour de la musique de Léo Ferré et du programme Poète... Vos papiers ! Aux côtés du leader et, on l’a dit, de Régis Huby – ici pas seulement violoniste mais véritable designer sonore et metteur en espace (comme sur « L’éther », par exemple), on se réjouit de retrouver une fois encore Christophe Marguet à la batterie, un musicien qui est un peu comme chez lui sur ce blog puisque je n’ai pas manqué de le saluer à intervalles réguliers (tout récemment à l’occasion de Together, Together!, en duo avec le saxophoniste Daniel Erdmann). Le batteur (par ailleurs compositeur et instrumentiste à forte teneur mélodique) est à coup sûr heureux de s’épanouir dans une complicité de chaque instant avec un contrebassiste généreux, colonne vertébrale du quatuor, dont la force et la précision des attaques, le sens de la mélodie sont une source d’inspiration pour lui (et les autres, bien sûr), lui le musicien habitué pendant de longues années à servir la cause d’un autre (en)chanteur de la contrebasse, le grand Henri Texier, au sein du Strada Quartet (ou Sextet) et qui, parfois, est présent dans cette musique un peu comme en filigrane, par ses manières chantantes (« L'Eau - Part III »). Son solo conclusif sur « L'Air - Part I », tout en puissance retenue, est remarquable par ses couleurs et servira de rampe de lancement à un final majestueux. Et pour parfaire le chant du groupe, saluons Jean-Marc Larché, grand serviteur du saxophone et tout particulièrement du soprano, qui unit souvent sa voix à celle du violon de Régis Huby, lorsqu’il ne propulse pas son instrument dans l’espace (magnifiques envolées de l’alto dans « L'Air - Part II » et du soprano dans « Le Feu - Part II »). A son programme d’orfèvre : précision du timbre et maîtrise du phrasé.

    Saxophone, violon, contrebasse, batterie : la formule sonore n’est pas si courante et pourtant, quel naturel ! Quelle fluidité ! Cette musique coule des instants heureux, et pas seulement quand elle évoque l’eau. On comprend alors intuitivement le sens du mot Akasha : ce dernier, qui signifie éther en sanskrit, est aussi synonyme de quintessence, soit le cinquième élément, celui qui s'ajoute chez les philosophes anciens aux quatre premiers (l’eau, la terre, le feu et l’air, ceux-là mêmes qui sont célébrés dans le disque et qui donnent leurs titres aux compositions, toutes signées Yves Rousseau) ; celui qui en assure la cohésion ou la vie. On ne pourra s’empêcher de rapprocher un tel dépassement de la synergie née de la fusion de quatre autres éléments, les musiciens eux-mêmes : ceux-ci forment bien plus qu’un quatuor, ils sont une unité créative affirmant son propre langage. En un peu moins d’une heure qui paraît n’être qu’une dizaine de minutes, les musiciens dessinent une musique idiomatique tour à tour intime, symphonique et nourrie d’une énergie qui ne refuse pas de s'abandonner à une pulsion binaire. Leur fresque est tout autant héritière des compositeurs post-impressionnistes du début du XXe siècle comme Debussy que de l’esprit de liberté qui souffle sur le jazz depuis des décennies, confinant au jazz rock à certains moments (« Le Feu - Part II » ou « L'Air - Part I » sont, à cet égard, de saisissants condensés de toutes ces influences) et qui, à d’autres, n’est pas sans évoquer l’univers épuré, hors de toute géographie, de la démarche actuelle d'un Louis Sclavis (« La Terre »).

    Ne tournons pas autour du pot : Akasha est de ces disques qui vous happent ; dès ses premières mesures, on est le prisonnier volontaire de ses charmes naturels et d'une célébration contagieuse des éléments, jusque dans leur expression la plus sublimée, « L’éther ». Je résisterai pour une fois à la tentation descriptive des différents mouvements du disque, préférant souligner le travail de composition d’Yves Rousseau et son sens aigu de la dramaturgie, de la montée en tension et, à l’opposé, du flottement des textures sonores. Pour bien comprendre sa science de la construction, il vous suffira d’écouter la première partie de « L’eau » en ouverture du disque et de vous laisser prendre par un goutte à goutte entêtant qui, petit à petit, deviendra ruissellement pour finir en cascade. Un peu plus tard, dans le deuxième mouvement, on écoutera la musique comme on regarderait l'eau de pluie couler sur une vitre et y tracer un parcours poétique. La preuve, s’il en était besoin, qu’un Rousseau, savant architecte du matériau musical, peut faire les grandes rivières.

    Publié sur le label Abalone, Akasha est une nouvelle démonstration de l’exigence esthétique de Régis Huby, qui préside à ses destinées. Je ne reviendrai pas dans le détail sur chacune de ses productions, mais tout de même... Maria-Laura Baccarini (Furrow), Claude Tchamitchian (Ways Out), Christophe Marguet (Pulsion, Constellation), Denis Badault H3B (Songs No Songs), Jean-Charles Richard (Traces), Franck Vaillant (Thisisatrio, Raising Benzine), Quatuor IXI (Cixircle), If Duo (Songs)... Autant d’éblouissements qui composent un paysage féérique, une marche des élégances qu’il faut absolument (re)découvrir : Abalone, c’est une assurance-qualité, un refuge pour une musique qui n’a jamais suscité autre chose que l’enchantement. J’avais envie de le redire ici avant de conclure.

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    Mon camarade Citoyen Franpi a pour habitude de terminer chacun des articles de son blog par une photographie en expliquant qu’elle n’a rien à voir avec ce qui précède. Exceptionnellement, je vais faire un peu comme lui... sauf que mon instantané a beaucoup à voir avec le grand air de liberté qui souffle sur Akasha, disque de la cohésion revendiquée comme langue commune. On y voit la foule rassemblée hier à Nancy, comme ce fut d’ailleurs le cas dans bien d’autres villes. Pour ma part, pas de mot d’ordre, juste un mot que vous aurez deviné : liberté. N’en déplaise aux esprits aigris qui ne voyaient dans cette manifestation qu’une récupération par la sphère politique (merci de ne pas nous prendre pour des courges, nous savons ce qu’est le monde dans lequel nous vivons, mais il est des heures où il faut savoir se retrouver et puiser des forces qui, parfois, nous manquent au quotidien), je voulais être là, tout simplement, un citoyen parmi des dizaines de milliers d’autres (nous étions plus de 50.000 à Nancy). Comme s’il s’était agi d’allumer une bougie géante, sans autre calcul. Et se dire qu’il faudra rester vigilant et entretenir sa flamme. J’étais bien loin de la tête du rassemblement et, comme on peut le voir sur cette photo, bien loin de sa fin. Très impressionnant...

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    * J’évoquerai très vite ces beaux disques, comme par exemple : Daybreak du sextet de la pianiste Anne Quillier ; Un Poco Loco, trio singulier emmené par le tromboniste Fidel Fourneyron ; At The End Of The Day, de l’énigmatique et néanmoins transalpin guitariste Federico Casagrande ; Chut ! Fait du bruit, sous l’impulsion du trompettiste Fabrice Martinez ; Living Being, du grand Vincent Peirani ; ou bien encore L’ineffable, nouvelle rencontre du trio formé par Jean-Philippe Viret, Edouard Ferlet et Fabrice Moreau.

  • Grande traversée

    equal_crossing.jpgJe crois pouvoir dire que j’attendais ce disque depuis un petit bout de temps maintenant. J’entends par là qu’après l’avoir écouté une première fois – pour ne pas dire au bout de quelques minutes seulement – j’ai eu la certitude d’une rencontre comme j’en rêve souvent, mais dont la réalisation est plus ou moins probable. Car vous le savez aussi bien que moi, il y a parfois une petite différence entre rêve et réalité, malheureusement. La dernière fois qu’il m’est arrivé de faire coïncider à ce point les deux, c’était l’année dernière, lors de la publication d’Europa Berlin par l’ONJ, sous la direction d’Olivier Benoit. Ou la sensation inexplicable de me trouver face à un objet artistique qui va me nourrir pendant un très long moment. C’est une question de synchronisme, d’alignement presque parfait entre le niveau de mes questionnements et les réponses qu’un musicien peut leur apporter. C’est toute l’histoire d’un disque qui se présente comme le marqueur de l’adéquation entre un émetteur et un récepteur. Comprenez bien : je ne prétends pas ici que le nouveau disque en quartet du violoniste Régis Huby provoquera chez vous une réaction identique à la mienne. Je n’en sais absolument rien, même si je vous le souhaite, alors qu’à l’évidence vous êtes forcément différents de moi. Mais une chose est certaine : Equal Crossing, publié sur le label Abalone, à la destinée duquel veille ce musicien multidimensionnel, vient à notre rencontre à la façon d’un miroir. Lorsque je l’écoute et que je ferme les yeux, j’ai la conviction d’avoir été percé à jour et qu’on a voulu me faire un beau cadeau. Rien qu’à moi. C’est à moi qu’il parle. Et je sais que je ne suis pas seul à le vivre ainsi.

    Curieusement, j’aurais bien du mal à expliquer ce drôle de phénomène parce que ces choses-là se vivent et se ressentent plus qu’elles ne se disent. Nous sommes tous des êtres de sédimentation : j’ai beau ne pas être un officiant de la musique, mes connaissances ne s’en sont pas moins accumulées avec beaucoup de persistance depuis près de cinq décennies, sans d’ailleurs qu’aucun phénomène d’érosion ne soit à déplorer. Tout s’ajoute pour élaborer au fil du temps une drôle de construction humaine, un biotope musical qui est le patrimoine dans lequel je puise pour vibrer. C’est tout ce capital qui semble entrer en résonance directe avec Equal Crossing.

    Vous le savez, Régis Huby est un pensionnaire de l’Auberge des Musiques Buissonnières. Il a ici, en quelque sorte, son rond de serviette. Non qu’il se soit vu octroyer un quelconque privilège ou qu’il paie plus cher que les autres, mais bien parce que chacune de ses expériences est pour moi la source d’un voyage (une traversée, donc) au pays de toutes les musiques que j’aime et qu’il me semble important d’en souligner les beautés. Jetez un simple coup d’œil au catalogue d’Abalone et vous comprendrez vite pourquoi. Qu’il s’agisse d’une chronique pour Citizen Jazz (c’est ici, ici, ici, ici, ou encore ici) ou d'une digression buissonnière, et même si je ne prétends pas à l’exhaustivité, ma plume a beaucoup dérivé en hommage à son travail. Vous pourrez ainsi facilement trouver dans ces pages les stigmates scripturaux de l’enchantement qu’exerce sur moi la planète Hubyland : par exemple quand j’ai évoqué Constellation du sextet de Christophe Marguet : ou Together Together!, le duo de ce dernier avec Daniel Erdmann ; un peu plus tard, c’était Akasha, du quartet d’Yves Rousseau, dont le Wanderer Septet était mis à l’honneur un peu plus tard ; faut-il rappeler, enfin, Shakespeare Songs par le trio Marguet – De Chassy – Sheppard ? Tout récemment, le saxophoniste Laurent Dehors a publié un étourdissant Les sons de la vie, dont je n’ai pas rendu compte ici, simplement parce que je manque un peu de temps en ce moment. Alors je le cite, juste pour me faire pardonner, sachant que mon camarade Citoyen Franpi en a lui-même dit le plus grand bien. Il a bien raison, le bougre...

    Ce nouveau disque est composé de trois longs mouvements eux-mêmes construits en deux ou trois parties, dont les titres (« Faith & Doubt », « The Crossing Of Appearances » ou « Imaginary Bridges » pour vous citer trois exemples) constituent de précieuses indications sur le sens que Régis Huby a voulu donner à une union au sommet : « L’idée de traversée me plaît car elle suggère le chemin, l’action d’aller vers l’autre. Il y a donc un plan métaphorique dans tout ça, bien évidemment, à la fois sur le plan musical, mais aussi social ou culturel ». Mais tout d’abord, il est important de dire qu’Equal Crossing est un objet musical qui n’est pas simple à cerner du point de vue de sa forme. À cet égard, on doit lui reconnaître une qualité essentielle : celle de se présenter comme une traversée des styles – jazz, musique de chambre, musique improvisée, rock –, qu’il fusionne pour donner naissance à un langage qui est tout cela à la fois et en même temps autre chose, une musique organique finement ciselée, mais aussi très mouvante et ouverte à l’improvisation, dont les teintes électro-acoustiques inédites doivent autant aux choix instrumentaux qu’à la personnalité des musiciens. Les violons de Régis Huby dégagent de larges espaces sonores que vient habiter la guitare sinueuse de Marc Ducret, aux accents souvent frippiens, tantôt planante, tantôt pourvoyeuse de scansion. C’est lui qui pousse le quartet vers son esthétique la plus proche de ce qu’on nommera rock pour simplifier, un rock qui lorgnerait vers une forme progressive actualisée. On me pardonnera cette référence qui pourra sembler étrange à certains, mais il est indéniable que le plaisir éprouvé à l’écoute d’Equal Crossing m’a renvoyé à plusieurs reprises par certaines de ses aspects très ouverts à la découverte en 1973 de Larks’ Tongues In Aspic de King Crimson. Comme un écho lointain. Bruno Angelini, lui, est l’agent multiplicateur du quartet. Il superpose les couleurs en provenance de son piano, de son Fender Rhodes et de son synthétiseur analogique. Le pianiste pratique avec beaucoup de fluidité le grand écart entre classicisme et modernité. Enfin, l’autre bonne idée de ce projet est d’avoir fait appel à Michele Rabbia qui est beaucoup plus qu’un percussionniste. Il est un agenceur de sons, dont l’électronique agit comme un perturbateur tranquille de l’environnement sonore. Pas de basse ni même de contrebasse, donc : quatre musiciens placés sur un pied d’égalité – on peut ainsi comprendre le mot « equal » qui donne son titre à l’album – pour élaborer les textures, chacun ayant en charge la proposition mélodique tout autant que le modelage de la matière rythmique, dans le respect et l’écoute des trois autres. Régis Huby me le confiait lui-même, en justifiant le choix d’une citation de Claude Lévi-Strauss qui est reproduite sur le livret : « Sans cette volonté de rencontrer l’autre, de faire le chemin vers l’autre, de traversée les apparences, d’aller au-delà des différences… rien de profond ne peut naître ». On pourra rassurer le violoniste : Equal Crossing est certes une traversée, il est aussi une grande plongée vers des profondeurs de nature tout autant métaphysique que musicale. Pari réussi, donc !

    Et c’est vrai qu’il ne fait aucun doute qu’Equal Crossing est dès à présent un des disques importants de l’année 2016. Il est installé au sommet d'une pile déjà vertigineuse d'albums et bien malin qui saura l’en déloger. Pour notre plus grand bonheur, je souhaite néanmoins qu’un concurrent lui dispute la place dans les mois à venir mais il faut le prévenir : ce ne sera pas une mince affaire !

    En attendant cette possible course d'altitude, on pourra se régaler d'une petite vidéo... C’était le 4 juin 2015 à au Festival Jazzdor Strasbourg – Berlin.

  • Traces profondes

    Traces.jpgIl faut quelques secondes à peine pour se sentir happé par cette musique et ses « Poussières d’Anatolie ». C’est une conjonction de forces terriennes, comme une secousse qui fait trembler le sol sous vos pieds, qui vous prend aux tripes, par surprise, sans vous accorder le temps d’accepter ou de refuser d’en être. D’emblée, c’est une une contrebasse sous tension qui creuse un sillon profond, un saxophone baryton entêtant et l’obsession rythmique d’une guitare qui vous captent. Et comme paraissant voler au-dessus d’eux, un saxophone soprano virevolte à vous donner le tournis. Pas moyen de se défaire de l’idée que le chemin sera étourdissant même s’il promet d’être escarpé. Et voilà, surgie de nulle part, une voix de femme qui exhorte hommes, femmes et enfants – « Allez ! Ouste ! » – à avancer sur un chemin poussiéreux où le répit accordé sera rare. Où sommes-nous ? Où allons-nous ? C’est toute la question que semble poser un disque décidément habité de mille histoires de vie...

    Après le splendide Ways Out publié en 2012 sur Abalone Records, le contrebassiste Claude Tchamitchian revient avec Traces, pour évoquer l’Arménie de ses origines. Des racines qu’il n’avait jusque-là pas célébrées en tant que telles même si, comme le lui avait fait remarquer André Jaume à la fin des années 80, « dans les inflexions de ses mélodies affleuraient les traces de ses origines arméniennes ». Mais cette fois, pas d’allusion indirecte, pas de réminiscences, l’Arménie est au cœur du sujet. Le contrebassiste a choisi d’évoquer le pays de ses ascendants et plus particulièrement le génocide sous la forme d’une suite dont le point de départ est l’œuvre du romancier Krikor Beledian, et notamment son roman Seuils. Ce dernier a écrit une fresque qui retrace les destins de trois femmes à partir de photos de famille retrouvées et surgies du passé. Tchamitchian le dit lui-même, Traces se veut « un album de photographies sonores, chaque thème se présentant comme l’évocation d’un épisode de la vie de personnages imaginaires, mais aussi comme une rêverie autour de l’histoire de l’Arménie. C’est une œuvre sur la mémoire étouffée » pour laquelle Claude Tchamitchian « convoque à la fois l’esprit de Mingus et la mélancolie des vieilles compositions traditionnelles d’Anatolie ». Une musique aux frontières de la réalité et de l’imaginaire.

    Quelle chance pour celle-ci d’être exprimée comme dans un seul souffle – ou plutôt le souffle coupé, on le comprendra un peu plus loin – sous la pulsion d’un sextette en fusion, mobilisé pour une cause qui reste toujours aussi brûlante malgré tout le temps passé depuis la tragédie. Si vous ignorez encore qui est Claude Tchamitchian, vous aimerez peut-être savoir que ce contrebassiste est, entre autres faits d’armes, membre du MégaOctet d’Andy Emler (ce même Emler avec lequel il a formé le trio ÉTÉ dans lequel on retrouve aussi l’actuel batteur de l’ONJ, Eric Échampard, lui-même membre du MégaOctet, vous me suivez ?), mais aussi leader de l’ensemble Lousadzak, dans lequel évoluent une série de pointures telles que Catherine Delaunay, Fabrice Martinez, Régis Huby, Stéphan Oliva, Guillaume Roy, Rémi Charmasson, Edward Perraud et…, Géraldine Keller, chanteuse polyvalente aussi à l’aise dans la musique ancienne que dans l’interprétation d’œuvres contemporaines et qui peut évoluer dans le cadre de musiques écrites comme improvisées, et qu’on retrouve à l’affiche de ce nouveau disque. On est très heureux, aussi, de retrouver le guitariste Philippe Deschepper – que j’avais un peu perdu de vue, je dois bien l’admettre – et dont il n’est pas inutile de rappeler qu’il fut l’un des membres fondateurs du quartet d’Henri Texier au début des années 80. Et qu’il a travaillé avec de fortes personnalités comme Gérard Marais, Louis Sclavis, Michel Portal, Michel Godard ou encore Jean-Luc Capozzo.

    Disque de souffle, disions-nous un peu plus haut, et pas n’importe lequel puisqu’il trouve une incarnation particulièrement révélatrice à travers les inspirations / expirations de Daniel Erdmann aux saxophones ténor et soprano et François Corneloup aux saxophones baryton et soprano. On connaît le premier pour être membre du trio Das Kapital aux côtés du batteur Edward Perraud et du guitariste Hasse Poulsen ; le second quant à lui est l’un des compagnons de très longue date d’une route étincelante, celle d’un autre contrebassiste auquel Traces peut faire penser à certains moments par le choix des textures sonores ou par le blues qui le nourrit (écoutez « Vergine », par exemple), le grand Henri Texier.

    Et pour compléter cette équipe déjà solide, l’un des batteurs les plus riches de nuances, Christophe Marguet, qui connaît ici beaucoup de monde ! Déjà au génériquee de Ways Out, il a voici quelque temps enregistré un duo d’une grande subtilité avec... Daniel Erdmann et connaît son Henri Texier sur le bout des baguettes pour avoir été à ses côtés dans le Strada Quartet ou Sextet (dont faisait partie un certain... François Corneloup).

    J’ai hésité longuement entre rendre compte de ce disque titre par titre, proposer un jeu d’écoute commentée et... une autre solution, plus radicale, consistant à dire peu de choses. Dire simplement que Traces est vital. Parce qu’avec ce nouveau disque, Claude Tchamitchian frappe fort, à l’estomac. C’est en ce sens qu’il coupe le souffle. Mais j'ai choisi de passer par une voie intermédiaire, qu’on pourra qualifier d’impressionniste.

    La force de Traces réside dans son alliance de douleur et d’énergie que ses histoires donnent à entendre, dans leur narration dont la tension est maintenue de bout en bout par un collectif qui paraît se consumer au fil des minutes. Voilà une expédition fiévreuse au service de laquelle Géraldine Keller prête une voix tour à tour chant, cri, confidence et scansion, elle paraît danser sur une corde instable et prendre le risque du déséquilibre (« Antika »). Elle contribue pour beaucoup à instiller à ce disque une part de folie qui serait aussi celle de la survie. Traces est à vivre comme une épopée de poussière et de lumière, émaillée d’une série de morceaux de bravoure qu’on ne citera pas tous mais parmi lesquels on retiendra un phénoménal combat engagé par François Corneloup et Christophe Marguet au cœur d’une majestueuse composition intitulée « Lumière de l’Euphrate », dont les treize minutes sont sans nul doute le sommet de l’album. Après l’exposition du thème déclamé par Géraldine Keller, saxophone baryton et batterie s’élèvent très haut, très haut, jusqu’au cri. On pense au vertige Coltranien et à son incandescence, à son mysticisme exacerbé. Corneloup va chercher son dernier souffle, jusqu’à l’épuisement. Comme un animal blessé qui finit par se coucher sur le flanc... avant de se relever, aidé par une contrebasse jouée à l’archet qui vient unir sa voix à la sienne. C’est un très grand moment de musique qui vient de se jouer là. Un peu plus loin, on retrouve Philippe Deschepper en pleine lumière pour nous rappeler, s’il en était vraiment besoin, quel guitariste rageur il sait être. Le protéiforme Daniel Erdmann, quant à lui, est puissant et droit comme un i au ténor, pour devenir solaire et libre comme un oiseau au saxophone soprano.

    Traces est un disque haletant, qui donne moins envie de parler musique que d’accomplissement. C’est une œuvre du bouillonnement, un manifeste. Il est sorti le 13 avril sur le label Émouvance dont le fondateur n’est autre que Claude Tchamitchian lui-même. Les clichés ont la vie dure, tant il est tr èscommode d’employer l’expression de « colonne vertébrale » lorsqu’on évoque le travail d’un contrebassiste. On me pardonnera donc de recourir à cette facilité, non sans avoir rappelé à quel point son lyrisme puissant trouve dans Traces un des plus beaux exutoires et combien l’empreinte de ce disque est profonde au bout de quelques écoutes seulement.

  • Deuxième cérémonie de remise des « Coups de Maître »

    Eh oui, le temps passe très vite, les disques n'en finissent pas de pleuvoir au point qu'un rapide calcul suscite mon effarement : depuis un an, j'ai dû “découvrir” environ 150 albums. C'est peu, juste une goutte dans l'océan de la musique, par comparaison au volume de la production mondiale, tous genres confondus ; mais c'est énorme si, comme moi, vous disposez d'environ 365 jours chaque année (parfois 366, je l'admets) pour consacrer un peu de temps à vos passions. Sachant que bon nombre de ces nouveaux arrivants misicaux nécessitent plusieurs écoutes, sachant aussi que leurs prédécesseurs méritent de revenir au front (et parfois, croyez-moi, ils reviennent de très loin et s'accrochent à vos basques en vous suppliant de ne pas les oublier), vous comprendrez aisément que la tâche n'est pas si facile. Passionnante, source de plaisirs multiples mais, tout de même, un sacré boulot ! Quant à l'idée saugrenue consistant à extirper dix élus de cette abondante récolte, on peut la considérer d'un œil amusé, se dire que l'exercice est vain, penser aussi qu'il sera forcément injuste (c'est vrai). Mais ce choix est une façon de revenir en arrière, de se souvenir des émotions les plus fortes et des élans singuliers que certains disques ont suscités. Et d'avoir une pensée pour les oubliés, dont beaucoup nous ont offert des instants singuliers.

    Alors voilà pour l'année 2013 : dix albums, tous très beaux, choisis parmi un grand ensemble dont bien des éléments auraient très pu aisément franchir la barrière de mes « Coups de Maître ». Tiens par exemple, prenez Slim Fat de l'Imperial Quartet... eh bien, il serait volontiers entré dans ma confrérie du moment, rien que pour sa dégaine sonore pas comme les autres et son déluge saxophonique...  Pareil pour Le Rêve de Nietzsche de Jean-Rémy Guédon et son Archimusic, quand jazz et hip hop s’acoquinent avec la philosophie... Et je ne vous parle même pas des Passagers du Delta, du Trio ALP, si beau, en deux temps, dans son livre élégant.

    Et puis, on va encore me dire que la coloration de ma sélection est très hexagonale ! J'assume ces choix, ce qui ne signifie pas pour autant que j'ignore la musique qui a vu le jour ailleurs, Outre-Atlantique notamment. Mais je connais plein d'amis qui parlent très bien, beaucoup mieux que moi, de musique et dont les écrits sont toujours passionnants : Jean-Jacques Birgé, Franpi Sunship, Mozaïc Jazz, Les Dernières Nouvelles du Jazz, Belette Jazz, Ptilou's Blog, JazzOCentre, Jazzques, Les Allumés du Jazz, et quelques autres que vous n'aurez aucun mal à dénicher. Vous pouvez prendre le risque d'aller faire un petit tour chez eux : dans le pire des cas, ils vous donneront envie de vibrer encore plus fort avec leurs choix ; dans le meilleur, ils finiront pas vous convaincre que – comme nous tous – il vous faudra vivre d'autres vies pour étancher votre soif de musique !

    Ma petite sélection sans prétention apparaît dans l'ordre chronologique de l'arrivée des disques dans ma boîte aux lettres. Il m'est arrivé d'écrire à leur sujet, n'hésitez pas à cliquer sur les repères... pour en savoir [+] !

    Festen
    Family Tree

    festen, samuel blaser, remi gaudillat, christophe marguet, alban darche, art sonic, gordiani desprez scarpa, olibier bogé, dominique pifarely, pan-GDeuxième volet des aventures de cette jeune quarte qui allie la science du jazz à l’énergie du rock. Damien Fleau (saxophone), Maxime Fleau (batterie), Jean Kapsa (piano) et Oliver Degabriele (contrebasse) écrivent une musique dense, nerveuse et habitée. Ils savent aussi atteindre l’épure, privilège des grands, leur « Grandfather’s Bed » en est une preuve. On est heureux de se sentir un peu comme membre de cette belle famille au sein de laquelle circule une énergie très contagieuse. [+]

    Samuel Blaser
    As The Sea

    festen, samuel blaser, remi gaudillat, christophe marguet, alban darche, art sonic, gordiani desprez scarpa, olibier bogé, dominique pifarely, pan-GEncore une très belle année pour le tromboniste ! Hyperactif, notre Helvète préféré a notamment doublé la mise avec deux albums qui séduisent par la somme d’imagination et de liberté qu’ils respirent. Tout récemment, Mirror To Machaut offrait une relecture limpide de la musique de deux Guillaume du Moyen-Âge : de Machaut et Dufay. Mais avec As The Sea, Blaser avait sculpté quelques mois plus tôt la matière sonore d’un univers mouvant et jamais fini, en compagnie de ses amis Marc Ducret, Gerald Cleaver et Bänz Oester. Un disque énigmatique et passionnant de bout en bout.  [+]

    Rémi Gaudillat
    Le chant des possibles

    festen, samuel blaser, remi gaudillat, christophe marguet, alban darche, art sonic, gordiani desprez scarpa, olibier bogé, dominique pifarely, pan-GLe souffle cuivré d’un quatuor libre et onirique : celui de Rémi Gaudillat et Fred Roudet (trompette, bugle), Loïc Bachevillier (trombone), Laurent Vichard (clarinette basse). Quatre musiciens qui savent demander à leurs instruments de dépasser leur rôle de respirateurs naturels et leur donner le muscle de la pulsation. Leur musique entre ombre et lumière exhale un parfum impressionniste des plus séduisants, elle est une porte grande ouverte sur un imaginaire poétique dans lequel on plonge sans réserve. [+]

    Stéphane Chausse & Bertrand Lajudie
    Kinematics

    festen,samuel blaser,remi gaudillat,christophe marguet,alban darche,art sonic,gordiani desprez scarpa,olibier bogé,dominique pifarely,pan-gQuand deux amis décident de se donner les moyens et le temps de faire aboutir un vieux rêve : jouer une musique dont chaque détail compte, par un travail d’orfèvre appliqué à une matière sonore qui fait l’objet d’un soin maniaque. Leur jazz funk bienvenu est habité d’un gros son, il est interprété par une ribambelle d’amis dont certains ne sont pas les derniers venus, comme Marcus Miller. Un disque de plaisir total, qu’on écoute avec gourmandise en se disant qu’une production aussi aboutie est tout de même rare de nos jours. Chouette cadeau ! [+]

    Christophe Marguet Sextet
    Constellation

    festen, samuel blaser, remi gaudillat, christophe marguet, alban darche, art sonic, gordiani desprez scarpa, olibier bogé, dominique pifarely, pan-GUn récidivisite, déjà haut placé en 2012, j'espère ne pas l'assommer avec mes coups de mâitre à répétition... Cette fois, le batteur joue la carte d’une dream team aux couleurs chatoyantes et forme un orchestre dont les richesses n’en finissent pas de se dévoiler au fil des écoutes. Constellation est de ces disques dont on peut dire sans se tromper qu’ils sont empreints de magie. Normal, Christophe Marguet s’est entouré de magiciens : Régis Huby (violon), Steve Swallow (basse), Benjamin Moussay (claviers), Chris Cheek (saxophone) et Cuong Vu (trompette). Du grand art. [+]

    Gordiani, Desprez, Scarpa
    21

    festen, samuel blaser, remi gaudillat, christophe marguet, alban darche, art sonic, gordiani desprez scarpa, olibier bogé, dominique pifarely, pan-GLa formule est d’une apparente simplicité. 21 signifie ici 2+1, et plus exactement deux guitares et une batterie. Une combinaison originale et très électrique. Il y a ici tout ce qu’on aime (enfin, quand je dis on, je parle de moi, mais je sais que je ne suis pas seul à penser ainsi) : l’énergie, l’imprévu, le mystère, la fougue, les élans... En quarante minutes, Philippe Gordiani, Julien Desprez et Emmanuel Scarpa mettent les doigts dans la prise de courant de leur imaginaire et zèbrent de leurs éclairs notre ciel qui ne demande pas mieux qu’on lui fasse ainsi frissonner les étoiles. Coup de cœur et de foudre garantis à tous les amoureux des escapades un peu folles ! [+]

    Ensemble Art Sonic
    Cinque Terre

    festen, samuel blaser, remi gaudillat, christophe marguet, alban darche, art sonic, gordiani desprez scarpa, olibier bogé, dominique pifarely, pan-GDécidément, Sylvain Rifflet (clarinette, saxophone) et Joce Mienniel (flûte) sont au sommet de leur art. En 2012, ils figuraient déjà en très bonne place dans ce palmarès. Avec l’Ensemble Art Sonic, ils inventent un univers géographique et sublimé, une musique de chambre du XXIème siècle. A leurs côtés, Cédric Chatelain (hautbois, cor anglais), Baptiste Germser (cor) et Sophie Bernardo (basson) sont les pièces vitales d’un quintette à vents irrésistible. Mine de rien, on assiste avec ce très beau disque à la naissance d'une musique qui n'en est qu'à ses premiers frémissements, en attendant la suite, qui nous comblera. [+]

    Olivier Bogé
    The World Begins Today

    festen, samuel blaser, remi gaudillat, christophe marguet, alban darche, art sonic, gordiani desprez scarpa, olibier bogé, dominique pifarely, pan-GQue la lumière soit ! Après nous avoir raconté l'histoire d'un voyageur imaginaire, le saxophoniste prouve avec son second disque qu’il est bien plus qu’un jeune musicien talentueux : il est aussi un humain conscient, en quête d’un chant solaire qui irradie sa musique de la première à la dernière note. Il est entouré d’amis de renom : Tigran Hamasyan, Jeff Ballard, Sam Minaie. Ces derniers savent mettre leur art, avec humilité, au service d’une inspiration/respiration commune qui s'épanouit sur des compositions d'une grande limpidité. Bogé partage, partageons sa musique... [+]

    Dominique Pifarély / Ensemble Dédales
    Time Geography

    festen, samuel blaser, remi gaudillat, christophe marguet, alban darche, art sonic, gordiani desprez scarpa, olibier bogé, dominique pifarely, pan-GAussitôt arrivé, déjà au sommet de la pile ! Neuf musiciens haut de gamme composent l’Ensemble Dédales dirigé par le passionnant violoniste Dominique Pifarély : Guillaume Roy (alto), Hélène Labarrière (contrebasse), Vincent Boisseau (clarinettes), François Corneloup (saxophone baryton), Pascal Gauchet (trompette, bugle), Christiane Bopp (trombone), Julien Padovani (piano), Eric Groleau (batterie), tous au service d’une musique à la fois savante et nourrie d’une pulsion hypnotique, libre et engagée dans l'invention de nouveaux paysages entre jazz et musique de chambre contemporaine. Time Geography est un disque aux variations subtiles, dont les richesses se dévoilent au fil des écoutes. 

    Alban Darche
    My Xmas traX

    festen, samuel blaser, remi gaudillat, christophe marguet, alban darche, art sonic, gordiani desprez scarpa, olibier bogé, dominique pifarely, pan-GC’est d’une certaine manière le label Pépin et Plume d’Alban Darche qui est ici récompensé. Sa première référence, L’Orphicube, manifestait un fort pouvoir de séduction. Mais en fin d’année, le saxophoniste glissait au pied du sapin un second disque, une boîte de Noël un peu magique, pleine à craquer de chants tels que tous les enfants que nous sommes rêvent d’écouter le soir de la veillée. Un disque durable et enchanté, au plaisir augmenté par la lecture d'un conte signé Franpi Barriaux. Quoi, on n'a plus le droit de dire du bien des copains ? [+]

    Alban Darche, pour ses deux albums pépinoplumesques, mais aussi parce que les mois qui viennent de s’écouler nous auront valu de sa part d’autres disques ô combien précieux, reçoit à l’unanimité de mon jury (dont je suis le seul membre, je le précise par honnêteté, et je ne vous cacherai pas qu'il m'arrive fréquemment de ne pas être d'accord, ce qui complique beaucoup les choses, parfois) le Maître d’Honneur 2013 : Cube, Gros Cube ou Orphicube, tout est bon chez le saxophoniste ! Ce ne sont pas les camarades Citoyens Julien ou Franpi (encore lui...) qui me démentiront...

  • Décoiffant

    TOC_Haircut.jpg

    On peut dire que l’acronyme – formé par les initiales des noms de chacun des musiciens – correspond parfaitement aux obsessions qui semble hanter les cerveaux des trois membres de TOC (pour Ternoy, Orins, Cruz). Leur coupe de cheveux a de faux airs d’un ébouriffage en bonne et due forme. Haircut est en effet le nom de leur troisième disque après Le gorille (2009) et You Can Dance If You Want (2012). Pas impossible non plus qu’elle n’en défrise quelques-uns, mais après tout, faut-il vraiment plaire à tout le monde ?

    Peter Orins (batterie), Yvann Cruz (guitare), Jérémie Ternoy (Fender Rhodes). Il y a quelques mois, j’avais évoqué ici même 12, le disque du Circum Grand Orchestra, dont les deux premiers cités sont membres : CGO, une aventure collective de toute beauté. Orins, rappelons-le, est un musicien très actif basé à Lille, dont le trio a aussi publié il y a quelque temps un splendide Liv et qu’on retrouve aussi au cœur du Quartet Base et son récent Diapason qui mérite une oreille attentive. Cruz, de son côté, fait partie des expérimentateurs, de ceux qui ne peuvent se contenter de laisser fructifier leurs obligations musicales en bon père de famille. Le risque est toujours présent dans leur portefeuille d’actions sonores. Quant à Jérémie Ternoy, encore un nordiste, auteur d’un beau Bill en trio, pianiste de Magma, il est aussi – et j’en reparlerai en évoquant Inner Village qui sortira prochainement – membre du quartet de Gérard Marais, qui le voit évoluer aux côtés de deux autres grands messieurs que sont Henri Texier et Christophe Marguet.

    Trois cartes d’identités qui peuvent laisser supposer que leur association a bien peu de chances d’engendrer la banalité. C’est le moins qu’on puisse dire...

    Au départ, on ne se méfie pas trop. Une batterie discrète lance de lointains appels – il faut presque tendre l’oreille – à peine infiltrés par les sonorités d’un clavier et d’une guitare, dont il n’est pas aisé de démêler les fils entrecroisés. Rien dans cette introduction ne paraît devoir annoncer les minutes qui vont suivre. Lancinantes. Hypnotiques. Etouffantes. Il n’est pas question de notes, encore moins de mélodie, mais bien d’une pulsation, sourde et obsédante, qui va petit à petit envahir l’espace et ne plus vous lâcher. Les sons, saturés et électriques, de la guitare et du Fender Rhodes, imperceptiblement, tracent leurs propres chemins, au rythme d’un « tambour » aux allures machiniques. TOC vient de vous serrer dans ses griffes et vous aurez bien du mal à vous en dégager. Il lui aura fallu près de 7 minutes pour vous désigner comme sa proie et vous entraîner dans un voyage sans retour possible. Reste-t-il des humains dans cette lande aride au sol brûlé, baignée d’une lumière crue, celle qui vous fait cligner des yeux ? Pas sûr...

    Haircut est un disque radical, au sens le plus littéral du mot. Comme si le trio en action mettait en œuvre tous les moyens dont il dispose pour gagner un combat contre un ennemi qu’on ne voit jamais. A certains moments, on peut penser à une autre quête d’absolu, celle – ancestrale et trouble – de Christian Vander et son Theusz Hamtaahk, au moins pour sa dimension hypnotique. Mais ici en plus ramassé encore, dans un seul souffle rauque, dans un seul cri de métal. On peut imaginer que cette similitude des deux dramaturgies n’a pas échappé à Jérémie Ternoy, actuel pianiste de Magma, et qui a pu toucher du doigt la force des énergies qui peuplent les mondes du batteur aux yeux hallucinés. TOC, dans son extrémisme électrique, se rapproche aussi parfois des recherches menées par un musicien tel que Richard Pinhas et ses sources frippiennes depuis plusieurs décennies. Cette musique dépasse le temps, elle vise au paroxysme, parce qu’il est plus dangereux, semble-t-il, de s’arrêter en chemin que de poursuivre une route, certes dangereuse, mais promesse d’un ailleurs à découvrir, quelles qu’en soient les irradiations collatérales. En deux mouvements de 23 minutes, « Halp Updo » et « Updo », Jérémie Ternoy, Ivann Cruz et Peter Orins installent un climat définitif qui pourrait être celui d’après la grande explosion.

    En relisant ces phrases, j’imagine que le lecteur pourra s’inquiéter de ce qu’il va découvrir en écoutant le trio. Il n’y trouvera pas le repos, c’est plus honnête de l’annoncer d’emblée. Il saura avant tout qu’à l’heure d’un affadissement global programmé par les algorithmes de nos commerçants virtuels, fers de lance des insatiables oligarchies, on peut encore trouver des combattants qui refusent de se résigner. Il pourra même accepter de suivre cette route tracée à grands coups de serpe, à la condition de s’y préparer avec méthode – tel le marathonien qui additionne les entraînements avant de se dire prêt à la compétition – et d’accepter l'idée d'un échec possible.

    Haircut est une petite folie sonore qui nous rappelle à l’ordre : puisque nous sommes tous menacés d’un trop plein de tiédeur, il est temps de se livrer, parfois, à des excès, salvateurs ceux-là, de température. Pour ne pas courir le risque de vivre dans un sommeil debout.

    TOC Haircut
    Jérémie TERNOY : Fender Rhodes, Rhodes bass ; Yvann CRUZ : guitare ; Peter ORINS : batterie
    CIRCUM-DISC CIDI1404

  • Corps à cordes...

    helene labarriere, hasse poulsen, hasse poulsen, innacorJ’aime beaucoup le portrait d’Hélène Labarrière que brosse le tromboniste Yves Robert : « Contrebassiste rousse aux collaborations musicales aventureuses. Une grande musicienne créative à l’affût de vocabulaires nouveaux ». On ne saurait mieux résumer la personnalité d’une artiste tout autant amoureuse des mélodies de toutes époques que des territoires musicaux restant à explorer, seule ou bien accompagnée. Qu’elle joue en solo, l’occasion pour elle de revisiter entre autres le répertoire de la chanson française ; en duo avec Violaine Schwartz (actrice, romancière et chanteuse) pour célébrer ce qu’on appelle la chanson réaliste du début du XXe siècle ; qu’elle scrute dans l’ensemble Dédales de Dominique Pifarély la belle géographie du temps du violoniste (je fais ici allusion au disque Time Geography, qui est une spendeur) ; qu’elle se produise en trio avec François Corneloup au saxophone baryton et Simon Goubert à la batterie, ou dans son propre Désordre avec, outre Corneloup, Christophe Marguet à la batterie et Hasse Poulsen à la guitare... Hélène Labarrière est un chant à elle-seule. Alors nul ne sera surpris de la retrouver en duo avec le même Hasse Poulsen pour Busking, un disque parmi les plus attachants de ce début d’année 2016 et qui voit le jour sur le label breton Innacor.

    Poulsen, je vous en ai longuement parlé il y a quelques semaines. Non content d’être l’une des pierres angulaires du trio Das Kapital et du Langston Project dont le blues fait revivre les textes de Langston Hugues, non content d’être de la caste des explorateurs sans limites stylistiques comme en témoigne Open Fist, son disque brûlot en duo avec le batteur Tom Rainey, le guitariste danois se double d’un magnifique songwriter inspiré entre autres par Bob Dylan, Leonard Cohen ou Tom Waits. Ce qu’avait démontré The Man They Call Ass... Until Everything Is Sold, l’un des disques surprises de l’automne 2014, qu’il est encore temps de découvrir si vous avez accompli l'exploit de l'ignorer.

    Dans ces conditions, on comprend aisément la connexion s'établissant naturellement avec Hélène Labarrière : ces deux-là ont la mélodie chevillée aux cordes, ils aiment la chanson d’un même amour serein et ne rechignent pas à emprunter les chemins buissonniers dès que l’occasion se présente. Chez l’un comme chez l’autre, il est bien question de chant et, plus encore, de chansons.

    En Anglais, « to busk » signifie chanter et jouer de la musique dans la rue pour gagner de l’argent. En d’autres termes, faire la manche. Et c’est vrai qu’à l’écoute de Busking, on imagine volontiers le duo installé au coin de la rue ou dans un couloir du métro et faire feu de tout bois mélodique – ou plutôt faire cordes de toute voix. Les inspirations sont multiples, à l’image du public varié qui passerait devant les deux chanteurs de rue, et pourraient en étonner plus d’un : si Bob Dylan (« Farewell ») et Leonard Cohen (Take This Waltz »), cités un peu plus haut comme références majeures, sont en bonne place, ils côtoient les Beatles (« Lucy In The Sky With Diamonds »), Alanis Morissette (« Hand In My Pocket »), la Canadienne Feist (« Let It Die ») ou Paul Williams (« Special To Me »). Sans oublier Sebastian, un folk singer danois (« Stjerne Til Stov ») mais aussi, plus inattendus ceux-là, Stromae (« Formidable ») et Michel Berger (« Les uns contre les autres »). Un répertoire ouvert, sans le moindre a priori, pour le plaisir simple de la mélodie qu'on aime fredonner et qui respire la liberté.

    Il émane de Busking un sentiment de bien-être qui tient à une poésie de l’intime que le guitariste et la contrebassiste élaborent avec une humanité très contagieuse. Oui, c’est vrai : quelques secondes suffisent à instaurer un climat de paix. Une guitare, une contrebasse, deux âmes. Les cordes mêlées, comme entrecroisées, ne cessent de susciter l’enchantement, par leur aptitude à monter et descendre la gamme des émotions. J’emploie le mot « enchantement » à dessein car il porte en son cœur un autre mot, le chant, qui est le langage vernaculaire de ce dialogue habité d’une infinie douceur. Et tant pis si je me répète... La guitare de Poulsen, le plus souvent acoustique mais toujours complice, a des reflets scintillants. Ses éclats de lumière sont le contrepoint aux formes plus terriennes que sculpte la contrebasse et qui culminent lors de prises de parole d’une netteté absolument exemplaire. Hélène Labbarrière est magistrale, écoutez-là par exemple raconter son histoire sur un « Formidable » rendu méconnaissable à force d’imagination. Parfois, le duo s’échappe de la mélodie pour tisser une toile impressionniste, dont les frontières aux contours plus flous ouvrent des espaces incertains (« Lucy In Th Sky WIth Diamonds »). Comme dans un rêve...

    Aucun mot n’est prononcé pendant que coule paisiblement la musique de Busking. Seuls les deux instruments parlent, et de quelle manière ! Pourtant, au fil des chansons défilent des souvenirs, qui seraient ceux de nos propres histoires venant croiser celles que racontent les chansons. L'union musicale d'Hélène Labarrière et Hasse Poulsen semble traduire le besoin d'amitié et la nécessité d’une vie plus solidaire, loin des indifférences de nos vies matérielles. C’est peut-être ce qu’il faut comprendre de ce corps à cordes et ses attentions réciproques.

    Ah, une dernière chose... Je m’autorise à vous conseiller d’acheter Busking en le commandant directement sur le site du label Innacor. Non seulement vous éviterez de passer par des intermédiaires trop souvent parasites et votre argent ira directement dans les poches de ceux qui le méritent. Et puis, cerise sur le gâteau, quand vous ouvrirez l’enveloppe contenant le précieux disque, vous aurez peut-être l’agréable surprise de lire sur votre facture une mention manuscrite vous souhaitant une bonne écoute. C’est précieux, non ?

  • Grammaire londonienne

    london_grammar_if_you_wait.jpgDeux mois de silence ou presque. Normal, en été, j’ai tendance à hiberner et le réveil est plutôt dur, vous pouvez m’en croire. Pourtant ce ne sont pas les idées de chroniques qui me manquent, mais juste le stimulus qui me fera reprendre le clavier. Oui, il y a de bien beaux disques dont j’ai envie de parler ici et dont je parlerai, c’est sûr. Je peux vous donner quelques exemples : Together Together, le très beau duo enregistré par le batteur Christophe Marguet et le saxophoniste Daniel Erdmann ; Sunbathing Underwater, une nouvelle proposition tout aussi improvisée qu’enluminée de mon camarade Henri Roger, en piano solo cette fois ; Silk And Salt Melodies, nouveau chapitre du grand roman musical de Louis Sclavis, plus en forme que jamais et qui étend son Atlas Trio à un quartet avec l’adjonction d’un percussionniste ; Source, très belle réalisation du trio franco-germano-brésilien Dreisam installé à Lyon ; ou encore le disque de Bounce Trio, une formation réjouissante emmenée par le pianiste organiste Mathieu Marthouret. Il faudrait aussi que j’évoque le double CD Offering, exhumation enfin complète du concert donné par John Coltrane et sa fine équipe le 11 novembre 1966. Sans oublier Celebrating The Dark Side Of The Moon, disque à venir que le guitariste Nguyên Lê a enregistré avec le NDR Big Band, en hommage à l'album culte de Pink Floyd (le guitariste m'ayant fait l'honneur de me demander d'écrire les notes de pochette de l'album, ce dont je le remercie infiniment). J’arrête là cette première liste qui vous donnera une idée approximative de la tonalité des textes à venir.

    En 2014-2015, musique, musique et rien d’autre. La marche du monde est tellement sinistre qu’elle me retire les mots de la bouche dès lors qu’il s’agit d’évoquer un autre sujet que celui de la musique.

    Et puis, bien sûr, à intervalles réguliers, je soumettrai quelques chroniques à la rédaction de Citizen Jazz, magazine auquel je continue de contribuer avec le plus grand plaisir. Sans oublier mon rendez-vous mensuel en co-animation de Jazz Time, l’émission de mon camarade Gérard Jacquemin sur Radio Déclic. Notre prochain rendez-vous est fixé au 17 septembre pour une diffusion le 19 et le 20, avant sa mise à disposition en podcast sur le site de la radio.

    Pour l’heure – vous noterez ainsi qu’il peut m’arriver de n’être point extatique devant un disque et de le faire savoir, on aura tout vu – j’avais envie de relater ici une expérience à la fois musicale et estivale. Imaginez que, pris d’une subite envie de découvrir une formation dont j’entendais ça et là dire le plus grand bien, je me suis penché sur le cas de If You Wait, premier album de London Grammar, trio anglais formé par la chanteuse Hannah Reid et le guitariste Dan Rothman avant d’être rejoints par le multi-instrumentiste Dot Major. Il n’est jamais inutile de prêter une oreille aux mouvements musicaux dans l’air du temps, surtout lorsqu’ils proviennent de Grande Bretagne, d’où une bonne surprise n’est jamais à exclure nonobstant l’affichage d’un réel conformisme depuis pas mal d’années.

    Mon bilan est plutôt mitigé, je l’avoue, malgré de bien beaux arguments sur le papier. Hannah Reid écrit des chansons dont les thèmes, souvent sombres et mélancoliques, sont en prise directe avec le malaise de nos sociétés contemporaines, ses mélodies sont le plus souvent prenantes. Elle est, de plus, une chanteuse vraiment habitée dont la voix envoûtante capte l’attention. Mais, parce qu’il y a un mais, quelque chose freine mon enthousiasme a priori. Il y a d’abord cette production, volontairement minimaliste, qui endosse les habits d’un trip hop un peu glacé et, il faut bien le dire, qui semble déjà démodé (à titre personnel, il y a dans cette esthétique quelque chose qui me renvoie aux errances sonores des années 80, voire 90). Pas mal d’effets de réverbération faciles, une batterie (électronique) sans âme et des claviers souvent dispensables parce que dépourvus de toute cette nervosité noueuse qui fait l’âme d’une musique. On en vient à être étonné par le contraste entre ce parti pris de distance instrumentale et la volonté affichée d’attirer celui ou celle qui écoute par un chant aux allures de lamento dramatique. Et justement, c’est peut-être aussi là que le bât blesse. Au bout de trois ou quatre titres (l’album complet en compte dix-sept), on commence à s’ennuyer un tantinet : Hannah Reid tire un peu trop à mon goût sur la corde du pathos et de l’emphase, tout cela finit même par en devenir gênant. Un peu comme si on se retrouvait malgré soi plongé au cœur d’un drame personnel ou d'une affaire de famille, sans pouvoir y faire quoi que ce soit. Certes, quelques compositions ont fière allure (« Wasting My Young years », « Darling Are You Gonna Leave Me »), mais l’ensemble suscite une lassitude qui gagne vite. On a envie de dire : « Arrête un peu de chouiner, tape du poing si tu veux, mais là… ça devient pénible ! » Surtout, une évolution radicale de l’environnement instrumental pourrait donner envie de vibrer réellement à If You Wait.

    Qui n’est pas un mauvais album, loin de là, mais juste selon moi une promesse mal tenue en raison de concessions à une vision de la musique qui semble peu ambitieuse au regard des signaux sociétaux que les chansons émettent. Un trop grand écart entre contenu et contenant.

    Bon, j’arrête. C’est la dernière fois (avant la prochaine peut-être) que je ne dis pas que du bien d’un disque. J’avais juste besoin de m’échauffer pour commencer l’année !

  • Les rêveries du voyageur Rousseau

    yves rousseau, wanderer septet, franz schubertIl est des disques qui n’appartiennent qu’à eux-mêmes. Ce sont des inclassables, fruits d’un travail d’une sincérité sans faille et d’une telle évidence dans leur réalisation qu’on ne ressent pas le besoin de les affilier à une quelconque école ou de les ranger dans une boîte prédéfinie, certes commode mais qui, de toutes façons, sera trop exiguë pour eux. On doit les prendre tels qu’ils sont, sans restriction, et avec tout le respect qui leur est dû. Wanderer Septet, né de l’imagination fertile du contrebassiste Yves Rousseau, dont le récent Akasha en quartet était déjà de toute beauté, est de ceux-là, assurément. Et je vois qu’en mélomanes avertis, vous n’avez pas manqué de vous souvenir qu’il y a bientôt trois siècles (en octobre 1816 plus précisément), un certain Franz Schubert composait un lied appelé Der Wanderer (Le Voyageur).  Ne cherchez plus, vous y êtes !

    C’est bien le compositeur autrichien qui est la source d’inspiration de ce projet pour lequel Yves Rousseau a réuni une fine équipe de musiciens accomplis, accoutumés à l’idée que si la musique est une, elle est aussi multiple. Appelons-les des musiciens sans frontières, humbles serviteurs de bien des partitions et prompts à improviser s’il le faut. On trouve dans le septet formé par Yves Rousseau deux membres de son quartet, dont on avait apprécié les immenses qualités : Jean-Marc Larché , saxophoniste d’une grande sensibilité et celui auquel il me faudra un jour consacrer un texte, tant sa contribution à la création musicale en France me semble déterminante : le violoniste Régis Huby, sur le label duquel ce nouveau disque est publié. Je l’ai déjà écrit à plusieurs reprises : Abalone est une caverne d’Ali Baba et ne compte que des disques importants (Quatuor IXI, Christophe Marguet, Claude Tchamitchian, Denis Badault, If Duo, Maria Laura Baccarini, Franck Vaillant, …), soit autant de démonstrations par l’action du goût très sûr du monsieur. J’y reviendrai, c’est sûr.

    Pour aller encore plus loin, du côté de ses rêves d’adolescence, Yves Rousseau a fait appel au pianiste Edouard Ferlet, aussi à l’aise dans le jazz très cinématographique du trio Viret-Ferlet-Moreau que dans ses tentatives en solitaire pour déjouer Bach. Un grand monsieur, comme on le sait. Formé à l’école classique puis au jazz et aux musiques du monde, le percussionniste Xavier Desandre-Navarre vient apposer ses couleurs sur une fresque qui n’en manque pas. Artiste de la pluridisciplinarité, homme de toutes les cultures (sa biographie nous rappelle que « les projets artistiques qu’il conduit se sont articulés autour des écritures classiques et contemporaines, théâtrales, musicales, chorégraphiques »), voici Pierre-François Roussillon, dont la clarinette basse trouve à l’évidence sa place de manière naturelle parmi ces musiciens protéiformes. Pour compléter l’équipe, celui qui est reconnu comme une des voix les plus singulières du jazz, et qui se voit ici confier également le rôle de récitant, ou plutôt de « diseur », Thierry Péala. J’ai bien compté, ils sont sept, ils sont le Wanderer Septet.

    Sacrée équipe, non ?

    Autant dire que le résultat est à la hauteur des espoirs que pouvait susciter une telle formation, mise au service d’un projet somme toute singulier. Le mariage des époques n’est pas sans risque… Mais attention, vous n’entendrez pas directement la musique de Schubert, à l’exception de quelques citations fugaces (« Sonate Arpeggione », « Trio Opus 100 », « Le roi des Aulnes », …). En réalité, vous la percevrez, comme en filigrane. Le but d’Yves Rousseau n’est pas de réinterpréter sa musique mais plutôt de la laisser agir au coeur même de son propre processus de création. Elle est une source, un point de départ, elle infuse depuis des décennies dans le patrimoine du contrebassiste : « Dans le temps de l’adolescence et dans cette solitude si indispensable à la construction de l’être, j’ai ressenti une immense proximité avec cet artiste habité par une flamme qui me semble encore aujourd’hui unique, comme une sorte de fascination pour cette beauté qui me toucha jusqu’au plus intime ».

    Découpé en six grands mouvements, Wanderer Septet revêt des couleurs changeantes, le plus souvent nocturnes : l’association piano - clarinette - violon - contrebasse l’apparente à une musique de chambre d’aujourd’hui qui, sans qu’on n’y prenne garde, pourra céder la place à un trio dont l’esthétique est typiquement jazz par sa formule instrumentale mais aussi par son énergie (ainsi le piano, la contrebasse et la batterie dans le troisième mouvement de « Wanderer I »). Certes formée à l’école classique, la clarinette basse de Pierre-François Roussillon n’hésitera pas à se montrer avide d’explorations, aidée en cela par les percussions et le frottement des cordes (deuxième mouvement de « Wanderer III »), pour nous entraîner dans un climat plus radical, où la mélodie peut s’effacer pour devenir cri. L’association des cordes (y compris vocales) crée l’envoûtement et le mystère (« Wanderer V »). Le violon de Régis Huby s’envole, ouvre des perspectives de liberté dont le groupe s’empare avec une vraie jubilation (deuxième mouvement de « Wanderer VI »). La contrebasse d’Yves Rousseau est libre à tout moment de chanter, voire d’exprimer la douleur (son court et poignant solo sur le troisième mouvement de « Wanderer VI » est l’illustration parfaite de la dualité Schubertienne). Autant d’exemples (on pourrait les multiplier) qui attestent de la richesse des textures que savent créer sept musiciens en état d'apesanteur. Le soin méticuleux apporté aux arrangements, la multiplicité des combinaisons instrumentales et des climats… chaque écoute est source de nouvelles découvertes et d'allers-retours entre les siècles.

    Il faut aussi souligner que Wanderer Septet est une oeuvre dont la dimension est théâtrale : car si Thierry Péala en est le chanteur ou le vocaliste, il est aussi ici récitant, celui qui par exemple va lire le rapport d’inventaire notarial à la mort de Schubert ou l’épitaphe du dramaturge autrichien Franz Grillparzer. De quoi ajouter au caractère atypique de cette si belle création qu’on a hâte de découvrir sur scène, comme par exemple le 21 janvier prochain au Manu Jazz Club de Nancy.

    Pour finir puisqu’on parle ici de Schubert : je me permets d’attirer votre attention sur un disque à venir qui sera lui aussi consacré au compositeur autrichien, mais dans une tonalité radicalement différente. Laurence Malherbe, chanteuse extra-lyrique et ses petits camarades d’Excursus, nous ont mitonné un Winterreise Fragments de derrière les fagots. Avec un aplomb admirable, celle qui s’était déjà autorisé une première transgression, va beaucoup plus loin et transfigure Schubert en lui faisant subir un régime cold-wave qui lui va comme un gant. J’ai le privilège d’écouter le disque depuis quelque temps, je peux même vous révéler que Laurence a eu la gentillesse de me confier l’écriture de ses liner notes et pour résumer l’affaire : c’est un régal !

    Cette histoire n’en finira donc jamais...

  • On Air... elle !

    airelle_besson_radio_one.jpgJe me demande si je ne vais pas oser glisser dans les premières lignes de cette notule un soupçon de vulgarité, certes fugitif mais... je dois bien vous confier que [Radio One], le nouveau disque de la trompettiste Airelle Besson, qui va très vite voir le jour sur le label Naïve, m’a, comme on dit, mis sur le cul ! Oui oui, vous avez bien lu le gros mot : sur le cul... Bluffé. Emballé. Émoustillé. Conquis. Il doit exister d’autres adjectifs pour qualifier l’état de ma satisfaction, je vous laisse les chercher parce que je vous sais curieux de la synonymie... Non que jusque-là je fusse ignorant du talent de cette musicienne qu’on a pu écouter aux côtés de différentes personnalités passionnantes telles que Bruno Reignier, Alban Darche, Laurent Cugny, Édouard Ferlet ou encore Didier Levallet ; ou être l’actrice de dispositifs tels que son duo avec le guitariste Nelson Veras ou le quintet Rocking Chair dans lequel évoluait, entre autres, un certain Sylvain Rifflet. Tout cela, je le savais bien. À titre plus personnel cette fois, je peux même vous confier que son chemin a croisé celui de mon propre rejeton de saxophoniste puisque tous deux jouaient, le temps d’un « Amazing Grace » sur Twelve Secrets Of A Lady, de la chanteuse Sophie Darly. Donc j’étais bien conscient des nombreuses qualités d’une artiste ayant vécu à Oxford durant les premières années de sa vie. Mais là, il se passe un petit quelque chose qui tape dans le mille avec une précision d’horlogerie. La petite flèche en plein cœur... Ce qu'a par ailleurs fort bien expliqué Matthieu Jouan dans les colonnes de Citizen Jazz.

    Les symptômes de cette douce maladie sont assez aisés à identifier, en voici quelques-uns. À peine avez-vous terminé l’écoute des cinquante-trois minutes de [Radio One] qu’il vous tarde de remettre la musique en marche. Ça ne peut pas attendre. Et hop, le disque tourne à nouveau, en boucle. Nécessité oblige. En deux temps trois mouvements, cette même galette fait par ailleurs l’objet d’un clonage dans votre téléphone intelligent et devient le compagnon privilégié de votre marche urbaine et néanmoins quotidienne. Finie la grisaille citadine et la laideur des visages automobilistiques, oublié l’air vicié de la cuvette locale, snobées les trottinettes assassines, contournées les crottes de chien, vous êtes en possession de la parade absolue. Ça coule délicieusement dans vos oreilles. Un peu de douceur dans ce monde de brutes... Une sortie en voiture, une poignée de kilomètres à parcourir ? Comme par hasard, en ouvrant la console centrale qui sépare les deux sièges avant, votre main innocente attrape le CD pour le glisser avec autorité dans le lecteur. Allez savoir pourquoi c’était celui-là qui phagocytait le sommet de la pile, mystère...

    C’est un peu comme s’il y avait eu chez Airelle Besson une sorte d’alignement des planètes. Un moment rare. On frise la perfection instrumentale, l’équilibre des forces en présence impose le respect, les couleurs sonores sont rien moins que lumineuses. Tout est en place. Airelle Besson le dit elle-même : « Dès les premières répétitions en janvier 2014, un son a émergé ». Et cette fois, c’est un quatuor qui est en action pour livrer neuf compositions qu’on pourrait – mais ce n’est pas une obligation, faites comme bon vous semble – ranger en deux catégories principales. Il y a d’un côté une série de thèmes plutôt joyeux, presque sautillants dont la première des vertus est de vous entraîner, presque malgré vous, à les fredonner très vite : « Radio One », « The Painter And The Boxer », « Candy Parties », « No Time To Think ». Confiez-moi les clés des ondes et je vous fais de la première un hit single en deux temps trois mouvements. On peut rêver, non ? Et puis les autres (« All I Want », « La galactée », « Around The World », « People’s Thoughts », « Titi »), beaucoup plus éthérées, un brin féériques pour ne pas dire planantes à certains moments. Tout au long du disque, on passe d’un climat à l’autre dans un seul souffle heureux et on se laisse embarquer par quatre musiciens en état d’apesanteur. [Radio One] a de faux airs d’un rêve éveillé, attrapé au vol avec la maestria qu’on lui connaît par Gérard de Haro au Studio La Buissonne.

    Parlons des musiciens, aussi. Airelle Besson forcément, qui a composé tout le disque, paroles en anglais incluses. Trompettiste fluide, jamais invasive mais toujours habitée, dont le lyrisme de velours trouve en Isabel Sörling une complice qu’on aurait envie de qualifier de naturelle. Cette chanteuse suédoise (dont on a déjà pu apprécier toute la saveur vocale dans le récent Moondog, hommage au Clochard Céleste par Cabaret Contemporain paru à la fin de l’année dernière chez Subrosa) est l’autre source enchantée de [Radio One]. C’est incroyable comme ces deux-là se trouvent sans se chercher, qu’elles chantent d’une même voix ou qu’elles se répondent l’une l’autre. Elles dansent sur la musique, elles semblent sur un petit nuage. Il faut dire aussi qu’elles peuvent compter sur les talents conjugués de Fabrice Moreau et Benjamin Moussay. On connaît les vertus coloristes du premier, batteur souple tout aussi apte à suggérer des motifs qu’à veiller sur la bonne tenue du tempo. Quant au second, il faut admirer sa capacité à se démultiplier et à agencer l’environnement harmonique. Son omniprésence aux claviers (parmi lesquels un synthétiseur basse) force le respect. Lui aussi est un peintre, doublé d’un architecte imaginatif et d’un inventeur de textures sonores. Magistral Moussay !

    Airelle Besson et son quartet seront les prochains invités du Manu Jazz Club au Théâtre de la Manufacture à Nancy. Et les derniers de la saison, de surcroît. Ils feront suite aux Shakespeare Songs de Guillaume de Chassy, Andy Sheppard et Christophe Marguet, qui ont su subjuguer un public venu nombreux une fois encore. Vous imaginez quelle chance cela peut être pour les amoureux de la musique vivante ? Mieux que le disque, la scène et ses vibrations irremplaçables. Tiens, c’est bien simple, j’en frémis déjà d’aise et je me réjouis par avance d’une soirée qui ne pourra qu’être réussie... et trop courte, ça ne fait aucun doute ! Fort heureusement, la fête durera encore longtemps grâce à ce disque habité par une grâce mélodique des plus séduisantes.

    Ah, et puis, j'ai oublié de vous dire... [Radio One] est peut-être un disque de jazz. Ou peut-être pas. Je vous laisse juges. On s'en moque après tout, parce que c'est d'abord un disque qui chante de la première à la dernière minute.

  • Divorce à la Danoise

    Hasse_Poulsen.jpgHasse Poulsen a divorcé. Et alors, me demanderez-vous, en quoi cela nous regarde-t-il ? Je pourrais vous donner raison, parce qu’en effet la vie privée des gens ne nous concerne pas. Mais un avis si tranché risquerait de vous priver d’un bonheur musical que je vais évoquer ici en quelques lignes. Non sans vous proposer au préalable un rapide rappel « historique ».

    2003, Metz, Les Trinitaires : j’assiste à un concert du clarinettiste Louis Sclavis venu interpréter son répertoire Napoli’s Walls inspiré des fresques murales d’Ernest Pignon-Ernest dans la ville de Naples. Médéric Collignon est là, tout en cornet, yeux exorbités et scats survoltés. Vincent Courtois, plus discret fait entendre le chant de son violoncelle. Je découvre un guitariste dissonant et abrasif, de haute stature : Hasse Poulsen. Depuis cette époque lointaine, ce géant danois a su imposer son talent, en particulier au sein du trio Das Kapital, sans doute l’une des plus belles inventions du jazz de la décennie passée. Il est aussi un explorateur, en duo (avec Tom Rainey, Fabien Duscombs, Hélène Labarrière…), en quartet avec The Langston Project pour dire les textes de Langston Hugues ou dans le cadre d’une formation aux accents volontiers psychédéliques telle que SighFire. Tout récemment, sa guitare électrique est venue griffer le jazz gourmand et pétulant de Frizione, disque du saxophoniste Romano Pratesi entouré d’un véritable all stars (incluant Glenn Ferris, Stephan Oliva, Claude Tchamitchian, Christophe Marguet).

    Ce ne sont là que quelques exemples pour vous donner une idée de son activité polymorphe et rageusement créative. Mais attention : Hasse Poulsen – vous allez enfin savoir pourquoi je vous raconte toutes ces choses – est aussi un excellent interprète, dont les « chansons » avaient frappé juste à l’occasion de la parution il y a cinq ans de The Man They Cass Ass… Sings Until Everything Is Sold. J’en avais rédigé la chronique pour Citizen Jazz. J’y écrivais notamment : « Un songwriter de premier plan doublé d’un magnifique chanteur vient de voir le jour et s’expose enfin après de longues années de maturation ». Vous commencez à comprendre : lorsqu’un chroniqueur de haut niveau vit les heures difficiles de la séparation après vingt ans de vie commune, on devine que ce qu’il a à dire dépassera très largement le cadre de l’intimité d’un couple volant en éclats. Fin du rappel.

    Le temps est donc venu pour l’homme qu’on appelle Ass de partager Not Married Anymore, dont le titre parle de lui-même. Quinze compositions enregistrées en quatre jours au fin fond du Danemark, avec la complicité des compatriotes Henrik S. Simonsen et de Tim Lutte, sans oublier le rôle important joué par Gilles Olivesi pour le travail sur le son. Ici, pas de fioritures, c’est un enregistrement urgent, presque brut, qui est proposé, avec ce côté roots qui colle parfaitement à la nudité du propos. Les violons et les flonflons n’ont pas leur place ici. Voix + guitare + contrebasse + batterie et basta. Pas question d’une super production. Pas de solos non plus, ce n’est pas le moment d’en rajouter. Avec cet album très personnel, Poulsen dévoile un répertoire dont les premières compositions remontent à 2014 et parlent d’amour, de rupture, de regrets, d’espoir, en lien direct ou indirect avec son histoire. Autant de sentiments qui sont les siens, bien sûr, mais aussi ceux qui peuvent traverser chacun·e d’entre nous. Ce qu’Hasse Poulsen confirme : « Quand le privé ressemble à un regard involontaire dans une chambre, ça devient insupportable et embarrassant. J’espère que les chansons de Not Married Anymore ne donnent pas une telle impression de partage de détails banals et sans importance d’une vie sans intérêt. J’espère parler des émotions – souvent contradictoires – qu’on rencontre dans beaucoup de moments de vie ». Rassurons-le, cette exposition aux oreilles de tou·te·s n’est jamais dérangeante au prétexte qu’elle ferait de nous des voyeurs. Ces histoires d’amour, qu’elles finissent mal ou pas, sont universelles. Et ici fort justement racontées.

    L’album mêle ballades aux accents folk, country, bluegrass ou jazz, avec çà et là une pointe de rock à l’état brut et quelques tentations psychédéliques. Hasse Poulsen rend à sa manière un hommage appuyé à ceux qui habitent son Panthéon musical depuis toujours ou presque : Johnny Cash, Bob Dylan, Paul Simon, Elvis Costello ou Tom Waits. On pourrait ajouter Leonard Cohen. Cette sédimentation heureuse – dans un contexte qui ne l’est pas – fait de Not Married Anymore un disque qu’on ne cherchera pas à classer. Il est celui, je me répète, d’un songwriter au sens le plus noble et le plus intemporel du terme. Avec pas mal de titres qu’on serait tenté de fredonner (au premier rang desquels « Not Married Anymore »), si l’on ne craignait de paraître incongru en les chantonnant…

    Pour terminer cette note, j’aimerais partager un souvenir : l’année dernière, j’avais réuni à Paris quelques amis musiciens que je voulais associer à un événement personnel. Hasse Poulsen était de ceux-là. Il est arrivé, immense sur son vélo de course, sourire timide aux lèvres, simple comme bonjour. J’ignorais tout des moments pénibles qu’il traversait à cette époque. Il n’en a rien laissé paraître, alors que nous levions tous notre verre à une histoire qui, elle, était heureuse. Presque dix-huit mois plus tard, je mesure toute l’élégance de l’homme, au-delà de son immense talent de musicien. Je suis donc bien placé pour vous dire que Not Married Anymore est un écho supplémentaire de cette classe naturelle qui transpire de chacun de ses mots, de chacune de ses notes.

    Musiciens : Hasse Poulsen (chant, guitares), Henrik S. Simonsen (contrebasse), Tim Lutte (batterie), Gilles Olivesi (effets).

    Titres : Not Married Anymore / Drink to my Health / Ask Yourself / A Single Day / At the End of a Rope / What Kind of a World / Thanks for the Fight / This is the Day / Hollow Old Bone / I Need a New Girl / In a Dead Man’s Skull / What’s On Your Mind / Ship Full of Ghosts / Thousand Voices / Only Sometimes

    Label : Das Kapital Records